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Lettres de la famille du compositeur

Au Musée Hector-Berlioz

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Présentation
Fonds Chapot et fonds Reboul
Transcription, orthographes et écritures
Publication
Correspondance et histoire

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Tables des lettres
Chronologie
Images des lettres
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Lettres d’Adèle Berlioz-Suat: transcriptions littérales I; transcriptions littérales II; transcriptions littérales III
Lettres d’Adèle Berlioz-Suat: textes corrigés I; textes corrigés II; textes corrigés III
Lettres des parents de Berlioz: transcriptions littérales
Lettres des parents de Berlioz: textes corrigés
Lettres des femmes de Berlioz: transcriptions littérales et textes corrigés
Lettres de la famille Marmion: transcriptions littérales
Lettres de la famille Marmion: textes corrigés
Lettres de la famille Pal: transcriptions littérales
Lettres de la famille Pal: textes corrigés
Lettres de la famille Suat (sauf Adèle Berlioz-Suat): transcriptions littérales
Lettres de la famille Suat (sauf Adèle Berlioz-Suat): textes corrigés
Lettres de divers correspondants: transcriptions littérales
Lettres de divers correspondants: textes corrigés

© Musée Hector-Berlioz pour le texte et les images des lettres
© Michel Austin et Monir Tayeb pour le commentaire et la présentation

Voir aussi:

Note complémentaire

Lettres de la famille du compositeur à la Bibliothèque nationale de France [le sigle BnF ci-dessous renvoie à cette publication]
Lettres du compositeur au Musée Hector-Berlioz - Tables chronologiques
Lettres du compositeur au Musée Hector-Berlioz - Datation

Présentation

    Parmi les nombreux documents conservés au Musée Hector-Berlioz à La Côte-Saint-André se trouve un grand nombre de lettres: lettres du compositeur, de son fils Louis, de membres de sa famille — son grand-père maternel Nicolas Marmion, son père et sa mère, ses deux femmes Harriet Smithson-Berlioz et Marie Recio-Berlioz, son oncle Félix Marmion, ses deux sœurs Adèle et Nancy, leur maris Marc Suat et Camille Pal, et leurs filles Joséphine et Nancy Suat, et Mathilde Pal. Il y a aussi des lettres de plusieurs amis de la famille Berlioz, ainsi que des lettres adressées au compositeur ou le concernant. Ces lettres proviennent de deux collections différentes, le fonds Chapot et le fonds Reboul, qui remontent à l’origine aux deux sœurs du compositeur, et ont été transmises par elles à leurs descendants: le fonds Chapot remonte à Adèle Berlioz-Suat, sa sœur cadette (1814-1860), qui a célébré son bicentenaire en 2014, et le fonds Reboul à sa sœur aînée Nancy Berlioz-Pal (1806-1850). Le fonds Chapot est le plus ancien des deux: il a fait l’objet d’un don en 1981 par l’abbé Robert Chapot, petit-fils de Joséphine Chapot-Suat, nièce de Berlioz et première fille de sa sœur cadette Adèle. Quelques documents de la collection Chapot avaient été donnés au Musée dès avant cette date, et d’autres ont continué à faire l’objet de dons par la suite. Le fonds Reboul est entré au Musée plus tard, et doit son origine au legs fait à sa mort en 2010 par Catherine Reboul-Vercier de sa collection de documents, qui constituait une partie d’une collection autrefois plus vaste qui a ensuite été divisée entre les trois héritiers de l’Amiral Georges Reboul, petit-fils de Mathilde Masclet-Pal, nièce de Berlioz et fille unique de sa sœur aînée Nancy. Ce legs est entré au Musée en 2011. Sur la collection Reboul d’origine on lira l’étude fondamentale de David Cairns, ‘The Reboul-Berlioz Collection’, dans Berlioz Studies ed. Peter Bloom (Cambridge, 1992), p. 1-16.

    Les deux collections étaient connues depuis longtemps des chercheurs et spécialistes et ont été utilisées par eux, par exemple par les auteurs de la Correspondance générale du compositeur (huit volumes parus, 1972-2003; ci-après CG tout court), et par David Cairns, auteur de l’article qui vient d’être cité, et de la grande biographie de Berlioz en deux tomes (version anglaise, 1999; traduction française, 2002). Les lettres du compositeur et de son fils Louis ont déjà été publiées dans la Correspondance générale et plus tard dans les Nouvelles lettres de Berlioz parues en 2016 et ne seront pas reprises ici. Mais les lettres des autres membres de sa famille, si elles étaient souvent connues des chercheurs et ont parfois été citées par eux, sont dans leur ensemble encore inédites (voir aussi la note complémentaire).

    À l’invitation du Musée Hector-Berlioz, faite en décembre 2013 et remplie juste un an plus tard (le 11 décembre 2014), nous publions maintenant intégralement sur ce site toutes les lettres conservées au Musée qui ont été écrites par les membres de la famille d’Hector Berlioz. Nous ne saurions trop remercier Chantal Spillemaecker, Directrice du Musée Hector-Berlioz, et Antoine Troncy, Assistant de conservation au Musée, de la confiance qu’ils nous ont témoignée et d’avoir mis à notre disposition si généreusement toutes les ressources exceptionnelles dont dispose le Musée. Il va de soi que le Musée garde entièrement le droit de reproduction de tous les textes et images des lettres qui sont présentées ici.

    La présente publication comprend 244 textes en tout, la plupart des lettres, dont la première date de 1823 et la dernière de 1878; la majorité des textes datent des années 1830 aux années 1860. Ces textes couvrent en tout quatre générations de la famille Berlioz (y compris le grand-père Nicolas Marmion). À cet ensemble de lettres on a ajouté quelques textes qui n’émanent pas du cercle familial proprement dit, mais qui s’y rapportent suffisamment pour mériter d’être publiés en même temps. On trouvera sur une page séparée des tables qui donnent des listes complètes de tous les textes publiés ici, disposées d’abord en ordre chronologique et ensuite par groupes (parents, femmes, les différentes familles etc.). Dans tous les cas les lettres ou autres textes sont identifiés par leur numéro d’inventaire au Musée Hector-Berlioz. La provenance des divers textes (fonds Chapot ou fonds Reboul) se distingue aisément par les numéros d’inventaire. Les textes du fonds Chapot ont la cote R96 suivi de chiffres identifiants (numéro de l’auteur, puis numéro de la lettre s’il y en a plus d’une de cet auteur): ainsi les deux lettres de Marie Recio-Berlioz ont la cote R96.855.1 et R96.855.2, où le chiffre 855 est l’identifiant de Marie Recio-Berlioz. Par contre les textes du fonds Reboul sont tous numérotés de suite; ils commencent avec la cote 2011.02 suivi d’un chiffre qui est celui de la lettre ou du texte (mais il n’y a pas d’identifiant pour l’auteur). Ainsi la première lettre d’Adèle Berlioz-Suat dans l’inventaire a la cote 2011.02.116 et la dernière la cote 2011.02.265.

Fonds Chapot et fonds Reboul

    Les deux fonds, Chapot et Reboul, comparables dans leur origine au sein des familles des deux sœurs, diffèrent cependant en bien des points, notamment en ce qui concerne les textes présentés ici. Différence d’ampleur d’abord: le fonds Reboul, qui n’est cependant qu’une partie d’une collection au départ plus vaste, représente environ les trois-quarts des textes, contre seulement un quart pour le fonds Chapot. Différence ensuite dans la répartition des textes dans le temps, qu’on constate rapidement en parcourant les tables des lettres: les textes du fonds Reboul s’échelonnent sur presque l’ensemble de la période embrassée ici, de 1823 à 1869, alors que la majorité des textes du fonds Chapot se groupe autour de deux années-charnière, 1839 et 1858.

    D’où une constation essentielle: le fonds Reboul, même dans son état partiel, représente ce qui reste d’une véritable collection qui était suivie dans le temps, alors que le fonds Chapot tel qu’il se trouve maintenant au Musée Hector-Berlioz, n’est qu’un choix fait à partir d’un ensemble qui était sans doute au départ plus vaste, et a peut-être été comparable à l’origine à la collection Reboul. D’où un déséquilibre entre les deux fonds. Quelques chiffres montreront la différence. Les lettres d’Adèle Berlioz-Suat constituent la moitié de tous les textes présentés ici, 123 en tout sur 244 (ou plus exactement 122, puisque l’un des textes, R96.856.2 du fonds Chapot, n’est visiblement pas une lettre mais un mémoire ou extrait de journal). De ces 122 lettres les deux tiers, 80 en tout, sont adressées à la sœur d’Adèle, Nancy Berlioz-Pal, et s’échelonnent de 1828 à 1848; 16 sont adressées à la fille de Nancy, Mathilde Pal-Masclet, la première en 1846 et le reste entre 1854 et 1858. Nancy, puis après elle Mathilde, ont donc conservé un grand nombre des lettres qu’elles recevaient d’Adèle.

    En revanche, quand on cherche la contrepartie de ces lettres dans le fonds Chapot du Musée, on n’y trouve en tout que 6 lettres de Nancy à Adèle, qui datent toutes de 1839. Plus frappant encore est le cas de Mathilde Pal-Masclet: outre les 16 lettres d’Adèle dans le fonds Reboul, 10 lui sont adressées par sa cousine Joséphine Suat et 4 par son autre cousine Nancy Suat. Mais à l’heure actuelle il n’y a pas une seule lettre de Mathilde Pal-Masclet dans les collections du Musée Hector-Berlioz. Et c’est pourtant Mathilde qui, en tant que fille unique de Nancy et Camille Pal, a joué un rôle capital dans la sauvegarde et la transmission de la collection de documents de sa famille, collection conservée pendant de longues années au domaine familial du château de St Vincent près de Grenoble, château qui avec son parc ombragé est souvent évoqué dans les lettres publiées ici (voir par exemple 2011.02.125, 2011.02.167).

Fonds Chapot

    Quelle est donc la signification de ces deux années, 1839 et 1858, dans la sélection qui s’est opérée pour les lettres du fonds Chapot?

    L’année 1839 peut sans doute s’expliquer aisément: pour Adèle c’est une ‘année mémorable’ (2011.02.139), l’année de son mariage avec Marc Suat, de leur installation à St Chamond où naîtront en 1840 et 1842 leurs deux enfants Joséphine et Nancy. C’est aussi l’année de leur visite à Paris en mai-juin quand Adèle revoit son frère Hector pour la première fois depuis son mariage en 1833, mariage qui avait fait scandale au sein de la famille Berlioz et où Adèle avait été la seule à prendre fait et cause pour son frère. À Paris les Suat font la connaissance de Harriet Smithson-Berlioz sa femme et de leur jeune fils Louis, avec lesquels ils se lient d’amitié. La sympathie des Suat pour Louis Berlioz parcourt les lettres d’Adèle des années 1840 et 1850, et se poursuivra avec ses filles dans les années 1860. Adèle a sans doute tenu à garder précieusement tout un ensemble de lettres qui se rapportaient à cette année heureuse, lettres de son père, de son oncle, de sa sœur, de son frère, d’Harriet Smithson-Berlioz, mais aussi des lettres d’amies en dehors du cercle familial comme Louise Boutaud, Nancy Clappier et Pauline Berthier; ces lettres sont toutes reproduites ici (voir le tableau des lettres pour cette année).

    La survie des lettres de 1858, ou plus exactement des lettres de novembre-décembre 1858, est sans doute moins facile à expliquer. Il s’agit d’un ensemble de 21 lettres qui toutes (sauf une d’Adèle, 2011.02.260) proviennent du fonds Chapot et renseignent sur des événements concernant la famille Suat qu’autrement on ignorerait presque totalement. Il s’agit essentiellement d’un long séjour de plus de six semaines, de la mi-novembre jusqu’aux premiers jours de janvier 1859, de la jeune Nancy Suat, alors âgée de 16 ans, loin de sa famille chez son oncle Félix Marmion à Tournon, et, à la fin de son séjour, chez une amie de la famille, Louise Boutaud. Pendant ce temps sa sœur Joséphine est souffrante depuis des mois. On trouvera une discussion détaillée de cet ensemble de lettres dans la page sur la chronologie. L’épisode n’avait aucune importance en dehors du cercle familial, et il est frappant que ces lettres aient survécu alors que tant d’autres ont disparu: on y compte 11 lettres de Nancy Suat à sa famille, 5 de son oncle ou de sa tante, 3 de Louise Boutaud, une d’une amie Eugénie Blachier, plus celle d’Adèle. Nancy Suat était donc le personnage central de ce petit événement familial qui a dû marquer sa jeunesse: c’était la première fois qu’elle était loin de la maison de famille. On pourrait émettre à titre d’hypothèse que c’est non seulement ses parents mais Nancy Suat elle-même qui ont tenu a faire conserver cet ensemble de lettres. Un détail d’écriture le laisse supposer. La dernière lettre de Nancy porte en haut de la première page la date complète ‘31 dec 1858’ (R96.858.4). Les trois lettres précédentes (R96.858.1 à 3) portent aussi en haut une date, visiblement rajoutée par la suite d’une autre encre, mais la main est bien celle de Nancy Suat (les 7 lettres précedentes de Nancy ne portent que l’indication du jour de la semaine, et sont par conséquent difficiles à dater exactement). On pourrait supposer que Nancy, de retour chez ses parents en janvier 1859, à tenu à ajouter la date exacte à ses lettres les plus récentes dont elle se souvenait encore. Mais si l’épisode avait compté pour Nancy, et sans doute aussi pour ses parents et sa sœur Joséphine, il est plus difficile de comprendre comment il aurait pu intéresser plus tard les descendants de la famille, d’autant plus que Nancy est morte en 1880 sans laisser d’enfants de son mariage avec Gilbert de Colonjon.

    Il serait fastidieux de chercher à expliquer en détail la présence dans le fonds Chapot d’autres lettres en dehors de ces deux groupes de 1839 et 1858; on aura l’occasion d’y revenir par la suite, notamment en ce qui concerne les lettres de Marie Recio-Berlioz et plusieurs documents qui la concernent (voir le commentaire sur R96.855.1). Mais il faut tout de même souligner, d’une part qu’Adèle et ses descendants ont certainement conservé précieusement un grand nombre de lettres adressées à elle ou à sa famille, et notamment les nombreuses lettres de son frère Hector qui se trouvent maintenant au Musée (on y reviendra ci-dessous), et de l’autre que beaucoup d’autres lettres, comme celles de Nancy et Mathilde Pal, ont disparu ou ont été supprimées, on ne sait exactement quand ni comment.

Fonds Reboul

    Signalons d’abord une autre différence entre les deux fonds; elle concerne les enveloppes des lettres.

    Il faut ici commencer par revenir dans le temps. Au début du 19ème siècle on n’utilisait pas d’enveloppes pour les lettres qu’on envoyait. On écrivait l’adresse à la dernière page de la lettre, au centre de la page et d’ordinaire verticalement par rapport au reste de la lettre; on pliait ensuite la lettre en quatre autour de l’adresse et on cachetait le tout avec de la cire. La poste de départ imprimait son timbre sur l’adresse, et la poste d’arrivée, et parfois aussi une ou plusieurs postes intermédiaires, le faisaient de l’autre côté. C’était la méthode habituelle pour toutes les lettres écrites jusqu’aux années 1830, et la pratique a continué jusqu’au moins les années 1860. On en trouve de nombreux exemples dans la présente livraison, par exemple la toute première lettre d’Adèle Berlioz dans cette collection, de 1828 (2011.02.116 avec son image; il n’y a pas dans ce cas de timbre postal, la lettre ayant été sans doute portée à la main). À partir de vers la fin des années 1830 on commence à utiliser des enveloppes, ce qui a le double avantage de ne pas perdre de place pour le texte et de protéger la lettre: les cachets de cire avaient souvent pour résultat d’effacer quelques mots ou de les rendre illisibles, et d’obliger le destinataire à abîmer la lettre en brisant les cachets. Le premier exemple certain d’une enveloppe dans cette collection est une lettre d’Adèle Berlioz-Suat de la fin de 1839 (2011.02.240 avec l’image de l’enveloppe), mais on a sans doute commencé à utiliser des enveloppes avant cette date: la lettre d’Adèle 2011.02.133 qui date très probablement de la fin de 1837 et dont le texte est complet ne comporte pas d’adresse ou de timbres postaux, et suppose donc une enveloppe maintenant perdue. Mais l’ancien usage a continué à persister pendant des années, comme on peut le voir avec les lettres d’Adèle après 1839. La lettre la plus tardive de cette collection à utiliser l’ancienne méthode est la lettre de Monique Nety, la vieille domestique des Berlioz; elle date de juin 1854 (2011.02.309). Au cours des années 1850 l’usage des enveloppes s’est sans doute généralisé, mais l’ancienne méthode était toujours utilisée de temps en temps après cela: à témoin plusieurs lettres de Berlioz au Musée à La Côte (R96.397 [CG no. 2806], en 1863; R96.437 [CG no. 3189], en 1866; R96.450 [CG no. 3267], en 1867).

    C’est ici qu’on constate une différence entre le fonds Reboul et le fonds Chapot: il ne semble y avoir aucune enveloppe dans la collection Chapot. Les enveloppes se trouvent toutes dans la collection Reboul, où elles sont assez nombreuses après les années 1840 (29 enveloppes pour les seules lettres d’Adèle). Il semble donc que Nancy Pal et sa fille Mathilde ont très souvent gardé les lettres avec leurs enveloppes, alors qu’Adèle Suat et ses filles gardaient les lettres mais sans leurs enveloppes. On pourrait rapprocher de ce fait une pratique qu’on observe pour les nombreuses lettres d’Hector Berlioz adressées aux Suat — Adèle, son mari Marc, et leurs deux filles Joséphine et Nancy — lettres qui sont conservées au Musée Hector-Berlioz et qui constituent la partie la plus remarquable du don Chapot évoqué ci-dessus (on trouvera une liste complète de ces lettres sur une autre page de ce site). À partir d’avril 1849 au plus tard Adèle s’est mise à écrire de sa main la date exacte de chaque lettre de son frère en haut de la première page, si son frère ne l’avait pas déjà mise. S’il avait mis une date, mais sans l’année, elle ajoutait l’année. Même quand Hector indiquait une date complète, mais seulement à la fin de sa lettre, elle avait soin d’ajouter la date complète en haut de la première page; la lettre d’Hector à ses nièces du 1er janvier 1857 (CG no. 2198) en est un exemple que nous reproduisons ici. Après la mort d’Adèle en 1860 sa fille Joséphine a continué la pratique de sa mère. Une page séparée sur ce site donne sous forme de tableaux un relevé complet des additions manuscrites faites par elles pour préciser les dates des lettres de Berlioz reçues par la famille Suat. Cette pratique suppose un système de classement où les lettres étaient conservées, mais sans leurs enveloppes, dans des boîtes, des tiroirs ou une armoire, à plat et face en haut, ce qui permettait de retrouver facilement le texte qu’on cherchait. Nancy Pal et sa fille ont utilisé une autre méthode de classement qui utilisait les enveloppes, et donc les cachets postaux qui donnaient les dates (Mathilde Pal-Masclet a conservé des enveloppes de ses deux cousines Suat).

    De façon générale le contenu du fonds Reboul s’explique de lui-même: il comporte en premier lieu les lettres reçues par Nancy Pal (et parfois son mari Camille), puis après elle par sa fille Mathilde, lettres qui ont été conservées par elles et transmises à leurs descendants. Celles-ci forment la majorité des lettres: 94 lettres envoyées à Nancy Pal, la majorité (80) par sa sœur Adèle, 32 à sa fille Mathilde, presque toutes par les Suat (Adèle ou ses filles Joséphine et Nancy), et 5 à Camille Pal, soit 127 en tout. Mais un autre groupe de lettres retient l’attention: ce sont les lettres envoyées par Adèle à ses parents à La Côte-Saint-André, 10 à son père entre 1828 et 1847 et 5 à sa mère entre 1828 et 1834. On aurait pu s’attendre à les voir prendre place de droit non dans la collection Reboul mais dans la collection Chapot, mais ce n’est pas le cas. Il semblerait qu’après la mort du Dr Berlioz en 1848 c’est Nancy en tant qu’aînée et non Adèle qui a récupéré le vaste fonds de lettres et autres documents qui se trouvait à la maison de famille, y compris des lettres écrites par Adèle et envoyées à La Côte, et notamment celles à ses parents. Ce fonds comprenait en outre d’autres textes, par exemple la lettre du grand-père Nicolas Marmion à sa fille Joséphine Berlioz (2011.02.334), ainsi que des lettres adressées à Adèle à un moment où elle se trouvait à La Côte: c’est le cas de plusieurs lettres écrites par les Pal, 4 de Nancy (1830, 1832, 1833, 1838) et une de Camille Pal (1833). On doit supposer qu’il y a eu accord entre les deux sœurs sur ce point.

    Un autre cas intéressant est celui des lettres envoyées par les Pal, et en particulier par Nancy, mais qui font partie de la collection Reboul. Dans la plupart des cas l’explication va de soi: il s’agit de brouillons qui n’ont pas été envoyés (3 lettres à Hector Berlioz en 1825, 1826 et 1830, et une à Adèle en 1843). Un petit groupe à part est celui de 5 lettres à Rosanne Golety qui habitait à Bourg dans l’Ain (entre 1828 et 1848); on peut supposer qu’après la mort de Nancy la famille Golety a tenu à renvoyer ses lettres aux Pal. Mais dans d’autres cas on ne sait au juste comment les lettres sont revenues ultérieurement à la famille Pal: un exemple est la lettre d’Adèle à Hector sur son élection à l’Institut en 1856 (2011.02.246), qui aurait dû revenir à la famille d’Adèle.

Transcription, orthographes et écritures

    Une première transcription des textes du fonds Reboul a été effectuée au Musée Hector-Berlioz entre 2011 et 2013 par une équipe comprenant Céline Ageron-Prez, Lucien Chamard-Bois, Christopher Follet, et Michel Austin. Ce dernier s’est chargé de la transcription de la grande majorité des lettres d’Adèle Berlioz-Suat, qui constituent la moitié de la présente publication, et a transcrit en outre la totalité des documents du fonds Chapot publiés ici. Il a ensuite revu intégralement tous les textes des deux fonds d’après les originaux au Musée, et s’est chargé de la présentation et de la mise en œuvre de l’ensemble. Il tient à remercier ses co-équipiers de leur travail qui lui a été d’une aide précieuse, mais doit assumer la pleine responsabilité de ce qui est publié ici.

    Au cours de la préparation des textes il est bien vite apparu que pour rester fidèle aux originaux du 19ème siècle, mais en même temps faciliter la tâche du lecteur d’un siècle et demi plus tard, il fallait présenter non, comme on le fait d’ordinaire, une version unique de chaque texte, mais deux: d’abord une transcription littérale qui, sans prétendre être l’équivalent d’un facsimilé, cherche à reproduire l’original aussi exactement que possible avec toutes ses erreurs et imperfections, et ensuite une version au propre corrigée pour rendre le texte accessible au lecteur. Les deux versions de chaque texte sont présentées dans deux séries de pages séparées, une de transcriptions littérales disposées selon l’ordre numérique des inventaires du Musée, et l’autre de textes corrigés présentés dans leur ordre chronologique. On trouvera la liste complète de ces pages ci-dessus.

    En haut de chaque lettre, qu’elle soit en transcription littérale ou en texte corrigé, on trouvera d’abord le numéro d’inventaire de la lettre, sa date (avec éventuellement un lien à une discussion sur la page intitulée Chronologie si la date fait l’objet d’un doute), le destinataire, un lien à l’autre version de la lettre (littérale ou corrigée), et éventuellement un lien à une image de la lettre. Un peu plus d’un quart des lettres sont illustrées par des images, et le lecteur pourra dans certains cas comparer directement une image de l’original avec les deux versions proposées. Une page séparée donne une liste complète des textes illustrés, avec lien aux deux versions de chaque texte et aux images.

Transcriptions littérales

    Sur les pages de lettres en transcription littérale on trouvera avant chaque lettre une rubrique donnant une brève description du texte (nombre de pages, état du texte, écriture), ainsi qu’un résumé des données fournies par les timbres postaux, source de renseignements importante non seulement pour la datation des lettres mais aussi pour le fonctionnement des postes de l’époque. Les transcriptions littérales cherchent à reproduire aussi exactement que possible ce qu’on lit, ou ce qu’on croit pouvoir lire, sur chaque page de l’original. Elles numérotent donc les pages de suite et indiquent où chaque page s’arrête. Elles précisent aussi si le texte est écrit, non dans la partie principale de la page et horizontalement mais, comme il arrive assez souvent, a été ajouté verticalement par l’auteur dans l’une ou l’autre des marges. Les adresses sont toujours transcrites intégralement, qu’elles se trouvent à la fin du texte, comme dans les lettres plus anciennes, ou sur une enveloppe séparée (voir ci-dessus). Les mots soulignés dans l’original sont soulignés dans la transcription. Les mots ou lettres dont la lecture paraît incertaine sont signalés en jaune, et ceux qui n’ont pu être déchiffrés sont signalés par des astérisques *** en vert. Les mots biffés sont transcrits quand ils sont lisibles et signalés comme tels, autrement ils sont remplacés par une mention du genre [mot biffé]. Les lacunes sont indiquées par des points entre crochets […].

    Il va de soi qu’aucune transcription ne saurait se flatter d’être en tout point exacte, et tout transcripteur sera conscient des risques de fausses lectures et d’interprétations erronées, surtout dans le cas d’écritures ou d’originaux d’une lecture difficile, comme c’est souvent le cas. Les transcriptions présentées ici comportent certainement des erreurs; la publication en ligne a du moins l’avantage de permettre de faire des corrections après coup. Mais le lecteur voudra bien croire que certaines bizarreries d’écriture qui pourront le surprendre ne résultent pas uniquement de l’étourderie des transcripteurs.

Textes corrigés

    Sur les pages de lettres en version corrigée on trouvera parfois avant le texte de la lettre quelques brefs mots de commentaire, ou des renvois à d’autres lettres, ou à d’autres pages sur ce site; mais parfois aussi il n’y a pour l’instant pas de commentaire. Il sera toujours possible ultérieurement de développer le commentaire si nécessaire.

    Les textes présentés sont ‘corrigés’ uniquement pour les rendre plus accessibles à la lecture, mais il faut bien souligner ici que le fond du texte original n’est en rien modifié ni son sens altéré. Le vocabulaire des originaux reste identique, même s’il paraît maintenant parfois vétuste. Les corrections faites aux originaux visent uniquement l’orthographe, l’emploi de majuscules, et la ponctuation. On traitera de l’orthographe et de l’écriture des originaux ci-dessous. Les textes sont présentés ici dans une orthographe à la fois corrigée (les originaux comportent de nombreuses erreurs), et modernisée (par exemple longtemps et non long-temps ou long-tems). On a ajouté, supprimé ou adapté la ponctuation chaque fois que cela paraissait nécessaire, pour faire ressortir plus clairement le sens de l’original; par exemple les longues phrases des lettres des deux sœurs Adèle et Nancy ont souvent été scindées en plusieurs plus courtes. Pour les majuscules on a systématisé leur emploi suivant l’usage actuel. La division en paragraphes des originaux a été respectée (quand on peut distinguer clairement les paragraphes, ce qui n’est pas toujours le cas), mais la mise en page a été systématisée (première ligne de chaque paragraphe en retrait, formules de salutation et signature à la fin des lettres d’ordinaire centrées). Les mots soulignés dans l’original sont ici reproduits en italiques. Les restitutions de mots omis ou de lacunes dans le texte sont indiquées [entre crochets]. Là où le sens ou la lecture semble douteux on l’a indiqué avec un [?]. Les pages des textes corrigés ne sont pas numérotées, et le texte des adresses est omis. On a aussi omis toutes les ratures.

    Il va de soi que toute ‘correction’ du texte comporte sa part d’arbitraire et risque de trahir l’esprit et l’allure de l’original. Dans certains cas extrêmes les originaux avec toutes leurs erreurs sont infiniment plus éloquents qu’une version banalement corrigée: ainsi pour la lettre déchirante d’Harriet Smithson-Berlioz à son fils en très mauvais français (R96.854 avec son image) ou la lettre de la repasseuse Mme Mallet au même Louis Berlioz, lettre presque dénuée d’orthographe mais écrite, il faut le souligner, avec le plus grand soin (2011.02.299 et voir l’image de cette lettre). Dans le sens contraire le texte d’autres lettres est parfois plus ou moins impeccable tel qu’il est et ne nécessite pratiquement aucune correction: ainsi les lettres de Marie Recio-Berlioz ou celles de Joséphine Suat-Chapot. Mais de toute façon le lecteur aura toujours la ressource de se reporter à la transcription littérale de l’original.

Orthographes et écritures

    La lecture de textes du 19ème siècle réserve bien des surprises à des lecteurs d’un siècle et demi plus tard: langue et orthographe ont beaucoup évolué depuis. Là réside en partie l’intérêt de ces lettres: outre les informations qu’elles fournissent sur leurs auteurs et sur la société du temps, elles donnent un aperçu de la langue telle qu’on l’écrivait à l’époque dans la bourgeoisie de province dont Hector Berlioz était issu. D’où le souci de présenter ces textes dans des transcriptions littérales et non seulement dans des versions adaptées aux normes d’une autre époque. On a renoncé à souligner de sic multipliés toutes les anomalies d’orthographe qui peuvent surprendre le lecteur moderne. Soulignons au passage qu’il y a dans la présente livraison fort peu de lettres d’en dehors de la classe bourgeoise: les lettres de la domestique Monique Nety (2011.02.309) et la repasseusse Mme Mallet (2011.02.299) constituent des exceptions dans cet ensemble.

    Si le lecteur remarquera rapidement la distance qui sépare la langue de cette époque de celle d’époques plus tardives, il constatera aussi une évolution au cours des trois générations représentées par ces lettres, des années 1820 aux années 1860: la langue est toujours en mouvement. Par exemple, au début du siècle on écrivait les imparfaits avec des désinences en -ois, -oit, -oient et non en -ais, -ait, -aient (je disois, il faisoit, etc.): ainsi font Joséphine Berlioz, la mère d’Hector, et Camille Pal dans ses lettres plus anciennes, mais l’habitude disparaît par la suite. Autre exemple: dans les années 1820 et le début des années 1830 on écrit encore souvent les jours de la semaine avec un y (lundy, mardy etc.), même si l’emploi du i commence déjà à se répandre. Joséphine Berlioz, née en 1784, écrit normalement lundy, samedy etc. mais elle met aussi vendredi en haut d’une de ses lettres (2011.02.307 et 308). Sa fille Nancy, née en 1806, écrit lundy, mardy, mercredy, samedy jusqu’en mars 1832 (2011.02.270, 271, 277, 278), mais en novembre 1832 elle se met subitement à écrire lundi, vendredi, samedi (2011.02.280); en décembre 1832 elle écrit de nouveau samedy (BnF), mais après cette date elle emploie uniquement le i. Son autre fille Adèle, née en 1814, écrit jeudi en juillet 1832 (2011.02.122), samedy en mai 1834 (2011.02.123) mais à partir de la lettre suivante en juin 1834 elle écrit lundi, mardi, vendredi (2011.02.124). C’est désormais la norme dans la presque totalité des lettres, mais on peut toujours rencontrer inopinément des exceptions: en 1858 Thérèse Marmion, née en 1797, continue à écrire les jours de la semaine avec un y (R96.860.1 et 2).

    Il existait certainement à l’époque, dès au moins la génération de Nancy et Adèle Berlioz et sans doute avant, une conception de la ‘bonne orthographe’: on supposait l’existence de normes. En décembre 1843 Adèle au reçu d’une lettre de son neveu Louis Berlioz dit: ‘l’écriture et l’orthographe m’ont étonné pour son âge’ (2011.02.192), et en septembre 1844 elle dit de même de sa nièce Mathilde: ‘j’ai été émerveillée de son orthographe plus encore que de son écriture’ (2011.02.169). Mais le lecteur moderne sera peut-être surpris de l’insouciance et du manque de rigueur en matière d’orthographe qui caractérise tant de ces lettres. On pourrait supposer qu’il faut distinguer ici entre hommes et femmes: de façon générale on a pendant longtemps attaché plus d’importance à l’éducation des fils qu’à celle des filles, et leur orthographe s’en serait ressentie. C’est vrai dans une certaine mesure, mais d’après le témoignage de ces lettres, seulement en partie: si l’orthographe de Joséphine Berlioz et de Thérèse Marmion fait souvent sourire, celles du Dr Berlioz, du juge Camille Pal et du notaire Marc Suat sont loin d’être irréprochables, et parmi les hommes c’est sans doute le colonel Marmion qui est souvent le plus correct dans son orthographe.

    Tout se passe comme si l’orthographe était souvent une question de goût personnel, du moins pendant les deux premières générations, celle du Dr Berlioz et la génération suivante: on en faisait un peu à sa tête. Adèle Berlioz-Suat écrit d’ordinaire encore, alors que sa sœur Nancy préfère écrire encor. Nancy écrit toujours août (on trouve un seul exemple d’aoust dans la lettre 2011.02.274, mais cette date est d’une autre écriture que celle de Nancy, sans doute celle d’Adèle, et a probablement été rajoutée par la suite; voir l’image). Adèle de son côté écrit aoust pendant des années jusqu’en 1844 (2011.02.185 semble le dernier exemple), mais par la suite août (2011.02.231, en 1854, et d’autres exemples plus tard). À cause du nombre élevé de lettres d’Adèle Berlioz-Suat on peut avoir l’impression que son orthographe était particulièrement capricieuse, et on pourrait dresser une longue mais bien fastidieuse liste des particularités et des erreurs qu’on y relève. Mais sa sœur Nancy ne fait pas beaucoup mieux. Un exemple parmi bien d’autres: elle use indifféremment des deux orthographes tems et temps plusieurs fois dans une même lettre, où on trouve l’expression de temps en tems et un peu plus loin de tems en tems… (2011.02.280). Et ce malgré ses ambitions littéraires et la recherche du style qu’on sent dans certaines de ses lettres, surtout dans sa jeunesse, avec leurs allusions à des écrivains célèbres: Boileau, Homère, Virgile (2011.02.270), Cervantes (2011.02.273), les lettres de Napoléon (2011.02.274). ‘Mme Sand … est de toutes nos célébrités celle qui pique le plus ma curiosité’, dit-elle en 1839 (R96.861.2).

    Remarquons dans ce même ordre d’idées que les éditeurs de l’époque avaient chacun leurs propres conventions pour l’orthographe de leurs publications. Les livres publiés par Berlioz chez l’éditeur Michel Lévy (les Soirées de l’orchestre, 1852 et 1854; A Travers chants, 1862; les Mémoires, 1870) utilisent une orthographe différente sur quelques points de celle de ses feuilletons publiés entre 1834 et 1863 au Journal des Débats.

    Relevons rapidement ici quelques caractéristiques qu’on retrouve dans beaucoup des lettres publiées ici:

1. Confusions fréquentes entre mots de sens différent mais de son identique: notamment entre a et à, ou et , quant et quand. L’auteur de la lettre semble parfois penser phonétiquement et oublie ses mots (un cas extrême est la lettre de Mme Mallet, 2011.02.299, où une bonne partie de l’orthographe est évidemment phonétique).

2. Accents superflus: prémier, éxacte, éxagération, éffets, éffort, éssayer, éxiger, éxiste etc. (très fréquent chez Adèle, mais on trouve la même tendance dans le Livre de Raison de son père le Dr Berlioz); chôse, dispôse, ôffre, propôse, pôsitivement, repôse, suppôse etc. (très fréquent aussi chez Adèle); brâvement, grâvement, grâve. On trouve assez souvent dans les lettres d’Adèle des î avec circonflexe quand i suffit, comme dans vîte pour vite etc.

3. Accents qui manquent: chere (chère), meme (même), pere (père), tres (très), voila (voilà), etc. L’auteur dans sa hâte omet souvent les accents, ou met parfois le mauvais accent, grave pour aigu ou vice-versa, etc.

4. Insouciance dans l’utilisation des majuscules: elles manquent souvent au début des phrases, mais on trouve aussi des majuscules à des mots où on ne les attend pas. En outre il n’est pas toujours sûr qu’il s’agisse de majuscules ou non, ainsi dans les lettres d’Adèle il est souvent incertain si elle veut écrire Chère Sœur ou chère sœur: d’où de fréquentes incertitudes dans la transcription. Une pratique qui surprend le lecteur moderne est que les noms propres sont souvent écrits avec des minuscules: par exemple Marc Suat écrit hector, adèle, paris, mais il écrit aussi Lecourt, Morel. Félix Marmion ne fait pas mieux.

5. Insouciance dans l’orthographe des noms propres: il y en a de nombreux exemples. Adèle s’est toujours appelée Adèle, mais sa propre sœur Nancy l’appelle Adelle dans plusieurs lettres, y compris sur l’adresse à la fin (2011.02.274 et 278; voir l’image de la première; voir aussi 2016.04.01); à partir de 1833 elle l’appellera toujours Adèle. Camille Pal suit d’abord l’exemple de Nancy et écrit Adelle en 1831 (2011.02.296), mais il écrit Adèle en 1833 (2011.02.290). En 1839 le Dr Berlioz adresse deux lettres à sa fille Adèle à St Chammont, mais le timbre de la poste au-dessus dit correctement St Chamond (R96.853.3 et 4; voir l’image de cette dernière).

    Relevons aussi quelques tics particuliers:

Adèle Suat barre d’ordinaire ses t avec vigueur, mais oublie parfois de le faire; il en résulte qu’ils peuvent ressembler à des l, et on croit lire, par exemple, celle quand le contexte indique qu’elle veut dire cette.

Marc Suat ajoute souvent un tiret (—) dans la marge de droite à la fin de ses lignes, sans doute pour combler le vide, même quand cela interrompt le sens. La transcription du texte en format html ne peut évidemment reproduire cet effet, mais on peut le voir sur l’image de la lettre R96.857.1, par exemple. Sa fille Joséphine semble avoir adopté cette habitude de son père, mais plus discrètement, d’autant plus que son écriture est très fine (voir l’image de la lettre 2011.02.324).

Félix Marmion: deux particularités à relever. D’une part il aime souligner presque mécaniquement tous les noms propres (voir les images de ses lettres). D’autre part il appelle Nancy Pal deux fois Nanci (2011.02.406 de 1833, 2011.023.302 de 1835), alors qu’ailleurs il l’appelle Nancy (R96.859.2, 3 et 6; voir aussi BnF). De même il appelle Nancy Suat une fois Nanci dans R96.859.12, alors que sa femme Thérèse Marmion l’appelle Nancy dans la même lettre. On se souviendra qu’il est fréquent d’appeler Nancy Pal et Nancy Suat du prénom Nanci: mais en fait dans ces lettres tout le monde les appelle invariablement Nancy, y compris les intéressées, et ce n’est qu’Hector Berlioz (et sans doute aussi son père) qui dans ses lettres écrit systématiquement leur prénom avec un i et non un y, et c’est probablement de là que la pratique s’est répandue.

Nancy Suat adore orner ses majuscules. On peut voir ici la différence entre sa génération et celle de ses parents, qui ne soignaient leurs majuscules et leur écriture qu’au début de leurs lettres et quand ils écrivaient l’adresse du destinataire: il fallait s’assurer que la lettre arrive à bon port. C’est comme si, ayant bien appris de son professeur la différence entre majuscules et minuscules, Nancy voulait profiter de cette découverte pour donner libre cours à sa fantaisie créatrice (voir les images de ses lettres). Dans une lettre du 11 décembre 1862 son oncle Hector loue sa ‘jolie petite écriture’ (CG no. 2679; R96.388 au Musée Hector-Berlioz).

    Avec Nancy et sa sœur Joséphine Suat on peut mesurer la distance parcourue dans l’écriture et l’orthographe depuis trois générations. Leur mère Adèle et sa sœur Nancy écrivaient mieux que leur propre mère; Nancy et Joséphine Suat écrivent mieux que leurs parents, qui avaient tenu à soigner l’éducation de leurs enfants. Les lettres de Joséphine en particulier sont pratiquement irréprochables, que ce soit pour la mise en page (avec marge à gauche), l’écriture, l’orthographe, l’emploi des majuscules et la ponctuation. Son oncle Hector lui reproche dans une lettre d’écrire trop fin: ‘Quand tu m’écriras fais-moi l’amitié d’employer de l’encre plus noire et une plume moins fine, car j’ai toutes les peines du monde à déchiffer tes pattes de mouche’ (CG no. 2815, 24 décembre 1863; R96.399 au Musée Hector-Berlioz). L’écriture de Joséphine est certes très fine et nécessite parfois l’usage d’une loupe… mais on pourrait faire remarquer à son oncle exigeant qu’elle est toujours très régulière au cours d’une période de quinze ans et que ses lettres sont toujours bien formées. Et dans une autre lettre presque dix ans plus tôt ce même oncle rend hommage au français de sa nièce: ‘Pour panser tant bien que mal la blessure que tu as faite à mon amour propre, j’exige que ta prochaine lettre contienne une bonne douzaine de fautes d’orthographe et quatre ou cinq grosses fautes de Français, absolument comme une page de la prose de M. Scribe, un académicien dont tu as peut-être entendu parler’ (CG no. 1853, 19 décembre 1854; voir l’image de cette lettre).

Publication

    Pour la publication de cet ensemble de lettres il a paru intéressant de faire appel à une forme de publication nouvelle, celle en ligne sur internet. Elle comporte certains avantages par rapport à l’imprimé: publication rapide, diffusion globale instantanée, possibilité à tout moment de modifier le texte en ligne qui n’est jamais figé. On peut toujours corriger le texte des lettres si on y trouve des erreurs de lecture, déplacer des lettres mal datées, développer le commentaire, ajouter de nouveaux textes, et ainsi de suite. On a expliqué ci-dessus le format adopté pour la présentation des lettres en deux versions, transcription littérale et texte corrigé. La publication sur internet a ici un autre avantage évident, celui d’une plus grande souplesse dans l’utilisation grâce au format html. On peut passer rapidement d’une version d’une lettre à l’autre, du texte de la lettre à son image (quand il y en a une), du commentaire sur une lettre à une autre partie du site qui donne des informations complémentaires, puis revenir rapidement au point de départ, etc.

    La page d’images donne accès directement à toutes les lettres qui sont illustrées, qui représentent un peu plus du quart de l’ensemble. On a cherché à donner des échantillons de toutes les écritures représentées, même quand il n’y a qu’une seule lettre de son auteur; les experts en graphologie pourront sans doute tirer parti du matériel ainsi présenté. Les lettres d’Adèle illustrées couvrent une période de 30 ans de sa vie, de la fillette de 14 ans de 1828 à la femme adulte de 1858, deux ans avant sa mort; on peut donc suivre l’évolution de son écriture pendant cette période. Relevons ici un détail qui mériterait sans doute d’être approfondi: après le retrait d’Adèle en 1828 de la pension de Grenoble où elle se morfondait depuis le printemps, son écriture a évolué, et on a émis ici l’hypothèse que sa manière d’écrire la lettre p (ou une de ses manières, celle qui devient caractéristique de son écriture après 1828), aurait subi l’influence de l’écriture de son père. L’orthographe d’Adèle offre d’ailleurs des analogies avec celle de son père telle qu’on peut la voir dans le Livre de Raison du Dr Berlioz conservé au Musée Hector-Berlioz, notamment dans l’utilisation fréquente de l’accent aigu (é dans prémier, prémière, etc.), très caractéristique dans l’orthographe des lettres d’Adèle.

    La page sur la chronologie sert un double but. Elle présente d’abord un tableau chronologique qui couvre l’ensemble de la période des lettres; ce tableau comprend les dates principales dans la vie des personnes concernées (dates de naissance, de mariage, de mort), et aussi un résumé des événements marquants auxquels les lettres font allusion, avec renvois aux lettres en question: événements de famille, épisodes de la carrière d’Hector Berlioz qui figure souvent à l’arrière-plan, événements extérieurs, par exemple les grands bouleversements politiques de 1848 en France et en Europe auxquels deux lettres d’Adèle font allusion (2011.02.222, 2011.02.250). La page sur la chronologie offre d’autre part une série de commentaires de détail sur la datation d’assez nombreuses lettres qui ne sont pas datées précisément par leurs auteurs, et où les timbres postaux font défaut. Les commentaires sont organisés en deux groupes suivant les deux fonds de lettres, le Fonds Chapot suivi par le Fonds Reboul; ils sont placés dans chaque cas dans l’ordre numérique des inventaires, avec liens aux deux versions de chaque lettre qui permettent d’y retourner directement.

    La fonction recherche permet au lecteur d’interroger à son gré les lettres de différentes manières, plus rapidement et complètement que ne le ferait un index imprimé: par exemple recherche de noms propres, de personnes ou de lieux; études de vocabulaire, mais avec cette restriction que les pages de transcriptions littérales ont été exclues de la recherche pour ne pas faire double emploi et surcharger l’index; recherche de mots-clés suivant le sujet que le lecteur veut approfondir. Veut-on par exemple voir ce que les lettres révèlent sur l’évolution des transports à l’époque, on pourrait faire une recherche sur chemin de fer, cheval, diligence, ou voiture. Si l’on veut étudier la place de la domesticité dans les intérieurs bourgeois du 19ème siècle, sujet qui revient très souvent dans les lettres, on pourrait rechercher bonne, cuisinière, ou domestique, ainsi que quelques noms qu’on rencontre souvent, comme ceux de Marguerite, la bonne des Suat pendant plusieurs années, ou de Monique (Nety), la fidèle servante de la famille Berlioz pendant presque toute sa vie jusqu’à sa mort en 1857. Le lecteur saura aisément multiplier les possibilités.

Correspondance et histoire

    Chaque texte, si banal soit-il, a une histoire à raconter; chaque texte est un document historique sur son auteur et son époque. Au 19ème siècle on écrivait beaucoup de lettres: avant l’invention du téléphone, et plus tard des multiples formes de communication électronique, le seul moyen de rester en contact à distance était d’écrire des lettres. La correspondance écrite jouait par conséquent un rôle considérable dans la vie quotidienne, du moins en ce qui concerne les classes lettrées, dont faisaient partie tous les membres de la famille Berlioz ainsi que leurs amis. ‘J’ai mes jours de lettres, mes jours de visites, et mes jours de congé’ dit Adèle Berlioz-Suat en 1840 (2011.02.148). Ailleurs elle avoue: ‘j’ai des lettres en retard qui me donnent des remords affreux’ (2011.02.169, en 1844). En janvier 1846, elle se lamente en rentrant chez elle: ‘j’avais eu cinq lettres urgentes à écrire’ (2011.02.253 et 254). Dans une lettre de 1854 elle précise à sa nièce Mathilde: ‘j’en suis à ma quatrième lettre ce matin’ (2011.02.227). On sait comme son illustre frère écrivait souvent une demi-douzaine de lettres à ses amis, juste après un grand concert et malgré sa fatigue, pour les mettre au courant de ses derniers succès. Et si on écrivait beaucoup de lettres, on en conservait aussi beaucoup, comme on l’a vu ci-dessus à propos de l’origine des collections de ses deux sœurs. Mais ce qui a survécu n’est évidemment qu’une petite partie d’un ensemble jadis bien plus vaste.

    Le lecteur constatera rapidement la prépondérance féminine dans les lettres qui sont présentées ici: sur un total de 244 textes, 199 sont des lettres écrites par des femmes, très souvent à d’autres femmes, et reflètent par conséquent une perspective féminine. C’est en partie parce que dans la famille Berlioz il y avait plus de femmes que d’hommes: deux sœurs contre un frère (en exceptant le jeune Prosper, né en 1820 et mort au début de 1839), et les deux sœurs auront entre elles trois filles mais aucun fils. Mais il semble que dans la correspondance écrite les femmes jouaient de toute façon un rôle plus actif que les hommes, et pour plusieurs raisons. À l’encontre de leurs maris elles n’avaient pas d’activité professionnelle qui les occupait toute la journée. Quant au travail de la maison, il allait de soi à l’époque que tout intérieur bourgeois avait normalement au moins une bonne en permanence, qui logeait sur place et faisait pratiquement partie de la famille: elle s’occupait souvent aussi des enfants. On supposait aussi la présence d’une cuisinière: la maîtresse de maison surveillait la cuisine, mais d’ordinaire ne la faisait pas elle-même. En septembre 1844 Adèle constate: ‘je deviens un peu cuisinière par force aussi ; sous peine de mourir de faim il faut m’en mêler souvent et je m’étonne moi-même d’honneur !’ (2011.02.188). En mai 1868 sa fille Joséphine, après son mariage avec Auguste Chapot, s’emploie à organiser son nouveau foyer: ‘enfin j’ai pu trouver une bonne, cuisinière encore assez novice et que je tâche de former peu à peu avec mes très faibles connaissances’ (2011.02.322).

    Adèle se plaint parfois dans les années 1840 d’être débordée et de ne pas pouvoir faire face à ses multiples obligations (2011.02.177, 2011.02.179, 2011.02.169 etc.). Mais en pratique la maîtresse de maison ne manquait pas de loisirs pour développer son propre champ d’activité dans ses relations sociales; la correspondance écrite en était une partie essentielle. On a vu ci-dessus le rôle actif qu’a joué Adèle dans la conservation des nombreuses lettres envoyées par son frère à sa famille: c’est sans aucun doute elle, et non son mari Marc Suat, qui s’en est chargé. Il en est probablement de même pour la collection constituée par sa sœur Nancy et après elle par Mathilde Pal. Relevons ici un détail peut-être significatif: les timbres personnels dont les femmes se servent parfois sur leur papier de lettre. Sur plusieurs lettres d’Adèle on peut lire les initiales AS tamponnées (mais non imprimées à l’encre) sur le papier qu’elle utilisait (voir l’image de la lettre 2011.02.247, août 1857). Louise Boutaud utilise dans une lettre de 1848 du papier à en-tête avec ses initiales L.B. (voir l’image de la lettre 2011.02.385). Joséphine Suat le fait dès avant son mariage; elle se fait faire confectionner non seulement du papier mais aussi des enveloppes avec les initiales JS, et continue après son mariage, avec maintenant les initiales JC (voir les images des lettres 2011.02.320, 2011.02.322 et 2011.02.324). D’après les lettres publiées ici la pratique des hommes est un peu différente: quand ils veulent s’identifier ils le font par rapport à leur activité professionnelle et non à titre personnel. Dans une lettre de 1848 Camille Pal utilise du papier à en-tête du Tribunal de première instance de Grenoble (voir l’image de la lettre 2011.02.291). Au moment de prendre sa retraite en 1847 Félix Marmion se proclame fièrement ‘Colonel du 11e Dragons’ et met un tampon spécial au verso de son enveloppe, avec le même titre mais sans ses initiales (voir l’image de la lettre 2011.02.304; voir aussi déjà BnF, en 1845). Le Dr Berlioz n’utilise pas de timbre personnel sur ses lettres, mais en signe plusieurs avec son nom suivi des lettres dmed, ce qui semble être une abréviation de ‘docteur médecin’ (voir les images des lettres R96.853.2 et R96.853.5, les lettres de 1816, 1833, 1839 et 1843 à la BnF, et le commentaire sur la lettre R96.853.1).

Berlioz vu par sa famille

    Avouons d’emblée un sentiment de gêne à pénétrer sans y être invité dans l’intimité de personnes qui ne pouvaient savoir d’avance qu’elles seraient destinées à faire partie de l’histoire du 19ème siècle, du fait de leur parenté avec un des grands génies de l’époque… C’est en effet grâce à Hector Berlioz que ces personnes acquièrent de l’importance aux yeux des générations suivantes: le lecteur sera sans doute en premier lieu curieux de savoir quelle lumière ces lettres jettent sur sa carrière et ses rapports avec sa famille.

    Elles ne peuvent forcément n’en donner qu’une vue fragmentaire: il faut constater tout de suite qu’elles n’offrent pas la contrepartie de toutes les lettres que Berlioz écrivait à sa famille. De ces dernières on en dénombre, si nos calculs sont exacts, plus de 600 de publiées dans les 8 tomes de la Correspondance générale: 55 à son père, 22 à sa mère, 23 à son oncle Marmion, 89 à sa sœur Nancy Pal, 92 à Camille Pal son mari, 5 à leur fille Mathilde, 185 à son autre sœur Adèle Suat, 66 à son mari Marc Suat, et 67 à leurs deux filles Joséphine et Nancy. La majeure partie des lettres de Berlioz à la famille Suat se trouve au Musée Hector-Berlioz du fait du don Chapot évoqué ci-dessus. En comparaison le chiffre des lettres adressées par des membres de la famille au compositeur et qui se trouvent au Musée, peut paraître bien décevant: 3 lettres de sa sœur Nancy (2011.02.267, 2011.02.268, 2011.02.275), 3 de son autre sœur Adèle (R96.856.1, 2011.02.246, R96.856.3), 1 de son oncle Marmion (R96.859.9), 1 de Marc Suat (R96.857.1), et 2 de Camille Pal (2011.02.294 et 295). Les trois lettres de Nancy, et deux des lettres d’Adèle, sont des brouillons qui n’ont pas été envoyés. Cette constation soulève un problème qui se pose pour une bonne partie de la correspondance du compositeur, celui de la non-survie des lettres qui lui ont été adressées, par rapport aux quelques 4000 lettres de Berlioz qui sont connues et dont un grand nombre est publié. Ce problème est particulièrement troublant en ce qui concerne les centaines de lettres des membres de la famille qui ont dû exister mais qui semblent avoir disparu; il est évoqué dans une note ci-dessous.

    Ce qu’on apprend de ces lettres est donc non ce que les membres de sa famille lui disaient, mais ce qu’ils disaient de lui quand ils s’écrivaient. La lecture des lettres confirme ce qu’on savait d’après les écrits du compositeur: tout au long de sa carrière il a ambitionné les suffrages de sa famille, et surtout de son père, mais son génie n’a jamais été vraiment compris et apprécié à sa juste valeur par eux; si l’on se réjouissait à l’occasion de ses succès, on n’en retenait que l’aspect matériel, comme si l’art se réduisait à une question d’argent. En octobre 1856, pendant qu’il compose le poème des Troyens, il écrit à Adèle, celle de sa famille qui lui était la plus proche: ‘J’ai toujours beaucoup souffert en silence de vous voir tous (ton mari excepté), ne considérer que le résultat final de mes efforts et de mes rêves d’artiste. Cette non-sympathie, cette non-compréhension, cet isolement de vous hors du monde intellectuel où je vis, me faisaient un mal affreux. Malheureusement tu ne sais pas la musique; mais au moins maintenant le côté littéraire de mon œuvre (ne ris pas de ce titre ambitieux) sert pour toi de communication, et t’ouvre une fenêtre par laquelle tu peux regarder dans mon jardin’ (CG no. 2181). On peut mesurer par ces lettres à la fois les liens qui unissaient Berlioz à sa famille et la distance qui les séparait.

    Malgré bien des lacunes, beaucoup des grandes étapes de la carrière de Berlioz trouvent leur reflet dans cet ensemble de lettres, de ses débuts à Paris dans les années 1820 jusqu’à sa mort en 1869. Il est inutile d’en faire la liste ici: on trouvera dans la page de chronologie un résumé des principaux événements mentionnés, avec liens aux lettres où il en est question. Très souvent il s’agit de brèves insertions parmi une quantité d’autres informations qui intéressaient les correspondants autant au plus. Ainsi à propos d’un concert donné par Berlioz le 4 mai 1844 au Théâtre Italien avec la participation de Liszt et Döhler c’est tout à la fin d’une longue lettre à sa sœur qu’Adèle écrit: ‘Sais-tu qu’Hector donne un concert cette semaine où Liszt et Döhler se feront entendre ? Si tu en apprends le résultat écris-le moi vite, je te prie’ (2011.02.180). Quelques jours plus tard, à propos de ce même concert, elle dit en passant vers la fin d’une lettre à sa père: ‘Le dernier concert d’Hector a eu de brillants et sonnants résultats d’après les Débats ; je présume qu’on vous l’aura fait lire à cette occasion’ (2011.02.182). Plus de vingt ans plus tard, en décembre 1866, dans une lettre de Joséphine Suat à sa cousine Mathilde Pal-Masclet, un bref paragraphe dit: ‘Sais-tu que notre oncle Hector est en Autriche, et que dimanche passé il a donné à Vienne un grand concert ? Nous attendons avec impatience des nouvelles de ses succès’ (2011.02.320). Le concert en question était une exécution intégrale de la Damnation de Faust à Vienne le 16 décembre, la dernière de sa carrière.

    Parfois en revanche Berlioz est le sujet principal de la lettre. Citons par exemple celle du grand-père Nicolas Marmion à sa fille Joséphine en mai 1823, tentant de la rassurer sur l’avenir de son fils Hector à Paris: ‘il ne s’occupera point exclusivement de musique, son goût pour les hautes sciences le portera à les cultiver dans le pays seul où l’on peut trouver des maîtres et des encouragements’ (2011.02.334). Son succès au Prix de Rome en 1830 est accueilli avec enthousiasme (lettre de Nancy, 2011.02.274), mais la passion qu’il conçoit pour Harriet Smithson à l’issue du concert du 9 décembre 1832 est un désastre pour la famille: vouloir épouser une actrice irlandaise lourdement endettée heurte tous les préjugés les plus enracinés de la bourgeoisie de province et provoque une longue crise (lettres de Camille Pal, 2011.02.290; de Nancy Pal 2011.02.281 et 282; de Félix Marmion, 2011.02.406). Adèle est la seule à prendre fait et cause pour son frère et à rester en rapports avec lui; après son mariage Harriet Smithson lui écrit une lettre de remerciement (2003.01.03, en anglais, avec traduction française d’Hector). Suit alors un silence de plusieurs années sur la carrière de Berlioz, du fait du peu de nombres de lettres disponibles à ce moment.

    Grâce aux lettres se rapportant au mariage d’Adèle en 1839 et grâce à ses propres lettres qui deviennent abondantes pour la plupart des années 1840, on peut à partir de 1839 suivre l’évolution de ses rapports avec son frère jusqu’à 1847. Le voyage des Suat à Paris en mai-juin 1839 donne un nouvel élan aux rapports étroits qui lient frère et sœur: les Suat sont les premiers à rendre visite à Berlioz à Paris depuis son mariage, ils y font la connaissance d’Harriet et du jeune Louis Berlioz et se lient d’amitié avec eux. Harriet écrit de nouveau à Adèle après son passage à Paris, cette fois en français (R96.187). Mais peu à peu on voit poindre des inquiétudes de la part d’Adèle et d’autres membres de la famille, dont plusieurs lettres donnent des indices: embarras financiers de Berlioz (2011.02.157 et 158, en 1841), son voyage en Allemagne laissant sa femme à Paris (lettre de Marmion, 2011.02.303, en 1843), l’éducation et l’avenir du jeune Louis (2011.02.185, en 1844), le délabrement grandissant du ménage Berlioz et la liaison avec Marie Recio. L’absence de Berlioz en septembre 1844, où il va à Nice sans en informer ses sœurs, est fort mal reçue par Adèle (2011.02.190). On constate un refroidissement graduel dans les relations entre Berlioz et sa sœur préférée: déjà en 1844 il écrit plus fréquemment à son autre sœur Nancy, et après son concert à Lyon en juillet 1845 où Marie Recio assistait, on ne connaît pas de lettre de lui à Adèle avant le début de mai 1847, alors qu’il y en a plusieurs à Nancy pendant cette même période. Dans une lettre d’Adèle du 25 mars 1847, au moment du voyage de Berlioz en Russie, on lit cette remarque poignante: ‘Je ne sais rien encore d’Hector, et me tarde de savoir son arrivée à St Pétersbourg … Quant à moi je crois qu’il y a oublié mon existence depuis longtemps ; je doute qu’il rencontre jamais cependant une affection plus dévouée que la mienne. Mais quand on oublie sa femme et son fils on peut bien ne se souvenir de personne au monde’ (voir 2011.02.202 avec le commentaire). La réunion de famille qui aura lieu à La Côte en septembre 1847 après le voyage en Russie, et qui sera la seule fois que le jeune Louis Berlioz verra son grand-père, est organisée par l’intermédiaire de Nancy et non celle d’Adèle. À la suite de ce voyage et de son séjour chez les Suat à Vienne Berlioz écrit à Nancy en lui faisant des remarques critiques sur les préventions d’Adèle contre son mari Camille Pal (voir 2011.02.128 avec le commentaire).

    Les relations redeviendront bonnes par la suite, après une lacune dans les lettres disponibles au début des années 1850. Quand la série des lettres d’Adèle recommence en 1854 on la voit en rapports suivis avec son frère; elle échange fréquemment des nouvelles avec lui ou à propos de lui: ses voyages en Allemagne en 1854 et le succès de l’Enfance du Christ en décembre (2011.02.236), son voyage à Bruxelles en mars 1855 (2011.02.240, 2011.02.241), son séjour à Plombières en juillet 1857 suivi d’un concert à Bade en août (2011.02.226, 2011.02.249), l’achèvement de la composition des Troyens en décembre (2011.02.248). Ils se rencontrent plusieurs fois au cours des années à venir. Berlioz assiste en septembre 1854 à une réunion de famille à La Côte pour régler la succession du Dr Berlioz (2011.02.244). Après son élection à l’Institut en juin 1856 Adèle lui envoie une lettre de félicitations (2011.02.246), et à l’été suivant ils se revoient tous à Plombières (2011.02.327). Le Musée Hector-Berlioz possède un document curieux d’Adèle sur cette rencontre dans lequel elle consigne ses souvenirs d’une soirée mémorable (R96.856.2). En septembre 1859 Adèle et sa fille Joséphine rendront visite à Berlioz à Paris, vingt ans après la première visite d’Adèle à la capitale (R96.857.2 et R96.858.5). Louis Berlioz fait maintenant pratiquement partie de la famille Suat, qui suit de près sa carrière dans la marine. Ils sont en correspondance avec lui (2011.02.229); il fait plusieurs séjours chez eux, en novembre 1854 (2011.02.235), en août 1857 (2011.02.247) puis à nouveau en novembre (R96.857.1); son avenir et son bien-être sont l’objet de leur constante sollicitude. Dans une des dernières lettres de cette collection Nancy Suat raconte avoir appris de son oncle la nomination de Louis comme capitaine (2011.02.331, décembre 1864).

    Berlioz de son côté s’est pris d’affection pour ses jeunes nièces Joséphine et Nancy Suat. Elles lui écrivent après le succès de l’Enfance du Christ et il leur répond avec ‘une lettre charmante’ qu’elles déclarent vouloir conserver ‘religieusement’ (2011.02.238): la lettre est maintenant au Musée Hector-Berlioz et nous en reproduisons une image ici. C’est la première lettre de Berlioz à ses nièces, et elle sera suivie de bien d’autres qui ont heureusement survécu: ce sont parmi les lettres les plus touchantes de toute sa correspondance. L’affection de ses nièces lui sera acquise jusqu’à la fin de sa vie. Bien que très malade, il assistera au mariage de Joséphine avec Auguste Chapot à Vienne en septembre 1867 (2011.02.333) et c’est à la plume de Joséphine, maintenant Joséphine Chapot, qu’on doit un récit émouvant des derniers instants de son oncle (2011.02.324, 13 mars 1869).

Les personnes

    Il est sans doute naturel qu’en lisant les lettres des membres de la famille de Berlioz on s’intéresse en premier lieu à ce qu’elles disent sur le compositeur. Mais la plupart du temps cela ne constitue qu’une petite partie de leur contenu, ou en est même totalement absent: les auteurs des lettres avaient leurs propres préoccupations. Les lecteurs qui voudraient avant tout en savoir plus sur Berlioz seront parfois déçus; mais d’un autre côté ces lettres ouvrent de nouvelles perspectives sur ceux qui les ont écrites. On apprend par elles à mieux connaître les autres membres de la famille et à les apprécier, pour leurs qualités comme pour leurs défauts. Il n’est évidemment pas question de les passer tous en revue en ici, et le lecteur pourra s’en faire une idée d’après ses propres lectures.

    La vision que les lettres donnent est forcément incomplète: la documentation est fragmentaire et discontinue dans le temps, et doit être ajoutée à tout ce qu’on sait par ailleurs. Il y a disproportion dans la répartition des textes: une poignée seulement de textes pour les parents et les femmes du compositeur, plus pour son oncle, sa sœur Nancy et son mari, ses nièces Joséphine et Nancy Suat, et leur père; mais son autre sœur Adèle est la seule pour laquelle on dispose de lettres qui couvrent la majeure partie de sa vie, 123 textes que s’étalent sur 30 ans, de 1828 à 1858. Mais même un texte unique a quelque chose d’intéressant à dire sur son auteur, et il faut souligner que ce qui importe est non seulement ce que le texte dit, mais son aspect physique: présentation et écriture peuvent en dire aussi long sur leur auteur que le texte lui-même. D’où le souci d’illustrer ici chaque écriture au moins une fois.

    Ce qui frappe sans doute le plus quand on considère les différents membres de la famille de Berlioz d’après les lettres publiées ici, ce sont les contrastes. Contraste d’abord entre Hector Berlioz lui-même et le reste de sa famille, qui, on l’a vu, tendaient tous, même sa sœur Adèle qui lui était le plus dévouée, à le considérer un peu comme un être à part, qui refusait de se conformer aux normes ordinaires et à faire comme tout le monde, et qui n’y comprenait rien aux questions d’argent.

    Contraste ensuite entre ses deux parents: sa mère Joséphine Marmion-Berlioz d’une part, vive, exubérante, spontanée, sans complexes et aux idées bien arrêtées, qui déclare de son fils Hector après son échec au concours du Prix de Rome en 1827: ‘trois pages de sa lettre ne le sortent aucunement de ses folies musicales … il est fou, voilà tout ce que je puis dire pour sa justification’ (2011.02.307, à sa fille Nancy). Dans une autre lettre à Nancy, elle commence: ‘S’il me fallait attendre d’avoir des choses intéressantes à écrire, ma chère amie, je n’écrirais pas souvent’ — ce qui ne l’empêche pas de débiter de suite quatre pages d’un jet ininterrompu (2011.02.308, mars 1832). D’autre part son père Louis-Joseph Berlioz, qui donne dans ces lettres — les siennes, et les nombreuses allusions à lui dans la correspondance de ses filles — une impression presque uniformément triste d’un homme désabusé et sans espérances, assez mal au moral comme au physique, et qui ne se sentait bien que dans son cadre familier de La Côte Saint-André, avec ses habitudes de campagne et au milieu des domaines qu’il aimait visiter. Ses filles se sont occupées de lui avec dévouement jusqu’au bout, et Nancy donne un récit de sa fin qui est tout à son honneur, le sien ainsi que de celui de son père (2011.02.286). Mais on sent que les deux filles étaient au fond plus proches de leur mère. En 1847, Adèle écrivant à sa sœur est consternée par la répugnance de son père à l’idée d’écrire à son petit-fils Louis Berlioz et de l’accueillir chez lui: ‘Ce pauvre enfant est donc prédestiné à être repoussé par les êtres qui lui tiennent de plus près !.. Si notre pauvre mère vivait, quelle différence !…’ (2011.02.142). C’était tout le contraire pour leur frère Hector qui, dans les premiers chapitres de ses Mémoires, place son père au centre de son univers familial: ‘Pauvre père, avec quelle patience infatigable, avec quel soin minutieux et intelligent il a été ainsi mon maître de langues, de littérature, d’histoire, de géographie et même de musique !’ (chapitre 2). Mais le peu qu’il dit de sa mère est d’un ton uniformément critique, comme s’il ne lui devait rien de plus que de l’avoir mis au monde… La mort de son père en 1848 est pour lui une perte bien plus lourde que celle de sa mère dix ans plus tôt, qui n’est mentionnée dans les Mémoires qu’après coup (chapitre 58).

    Contraste ensuite entre les deux sœurs, très proches l’une de l’autre comme en témoigne leur abondante correspondance où les sujets de conversation ne manquent jamais, mais bien différentes de caractère. Plus intelligente et plus ambitieuse que sa sœur, Nancy semble avoir été des deux la moins satisfaite de son sort. La lecture de ses lettres ne donne pas l’impression d’une personne qui était vraiment heureuse. On possède une partie de sa correspondance avec Camille Pal, datant de peu avant leur mariage le 16 janvier 1832, y compris une lettre de Nancy à Camille deux mois plus tard; on est assez surpris, et un peu honteux, de voir des lettres aussi personnelles livrées à la curiosité du lecteur. On pourrait rapprocher la lettre à son mari de 1832 (2011.02.279) à celle écrite (mais sans doute pas envoyée) à sa sœur en septembre 1843 (2011.02.266); elles expriment toutes deux un même sentiment d’espoirs déçus. La réaction de Nancy à l’article de Jules Janin dans le Journal des Débats du 29 novembre 1839, dans lequel ce dernier avait affirmé allègrement que Berlioz ‘était si pauvre qu’il avait à peine de quoi remettre une corde cassée à sa guitare’, semble révélatrice de son état d’esprit: elle s’enflamme à ce qu’elle prend pour une insulte à sa famille, écrit une lettre comminatoire au feuilletoniste pour le détromper sur la fortune de la famille Berlioz, et dans ses lettres à sa sœur s’institue ‘champion de l’honneur de la famille’, qui n’a ‘pas de l’eau de courge dans les veines’ (R96.861.6 et les deux lettres suivantes). S’attendant à ce que sa sœur cadette partage son indignation, elle est visiblement déçue par sa réaction prudente: Adèle, jeune mariée en train de s’installer et heureuse d’attendre un enfant, ne prend pas l’affaire trop au tragique.

    Adèle de son côté n’a pas de telles prétentions. Son frère la caractérise dans une lettre qu’il lui adresse en mai 1854: elle n’est pas une intellectuelle. ‘C’est là, chère sœur, une supériorité que tu possèdes sur beaucoup de gens, tu ne parles pas de choses qui te sont absolument étrangères et tu n’as pas la prétention de savoir le sanscrit’ (CG no. 1761). Le trait dominant de sa personnalité est une sensibilité presque maladive, qui la rend vulnérable et dont elle n’est que trop consciente: ‘ma sympathie ne peut jamais manquer à ceux qui sont dans la douleur’ (2011.02.185, en 1844); ‘le spectacle de la souffrance est pour moi pire que pour bien d’autres’ (2011.02.142, en 1847). Alliée à cette sensibilité est une imagination excessive, que son frère souligne dans une lettre d’octobre 1857 à son autre sœur Nancy: l’imagination d’Adèle ‘peut dénaturer étrangement les réalités et créer celles qui n’existent pas’ (CG no. 1129). Sensibilité et imagination: deux caractéristiques qui la rapprochent de son frère Hector, mais elle n’en avait pas le génie.

    Du fait du grand nombre de lettres d’Adèle qui ont survécu on peut mieux la connaître que les autres membres de la famille, avec l’exception d’Hector. Mais les lettres de famille du Musée Hector-Berlioz ont un intérêt supplémentaire: aux lettres d’Adèle s’ajoutent plusieurs de son mari Marc Suat et 27 de leurs deux filles Joséphine et Nancy. Cet ensemble permet de connaître non seulement les individus séparément, mais l’ensemble de la famille Suat: il en ressort l’image d’une famille unie et heureuse, malgré tous les problèmes de santé qui semblent l’assaillir sans relâche, plus heureuse que celle de sa sœur Nancy, et plus certainement que celle de son frère Hector… Mariage pratiquement sans faille, où les époux sont dévoués l’un à l’autre, comme le témoigne par exemple cette lettre affectueuse de 1859 de Marc Suat à sa femme, alors en voyage à Paris avec sa fille aînée Joséphine, vingt après leur mariage (R96.857.2). Et c’est une famille où les enfants tutoient leurs parents, ce qu’on ne faisait pas à la génération précédente: Hector, Nancy et Adèle ont toujours dit vous à leurs parents (du fait du manque de lettres de Mathilde Pal on ne sait s’il en était de même de la famille Pal, mais Louis Berlioz tutoyait son père).

    Grâce aux lettres d’Adèle on peut suivre la première enfance des deux filles parfois dans le menu détail. On voit Adèle appeler sa première fille Joséphine du nom de Finette dès au moins juin 1840 (2011.02.146), et sans doute plus tôt (Joséphine était née le 12 février); le nom continue à être utilisé jusqu’en juillet 1842 (2011.02.166 et BnF) mais ne reparaît plus après la naissance de sa sœur Nancy. On peut aussi suivre les premiers pas de Joséphine: elle commence à essayer à marcher aidée d’une serviette dès décembre 1840 (2011.02.151), fait ses tout premiers pas en février 1841 (2011.02.155) et continue à faire des progrès dans les premiers mois de 1841. On ne sait exactement quand au cours de 1841 elle a réussi à marcher toute seule, mais c’était bien avant l’âge de deux ans. En juillet 1842 sa mère la trouve ‘étonnante’ par rapport à la fille de sa cousine Odile (2011.02.167). Mais Nancy, la sœur de Joséphine, ne marche pas encore à plus de deux ans, ce qui surprend sa mère: ‘Nancy ne marche toujours point seule; je ne comprends pas cette paresse pour une enfant si forte’ (2011.02.169; septembre 1844). Les lettres d’Adèle nous livrent bien des détails sur les premières années et l’éducation des deux filles, surtout Joséphine: elle sait 17 départements et les capitales de l’Europe en octobre 1844 (2011.02.190), commence à lire en mars 1846 (2011.02.143), écrit sa première lettre à son grand-père en février 1847 (2011.02.201), et commence à apprendre le piano en novembre 1847 (2011.02.220).

    À partir des années 1850 on dispose maintenant de lettres des deux enfants Suat, Joséphine et Nancy. Celles de Joséphine sont adressées uniquement à sa cousine Mathilde Pal-Masclet; la dernière date de 1869. Parmi celles de Nancy plusieurs sont également adressées à sa cousine, mais un groupe de 11 lettres datant de novembre et décembre 1858 retient l’attention. Ce sont toutes des lettres de famille, à sa mère, à sa sœur et une à son père; on a traité ci-dessus de cet ensemble de lettres et de son contexte. L’intérêt des lettres des deux sœurs pendant les années 1850 est qu’elle permet au lecteur de pénétrer dans un monde d’adolescentes: elles n’avaient que 14 ans quand elles écrivaient leurs premières lettres connues à leur cousine, Joséphine en 1854, Nancy deux ans plus tard, et pendant son absence prolongée du domicile familial en novembre et décembre 1858 Nancy était âgée de 16 ans. Lettres sans doute sans importance pour la grande histoire, mais tout de même documents précieux sur l’intimité d’une famille bourgeoise du 19ème.

La société

    Au delà des individus, c’est toute une société qu’on entrevoit, celle de la bourgeoisie de province. On ne saurait qu’esquisser à grands traits quelques aspects qu’on remarque à la lecture de ces lettres; ils illustrent bien souvent le fossé qui séparait Hector Berlioz du monde social d’où il était issu.

    C’est en monde de propriétaires fonciers: qu’ils soient médecins, juges ou notaires, ils ont des racines dans la terre. Le Dr Berlioz, fier de la profession qu’il exerce, est un grand propriétaire, avec des habitudes de campagnard qui aime la vie des champs. À la fin d’une lettre où il cherche à rassurer sa fille sur l’avenir de son fils Hector, Nicolas Marmion ajoute: ‘Je viens de finir la culture de mes chanvres, Dieu veuille qu’ils réussissent tous !’ (2011.02.334). Camille Pal écrit à sa femme Nancy: ‘Nous sommes allés hier à St Vincent où nous avons trouvé les vers à soie à la Bruyère, ils ont parfaitement réussi’ (2011.02.291). Tout le monde cultivait les vers à soie; de Meylan Adèle écrit à sa mère: ‘Je suis bien aise d’apprendre … que vos vers à soie vont bien ; ceux de mon grand-père sont bientôt finis, et jusqu’à présent paraissent réussir’ (2011.02.124). Les Suat possédaient des terres, des vignes et des fermes à Beaurepaire, dont ils tiraient des rentes; ils y passent au retour d’un séjour à La Côte à l’automne de 1854 et ‘grâce au beau temps nous pûmes aller à nos fermes, et en revenir avec force poulets, marrons etc.’ (2011.02.244). Tout le monde cultivait la vigne, et les lettres écrites au début de l’automne ne manquent jamais de parler des vendanges (2011.02.258 etc.).

    C’est aussi un monde où richesse signifiait considération: d’où une constante préoccupation avec les mariages, intarissable sujet de conversation dans la correspondance d’Adèle avec sa sœur. Un ‘brillant mariage’ est une bonne affaire pour les familles des intéressés, qui augmente leur richesse; le bonheur des conjoints semble parfois être un peu accessoire (2011.02.167, 2011.02.169). D’où le grand scandale du mariage d’Hector et Harriet Smithson en 1833: cette actrice irlandaise était lourdement endettée. Si les femmes n’avaient pas pleine liberté d’arranger leur propre mariage (voir par exemple la lettre de 1828 de Nancy Berlioz à Rosanne Goléty, 2011.02.273), elles s’intéressaient énormément aux mariages des autres et tenaient à y avoir leur mot. Félix Marmion avait aidé à mettre Marc Suat en rapport avec Adèle sa future (R96.859.1). Adèle lui rend la politesse en 1846 et s’emploie à organiser une rencontre à Lyon entre son oncle et Thérèse Boutaud, veuve Machon et rentière, qui mènera à leur mariage (2011.02.258). Félix Marmion est enchanté de sa femme (2011.02.205), et pour cause: avant son mariage Marmion, bon viveur et adonné au jeu, ne cessait de s’endetter (2011.02.302), mais après son mariage, plus apparemment de soucis d’argent: lui et sa femme, maintenant installés à Tournon, vont régulièrement passer l’hiver dans le midi, à Montpellier, Marseille, Nice, ou Hyères.

    Dans la société bourgeoise les hommes s’occupent des affaires et ont leurs activités professionnelles. Les femmes ne font qu’une partie du travail de la maison: tout le monde suppose l’existence de domestiques, qui sont à la fois indispensables et un objet de constants soucis. Il y avait une tension inévitable dans des relations sociales qui n’étaient pas au départ sur un pied d’égalité. Il y avait de ‘bons’ et de ‘mauvais’ domestiques, mais même les plus fidèles, comme Monique Nety qui a passé presque toute sa vie au service de la famille Berlioz, pouvaient à l’occasion se montrer difficiles: ‘Monique … était hier d’une humeur massacrante ; je dînais chez Mme Laroche et pendant que je n’y étais pas elle fit une scène à mon père très déplacée, à propos d’une paire de bas qu’il lui demandait’, dit Adèle dans une lettre de 1841 (2011.02.161).

    Dans les relations sociales, réceptions et visites jouaient un rôle essentiel. Il y avait une hiérarchie de réceptions, suivant qu’elles coûtaient plus ou moins de travail et de dépense à organiser. En janvier 1844 Adèle écrit à sa sœur: ‘Il faudra bien que nous songions à avoir du monde aussi dans peu, un dîner m’effraye, un bal, impossible, alors une soirée de jeu avec une collation est ce à quoi nous nous arrêterons, je présume. J’ai le projet aussi d’un goûter d’enfant ; mes filles ont déja reçu de nombreuses politesses à ma grande satisfaction’ (2011.02.172). Un bal supposait de la musique, donc un petit orchestre, composé d’ordinaire d’un piano et de quelques violons. ‘J’aurai dimanche 36 a 40 dames, pour orchestre un piano excellent que me prête ma voisine Mme Givors, et deux violons. Clémence me fournira des fleurs ; mon salon sera charmant’ dit Adèle dans une autre lettre à sa sœur (2011.02.255). On possède deux récits en février 1841 d’une soirée improvisée chez les Suat particulièrement sympathique, où des musiciens ambulants italiens eurent grand succès (2011.02.152, 2011.02.134). Réceptions et visites supposaient une toilette soignée pour faire bon effet: d’où de fréquentes visites dans les grandes villes de la région, Lyon ou Grenoble, pour y faire des courses chez les modistes et les magasins de vêtements. Après un bal brillant à Lyon en 1844 Adèle se vante à sa sœur: ‘J’avais fait des frais de toilette étourdissants … J’étais ravie de ma parure, surtout de la coupe de ma robe qui me faisait une taille de vraie gravure de mode’ (2011.02.173).

    Autre préoccupation qui revient constamment dans les lettres: la santé. Vu le niveau de la médecine et de l’hygiène du temps on était souvent malade, et on en parlait beaucoup. En 1858 Joséphine Suat est souffrante pendant presque toute l’année à partir d’avril; pour finir elle insiste auprès de sa mère pour aller consulter une spécialiste réputée à Lyon, Mlle Bressac, dont le succès excitait la jalousie de ses confrères médecins (voir le commentaire sur 2011.02.260). Diagnostic de Mlle Bressac: ‘Mademoiselle, vous n’avez aucun organe malade positivement, mais les nerfs .. votre constitution était très bonne ; vous guérirez certainement mais ce sera long, bien que depuis plusieurs mois déjà vous souffriez, le sang vous fait la guerre, aussi il vous faut une bonne hygiène, la promenade, de la distraction’. Commentaire d’Adèle là-dessus: ‘N’y a-t-il pas de quoi confondre ? Comment expliquer l’espèce de divination de cette fille ?’ (2011.02.260). On assiste à une vogue grandissante pour les bains de mer: l’année suivante Joséphine ira passer quelque temps à Dieppe avec sa mère. Dans une lettre d’Adèle de 1854 on lit: ‘Mme Boutaud ira à Marseille prendre les bains de mer, plusieurs dames de ma connaissance y vont également, d’autres partent pour Vichy, pour Uriage’ (2011.02.227). Aller prendre les eaux et suivre une cure thermale devient une véritable mode à l’époque: Adèle va à Aix-les-Bains en 1844 (2011.02.183 et 184), ses filles vont à Néris en 1863 (2011.02.316), les Suat font un séjour à Plombières en 1856 où ils se retrouvent avec Berlioz (2011.02.327), Félix Marmion va à Vichy en 1854 et à son retour se porte ‘à merveille’ (2011.02.231).

    Tous, du moins les femmes, sont croyants et pratiquants. Adèle et Nancy s’enthousiasment pour les sermons du père Lacordaire (2011.02.175). En mai 1844 Adèle emmène sa fille Joséphine à Fourvières: ‘ma chère petite était charmante à genoux à côté de moi et priait de son mieux’ (2011.02.180). Nancy Pal raconte la mort de son père en 1848: ‘une fin chrétienne a couronné cette belle vie, et tous les secours de notre religion lui ont été appliqués jusqu’à la fin ; il reçut tous les sacrements dix jours avant sa mort, avec de très bonnes dispositions, et un esprit parfaitement présent’ (2011.02.286). Joséphine Suat-Chapot raconte de même la fin de son oncle Hector en mars 1869: ‘on lui a donné l’Extrême-Onction assez à temps, je veux l’espérer, pour qu’il ait eu un éclair de foi vive encore et suffisante’ (2011.02.324).

    Dans le monde des petites villes de province la vie marche au ralenti, surtout pour les jeunes filles non encore mariées. ‘Nous vivons, comme toi dans notre petit coin, sans voir beaucoup de monde. Les relations se perdent, se dispersent et il est assez difficile aux jeunes filles d’en créér de nouvelles, je suis du reste grand amateur de solitude’, écrit Nancy Suat à sa cousine Mathilde en décembre 1864 (2011.02.331). Mais cependant le monde ne cesse d’évoluer. Si les grands bouleversements politiques de l’époque laissent peu de traces dans les lettres (troubles à Lyon en 1831, à Grenoble en 1832, révolutions de 1848), on entrevoit les progrès techniques en cours. En 1838 Félix Marmion pose pour son portrait (R96.859.2), et l’année suivante Nancy Pal (R96.861.1) et Adèle Suat (2011.02.138) font de même. Mais en 1841 les Suat essaient le nouveau procédé du daguérréotype: le portrait d’Adèle est manqué, mais ‘pour me consoler Marc est d’une ressemblance frappante, frappante’ (2011.02.164). En 1863 Mathilde Pal-Masclet envoie des photographies de ses deux enfants à sa cousine Joséphine, qui lui en réclame d’elle et de son mari pour prendre place dans leur album (2011.02.316).

    La révolution sans doute la plus importante s’opère dans les transports. On part d’un monde où le cheval est le seul moyen de transport rapide et le principal moteur de locomotion, et au cours du siècle on passe à un monde de machines où le chemin de fer devient roi. En 1839 on lit dans une lettre du Dr Berlioz: ‘j’avais bien arrêté le projet d’aller passer tous les dimanches à Voreppe. C’est dans cette intention que j’ai acheté un cheval très beau marcheur’ (R96.853.1). Mais la même année on lit dans une lettre de Félix Marmion: ‘Nous aurons aussi à Huningue notre chemin de fer : celui de Strasbourg à Bâle est en pleine construction’ (R96.859.3). En 1859 Marc Suat fait des recommandations à sa femme sur son voyage de retour de Paris à Vienne en chemin de fer: il lui déconseille le voyage en 3ème classe (R96.857.2). On est loin ici du voyage que Berlioz fit en 1821 en diligence de La Frette à Paris en passant par Lyon.

    Ces quelques brèves remarques ne peuvent qu’effleurer le sujet: au lecteur maintenant de poursuivre ses propres enquêtes.

Note (provisoire)

    On sait de façon générale qu’un très grand nombre de lettres adressées à Hector Berlioz ont disparu: c’est une évidence qui saute aux yeux dès qu’on parcourt les volumes de la Correspondance générale. L’exception principale concerne quelques événements marquants dans la carrière du compositeur pour lesquels de nombreuses lettres de félicitations sont connues, par exemple la première de l’Enfance du Christ en décembre 1854, son élection à l’Institut en juin 1856, la première des Troyens en novembre 1863, et sa promotion au rang d’officier de la Légion d’honneur en août 1864. On peut y ajouter un groupe de 7 lettres de condoléances de juin-juillet 1867 sur la mort de Louis, le fils de Berlioz, mais aucune d’elles n’est de membres de sa famille (CG nos. 3254-9, 3263). D’autre part on peut supposer que Berlioz, comme nombre de ses contemporains, gardait beaucoup des lettres qu’il recevait. Dans ses Mémoires (chapitre 58) il cite deux lettres à propos de la mort de son père en 1848, l’une de sa sœur Nancy, et l’autre d’Adèle, qu’il cite plus longuement et qui comporte une date exacte: ‘Vienne, samedi 4 août 1848’. Visiblement il avait les deux lettres sous les yeux quand il écrivait ce chapitre quelques années plus tard, dans le début des années 1850 (le chapitre 59 qui suit est daté 18 octobre 1854 par Berlioz). Mais les originaux de ces lettres ont disparu, ainsi que bien d’autres lettres, y compris les lettres de sa famille.

    On est un peu surpris de constater la rareté des témoignages existant là-dessus. Dans l’Introduction au tome I de la Correspondance générale (p. 13) il est dit: ‘Les lettres adressées à Berlioz … sont relativement peu nombreuses, le musicien, vers la fin de sa vie, ayant fait un autodafé de la plupart d’entre elles’, mais aucune source n’est citée. Le seul témoignage précis que nous connaissons à l’heure actuelle est celui de Julien Tiersot dans son ouvrage Hector Berlioz et la société de son temps (Paris, 1904), p. 348: ‘[Berlioz] gardait aussi [dans son cabinet au Conservatoire] une caisse toute pleine d’objets et de souvenirs divers, lettres, couronnes, fleurs, etc., qu’il donna l’ordre un jour à son garçon de Bibliothèque, Fursy, de brûler sans rémission. Le brave homme, qu’ont bien connu les habitués du Conservatoire jusqu’à ces dix dernières années, s’acquitta de ce devoir en conscience, mais avec regret, convaincu qu’il détruisait des trésors. Il fut surtout ému quand, au milieu du fouillis, il découvrit une tête de mort. « C’était, Monsieur, la tête de sa femme ! » me dit-il le jour où il me raconta ce souvenir…’ On remarquera que le récit de Tiersot ne comporte pas de date ou de contexte précis, et pourrait se situer n’importe où dans les dernières années de la vie du compositeur, et pas forcément tout à la fin. On remarquera aussi que la description du contenu de cette caisse ‘toute pleine d’objets et de souvenirs divers, lettres, couronnes, fleurs, etc.’ fait penser à une collection de souvenirs de voyages, de concerts, de lettres de félicitations etc., collection qui était dans un état de ‘fouillis’, plutôt qu’à une collection de lettres d’amis et de membres de sa famille. On aurait supposé qu’une telle collection serait gardée à domicile, dans un certain ordre, et non dans le fouillis d’une caisse déposée dans son cabinet au Conservatoire, qu’il ne visitait que de temps en temps. C’est ainsi que le témoignage de Tiersot est interprété par David Cairns qui le cite et place l’événement en juillet 1867, peu après la mort de Louis: Berlioz voulait ‘couper symboliquement les fils restants’ (Hector Berlioz II, p. 818-19; édition anglaise II, p. 754).

    Mais qu’advint-il des quantités de lettres personnelles adressées à Berlioz tout au long de sa vie? On sait qu’il a détruit les lettres que lui avait écrites Estelle Fornier, mais c’était à contre-cœur et à la demande expresse de celle-ci (CG no. 3104, lettre à elle du 26 février 1866; cf. CG no. 3119). Une seule de ses lettres à Berlioz a survécu, datant du 12 juin 1868 à laquelle il répondit tout de suite (CG nos. 3362 et 3363). On sait d’autre part qu’il a fort naturellement conservé un nombre important de lettres de son fils Louis (près de 80 sont publiées dans les 8 premiers tomes de CG, plus d’autres dans NL). On a par conséquent du mal à imaginer Berlioz détruisant volontairement les nombreuses lettres de personnes qui lui étaient chères, comme sa sœur Adèle dont il parle si affectueusement dans ses Mémoires (début du chapitre 58, et dans le Voyage en Dauphiné), ou ses nièces Joséphine Chapot et Nancy Suat qui étaient toujours en vie et auxquelles il écrivait encore en juillet 1868 ; mais aucune de leurs lettres à lui n’a survécu.

    D’un autre côté on constate qu’un certain nombre de lettres adressées à Berlioz ont survécu: on en compte un peu plus de 400 dans les 8 tomes de la Correspondance générale. Si l’on considère seulement les deux dernières années de sa vie active dans la Correspondance générale, on trouve pour 1867, outre les lettres sur la mort de Louis, CG nos. 3127, 3235, 3243, 3246, 3273, 3297, 3298, 3317, 3323; pour 1868, CG nos. 3325, 3333, 3336, 3339 [de Camille Pal], 3340, 3362 [la lettre d’Estelle Fornier], 3364, 3374, 3375. S’y ajoutent les deux lettres de Camille Pal publiées ici, et qui ont sans doute été renvoyées à la famille Pal après la mort de Berlioz (2011.02.294 et 295). Si destruction il y a eu, comment l’expliquer, et comment expliquer les omissions, quand la plupart des lettres de sa famille ont disparu? Pour ces dernières on pourrait hasarder l’hypothèse que ce sont certains membres de sa famille qui, après la mort du compositeur et ayant hérité de sa correspondance, ont préféré détruire ces lettres plutôt que de les voir livrées un jour à la curiosité du public (comme on l’a vu ci-dessus, Estelle Fornier avait demandé à Berlioz de détruire ses lettres ‘par crainte des yeux indiscrets’ — CG no. 3104). Par contre les lettres de correspondants en dehors de la famille ne faisaient généralement pas difficulté et un certain nombre ont donc pu survivre. Mais le fait demeure que, comme on l’a souligné au début de cette note, un très grand nombre de lettres d’amis et correspondants de Berlioz ont disparu. Quoi qu’il en soit, il y a là une question troublante qui mérite sans doute d’être approfondie.

Site Hector Berlioz créé par Michel Austin et Monir Tayeb le 18 juillet 1997; pages Lettres de la famille du compositeur créées le 11 décembre 2014, mises à jour le 1er avril, le 1er octobre 2015, le 1er avril 2017 et le 1er mars 2018. Révision le 1er décembre 2023.

© Musée Hector-Berlioz pour le texte et les images des lettres
© Michel Austin et Monir Tayeb pour le commentaire et la présentation

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