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Berlioz: Prédecesseurs et Contemporains

Berlioz et Spontini

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Gaspare Spontini Présentation

Rapports de Berlioz et Spontini

Berlioz, défenseur de Spontini

Bilan

Partitions de Spontini disponibles
Notes sur les partitions disponibles

Abréviations:
CG = Correspondance générale
Débats = Journal des Débats
NL = Nouvelles lettres de Berlioz, de sa famille, de ses contemporaints (2015)

Cette page est disponible aussi en anglais

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Présentation

    Spontini tenait une place de choix dans le Panthéon de Berlioz des grands compositeurs. ‘Je suis de la religion de Beethoven, de Weber, de Gluck, de Spontini’, écrit-il dans ses Mémoires (Post-scriptum du 25 mai 1856). Ces quatre noms forment un groupe pour lequel Berlioz avait une admiration particulière. Mais il y avait des différences entre Spontini et les trois autres. En premier lieu Gluck, Beethoven et Weber étaient tous allemands, alors que Spontini était italien. Étant donné l’admiration de Berlioz pour la musique allemande — dans un article de 1860 il se nomme ‘musicien aux trois-quarts allemand’ — et la défiance envers la musique italienne qui se manifeste chez lui dès les années 1820 et sera intensifiée par son séjour en Italie de 1831-1832, les origines italiennes de Spontini faisaient éventuellement difficulté. Dans un compte-rendu d’une représentation de La Vestale qui n’était pas à la hauteur du chef-d’œuvre qu’il admirait, Berlioz déclare qu’à cette occasion ‘On a traité comme un compositeur italien Spontini qui fut un Italien compositeur’ (voir aussi CG no. 120).  Autre différence: pour Berlioz les trois allemands sont des compositeurs morts qu’il n’a jamais pu rencontrer, alors que Spontini est un personnage vivant qu’il connaît en personne. Gluck appartenait à une générations antérieure (1714-1787). Weber et Beethoven disparaissent tôt, en 1826 et 1827 avant que Berlioz ait l’occasion de les connaître (il s’en était fallu de quelques heures qu’il rencontre Weber à Paris en 1826: Mémoires, chapitre 16). Mais Berlioz et Spontini se rencontrent en septembre 1830 et resteront en rapport par la suite; après son séjour de 1820 à 1841 comme directeur de l’Opéra de Berlin, Spontini revient à Paris jusqu’à vers la fin de sa vie, et a donc souvent l’occasion de voir Berlioz. Après la mort de Spontini en 1851, les rapports de Berlioz continuent avec sa veuve (1790-1878): elle était nièce de Sébastien Érard, le célèbre facteur de pianos, et Berlioz était lié avec la famille Érard.

    A côté des trois autres maîtres les Mémoires ne nous renseignent que peu sur les rapports entre Berlioz et Spontini. Dans les Mémoires la présence de Gluck dans la vie de Berlioz s’affirme tôt, avant son départ pour Paris en 1821 et avant même qu’il ait pu entendre une note de la musique de Gluck (chapitre 4). Berlioz raconte en détail ses impressions en découvrant la musique de Weber fin 1824 et de Beethoven en 1828 (Mémoires, chapitres 16 et 20). Il n’y a aucun récit comparable de la première rencontre avec la musique de Spontini. Spontini est de bonne heure une de ses idoles, dès que Berlioz se met à fréquenter l’Opéra, et son nom est souvent associé à celui de Gluck, le géant de la tragédie lyrique (chapitres 14, 16, 17, 21). Il en est de même dans la suite des Mémoires, qui posent en principle l’admiration de Berlioz pour le compositeur.

Rapports de Berlioz et Spontini

    La première mention de Spontini dans les Mémoires se trouve au chapitre 5, où Berlioz raconte (en fait inexactement) ses premières impressions à l’Opéra de Paris: Il assiste d’abord aux Danaïdes de Salieri avec des morceaux pour orchestre ajoutés par Spontini, et puis la semaine suivante à la Stratonice de Méhul. La mention suivante est au chapitre 11, où il constate, à propos de son opéra de jeunesse Les Francs-Juges, que ‘l’on [y] sentait à chaque page l’énergique influence du style de Spontini’. Mais Berlioz ne raconte pas ses premières expériences des opéras de Spontini sur la scène. Il a dû assister aux deux grands opéras, La Vestale (1807) et Fernand Cortez (1809, révisé en 1817), à l’Opéra en 1822. Il est évidemment tout de suite acquis à la cause. Dans le premier article publié par lui dans Le Corsaire du 12 août 1823 (Critique Musicale I, p. 1-3) La Vestale est présentée comme une œuvre qu’il admire déjà: il s’élève avec force contre l’idée absurde qu’on la transfère de l’Opéra au Théâtre Italien. Le premier indice dans la correspondance de Berlioz de son engouement pour la musique de Spontini ne vient que plus tard, dans une lettre du 15 juillet 1826 (CG no. 61), où il raconte l’impression faite par la célèbre Mme Branchu dans sa représentation d’adieu dans le rôle d’Olympie dans l’opéra de ce nom (1819, révisé en 1821): ‘ouvrage sublime en tout point digne de l’auteur de la Vestale’ dit-il. Par la suite l’enthousiasme de Berlioz pour la musique de Spontini ne faiblira pas, et l’entrée de Weber et de Beethoven au Panthéon musical de Berlioz n’amènera pas la déchéance de ses premières idoles.

    Le jeune compositeur conçoit bientôt l’ambition de rencontrer le maître, son aîné d’une génération, pour solliciter son approbation et soutien avant son départ imminent pour l’Italie à la fin de 1830. Profitant de la présence de Spontini à Paris pendant l’automne, Berlioz sans plus attendre prend l’initiative audacieuse de lui écrire dans une lettre datee du 15 septembre 1830 (CG no. 178):

Je brûle depuis longtemps du désir de vous voir et de vous exprimer de vive voix l’indicible admiration que je ressens pour votre génie. M. Lesueur, dont je suis l’élève, m’a promis plusieurs fois de me présenter à vous, mais mon impatience ne me permet pas d’attendre plus longtemps. […] Veuillez, Monsieur, me faire l’honneur de me recevoir. Si connaître, comprendre et sentir vos sublimes ouvrages sont des titres à vore bienveillance, je vous jure que je le mérite autant que personne. […]

    Spontini lui répond favorablement, comme on l’apprend d’une lettre de Berlioz à sa mère le mois suivant (CG no. 184, 20 octobre 1830):

[…] Je compte aussi sur l’appui de Spontini [sc. pour être dispensé du voyage en Italie] qui se trouve momentanément à Paris; je lui écrivis dernièrement pour lui demander la permission de l’aller voir; il me répondit sur le champ une lettre fort aimable en me donnant rendez-vous pour le lendemain. Il m’a comblé de prévenances et d’amitiés […] je pourrai je l’espère avant son départ lui faire entendre de ma musique. […]

    La suite va combler tous les vœux de Berlioz: Spontini assiste à la première exécution de la Symphonie fantastique le 5 décembre 1830 et selon Berlioz est enthousiasmé par l’ouvrage (CG no. 190). Peu après Berlioz lui envoie une lettre le remerciant avec effusion de son soutien qui lui tient tant à cœur, et lui envoie les partitions manuscrites de la symphonie et de l’ouverture des Francs-Juges (CG no. 191). Spontini lui rend la politesse avec la grande partition imprimée de son opéra Olympie avec une dédicace de sa main, comme il ressort d’une lettre de Berlioz à Humbert Ferrand datée du 12 décembre 1830 (CG no. 193).

    C’est le début d’une correspondance entre les deux hommes qui va se poursuivre pendant plusieurs années (les dernières lettres connues datent de 1846). Pour les lettres de Berlioz à Spontini voir CG nos. 178, 191, 268, 364, 752, 768, 870, 1052; pour les lettres de Spontini à Berlioz voir NL nos. 645bis [pp. 166-7] & 651quinquies [p. 172], et CG nos. 862, 866, 1051, 1081. Après la mort de Spontini en 1851 la correspondance de Berlioz se poursuit avec la veuve de Spontini jusqu’à au moins 1863; voir CG nos. 1787, 2202, 2393bis, 2684 pour les lettres de Berlioz à Mme Spontini, et nos. 1476, 2787 pour ses lettres à Berlioz (dans sa dernière lettre connue elle félicite Berlioz sur la première des Troyens à Carthage en novembre 1863, et ajoute: ‘[Madame Charton] me rappelle beaucoup Madame Branchu’). Il y a aussi de nombreuses allusions à Spontini dans le reste de la correspondance de Berlioz (par exemple CG nos. 125, 868, 1246, 1379, 1381).

    Les lettres connues donnent évidemment une idée incomplète de la correspondance entre les deux hommes, mais de toute façon elle n’est manifestement pas comparable à la correspondance beaucoup plus développée entre Berlioz et Liszt. Le dévouement et la loyauté de Berlioz envers Spontini ne font pas de doute, mais il ne lui était pas facile de devenir proche d’un homme qui, outre la grande différence d’âge entre eux (Spontini est né en 1774, et non 1779 comme Berlioz le croyait), avait la réputation d’un caractère difficile qui se faisait facilement des ennemis (entre autres Meyerbeer, son successeur à Berlin). Comme l’écrit Berlioz peu après la mort de Spontini: ‘Je l’aimais, cet homme peu aimable, à force de l’avoir admiré. D’ailleurs les aspérités mêmes de son caractère m’avaient attaché à lui, sans doute en s’accrochant aux aspérités du mien…’ (lettre du 1er février 1851 au général Lvov, CG no. 1379).

   Le début des rapports entre Berlioz et Spontini en 1830 avait paru très prometteur, mais la suite restera en deça des espérances de Berlioz. Pendant son séjour à Rome en 1832 il écrit à Spontini à Berlin, où ce dernier est directeur de l’opéra, exprimant avec effusion son espoir de s’y rendre après son voyage en Italie (CG no. 268). L’année suivante, après son mariage avec Harriet Smithson, il sollicite longuement l’appui de Spontini pour un projet de sa femme de se produire sur la scène à Berlin (CG no. 364); Spontini ne semble pas avoir réagi, et la visite n’aura pas lieu (CG no. 370). Le projet d’un voyage en Allemagne, longtemps caressé par Berlioz, n’aura finalement lieu qu’en 1842 et 1843, et à cette date Meyerbeer a maintenant replacé Spontini à la tête de l’opéra de Berlin (Meyerbeer, lui, se montrera d’un grand secours pour Berlioz au cours de son voyage). En mai 1839 il y a une vacance à l’Insitut dans la section de musique et Berlioz décide de se présenter, mais il retire sa candidature quand il apprend que Spontini veut se présenter lui-même; Spontini est élu (voir aussi NL no. 651quinquies, p. 172; 5 juin 1839). Deux ans plus tard, quand la position de Spontini à Berlin est de plus en plus contestée, Berlioz lui écrit une lettre de soutien, et loue avec effusion l’opéra Fernand Cortez qui vient d’être représenté à l’Opéra (CG no. 752; 27 août 1841). Peu après Spontini démissionne de son poste à Berlin. Berlioz tenait visiblement beaucoup à cette lettre: il la reproduit deux fois, en 1844 dans le premier tome de son Voyage musical en Allemagne et en Italie, et de nouveau en 1852 dans ses Soirées de l’orchestre dans un chapitre entièrement consacré à Spontini (13ème soirée). En mars 1842 Berlioz veut se se présenter pour une nouvelle vacance à l’Insitut, et sollicite l’appui de Spontini (CG no. 768), mais ne parviendra même pas à être admis sur la liste de candidats. Une lettre de Spontini du 20 novembre 1843 — il est maintenant établi à Paris — félicite Berlioz pour un concert au Conservatoire la veille, en l’occurrence le dernier concert que Berlioz dirigera au Conservatoire pendant des années; Spontini prodigue ses éloges pour la musique de Berlioz, mais fait des réserves sur sa manière de diriger (CG no. 866; cf. no. 868). Une brève lettre de décembre 1843 témoigne de l’envoi par Berlioz de son Traité d’instrumentation à Spontini dans lequel il reconnaît sa dette envers lui (CG no. 870). La dernière lettre connue de Berlioz à Spontini est une brève note (CG no. 1052) en réponse à une étonnante lettre, longue et décousue, dans laquelle ce dernier félicitait Berlioz d’un compte-rendu d’un conert militaire dans les Débats du 29 juillet 1846; dans ce compte-rendu Berlioz avait nommé Spontini le ‘père de la musique guerrière’ (CG no. 1051). La dernière lettre connue de Spontini est une note assez obscure, écrite deux jours avant la première de la Damnation de Faust le 6 décembre 1846 (CG no. 1081). — On ajoutera qu’à la mort de Spontini (24 janvier 1851) Berlioz décide de se présenter pour son siège vacant à l’Institut, mais échoue une fois de plus (CG nos. 1388. 1389, 1392), et ce n’est que le 21 juin 1856 qu’il sera enfin élu.

Berlioz, défenseur de Spontini

    Plein de nostalgie pour les années 1820, quand ses idoles Gluck et Spontini étaient à l’honneur auprès du public et étaient souvent représentés à l’Opéra, Berlioz déplorait souvent que les œuvres de Spontini n’étaient plus aussi connues qu’elles le méritaient. En 1857 il est choqué d’apprendre de Pauline Viardot ‘qu’elle n’avait jamais ni vu ni lu la Vestale de Spontini’ (CG no. 2203). Dans sa carrière de chef d’orchestre Berlioz inscrivait la musique de Spontini à ses programmes quand il le pouvait; mais comme il n’a jamais eu à Paris de poste permanent comme chef d’orchestre d’une société de concerts ou d’un théâtre lyrique, le nombre d’exécutions connues de Spontini sous sa direction est dans la pratique limité. Il dirige l’ouverture de La Vestale comme premier morceau du grand concert pour le Festival de l’Industrie (1er août 1844), et plus tard pour la clôture d’un concert à Bade (19 août 1859) — ce qui donne lieu à une protestation de la part de la veuve de Spontini, qui estimait qu’elle aurait dû figurer plus tôt dans le programme (CG no. 2393bis). (Une ouverture de Meyerbeer, l’ancien rival de Spontini, ouvrait la deuxième partie du programme, ce qui était sans doute un grief de plus pour la veuve de Spontini.) Berlioz inclut un air de Fernand Cortez dans un de ses concerts à la Société Philharmonique à Paris (10 mars 1850). Dans le troisième des six concerts qu’il donne à Exeter Hall à Londres en 1852 (28 avril) il fait entendre tout le deuxième acte de La Vestale, qu’il considérait le chef d’œuvre de Spontini. Ce concert avait pour lui une grande importance: c’était en quelque sorte un concert commémoratif en honneur de Spontini qui était mort l’année précédente. Pour cette occasion il invite la veuve de Spontini à venir à Londres, et elle lui fait don de la baguette de chef d’orchestre de Spontini lui-même pour diriger le concert. Au grand chagrin de Berlioz la réaction des critiques est plutôt mitigée (CG nos. 1473, 1476, 1477). — On remarquera l’absence de musique de Spontini dans les concerts qu’il dirige en Russie au cours de son dernier voyage en 1867 et 1868 (alors que Gluck y tient une place importante): les souvenirs du relatif échec à Londres en 1852 y ont sans doute joué un rôle.

    C’est donc par sa plume plutôt que sa baguette de chef d’orchestre que Berlioz est le mieux en mesure de défendre la musique de Spontini, ce qu’il fait tout au long de sa carrière de critique musical pendant une quarantaine d’années. Son premier article en 1823 est å la défense de La Vestale de Spontini, et dans un de ses derniers articles en 1863 il continue à plaider pour les mérites de Fernand Cortez (Débats 23 juillet 1863). Mais l’activité de Berlioz critique musical dépend souvent en premier lieu d’exécutions d’œuvres auxquelles il peut réagir dans ses articles. La production musical de Spontini est vaste, mais en fait le nombre de ses œuvres qui se maintiennent dans le répertoire courant en France se limite aux deux opéras, La Vestale (1807) et Fernand Cortez (1809, deuxième version 1817); la musique chorale et instrumentale brille par son absence.

    La carrière active de Berlioz critique musical prend un nouveau départ après son retour d’Italie. L’année 1834 apporte plusieurs articles sur Spontini, provoqués en partie par des représentations de La Vestale à l’Opéra (Critique Musicale I pp. 233-7, 287, 361-2), mais Berlioz publie aussi une nouvelle, Le Suicide par enthousiasme, qui concerne un jeune musicien qui se passionne pour La Vestale — tout comme Berlioz lui-même (Critique Musicale I pp. 297-301, 303-7, 347-51, 353-6). Berlioz le reprendra plus tard dans le second volume de son Voyage musical de 1844, puis de nouveau dans ses Soirées de l’orchestre en 1852 (12ème soirée). Pendant les trois années qui suivent il n’a pas l’occasion de parler de Spontini, avant un article biographique sur le compositeur en 1838, le premier qu’il ait consacré au compositeur (Critique Musicale III pp. 511-15).

    À partir de 1840 les mentions de Spontini deviennent plus fréquentes. Le plus simple est de les grouper autour des œuvres que Berlioz mentionne le plus souvent. La plupart des références qui suivent concernent des exécutions à Paris, mais quelques-unes ont rapport à des exécutions ailleurs, sur lesquelles Berlioz veut attirer l’attention du lecteur; elles seront signalées dans chaque cas. Sur La Vestale voir Débats 16 février 1840, 17 février 1844 (concernant des exécutions à Dresde), 14 mai 1845, 12 octobre 1847, 7 mars 1849, 21 mars et 25 mars 1854 (comparaison d’une exécution à Paris avec une à Berlin, au désavantage de la première). Sur Fernand Cortez voir Débats 21 mai et 21 juin 1840, 17 février 1844 (concernant une exécution à Gotha), 29 juillet et 7 octobre 1846 (concernant une exécution à Berlin), 14 juillet 1849, 11 octobre 1854 (concernant une exécution à Vienne), 3 avril 1858 (concernant une exécution à Bordeaux, cf. 23 avril), et 23 July 1863 (concernant des exécutions à Berlin). Sur Olympie voir Débats 27 novembre 1851 (concernant une exécution à Berlin) et 7 avril 1861. Sur Nurmahal voir Débats 10 décembre 1844. Il y a aussi plusieurs renvois à Spontini qui ne se rattachent pas à une œuvre particulière: voir Débats 10 mai 1839, 15 décembre 1844, 9 juin 1846 et 20 janvier 1854.

    L’article le plus développé de Berlioz sur Spontini est une longue notice necrologique publiée après la mort du compositeur dans les Débats du 12 février 1851 (Critique Musicale VII pp. 419-32); il est beaucoup plus fouillé que la notice biographique de 1838 mentionnée ci-dessus. Pour cet article Berlioz prend bien soin de s’informer par l’intermédiaire de Pierre Érard, beau-frère de Spontini, pour se procurer une liste aussi complète que possible des travaux de Spontini (CG nos. 1375, 1379, 1381); il bénéficie aussi de nombreuses conversations avec Spontini au cours des années 1840 après le retour du compositeur à Paris, et par conséquent dépend moins des encyclopédies courantes de Fétis et autres, qu’il sait être incomplètes et inexactes. L’article n’est qu’en partie biographique; il souligne particulièrement l’importance de la décision de Spontini de quitter l’Italie en 1803 pour aller s’installer à Paris, et ses conséquences positives sur son développment musical. Spontini en devient plus ouvert aux influences non-italiennes, particulièrement celle de Gluck. À Paris Spontini va bénéficer du soutien capital de l’impératice Joséphine et de Napoléon lui-même, qui après le succès de La Vestale lui commande son opéra Fernand Cortez. L’article traite ensuite en détail des compositions de Spontini, notamment ses opéras les plus importants La Vestale, Fernand Cortez et Olympie, dont les deux premiers fondent sa réputation de compositeur. Berlioz évoque ensuite le style musical de Spontini, avec considérations sur l’emploi qu’il fait d’éléments musicaux: l’harmonie, la mélodie, l’instrumentation et la modulation. On a donc là l’exposé le plus complet des vues de Berlioz sur Spontini.

    En 1849 Berlioz avait composé un nouveau livre, mais ne put trouver un éditeur pour le publier. Trois ans plus, au cours de son séjour à Londres de mars à juin 1852, ce livre devient maintenant les Soirées de l’orchestre, qui paraissent avant la fin de l’année. Un des traits du nouveau livre est la place qu’y tient Spontini: c’est évidemment une réaction à la mort de Spontini l’année précédente, et manifeste le désir de Berlioz de lui rendre hommage. On se souviendra (voir ci-dessus) qu’un de ses concerts à Exeter Hall en avril avait compris une exécution de tout le deuxième acte de La Vestale, en présence de la veuve de Spontini. Dans les Soirées Spontini est pratiquement le personnage central. La onzième soirée est consacrée à une représentation de La Vestale, qui est jouée par les musiciens avec une ferveur toute religieuse. La douzième soirée reproduit la nouvelle publiée d’abord en 1834 du musicien, passionné de La Vestale, qui se suicide après une représentation de l’ouvrage — après une telle expérience la vie pour lui n’a plus de sens. Le point culminant vient avec la treizième soirée, qui reprend le grand article sur Spontini publié l’année précédente.

    On remarquera qu’il y a peu de mentions de Spontini dans À Travers chants, le dernier recueil d’articles publié par Berlioz en 1862, et qu’aucun chapitre lui est consacré (alors que les trois autres idoles de Berlioz, Beethoven, Gluck et Weber font tous l’objet d’importants chapitres): ce que Berlioz avait à dire sur Spontini avait déjà été inclus dans les Soirées de l’orchestre.

Bilan

    Berlioz reconnaît sans arrière-pensées sa dette envers Spontini: il est avec Beethoven et Weber l’un des ‘trois maîtres modernes’ dont l’étude des partitions aide Berlioz à apprendre l’écriture pour orchestre (Mémoires, chapitre 13), et dans le Traité d’instrumentation Spontini est un des compositeurs les plus fréquemment évoqués (les citations directes de sa musique sont par contre peu nombreuses). Dans son article nécrologique de 1851 Berlioz analyse en détail les caractéristiques de l’écriture pour orchestre de Spontini.

    On peut repérer un certain nombre d’influences de Spontini sur Berlioz. Berlioz lui-même dit de sa Scène héroïque de 1825-6 que dans l’œuvre ‘on sentait à chaque page l’énergique influence du style de Spontini’ (Mémoires, chapitre 11). Berlioz attribuait à Spontini l’invention du “crescendo colossal”, ce qui suggère une comparaison entre l’ouverture de La Vestale et celle des Francs-Juges. Le long crescendo à la fin de l’ouverture de Berlioz rappelle le même procédé dans l’ouverture de La Vestale. Mais on pourrait ajouter que le crescendo de Berlioz est plus impressionnant que celui de Spontini, mécanique et monotone, et qu’en général l’ouverture des Francs-Juges, par son originalité et sa puissance, l’emporte de loin sur celle de La Vestale... Certains tours mélodiques de Spontini se retrouvent chez Berlioz. Les Troyens sont un hommage non seulement à Gluck, mais aussi à Spontini. Outre qu’il traite d’un sujet antique, on y rélève plusieurs traits caractéristiques des opéras que Berlioz admirait particulièrement — la pompe du spectacle, les grands effets d’ensemble, le rôle étendu du chœur dans l’action, l’utilisation de rythmes de marche, les effets spatiaux — avec cette restriction que pour Berlioz le spectacle n’est jamais une fin en soi, ce qui n’est pas le cas avec Spontini. L’ensemble Châtiment effroyable au premier acte des Troyens fait penser par le sentiment à l’ensemble Périsse la vestale impie au troisième acte de la Vestale. Pendant qu’il est à l’ouvrage Berlioz consulte la partition d’Olympie (lettre à Toussaint Bennet du 26/7 janvier 1857; CG no. 2203):

[...] J’ai envoyé Rocquemont [son copiste] me chercher au Conservatoire la partition d’Olympie de Spontini, où se trouve une marche triomphale dans le même mouvement que la mienne, et dont les mesures ont la même durée que celles de mon final [la marche troyenne à la fin du 1er Acte]. J’ai compté les mesures; il y en a 347, et je n’en ai, moi, que 244. D’ailleurs, il n’y a point d’action durant cette immense développement processionel de la marche d’Olympie, tandis que j’ai une Cassandre qui occupe la scène, pendant le déroulement du cortège du cheval de bois dans le lointain. [...]

    À y regarder de plus près on peut déceler ici et là des réserves de la part de Berlioz sur le compte de Spontini, dont certaines datent déjà des années 1820, avant sa rencontre avec Spontini en septembre 1830. Dès son premier article de 1823 il admet que les partitions de Spontini seraient ‘trop chargées’, et qu’il faudrait ‘les lire … pour savoir si c’est la faute de l’orchestre ou du compositeur quand elles font trop de bruit’ (il pensait sans doute à l’emploi souvent mécanique et monotone des cymbales et de la grosse caisse, comme chez tant d’autres compositeurs de l’époque). Vient ensuite une lettre de 1826 où il est question entre autres choses de la dernière représentation d’Olympie avec Mme Branchu dans le rôle principal (CG no. 61, 15 juillet 1826):

[...] C’est un ouvrage sublime en tout point digne de l’auteur de la Vestale; seulement il y [a] des endroits qui sont trop chargés de cuivre; en général, il l’a trop prodigué dans tout opéra. Spontini est parti [de Paris pour Berlin] la rage dans le cœur; il a de quoi le consoler [de ses déboires à Paris], toute l’Allemagne est à ses pieds. C’est le génie du siècle. [...]

    Dans une lettre de 1829 à sa sœur Nancy il raconte ses impressions du quatuor en ut dièze mineur de Beethoven (CG no. 120, 29 mars) et ajoute:

[...] Il y en a une autre [compositeur comme Beethoven] qui vole à peu près dans la même région, c’est Weber. Spontini le suit de près; mais il a le malheur d’être né en Italie, quoiqu’il ait complètement abjuré le style trivial. Je crois que les premières impressions ont conservé quelque influence sur la direction de ses idées; ensuite il n’a écrit que dans le genre dramatique; oh! la Vestale!... [...]

    Dans un article intitulé ‘Aperçu sur la musique classique et la musique romantique’, publié dans Le Correspondant du 22 octobre 1830 (Critique Musicale I, 63-68, à la p. 67) Berlioz souligne certaines différences entre Gluck et Spontini:

L’auteur d’Alceste se plaisait dans l’expression simple des passions, ses statues sont nues; l’auteur de la Vestale veut des draperies, de la pourpre, des guirlandes de fleurs. Le génie de Gluck aime à errer aux portes des enfers, sur les rochers, les plages arides; celui de Spontini habite les palais, les grands temples, il lui faut du marbre et de l’or.

    La biographie de Spontini publiée d’abord dans les Débats du 12 février 1851 est pleine d’éloges pour Spontini, mais contient aussi quelques réserves. Après avoir constaté que Spontini semblait ne pas avoir subi l’influence des compositeurs allemands, Beethoven en particulier, Berlioz ajoute un paragraphe qui malgré la courtoisie du ton est au fond assez critique:

Spontini ne fut point un musicien proprement dit, il n’appartenait pas à la classe de ceux qui tirent la musique d’eux-mêmes et qui écrivent sans qu’une idée venue d’autrui soit nécessaire pour faire naître en eux l’inspiration. Il n’eût en conséquence réussi, je le crois, ni dans le quatuor, ni dans la symphonie ; la grâce et le charme de ses airs de danse, la majesté et le brio de certaines parties de ses ouvertures, sont incontestables sans doute, mais n’empêchent point de reconnaître qu’il n’a pas même tenté d’aborder la haute composition instrumentale.

    On peut lire ici en filigrane que pour Berlioz les passages purement instrumentaux de Spontini, comme les nombreux ballets au premier et troisième actes de La Vestale, manquaient de sève musicale. Par la variété et l’invention, les courts mouvements instrumentaux et ballets des Troyens au premier, troisième et quatrième actes, l’emportent de très loin sur ceux de Spontini. Quant aux ouvertures, Spontini n’en écrivit jamais une qui puisse se mesurer à celles de Mozart, Beethoven, Weber ou Berlioz lui-même. Le paragraphe fut supprimé dans la deuxième édition des Soirées en 1854; Berlioz le jugeait sans doute trop risqué.

    Quand en septembre 1830 Berlioz prend l’initiative de se présenter à Spontini, il ambitionne de recevoir les suffrages du vieux maître qu’il admirait, et ses premiers espoirs sont comblés après la première audition de la Symphonie fantastique (voir ci-dessus). Mais plus tard Berlioz exprimera un regret: à son sens, Spontini avait été avare d’éloges pour la musique de son admirateur le plus dévoué. Citons ici la fin du chapitre 50 des Mémoires:

Au sujet de cette symphonie [la Symphonie funèbre et triomphale] exécutée longtemps après dans la salle du Conservatoire avec les deux orchestres, mais sans le chœur [19 novembre 1843], Spontini m’écrivit une longue et curieuse lettre [CG no. 866] [...] C’est la seule fois, malgré son amitié pour moi, qu’il ait accordé des éloges à mes compositions. Il venait toujours les entendre sans m’en parler jamais. Mais non, cela lui arriva encore après une grande exécution de mon Requiem dans l’église de Saint-Eustache [sans doute le 20 août 1846]. Il me dit ce jour-là :
« — Vous avez tort de blâmer l’envoi à Rome des lauréats de l’Institut ; vous n’eussiez pas conçu un tel Requiem sans le Jugement dernier de Michel-Ange. »
Ce en quoi il se trompait étrangement, car cette fresque célèbre de la chapelle Sixtine n’a produit sur moi qu’un désappointement complet. J’y vois une scène de tortures infernales, mais point du tout l’assemblée suprême de l’humanité. Au reste, je ne me connais point en peinture et je suis peu sensible aux beautés de convention.

Partitions de Spontini disponibles

Un *astérisque indique que la partition est citée par Berlioz dans son Traité d’instrumentation

La Vestale, Ouverture (durée 7'44")
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(fichier créé le 1.01.2003)
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La Vestale, Acte I Ballet 1 (durée 3'40")
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La Vestale, Acte I Ballet 2 (durée 4'32")
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La Vestale, Acte I Ballet 3 (durée 2'22")
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(fichiers créés le 11.12.2002)

*La Vestale, Acte II Scène 2 (ritournelle) (durée 1'33")
— Partition en grand format
(fichier créé le 13.05.2003)
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Notes sur les partitions disponibles

Extraits pour orchestre de La Vestale

    Il va sans dire que les extraits pour orchestre présentés ici ne peuvent donner qu’une idée très lointaine de l’envergure des œuvres de Spontini. Le morcellement a pour conséquence que l’effet d’ensemble est perdu. Citons les mots de Berlioz: ‘L’on pourrait presque dire que, dans son ensemble, le second acte de La Vestale n’est qu’un crescendo gigantesque’ (Soirées de l’orchestre, 13ème soirée). Néanmoins, Berlioz inscrivait parfois des extraits de Spontini au programme de ses concerts: par exemple, l’ouverture de La Vestale figure au début du programme du grand concert qu’il donne au Palais de l’Industrie le 1er août 1844 (Mémoires chapitre 53), et dans un de ses concerts à Bade le 29 août 1859, mais cette fois à la fin (CG no. 2393bis, à Mme Spontini) – le seul morceau de Spontini qu’il inscrit au programme dans sa série de concerts annuels à Bade.

    La partition de La Vestale ne comporte pas d’indications de métronome. Les mouvements ont été établis comme suit:

Ouverture: andante sostenuto, croche = 72, accelerando à partir de la mesure 12 pour atteindre 80 à la mesure 20; presto, noire = 176

Acte I Ballet 1: allegro marziale, blanche = 84

Acte I Ballet 2: poco grave, noire = 72, andante, noire = 50, poco animato, noire = 56, allegretto con brio, noire = 80, un poco piu animato, noire = 88

Acte I Ballet 3: presto, noire pointée = 152, presto, noire = 120

Acte II Scène2 (ritournelle): croche = 100. Berlioz cite ce passage dans son Traité d’instrumentation (dans cette transcription la voix reste silencieuse).

Site Hector Berlioz créé par Michel Austin et Monir Tayeb le 18 juillet 1997.
Page Berlioz et Spontini créée le 11 décembre 2002. Nouvelle version augmentée le 1er juillet 2021.

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