(Textes corrigés, en ordre chronologique)
Liste chronologique des lettres d’Adèle Berlioz-Suat
La transcription littérale des lettres d’Adèle Berlioz-Suat se trouve sur des pages séparées:
I.
Lettres R96.260.02, R96.856.1
à 3, 2011.02.116 à 153
II. Lettres
2011.02.154
à 196
III. Lettres
2011.02.197
à 265, 2011.02.298
|
2011.02.116 | Samedi 29 mars 1828 | À sa mère Joséphine Marmion-Berlioz | Transcription littérale | Image |
Les premières lettres connues d’Adèle concernent un épisode de sa jeunesse: au printemps de 1828, âgée de 14 ans, elle est mise en pension à Grenoble par son père, mais Adèle refuse de s’y plier et écrit lettres sur lettres à sa famille et à ses connaissances pour exiger son retour à La Côte, et pour finir elle aura gain de cause…Voir aussi la lettre de son oncle Félix Marmion de juin 1828, après le retour d’Adèle au domicile familial (BnF). — On pourra comparer ces lettres écrites par la jeune Adèle loin du domicile familial pour la première fois de sa vie avec celles écrites 30 ans plus tard par sa fille Nancy Suat de Tournon dans des circonstances différentes (lettre R96.858.8 et suivantes).
Grenoble le 29 mars 1828
Vous dites dans votre charmante lettre, ma chère Maman, que vous croyez que la première lettre que je vous écrirai vous me trouverez tout-à-fait accoutumée. Hélas, c’est tout le contraire ; je suis plus ennuyée que jamais, de toute manière je vois que je ne puis pas m’accoutumer ; cela me tourmente, parce que je sais combien cela vous ferait plaisir à vous et [à] mon cher Papa ; d’un côté je m’ennuie horriblement, toutes ces réflexions me tourmentent tellement que je n’ai rien dormi cette nuit et que j’ai été agitée toute la nuit. Cependant je voudrais que vous fussiez contente de moi ; je trouve ma position très triste, sans cesse combattue par les deux pensées ; je ne trouve de plaisir qu’à pleurer tant que j’en ai envie. Écrivez je vous prie, ma chère Maman, aussitôt que vous aurez ma lettre ; vous ne pouvez pas vous imaginer le plaisir que m’a fait la vôtre, elle est si pleine d’expressions de bonté qu’elle m’a fait pleurer, et m’a donné encore plus de regret d’être séparée d’aussi bons parents. J’ai été très sensible au tendre souvenir de Victorine et de Monique ; dites-leur je vous prie bien des choses de ma part. Adieu, ma chère Maman, je vous embrasse et attends avec la plus vive impatience votre lettre, ne me la faites pas attendre, je vous en prie. Je suis avec respect votre soumise fille
Adèle Berlioz
Ah ! Si je retournais auprès de vous que je serais heureuse, j’espère en votre bonté car je ne serai heureuse qu’alors. Venez me chercher je vous en prie.
2011.02.117 | Jeudi 3 avril 1828 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.116.
Grenoble le 3 avril 1828
Je suis si fatiguée, ma chère Nancy,
aujourd’hui vous devez recevoir ma lettre qui contredit ce que mon oncle a
écrit hier à Papa que cela n’était rien, mais aujourd’hui je suis beaucoup
plus fatiguée que quand il a écrit d’abord. Voilà trois ou quatre jours que j’ai
toujours bien mal au cœur, j’ai la tête qui me fait bien mal quand je marche,
et ce matin quand je me suis levée j’ai pris un étourdissement qui m’a forcée à retomber sur mon lit.
Je ne dors pas ce qui est
contre mon ordinaire, je ne puis manger sans que cela augmente beaucoup mon mal
de cœur. Hier j’ai eu un peu de fièvre et je crois même
que j’en ai aujourd’hui, car j’ai beaucoup de frissons ; l’on nous a fait
habiller de blanc et quoique je sors très chaudement j’ai toujours froid et j’ai
été obligée de prendre un grand châle. Adieu, ma chère Nancy, je t’en conjure
prie Papa de venir tout de suite, ou bien envoyez-moi Monique mais tout de suite.
Odile est ici avec moi ; sa mère a été très fatiguée et
elle s’est mise hier des sangsues. J’ai reçu hier la lettre de maman et de
Victorine ; je ne puis plus écrire car je suis très fatiguée ; ah ! ne m’abandonnez
pas, ne me laissez pas ici souffrante et au désespoir. Adieu, ta malheureuse sœur
Adèle Berlioz
2011.02.118 | Jeudi 10 avril 1828 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.116. D’après cette lettre Monique rendit visite à Adèle suivant sa demande (2011.02.117).
Grenoble le 10 avril 1828.
Tu me dis, ma chère Nancy, que tu crois que
ta lettre me trouvera guérie de corps et d’esprit ; ma réponse va t’étonner, mais je ne
puis te le cacher, je ne suis guérie ni de l’un de l’autre. Le jour que
Monique est partie d’ici je fus extrêmement fatiguée ; ah ! que je regrettais
que cela ce fut trouvé le jour même de son départ. Si je l’avais sentie auprès de moi me donnant des tendres soins, ah ! que cela m’aurait soulagé ; mais
pour comble de malheur il faut encore pour augmenter mon ennui que je sois
toujours souffrante. Je fais tous mes devoirs comme si je ne l’étais pas du
tout ; l’on espérait que cela me distrairait et que je ne penserais pas
tant à mon mal et à mon chagrin, mais l’on s’est trompé, je suis toujours
aussi chagrine et aussi fatiguée, j’éprouve toujours dans l’estomac et
dans les épaules des douleurs qui sont même assez fortes. Que je sois malade,
que je ne le sois pas, je ne vois ni oncle, ni tante, ni cousins, ni cousines ;
Madame Apprin avait bien promis à Maman de venir me voir. Les demoiselles
Durosier, Mme Vallet aussi, je n’ai vu personne ; qu’il est triste
d’être abandonnée de tous ceux qu’on aime le plus sur la terre de ses
parents. En te racontant mes chagrins je suis obligée d’essuyer mes larmes si je ne
veux pas qu’elles mouillent mon papier ; ah ! montre-moi, ma
chère Nancy, combien tu
y prends part en m’écrivant bien souvent, en me racontant un peu ce qui se
passe à La Côte ; je ne lui vois rien de comparable à présent que je ne l’habite
plus.
Virginie passe ici presque toutes ses journées depuis
que Monsieur Falque est parti avec Monseigneur, mais je ne la vois pas plus
souvent pour cela parce qu’elle se tient assez loin des classes.
Monique m’a acheté ma robe bleue de costume ; Melle
Payen lui avait promis de venir me l’essayer mardi, elle n’est point venue ; j’y
ai envoyé quelqu’un, elle a répondu que je l’aurai bien sûrement pour
dimanche, jour où j’en ai besoin.
La cousine de ma tante Mademoiselle Montlatruc va s’en aller
à la fin de ce mois ; sa mère doit
venir avec Monsieur l’abbé Anglais qui vient pour
prendre ma tante pour aller avec lui à Roanne. Je suis très fâchée de cela
parce que comme j’avais vu cette demoiselle chez ma tante je la connaissais ;
elle est bien gentille, elle cherche toujours tout ce qu’elle peut imaginer
pour me distraire ; quand elle sera partie le temps me durera encore davantage.
Il faut donc que tous se réunissent contre moi, vraiment je suis bien à plaindre.
Adieu, ma chère sœur, j’ai les yeux si pleins de larmes que je n’y vois plus.
Embrasse pour moi Papa, Maman, Prosper, Monique, Julie, Françoise, Melle
Bertrand, et ma petite Nancy pour laquelle je brode un très joli col.
Adieu, plains ta malheureuse sœur Adèle Berlioz.
[de l’écriture de Louise]
Soyez parfaitement tranquille,
Mademoiselle, sur le compte de notre bonne petite Adèle ; sa santé est
assez bonne, elle mange de bon appétit, dort très bien, travaille avec suite, et
commence à s’amuser. Le moyen le plus efficace pour l’accoutumer a été de
ne pas avoir l’air de s’occuper de sa santé et de sa
tristesse. Les douleurs dont elle se plaint ne sont rien, j’en ai parlé à
Monsieur Berlioz qui m’a parfaitement rassuré. Encore quelques jours de
patience et nous serons au bout de toutes nos peines, et nous
éprouverons
de la part de cette bien chère enfant de grandes consolations, j’en ai la
douce confiance.
Louise
2011.02.119 | Mercredi 23 avril 1828 | À l’aumonier Petit | Transcription littérale | Image |
Voir 2011.02.116.
Grenoble le 23 avril 1828.
Monsieur
Je prends la liberté de vous écrire pour
vous prier d’aller aussitôt que vous aurez reçu ma lettre chez mon père, et
de faire tout votre possible pour le décider à me retirer d’ici et à me
ramener auprès de lui. Ah ! Monsieur, quelle reconnaissance ne vous
aurais-je
pas toute de ma vie si vous parveniez à décider mes parents à venir me chercher ;
ce n’est qu’alors que je me porterais bien et que je serais heureuse, car
depuis que je suis ici je souffre toujours ; voilà deux jours que je sens que cela
augmente beaucoup. Ah ! si Maman savait comme je souffre de corps et d’esprit,
oui, elle retrouverait ses entrailles de mère qu’elle semble avoir perdues
depuis pour moi depuis que je suis malheureuse ici.
Je serais
au désespoir si vous ne parvenez pas à décider Maman ; je vous en conjure
à
genoux, faites tout ce qui dépendra de vous ; si vous croyez qu’en vous adressant
à Maman premièrement vous réussiriez mieux, essayez, enfin employez tous les
moyens que votre sagesse pourra vous suggérer. Je compte sur l’attachement que
vous portez à
ma famille pour lui dire de ma part que j’ai fait tout mon possible pour m’accoutumer
parce que je savais combien cela leur ferait plaisir, mais cela m’est impossible,
absolument impossible ; que l’on ne croie point que c’est manque de bonne
volonté, ah ! je vous en prie, dites leur bien le contraire. Non, mon Papa et Maman
se sont montrés si bons à mon égard que je ne puis croire que me sachant
toujours plus souffrante et plus malheureuse ils ne mettent un terme à mon
désespoir ; tâchez je vous prie, Monsieur, de mettre ma sœur dans mes
intérêts ; ah ! dites-lui de ma part qu’elle ne sait pas ce que
c’est que d’être malheureuse et d’être éloignée de sa famille, mais elle
n’en est jamais sortie et elle ne peut savoir les tourments qu’on
éprouve. Je vous prie de ne donner connaissance de cette
lettre à aucun étranger ; répondez-moi je vous prie et instruisez-moi des
sentiments
de ma famille à ce sujet. J’espère que vos instances auprès de Maman auront
un bon résultat.
Je suis, Monsieur, avec le plus profond respect
Adèle Berlioz
2011.02.120 | Vendredi 25 avril 1828 | À sa mère Joséphine Marmion-Berlioz | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.116.
Grenoble le 25 avril 1828
Ma chère Maman
Je voudrais bien avoir quelque chose de
consolant à vous dire, mais hélas je suis tous les jours plus malheureuse, les
réflexions affreuses qui me poursuivent ne me laissent pas un, pas un moment de
repos ni le jour ni la nuit. Je [sais?] dans quel état je vous mets toutes les
fois que je vou[s] écris. non je ne puis le croir[e] si vous pouviez lire
au [fond] d[e] mon cœur ce qui s’y passe [lacune] de com[passion] à l’aspect
des tourments que [lacune] je me dis à moi m[ais] pourquoi est-ce que je ne
pourrais [lacune] que les autres j[ours ...] je vois tout gaie autour de [lacune]
moi, tout le monde s’a[muse ...] et moi je n’ai que les larmes et les
tourments [lacune] partage, ainsi ce passe le printemps de la vie sans
être heureux sans être [aimé?...] vous dites que vos plus beaux jours sont
ceux que [l’]on passe en pension, je ne [m’en] suis pas aperçu
jusqu’à ce jour, je sais seulement que le Roi me promettrait son royaume pour
recommencer les six mortelles semaines que je viens de passer que [je] le
refuserais
bien vite, je ne suis pourtant pas plus accoutumée que le premier jour, ah !
Maman je vous écris à genoux et mes larmes troublent ma vue, ne me laissez pas
plus longtemps souffrir car vraiment je fais pitié. Hier Odile vint me voir
avec Véronique qui l’accompagnait, cette pauvre fille se mit à pleurer, elle me [lacune]
malheureuse qu’elle se mit à pleurer, n’y au[ra-t-]il donc qu’elle qui
fût
sensible a mes tourments [lacune] cela ne peut s’appeler que comme cela
Ma[m]an, ma chère, très chère Maman, je vous assure
[q]ue j’ai fait tout mon
possible pour m’accoutumer, toutes les réflexions les plus propres à me faire
surmonter cela sont infructueuses. Je viens de faire mes Pâques, j’ai
supplié
Dieu de me faire la grâce de m’accout[um]er, impossible, impossible mes forces m’aband[onnent ; écrivez-]moi par pitié une lettre qui me donne un pe[u d’]espérance,
en grâce, en grâce ayez pitié des affreux tourments que j’endure.
Je n’ai pas vu Madame Faure du tout, l’on vient de retirer
sa nièce d’ici pour la mettre à Lyon dans les endroits ou l’on
redresse
[les] personnes bossues.
J’ai comm[encé] un peu à connaître les notes de
musique, c’est
une chose [in]sipide mais comme ici je ne trouve que des choses comme cela mais pas des gens, car tout le monde est on ne peut pas plus
aimable, mais je n’y trouve pas Maman, je vous cherche toujours mais en
vain, je
ne rêve qu’à vous, mais hélas l’affreux réveil vient dissiper cette illusion
si douce et la réflexion que je suis éloignée de vous pour si longtemps m’accable.
Adieu, ma très chère Maman, ayez pitié de votre malheureuse et aimante
fille Adèle Berlioz
P.S. Melle Payen vie[nt lacune] costume, c’était bien tem[ps ...] Dimanche passé les autres les avaient toutes et moi j’étais [la] seule en couleur différente. J’embrasse bien Papa, dite[s] lui qu’il a une fille qui est bien malheureuse ; je regrette [bien?] mon pauvre petit Prosper, Monique, Julie, Melle Bertrand ; j’écris à Victorine par la même occasion, cela me fait un plaisir indicible de voir quelqu’un de la Côte, ce pays que vous trouvez si triste, je ne puis y penser que les larmes ne viennent aux yeux.
2011.02.121 | Jeudi 8 mai 1828 | À sa mère Joséphine Marmion-Berlioz | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.116.
Grenoble le 8 mai 1828
Que votre lettre m’a fait de mal, ma
chère Maman, c’est tout au plus si j’ai le courage de vous écrire après
une lettre si décourageante ; cependant comme Rose part demain je n’ose de peur
de vous fâcher la laisser partir sans vous donner de mes nouvelles. Ah ! que je
suis donc à plaindre, mon Dieu, mon Dieu, mes parents m’abandonnent ; il
seul [sait?] que
je suis malheureuse, que je suis tellement tourmentée que je n’ai pas un moment
de repos. Enfin Madame de Bourcet ma laissé sortir aujourd’hui pour n’avoir
pas devant ses yeux ma malheureuse physionomie. Je vous écris de chez ma tante ;
hélas, tout ici me rappelle le souvenir d’une mère que j’adore
et qui hélas paraît vouloir oublier son Adèle, oui son Adèle, dont le seul
souvenir de sa mère met au désespoir. Vous avez dit à ma tante que la
derniére [lettre] que je vous avais écrite je m’étais creusé la tête pour la faire
romanesque ; mais comment cette idée peut-elle vous être venue dans la tête ? non,
vous ne connaissez pas à ce qui paraît mes sentiments à votre égard, car dans
cette lettre je ne vous disais que ce que je pense ; mais il paraît que vous
voulez que je sois dissimulée avec vous. Non, vous aurez beau faire, je vous le
dis, je vous repète, je suis trop malheureuse, je ne peux plus y tenir, envoyez moi
chercher, autrement ces Dames seront obligeés de me ramener elles-même. Je ne
sais s’il faut compter sur ce que Rose m’a dit que mon père viendrait cette
semaine ; mon cœur bat avec violence, ah ! mon père, votre malheureuse fille, n’éprouvez-vous plus rien de tendre pour elle ?
Je ne puis le croire – ah ! mes
chers parents, aimez-moi, mettez fin à mes chagrins.
Maman paraît fâchée que je ne la remercie pas des brioches
que vous avez eu la bonté de m’envoyer ; mon Dieu, j’en suis bien
reconnaissante mais j’avais tant d’autres choses par la tête que je n’y
ai plus pensé.
Rose m’attend pour aller voir Melle Nancy ; je la
charge de vous dire ce que je [n]’ai pas le temps de vous dire, j’attends [mon]
père [aujourd’hui?] ou après demain, s’il ne peut pas venir envoyez Monique me chercher.
Ma tante part à 9 heures du soir avec Odile et son oncle ;
elles y resteront plus d’un mois. Ma tante Félicie vient de revenir de la
campagne, aussi si vous venez vous trouverez quelqu’un ; ah ! venez, je ne
peux plus
prendre patience.
Votre respectueuse fille
Adèle Berlioz
2011.02.265 | Printemps 1828 | À son père Louis-Joseph Berlioz | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.116.
Ce que vous me demandez est au-dessus de
mes forces ; je m’ennuie horriblement et vous ne voulez pas venir me chercher.
Ah !
mon père, vous m’avez abandonnée, oui je suis bien malheureuse ; ah ! mon père,
mon père, ayez pitié de moi, venez me chercher. Je suis avec respect votre
malheureuse fille, Adèle B.
Vous dites que je n’ai fait aucun effort pour vaincre le
chagrin qui m’accable ; ah ! détrompez-vous, détrompez vous ; ah ! si vous saviez, oui
j’ai fait ce que j’ai pu. Ahi ! que je suis malheureuse.
2011.02.298 | Mardi 4 août 1829 (?) | Prosper et Adèle Berlioz à leur sœur Nancy Berlioz |
Transcription littérale | Image |
Nancy Berlioz était à ce moment chez son amie Rosanne Goléty à Bourg (cf. 2011.02.272, 2011.02.273).
[De la main de Prosper]
La Côte St André le 4 juin 1829 [sic]
Je t’écris pour la première fois,
ma chère sœur, j’ai
pensé qu’il y en avait bien assez pour exercer la patience d’Adèle.
On m’a dit qu’Émile avait un peu souffert de son doigt, j’en suis bien
fâché ; le temps me dure bien de le voir, car je m’ennuie bien tout seul.
Adieu, ma chère sœur, il faut que j’aille à l’ecole et d’ailleurs je ne sais
pas que te dire ; je t’embrasse de tout mon cœur. Ton petit bout de
frère
Prosper Berlioz
[De la main d’Adèle]
Ne recevant aucune nouvelle d’Hector,
ma chère Nancy, nous n’avons cependant pas voulu te laisser plus
longtemps sans
te donner des nôtres. Je renvoyais de courrier
en courrier espérant toujours d’avoir quelque chose à t’apprendre sur son
compte, mais voyant que cela me menait loin, j’ai pris mon grand parti et je me
suis mise à mon bureau sans trop savoir ce que j’allais te dire ; notre
pauvre pays est tous les jours plus triste, Mme Blanquet est à l’agonie
depuis deux jours, Rose est toujours entre la vie et la mort, tout cela comme tu
vois n’est pas très gai ; je décidai cependant mercredi Maman à
aller
à Pointières voir Madame Augustin et à l’engager à venir diner à la maison
le lendemain ; ces dames ne l’ayant pas pu ce jour-là ne sont venues que le
vendredi. Mademoiselle Louise [Veyron] était toute désorientée et elle avait bien
besoin que sa tante passât quelques jours avec elle pour la consoler de ton
départ.
Il paraît cependant que Mme Veyron va à Grenoble
la semaine prochaine ; pour nous, nous y allons tous les jours en projets mais je
doute fort qu’ils s’exécutent.
Françoise est revenue
hier d’Uriage ; elle nous a dit que Mr Arvet avait pris une seconde
attaque qui lui avait paralysé le gosier et qu’il ne pouvait rien avaler
absolument. Madamoiselle Nancy [Clappier] paraissait très inquiète et très ennuyée ; elle
craignait qu’il n’en prît une troisième qui ne l’enlève.
Françoise a apporté les dentelles que tu avais commandées
à Jeanneton ; je te prie de me dire dans ta première lettre si tu veux que je
les donne à la Martin ; elle n’a encore rien rendu de l’ouvrage que tu lui
avais laissé, pour moi j’ai achevé ma [mot
effacé] de tulle, elle est très jolie. Je vais commencer un voile ; Melle
Louise a eu la complaisance de me donner un joli dessin. Malgré que je sois
toujours dans l’enchantement d’être la fille aînée de la maison, tu me fais
un grand vide et je commence à reconnaître qu’une vieille sœur a
bien son prix. Adieu, ma chère Nancy, je t’embrasse et quoique j’en dise j’attends
ton retour avec bien de l’impatience.
Ton affectionnée sœur
A B.
Mme Marmonière vient d’accoucher d’une quatrième fille.
Aucune lettre de cette année
Aucune lettre de cette année
2011.02.122 | Jeudi 12 juillet 1832 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
De retour de son voyage en Italie Hector Berlioz séjournait à ce moment chez sa sœur Nancy à Grenoble d’où il devait revenir bientôt à La Côte (CG nos. 280-2). — Sur Louise Boutaud voir R96.863.2.
La Côte St André jeudi [12 juillet 1832]
Je présume que ton pauvre mari t’a
quitté hier, ma chère Nancy, je partage bien toute la peine que ce voyage doit
te faire ; il faut convenir que votre chère tante n’est pas fort aimable, mais
tu as sans doute déjà pris ton parti, ainsi il faut tâcher de l’oublier ;
je pense que tu es maintenant à Uriage, je suis bien aise que tu y passes le
temps de l’absence de famille ; tu y auras beaucoup plus de distractions, et de
toute manière je te félicite de cet arrangement.
Plains-nous donc aussi, ma bonne sœur, nous avons Mr
Anglais depuis hier soir ; mon père comme à l’ordinaire ne peut pas s’y
résigner malgré qu’il n’ait presque pas mis les pieds au salon ; il vient
de me dire qu’il allait se coucher. Cela ne m’a pas beaucoup inquiété parce
que tu sais que c’est son usage en pareil cas, d’ailleurs il a besoin de se
remettre un peu de la frayeur qu’il a eue hier soir. Un incendie horrible a
éclaté au Chuzeau à côté de la ferme de Mme Pion ; comme tu sais qu’on crie souvent pour une poignée de paille qui
brûle, je ne
me suis d’abord pas du tout effrayée, au contraire, je pensais que les mines
attrapées des gens qui allaient
revenir en disant que tout était fini, m’amuseraient beaucoup. Maman,
mon père et les filles y étaient courus ; au bout d’une heure quand j’ai vu
que personne ne revenait j’ai commencé à prendre peur, j’y suis
allée, et je t’assure que j’étais bien loin de m’attendre à ce que je
vis : trois maisons en flammes, plusieurs autres qui couraient les plus grands
dangers, une foule immense, immense occupée à faire la chaîne, et qui de temps
en temps poussait des cris de terreur en voyant des poutres énormes tomber avec
fracas, des murs menaçant à chaque instant d’écraser les gens occupés à
éteindre le feu ; heureusement il n’y a péri personne, et à force de
peine on est parvenu à concentrer l’incendie dans les trois maisons qu’il
était impossible de sauver, et la grange de Mr Pion n’a point eu
de mal, elle en a été quitte pour la peur, mais elle en est presque malade. Pour moi il faut que je te fasse ma confession, mais je t’assure qu’à
part la
pitié que me faisait naturellement les victimes de cet événement je trouvais
ce spectacle magnifique ; il faisait un très beau clair de lune, ces gerbes de
feux qui retombaient au milieu de ces arbres bien droits, cette foule qui se
ruait autour, ces cris, enfin tout cela réuni faisait un coup d’œil vraiment
atrocement beau comme dirait Hector. J’espérais un peu qu’il serait
revenu cette nuit et je l’ai attendu en vain, le temps me dure beaucoup qu’il
revienne, toutes ces belles émotions ne me font pas prendre patience.
Mme Simian est de retour de Tournon, elle est
dans le ravissement de toute cette famille Boutaud ; Louise a trouvé un
appartement meublé comme celui d’une princesse absolument, son beau père lui
remit 1000 fr [?] le jour de son arrivée, en lui disant
« Ma chère fille, plus vous en dépenserez, plus je serai content de
vous » ;
j’espère que voilà qui est gentil, mais c’était fait pour elle, aussi je
suis sûre que cela ne lui paraît pas fort extraordinaire, elle est dans l’enchantement.
J’ai appris tous les détails avec grand plaisir.
J’aurais encore un million de choses à te dire, mais ma
pauvre mère est seule avec son aimable hôte, et tu sens qu’il est temps que
je retourne lui aider un peu à soutenir une conversation qui a déjà été
vingt fois à l’agonie.
Adieu écris-nous vite, donne-nous de
bonnes nouvelles, c’est ce que tu peux faire de mieux.
Ton affectionnée sœur
A B
Baise Hector pour moi si tu le vois.
Aucune lettre de cette année
2011.02.123 | Samedi 24 mai 1834 | À sa mère Joséphine Marmion-Berlioz | Transcription littérale | — |
Adèle était alors en séjour chez sa sœur Nancy à Grenoble. Mathilde Pal, née le 13 juin 1833, avait moins d’un an. — Le petit d’Odile est Ernest Caffarel, né en janvier 1833.
Grenoble samedi [24 mai 1834]
Je profite vite, ma chère Maman, d’un
petit moment qui me reste avant dîner pour vous écrire un mot ; je ne sais
comment le temps passe ici, mais je n’ai pas eu une minute à moi depuis ce
matin ; Mathilde nous occupe une grande portion de la journée, elle est si
gentille, si jolie, qu’on ne s’en passe pas. Hier nous avons couru toute l’après-midi ; je suis allée d’abord chez
mon oncle Victor que j’ai trouvé ainsi que
ces dames, il m’a dit qu’il avait écrit à mon père. Je pense qu’il lui a
fait part de sa nouvelle mésaventure ; le Drac a emporté entièrement
toutes les digues, et les plantations qui lui avaient coûté tant d’argent et
de peine, et vous jugez combien il a dû être contrarié ; aussi tous ses
malheurs coup sur coup l’ont vieilli étonnamment, et il est aussi
changé que ma pauvre tante. Pour Odile [Caffarel] elle avait un peu
repris, mais l’inquiétude que son petit lui a donné lui a fait perdre ce qu’elle
avait gagné ; vraiment il est miraculeux que cet enfant existe, il a eu
des accès de fièvre pernicieuse si violents que trois fois, il est resté
comme mort ; et sa pauvre mère était au désespoir. Enfin à présent il
va tout à fait bien.
Je suis allée de là chez ma tante Félicie que j’ai
trouvée très bien ainsi que tout son monde ; puis chez Mme
Vallet que je n’ai pas trouvée parce qu’elle court toujours ; mais j’ai
vu Fanny qui tenait compagnie à Mademoiselle Victoire son ancienne institutrice,
qui était venue passer deux jours avec elle, et qui m’a chargée de la
rappeler à votre souvenir. Elle nous a fait mille amitiés à Nancy et à moi,
et nous venons de lui envoyer Mathilde qu’elle nous a demandé vivement.
En
sortant de là nous avons vu les dames Mallein et les demoiselles Lastellet,
qui nous ont promis de venir ce soir nous prendre pour la promenade.
Mme Buisson sort d’ici,
elle était dans toute sa parure ; hier nous y étions allés,
mais elle était à table, et nous prenions nos chapeaux pour y retourner lorsqu’elle est entré.
Je ne pense pas, ma bonne mère, qu’il soit possible de m’en
retourner avec elle ; Camille me charge de vous dire qu’il veut
absolument que je tienne compagnie à sa femme pendant son absence, et que si je
ne trouvais pas d’occasions pour m’en aller, il m’accompagnerait
jusqu’a Voiron [?], et que de cette manière tout s’arrangerait très bien, et je me laisse dire tout cela.
Je suis si contente de mon métier de bonne et je me fais une
si grande fête de not[re] séjour à Meylan que je n’ai pas le cou[rage] de
penser encore au retour ; mais ma chère Maman, je suis à vos ordres ;
Camille va bien à présent, demain après la messe il nous mènera à Meylan
où
il passera la journée avec nous ; il doit partir à la fin de cette semaine
seulement. Nous trouverons d’aimables voisines, les dames Fontanil ; elles
sont venues aujourd’hui, et nous ont beaucoup engagé à les voir. Adieu,
adieu ma chère Maman, voilà la troisième fois que je laisse ma lettre, on m’appelle,
Melle et Mme Teisseire viennent d’entrer et on prétend
que c’est pour moi ; je dois vite.
J’embrasse
mon père, mes compliments à Mme Pion.
Votre affectionnée fille, Adèle.
2011.02.124 | Vendredi 6 juin 1834 | À sa mère Joséphine Marmion-Berlioz | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.123.
Meylan vendredi [6 juin 1834]
J’ai reçu hier votre longue lettre,
ma chère Maman, j’ai été [très?] désolée d’apprendre que mon silence vous
avait donné de l’inquiétude ; pour ne pas m’exposer à de nouveaux reproches
je me dépêche à vite vous répondre.
Nous passons toujours notre temps très agréablement, tous
les jours nous avons presque des visites, soit de Grenoble, soit d’ici ; hier Mr
Henri Pal est venu nous demander à dîner ; le soir nous fîmes avec lui
une immense promenade, pour lui montrer plusie[urs] jolies habitations de nos
environs ; il était venu également mardi passé avec sa mère et sa sœur ;
mais ces dames ne vinrent que le soir de sorte que nous ne pûmes pas trop leur
faire admirer les beautés de Meylan.
Mme Pal trouva sa petite fille [Mathilde] bien portante,
si
elle était venue la veille elle n’aurait pu en dire autant ; dans la
nuit du dimanche au lundi elle prit un violent accès de fièvre qui nous a fait
passer deux jours dans l’inquiétude. Nancy écrivit à mon oncle pour le prier de venir s’il
allait à Mont-Fleuri ; il le promit à la domestique, mais lorsqu’elle
fut de retour la petite n’avait plus de mal, en conséquence nous lui fîmes
dire de ne pas se donner la peine de monter. Il paraît que cette petite
indisposition était occasionnée par deux grosses dents qui voulaient se faire
jour ; enfin elle va à merveille maintenant ; c’est un diable s’il
en fut ; personne ne peut plus l’approcher que sa mère et sa bonne ;
pour moi je suis disgraciée irrévocablement depuis que j’ai refusé de lui
passer un caprice par trop violent, depuis lors il n’est sorte de prières,
de supplications, [d]e promesses que je n’ai faites pour rentrer en grâce,
impossible de la décider à venir avec moi ; et dès qu’elle m’aperçoit
elle me regarde avec son air malin, et si je fais un pas pour l’approcher elle
fait des cris épouvantables, puis quand je recule effrayée de ses larmes, elle
prend une physionomie si conquérante qu’elle nous fait mourir de rire ;
mon pauvre grand-père fait des exclamations d’étonnement ; et Bobos
[?] brochant sur le tout, en voulant essayer de rapprocher la tante désolée,
et la nièce endiablée avec des raisonnements si drôles,
achève de compléter la tragi-comédie.
Je suis bien aise d’apprendre, ma bonne mère, que vos vers
à soie vont bien ; ceux de mon grand-père sont bientôt finis, et jusqu’à
présent paraissent réussir ; cependant il ne faut pas encore trop se
féliciter ; ils ont très mal réussi dans les environs, ce qui ne laisse
pas de donner des craintes ; la feuille n’est pas aussi belle qu’à
l’ordinaire,
mais cependant je la trouve superbe en comparaison de celle de la Côte.
Nous mangeons ici force cerises et fraises dont il y a en
quantité, mais dont nous [ne] nous lassons pas.
Je vous remercie, chère Maman, de [nous] donner des nouvelles
de Louise [Boutaud] ; je [suis] fâchée qu’elle n’exécute pas son projet de voy[age],
je voudrais bien la voir ailleurs qu’à Pointières.
Je vous prie de vous informer si elle a reçu un
paquet de laine rouge que j’avais remis à Prud’homme pour le mettre dans la
caisse de mon père ; depuis que je suis ici je n’en ai pas su nouvelle,
et comme il y en a pour cinq francs je ne serais pas amusée qu’il fut perdu ;
ne manquez pas de me rassurer dans votre prochaine lettre.
Adieu, ma chère Maman, ne vous fatigue[z] pas trop ainsi que
mon père ; dites de ma part à notre aimable voisine que je compte sur elle pour vous soigner un peu
tous deux, et embrassez-la de ma part ainsi que mon père et Prosper.
Votre affectionnée fille Adèle
Mme Buisson vous a-t-elle remis vos gants ?
2011.02.125 | Mercredi 6 mai 1835 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | Image |
Sur Sophie Munet, la famille de son mari, et l’Abergement voir R96.864. — ‘Un jeune veuf pour beau-frère’: la sœur de Sophie avait épousé le frère du mari de Sophie, mais était décédée le 29 janvier 1834 (nous remercions Josiane Boulard pour ce renseignement).
L’Abergement le mercedi 6 mai [1835]
J’ai bien du temps de libre ici, ma
chère Nancy, pour t’écrire de longues lettres ; ce sera plus qu’un
plaisir pour moi, c’est un besoin. Depuis mon départ de Lyon il me
prend par moment une tristesse affreuse de me sentir si loin de vous tous ;
il me semble que je suis dans un pays perdu ; je passe mon temps d’une
manière très calme et très uniforme, cependant je ne m’ennuie pas le
moins du monde. C’est absolument mon genre de vie de la Côte, animé par la
société d’une amie intime d’un commerce très agréable, et cela seul me
suffit ; nous travaillons beaucoup en babillant, nous avions tant de choses à
nous dire ! Puis nous avons des livres intéressants ; nous jouons
avec les enfants, et cela me rappelle ma petite Mathilde ; après cela
nous faisons tous les jours d’immenses promenades. Le pays n’est pas très
curieux à parcourir mais dans ce moment la campagne est toujours belle ;
nous sommes presque habituellement seules Sophie et moi, ces Messieurs sont
tous les jours dans les champs, du reste j’aime autant et même mieux car ce
sont des jeunes gens, si graves, si polis, si saints, si parfaits en un mot, que je ne suis pas encore très à mon aise en leur
présence. Ce n’est pas que je les croie très redoutables, car leur
conversation est si simple que je puis bien me mettre à leur niveau ; mais
c’est un genre qui m’engourdirait plutôt. Sophie se trouve très
heureuse, dans le fait elle a tous les élements d’un vrai bonheur ; son mari est
bon, attentionné, doux, bien élevé, riche, beau garçon, jeune ; eh
bien je n’ose presque te l’avouer, ma chère Nancy, je ne voudrais pas
d’un bonheur semblable ! .. C’est si calme, si fade, que c’est à en
faire soulever le cœur ; point d’exaltation, rien, rien qui ranime, pas même
la plus légère contradiction, c’est trop de perfection vraiment, j’aimerais
presque encore mieux un aimable mauvais sujet. Ne me gronde pas, bonne sœur,
de mon enfantillage, ce n’est qu’à toi seule que je dis de semblables folies. Mais je ne veux pas qu’elles me fassent oublier de te parler de mon charmant
voyage sur le bateau à vapeur ; j’en suis encore dans le ravissement, ce sera
un des souvenirs les plus agréables de ma vie. Le temps était à souhait,
nous avons pu rester sur le pont presque tout le jour ; nous avions une
immensité de compagnons de voyage de toutes espèces ;
de beaux jeunes gens à moustaches ! de jolies et gracieuses jeunes
femmes, et surtout de ravissantes petites filles qui faisaient faire le péché
d’envie ; puis mieux que tout cela encore deux Anglais !
Comprends
donc ma joie Nancy, moi qui désirais depuis si longtemps d’en voir ;
j’ai pu les écouter, les examiner à mon aise, ils chantaient, ils causaient
avec chaleur, et leurs physionomies étaient si expressives, leurs gestes si
animés que je comprenais leur admiration pour le beau pays qui nous parcourions.
Tu m’avais beaucoup vanté les rives de la Saône, elles ont encore
surpassé
mon attente ; j’étais si heureuse par moment qu’il me semblait
rêver,
tout était enchantement pour moi ; ce que c’est que de n’être point
blasée ! .........
Je te voudrais ici avec moi, chère et bonne sœur, pour te
faire apprécier davantage ton intérieur de famille (ta belle-sœur à part
bien entendu). Figure-toi une vieille belle-mère de 88 ans, bonne, mais froide et
sévère, et qui pour ma part m’a horriblement intimidé ; à présent
je ne la redoute presque plus ; plus un beau-père, grave et silencieux autant
que possible ; un jeune veuf pour beau-frère, qui est sombre,
très convenablement, et qui ne s’occupe que de sa petite fille, tout cela
réuni dans une maison de campagne isolée, et à côté de laquelle tu
trouverais ton St Vincent un paradis terrestre ; presque jamais de visites
autre que celle d’un bon et simple curé ; vois, chère amie et compare !
........
Demain s’il fait beau nous devons aller passer la journée
à Bourg ; c’est très près d’ici, et Sophie est bien aise de me faire faire
ce petit voyage ; moi, j’en suis enchantée ! Cette pauvre amie me répète
à chaque instant combien elle est heureuse de m’avoir, elle me comble de
témoignages d’amitié ; elle se tourmente beaucoup dans la crainte que
je ne m’ennuie, mais elle a tort tout à fait, il n’en est rien.
Adieu, ma chère Nancy, peut-être trouveras tu les détails
que je te donne un peu longs, j’avais trop besoin de te mettre au courant de
tout ce que je fais. Je pense que ma lettre te trouvera établie chez toi ;
notre pauvre mère doit se trouver bien tristement depuis ton départ ; je lui ai
écrit avant-hier une grande lettre dans l’espoir de la distraire, pour toi j’aurais tant et tant de
choses à te conter que je ne
puis me résigner à finir ; cependant il faut garder quelque chose à nous
dire. Adieu.
Des amitiés par centaines à ton Camille, et à ma chère
petite nièce des millions de baisers.
Toute à toi
Ton affectionnée sœur
A B
2011.02.126 | Jeudi 14 mai 1835 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.125.
L’Abergement le 14 mai jeudi [1835]
Je suis bien reconnaissante de ta longue
et aimable lettre, ma chère Nancy ; d’après ce que tu me dis du trouble qui
règne dans votre intérieur, je ne saurais assez te remercier d’avoir pu
surmonter ton ennui et ton irritation au point de me mettre au courant de tout
ce qui m’intéresse. Le mariage de ta cousine Louise m’a peu
étonné,
mais comme toi je suis encore à comprendre comment elle est assez résignée
pour aller habiter avec un vieux beau-père et sa sœur ; pour moi dont la
position est bien différente de la sienne sous tous les rapports, je
crois que jamais je n’y aurais consenti ; l’expérience de toutes les jeunes
femmes à commencer par toi et à finir par Sophie, me prouve que c’est
chose
fort ennuyeuse, et très difficile à supporter même pour les meilleurs
caractères. Aussi je prie Dieu de toute mon âme de n’être jamais mise
à semblable épreuve, je ne suis pas assez parfaite ! Conclusion !......
Depuis ma dernière lettre notre
genre de vie s’est beaucoup animé ; ces Messieurs se sont tout à fait
apprivoisés
avec moi, ils causent bien, et je vois maintenant qu’il ne leur manquait que
la bonne volonté de montrer tous leurs moyens. Les heures des repas sont
toujours maintenant très agréables ; les grands parents et le
vieux intendant parlent de leur coté très gravement ; mais nous, tout bas,
nous plaisantons à qui mieux mieux. Je vois les gens et les choses sous
un aspect beaucoup plus favorable que les premiers jours ; le pays est vraiment
riant et très varié, nous faisons toutes les après-midi de longues promenades,
il y a dans les environs tout plein de petites villes dans le genre de la Côte
et même mieux ; ainsi les buts ne nous manquent pas. Nous avons une
ânesse
sur laquelle nous montons alternativement, de la sorte nous pouvons faire de plus
longues courses ; ces Messieurs nous accompagnent, et se divertissent un
peu à nous faire galoper pour juger de notre adresse ou plutôt de notre
gaucherie. Dimanche pour varier un peu ils cédèrent enfin aux instances
de Sophie et se mirent à chanter chemin faisant,
seuls et en partie, de manière à me faire grand plaisir ; ils ont tous deux d’assez
jolies voix, mais surtout le mari de Sophie, aussi il fallait voir comme elle
était contente de mon admiration. Les femmes aiment tant à fait ressortir
leur mari, par tous pays elles sont de même, je le vois bien ; l’autre
jour nous avons fait de bons rires à ce sujet, sur la route de Bourg ;
mais je te conterai tout cela plus tard. Que je te dise seulement que
notre voyage fut on ne peut plus agréable, mais à part les promenades, et l’église
de Brou, le reste de la ville a peu répondu à l’idée que je m’en
étais formée ; je trouve que Grenoble est un second Paris en comparaison.
Nous devons aller à Mâcon cette semaine ; l’on m’assure que cela vaut
infiniment mieux, nous verrons ? Pourvu que Mme Sabine ne s’arrange
pas de manière à trop brusquer mes plaisirs ; Sophie ne peut se résigner
à cet arrangement, elle voudrait absolument me garder au moins six semaines, et
se chargerait de me ramener ; mais malgré tout le désir que j’en aurais,
je ne parlerai pas de cela à ma bonne mère ; je sens trop
combien il est généreux de sa part de se passer de moi dans ce moment, son
isolement m’attriste quand j’y songe. Je compte beaucoup sur tes lettres et
les miennes que je ne ménage pas, et sur la société de Mme Pion
pour la distraire.
Pour moi je me trouve si bien ici que j’aurai de la peine
à en partir ; Sophie ne cesse de me remercier de ma visite, elle prétend
que de parler avec moi était un besoin impérieux pour elle, et que ses
malaises ne venaient que de ses longs silences. Aussi Dieu sait que nous ne
ménageons pas le remède ; ces Messieurs s’amusent souvent à nous
regarder parler de loin, et ne peuvent comprendre comment nous y tenons, ils
nous contrarient toujours à ce sujet ; mais tout en riant avec eux nous n’en
disons pas un mot de moins.
Je voudrais pouvoir te faire connaître et apprécier
Sophie, ma chère Nancy, je suis sûre que tu l’aimerais aussi ; elle est
si naïve, si bonne, et avec cela a tant de raison, un jugement si parfait, que
je suis toujours à l’admirer. Je crois que ma visite me sera très utile sous beaucoup de rapports ; je remarque aussi avec plaisir qu’elle
a souvent les mêmes idées que toi sur bien des sujets ; depuis son
mariage elle s’est formée d’une manière extraordinaire et c’est une
femme parfaite, si toutefois il y en a ?.......
Je ne puis me résigner à finir, chère sœur, j’ai encore
tant à dire ; mais l’heure du dîner approche, Sophie m’attend, et
veut même absolument que je te remercie particulièrement de sa part pour avoir
bien voulu engager Maman à me laisser venir ! .....
Adieu, chère et bonne Nancy, il y a des vis[ites a]ujourd’hui,
il ne faut pas que je me fasse attendre ; ne m’oublie pas auprès de mon
cher frère Camille, je t’embrasse bien tendrement ainsi que Mathilde.
Ton affectionnée sœur
A B
2011.02.127 | Dimanche 24 mai 1835 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.125. Sur les rapports de Nancy avec Rosanne Goléty voir la table des lettres de Nancy Berlioz-Pal.
L’Abergement le dimanche 24 mai [1835]
J’attendais ta lettre avec grande
impatience, chère Nancy, et je t’en remercie bien
malgré le ton un peu sévère que j’y ai trouvé à chaque ligne et qui m’a
chagriné beaucoup
à la première lecture ; puis en y réfléchissant je me suis convaincue
que ton intention n’était pas de me gronder, et pourquoi le ferais-tu en
effet, chère sœur ? Je prolonge beaucoup mon séjour ici, c’est vrai,
mais c’est d’après les offres réitérées de notre bonne mère que je n’ai
pas cru mal faire en cédant aux instances de Sophie ; et quoique tu en
dises, belle Dame, je ne galope point à droite et à gauche la bride
sur le cou, de manière à avoir de la peine à rentrer sous le joug
maternel, suivant tes propres expressions. Je suis dans
une famille aussi respectable et considérée que possible, tout le monde y a un
ton très réservé, et très convenable sous tous les rapports ; la vieille
grand-mère malgré ses 88 ans, n’est ni sourde, ni aveugle, ni impotente,
bien loin de là et je réponds que c’est un Mentor qui en vaut bien d’autres ;
quant aux Messieurs ce que je puis te dire de plus capable de te rassurer, c’est
que depuis que je t’ai quitté je ne me suis pas trouvée une seule fois
(entends-tu bien ?) dans une position embarrassante pour une jeune personne,
jamais un mot de trop, jamais ! ........ Quant à ma conduite à moi je ne
pense pas avoir rien à me reprocher sous aucun point et tu sais que je
suis difficile à contenter ; je sais positivement que Mmes
Gautier et Munet m’ont trouvé l’air bien élevé et surtout très
réservée !.. Pour
les hommes Sophie m’a avoué qu’ils m’avaient jugée un
peu froide au premier abord, mais à part cela hem !
.... je te conterai, puis les compliments, je ne veux pas que tu en perdes un mot ;
lis je te prie une portion de ma lettre à Camille, j’ai peur que lui aussi ne
se tourmente un peu de ce que je deviens ici, et je tiens singulièrement à
vous rassurer tous deux. Dis-lui que la Chinoise a fait de l’effet
ici (modestie à part !),
on a déclaré à l’unanimité que coiffée ainsi je n’avais que quinze ans ;
du reste Sophie sagement ne m’en donne que 18 en dépit de notre conformité d’âge
que j’oublie de nier à chaque instant, et ce qui m’attire des reproches de
sa part. Cette bonne amie a une vanité extrême pour moi, et sait très bien
sans la moindre affectation faire ressortir ce que j’ai de passable ; je
suis entre bonnes mains, je te le repète, et malgré ma mauvaise tête je
saurai profiter d’un aussi bon modèle ! ...
À présent parlons de mon voyage à
Bourg, chère Nancy, il faut que j’ai le cœur net de tous tes reproches ;
Maman m’en a fait beaucoup aussi à ce sujet, et Dieu sait que j’ai été
horriblement triste de tout cela ? moi qui avait cru agir très sagement en
passant dans cette ville incognito ; je pensais qu’il valait
mieux ne pas aller tomber comme de la lune dans la famille Goléty ;
expliquer avec qui, chez qui, et où j’étais ? j’étais si lasse
des présentations, et des visages inconnus, que je conviens que la froideur
ordinaire de Mme Rosanne n’était pas capable de m’encourager
assez pour surmonter ma timidité ; puis je redoutais (puisqu’il faut
tout dire) la comparaison des
deux sœurs, cette idée-là m’aurait rendue encore cent fois plus gauche et
plus bête ; mais enfin j’aurais surmonté tout cela, n’en doute pas je
te prie chère sœur, si je n’avais cru faire mieux que bien, et si je avais
su que tu le désirais ainsi que nos parents ; il y a de quoi me dégoûter
à jamais de mes prudences mal placées.
Voilà ma confession faite sur tous les
points ; il ne me reste plus qu’à faire des vœux pour qu’elle te trouve
disposée à l’indulgence et à l’équité ; c’est la
dernière fois
que tu recevras de mes nouvelles d’ici, nous partirons probablement samedi
pour Lyon, Mme Pion n’y arrivant que lundi il est à présumer que
je ne serai à la Côte qu’à la fin de l’autre semaine. Ainsi je te prie,
réponds-moi chez Mr Gautier ; tu me feras grand plaisir de me dire si
mes explications t’ont pleinement satisfaite.
La lettre de Mathilde m’a rendue fière et contente de son
petit souvenir ; il me tarde bien de revoir cette chère petite. En attendant je
pouponne bien ici, et souvent je me trompe et j’appelle Mathilde pour Helène
ou Melchior ; ce sont aussi de beaux et gentils enfants que je me prends à aimer
tout à fait, et dont je veux te parler longuement à mon retour ; mais qui
sait quand je te verrais ? et pourtant j’aurai tant et tant de choses à
te conter ! ...
Adieu, ma chère Nancy, Sophie trouve que je ne
finis plus, et s’impatiente chaque fois que je bavarde si longuement avec toi.
Adieu, adieu je t’embrasse tendrement ainsi que Camille et Mathilde.
Ton affectionnée sœur
AB
P.S. J’oubliais de te remercier de nous avoir découvert une cuisinière, vraiment j’en suis bien contente ; j’ai écrit hier à Maman, et je n’ai pas songé à l’en féliciter.
Aucune lettre de cette année
2011.02.133 | Dimanche 31 décembre 1837 (?) | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Cette lettre semble être la première à traiter de la maladie de Joséphine Berlioz dont elle allait mourir quelques semaines plus tard (voir les lettres suivantes).
La Côte St André, dimanche [31 décembre 1837 (?)]
Je t’envoie enfin le fameux volant,
ma chère Nancy, il y a bien fallu toute ma ténacité pour le finir hier. J’avais
travaillé toute la semaine avec ardeur, aussi les huit aunes que je m’étais
imposées étaient terminées de bonne heure, mais le peu que j’avais voulu
faire broder m’a donné plus de peine que tout le reste, d’abord pour
trouver des ouvrières, puis elles me manquaient de parole, me faisaient des bêtises malgré toutes mes précautions.
Enfin si tu n’es
pas contente ce ne sera pas ma faute, chère sœur, j’ai fait de mon mieux pour
tout.
Je veux me débarrasser avant de parler d’autres choses de
l’article commissions. La plus importante, le brochet, tu peux
y
compter, on le pêchera jeudi, il sera de dix à douze livres, nous te l’enverrons
par Dumont avec une provision de beurre frais, des
fleurs, et une nappe que Maman te
(prêtera) ; le gibier se trouvera aussi, je pense, on ne peut l’acheter d’avance
et dans tous les cas nous t’avertirons à temps …… voilà.
Tes lettres nous font toujours grand plaisir, chère amie, Maman
s’intéresse à tout ce que tu racontes de tes plaisirs, elle jouit de penser
que toi au moins tu passes quelques moments agréables. Pour nous tous les jours
sont aussi tristes, Maman est toujours de même, c’est désolant, je ne
vois pas de terme à cette maladie, elle n’a pas eu la force d’aller à la
messe aujourd’hui, et se plaint maintenant d’une douleur de côté.
Son dégoût pour les vivres continue ; mon père s’en
inquiète, il craint que l’estomac s’accoutume trop à se reposer, et
que Maman perde ses forces ; tu sais que ce n’est pas sa crainte ordinairement,
et cela m’étonne beaucoup. Je suis ennuyée plus que je ne
saurais dire et je finis l’année dans une triste disposition d’esprit ; je
me suis fait un long sermon avant de commencer ma lettre pour me décider à ne
pas te faire de lamentations ; je me permettrai seulement de te dire que les
visites ennuyeuses me tuent !…. Je croyais de ne pouvoir trouver un
instant pour t’ecrire, de l’une à l’autre c’est continuel et les moins
agréables sont les plus longues
et presque habituelles ; si cela dure encore quelque temps mes pauvres nerfs en
seront victimes !.. Conçois donc, pas une minute de solitude et de liberté !…..
Maman ne pouvant pas trop parler il faut que je m’extermine moi pour soutenir
la conversation absolument, et encore j’ai l’air enchanté, cela fait plaisir
à Maman trop heureuse ! À chaque jour suffit sa peine ; je me couche tous
les soirs rendue de corps et d’esprit ;
patience égale.
Prudemment j’essaye de m’accoutumer à
l’idée de point aller à Grenoble ce carnaval, je me surprends par ma
résignation quelquefois ; il y a trois ou quatre ans une pareille perspective
m’aurait mise au désespoir ! La belle chose que de vieillir ! ….
Je prendrais mon parti de
tout, pourvu que tu te portes bien et que tu sois contente ; cette pensée me
repose délicieusement l’esprit, que te manquerait-t-il dans ce moment pour
cela ?… Ainsi donc pour souhait de bonne année je désire que rien ne
change autour de toi … santé, repos, aisance, n’est-ce pas le bonheur avec
un Camille et une Mathilde….. ? À propos de cette chère
petite endiablée je lui envoie un petit ménage très complet,
j’aurais voulu trouver mieux mais c’est peu facile ceci ;
ce n’est donc qu’un petit souvenir de sa folle de tante, qui la punirait
bien ce soir de bon cœur en rugissant [?]. Cependant jeudi Mr Hypolyte m’invita avec mes
fillettes, vraiment je suis charmée de cette attention, il pleuvait, je m’ennuyais
et cette diversion était précieuse. Les dames Pion sont toujours absorbées
dans leurs affaires, puis je t’avoue que j’ai perdu l’habitude des
conversations malveillantes, des curiosités sur tout le monde et toutes choses ;
j’y trouve moins que du plaisir, de l’irritation…
L’autre jour j’allai chez ces Dames un moment, il ne fut
question que de la douleur [de] Mme
Jîmieu critiquée, comme [lacune]
sans pitié on savait tout [lacune] ..
puis Mme Sab[ine… lacune …]ant sur tout on
s’étonnait, on s’exclamait sur sa manière de vivre après la
banqueroute
de son mari ; je ne trouvais rien à répondre, mais je souffrais plus que je ne
puis dire et n’y suis pas retourné depuis. Avec tout ce
genre intolérable la belle Nancy devient laide et ne fait pas fureur, à ce
qu’il paraît la République n’aide pas à trouver des maris ; Mr
Monet attend toujours aussi que son usine reprenne ses travaux, comme François
son inaction l’irrite, je les comprends ; ma tante doit s’agiter de l’avenir
de ses enfants si fort compromis, la perspective de se faire paysan à
Murianette est peu séduisante à mon avis, et je regrette doublement pour lui
Melle Monet ; je n’ai
pas su si le mariag[e…] se faisait cette saison et si [les] Assises étaient
terminées, Mme [Ve]yron étant à Rives je ne la [verr]ai pas.
Adieu, chère sœur, l’idée de retourner chez moi me fait
battre le cœur de joie, mais quand je regarde notre pauvre père il ne me reste
plus que de la tristesse…. et du découragement ; je t’écrirai un mot avant
de partir. J’embrasse Mathilde de moitié avec toi tendrement
A
Pour le chapeau je n’ose rien promettre de positif.
2011.02.129 | Samedi 13 janvier 1838 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.133. Quelques jours après cette lettre Adèle écrivit à son frère Hector; la lettre de ce dernier à sa mère datée du 18 janvier (CG no. 535) reprend évidemment les termes d’Adèle qui décrit la maladie comme un rhumatisme.
La Côte St André samedi soir [13 janvier 1838]
Tu as vraiment bien fait, chère
amie, de ne
pas te casser bras ou jambes en tombant, car je ne t’aurais pas pardonné
cette sottise, dans ce moment surtout ; j’ai besoin de vous tous
dispos, et satisfaits, c’est la seule pensée qui me repose de mes tristes
préoccupations.
Maman a été encore très souffrante depuis ma dernière
lettre. Les douleurs dans le côté étaient revenues pires que jamais,
hier soir elle ne pouvait faire un mouvement dans son lit sans crier ; aujourd’hui
elle sont beaucoup moins fortes, elle est calme et ne s’inquiète
pas à notre grand soulagement ; je ne sais si je dois attribuer ce mieux
aux sangsues qu’on a appliqué ce matin et qui saignent encore ?
Il paraît prouver maintenant que ma pauvre mère a un rhumatisme
aigu, des moins violents
il est vrai, mais comme au lieu de se porter sur un membre, il est dans l’intérieur, il sera je
le crains plus long et plus difficile à guérir. Il faut
donc s’armer plus que jamais de patience, et se trouver heureux encore d’être
exempt d’inquiétudes sur la gravité de la maladie.
Pour tout le reste grâce à Dieu je me sens du courage, je ne
veux pas absolument me laisser dominer par l’ennui, et quand je serais tentée
de cela je songe vite aux gens plus malheureux que nous,
à Mme Scimieu [?] par
exemple qui depuis 17 jours ne peut faire un mouvement dans son lit à cause d’un dépôt de lait qu’elle a au bras et qui la fait souffrir le
martyre ; en pensant à la position de cette malheureuse femme je rougis de me
plaindre.
Les jours s’écoulent bien vite tout tristes qu’ils sont
pour nous ; on a assez à faire d’un remède à l’autre, on arrive au soir sans avoir le temps de se retourner ; Monique jusqu’à
présent a couché dans la chambre de Maman mais c’est à mon tour
maintenant, et j’ai déclaré que je voulais qu’elle se reposât, si cela se
prolonge tout l’hiver il ne faut pas s’abîmer tous à la fois ; la force et
la bonne volonté ne me manquent pas, ainsi ne t’inquiète pas de moi
chère s[œur.]
Mon père est plus résigné [mais?] sa santé est passable,
Maman [est] plus calme, et sa force est étonnan[te] pour quelqu’un qui ne
mange rien que quelques cuillerées de bouillon clair. Depuis quinze
jours, elle n’a pas de fièvre maintenant, cela me tranquillise beaucoup.
Tes lettres lui font grand plaisir, cela la distrait un peu
des ses maux ; je lui ai lu la relation de ton dîner brillant, mais j’ai cru
prudent de ne pas lire l’article du Parterre. Je te
remercie des détails que tu me donnes sur les plaisirs de Grenoble ; l’année
prochaine qui sait si je ne prendrai pas ma revanche ? En attendant amuse-toi pour deux ; je compte sur une invitation
du bal de Mme Simon, il me faut cette distraction, ainsi fais-toi
belle, chère sœur, et vas-y !
Adieu, adieu, je te dis les choses telles qu’elles sont, ainsi ne te tourmente pas hors de propos ; sois tranquille, je
ne voudrais pas t’abuser, ce n’est pas mon système, écris-moi à ton aise
aussi ; je prends mes précautions, dis ce que tu voudras.
Je vous embrasse bien tendrement ; mille choses tendres à
Camille de ma part et à mon cher Bijou. Ton affectionnée AS
2011.02.130 | Jeudi 18 janvier 1838 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | Image |
Voir 2011.02.133. Sur le bal auquel Nancy venait d’assister voir la lettre précédente (2011.02.129).
La Côte St André jeudi soir [18 janvier 1838]
Je t’écris aussi au lendemain,
ma chère Nancy, mais il a peu de rapports avec celui d’un bal, j’ai passé la
nuit à faire mon bas, près du lit de Maman.
J’étais si heureuse de l’entendre dormir quelques
instants, de sentir mon père et Monique se reposer un peu, que je ne sentais
pas le moindre sommeil, le calme qui régnait autour de moi me faisait éprouver
une jouissance indicible.
Maman me semble un peu mieux, les angoisses nerveuses
ont été moins violentes le matin, car c’est toujours entre huit et neuf
heures que la crise (je ne saurais appeler cela autrement) est plus violente ;
grâce à un lavement d’opium elle est très calme depuis plusieurs heures ;
ces courts moments de trêve sont bien précieux pour nous tous, on reprend
courage, on en a besoin !!
Cela m’attriste, chère sœur,
de répondre à tes descriptions de fêtes et de toilettes brillantes par
des détails de maux et de remèdes ; depuis ma dernière lettre on applique
encore ses sangsues sur le terrible côté, puis après des ventouses, et
ensuite un large vésicatoire par-dessus tout cela ; en espérait beaucoup de
ce dernier pour attirer l’irritation à l’extérieur, mais il ne donne pas
et la douleur est toujours de même à peu de chose près ;
Monsieur Buisson serait d’avis encore des sangsues ; mon père d’un
autre vésicatoire, et Maman est si lasse des essais inutiles qu’elle ne veut
plus que le repos ; je conçois bien son découragement, on en aurait à moins.
J’ai l’esprit si péniblement préoccupé, chère
sœur, que
j’avais oublié le fameux bal ; je m’étonnais beaucoup de
ton silence
depuis vendredi passé, Maman en était presque un peu irritée,
de sorte que je ne savais trop que faire ce matin avec ta lettre. J’avais peur
que le récit des plaisirs ne fît un mauvais effet dans sa disposition d’esprit ;
il n’en a rien été grâce à Dieu, elle s’est intéressée plus que je n’osais
l’espérer aux détails que tu nous donnes.
Mon père ne va pas mal, mais il est sourd d’une
manière désespérante ;
du matin au soir il faut que je répète le moindre mot, que je serve d’écho
au plus léger gémissement de notre pauvre mère, encore le tout contie[nt]
des quiproquo. Quand je suis enco[re]
fatiguée j’ai toutes les peines du monde à retenir un mouvement d’irritation ;
cela est souverainement injuste, je le sais, et je fais tous mes efforts pour
dissimuler ce que j’éprouve.
Adieu, chère sœur, adieu je prends mon mal en patience et j’espère
toujours pour le lendemain ; je crois qu’on finit par s’accoutumer
à tout. Il
me semble je ne saurais plus avoir d’autres idées ; adieu,
adieu, je ne sais ce que je dis, je rêve debout.
Camille depuis un siècle ne me fait dire un mot d’amitié,
Mathilde m’oublie ! Mais pas toi, j’en suis sûre, chère Nancy.
Toute à toi
AB
Nos compliments bien empressés à Mme
Augustin.
Les fameuses Lancettes pour samedi ; si tu pouvais aussi me
choisir quelques livres chez Maréchal ce serait une charité.
2011.02.131 | Mardi 30 janvier 1838 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.133. Depuis la lettre précédente (2011.02.130) Nancy Pal avait rendu visite à ses parents à La Côte et venait de repartir; sa lettre du 1er février (2011.02.284) est en réponse à cette lettre.
La Côte – mardi [30 janvier 1838]
Le Mieux se soutient !... il
est sensible aujourd’hui même pour notre bonne mère ; félicitons-nous
donc, chère sœur, et prenons courage, nous marchons, et pour être
moins rapide, notre marche en sera plus sûre. Hier après ton départ maman
dormit quelques heures ; l’après-midi fut moins tranquille, deux
tentatives pour avaler de l’opium provoquèrent des efforts violents et des
vomissements qui nous effrayèrent un peu ; mais plus tard elle prit du bouillon qui lui redonna des forces, elle se leva sans éprouver de faiblesses,
et resta deux heures sur son fauteuil, tout à fait bien à notre grande
joie. Elle m’écouta longtemps lire avec plaisir, puis Mme Pion
vint, elle prit part à notre conversation, comme une personne bien portante. Je jouissais délicieusement et je regrettais que tu ne
fus pas là, chère Nancy, pour partager ma joie ; la soirée fut excellente, j’espérais
une aussi bonne nuit, mais elle n’a pas dormi du tout. Ce matin un lavement d’opium
a encore occasionné le même effet qu’hier ; c’est étrange, mais à
présent
il sera tous les jours moins nécessaire, ainsi cela m’inquiète peu.
Maman vient de remplacer sa mauvaise nuit par un sommeil paisible de trois
heures ; en se réveillant elle a pris une soupe un peu plus forte qu’à l’ordinaire
qui ne la fatigue nullement, une petite dose d’eau et de vin sucré a bien
réussi également, et depuis hier ce n’est pas la première ; mais nous
irons bien prudemment, sois tranquille.
Pendant que je t’écris Maman essaye de se
rendormir ; j’ai soussigné la poste et je puis à mon aise te communiquer mes
bonnes nouvelles.
Mon Dieu que cela fait du bien de ne plus
avoir de montagne sur l’estomac ! Je respire ; mes nerfs se
détendent ; c’est bien temps, ma chère, il me semble que la mesure était
comble et je remercie le ciel cent fois par minute d’être enfin venu à
notre secours ! ...
Je ne puis te dire combien je suis contente de pouvoir t’écrire
sans combiner mes phrases, franchement sans arrière-pensée te dire que Maman
est mieux, décidement mieux, qu’elle-même en convient, qu’elle ne
se désole plus, qu’elle commence à faire des projets pour manger.
Cependant en nous répondant, ne parle pas trop de tout ce que je te dis, il
faut encore des ménagements ; un mieux officiel impatienterait peut-être ?
Mais je suis satisfaite quand même !...
J’ai vu aujourd’hui sur le journal la
décision sévère du Ministre de la Guerre au sujet du duel de Vesoul, le Chef
d’escadron qui s’est battu est destitué, un des témoins condamné
à un mois de prison et le second aux Arrêts de rigueur pendant
quinze jours ainsi que le colonel !… C’est un peu fort pour ce
dernier et je conçois son irritation, on n’en aurait à moins ; si j’ai
le temps je lui écrirai à ce pauvre oncle [Félix Marmion].
Adieu, chère sœur, soigne-toi, tu dois avoir besoin de repos
et de distraction après ta campagne de la Côte ; jouis sans arrière-pensée du
plaisir de te retrouver chez toi près de ton bon Camille et de ta Mathilde,
sors un peu je te l’ordonne et ne t’inquiète plus de nous maintenant.
Nous
ne sommes pas si à plaindre, et tu as bien fait de partir je te le répète ;
je jouis de te savoir plus agréablement qu’auprès de nous,
cela me console de tout ; j’aime mieux gémir seule qu’avec ceux que j’aime,
mais maintenant je ne gémirai plus j’espère. Ainsi soyons tous contents ; adieu,
adieu, mille et mille amitiés à mon bon frère Camille ; j’ai eu beaucoup de
remords de ne t’avoir chargé de rien de tendre pour lui, mais j’étais si
péniblement [ab]sorbée que je suis pardonna[ble], maintenant que j’ai l’esprit
[et] le cœur plus contents ma première pensée est pour mon bon frère, et ma
Mathilde. Je vous embrasse tous bien tendrement.
Toute à toi
AB
2011.02.132 | Janvier-début février 1838 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.133.
La Côte lundi soir
Je saisis avec empressement, chère sœur,
toutes les occasions de te donner des nouvelles de notre bonne mère ; je serais
bien heureuse si je pouvais enfin t’annoncer un Mieux positif, le
moment n’est pas encore venu, et je ne puis que te répéter ma formule ordinaire
depuis un mois, « c’est toujours de même ». Il y a
des gens qui penseraient que je ferais aussi bien de ne pas t’écrire si
souvent n’ayant rien de mieux à dire, mais moi je pense que tu préfères
encore savoir à quoi t’en tenir jour par jour, de cette manière on s’inquiète
moins s’il est possible.
Maman a été passablement cet après-midi, elle est resté
levée sans trop de fatigue une heure de plus qu’hier ; j’ai remarqué qu’il
y a toujours alternativement un jour moins mauvais que l’autre,
les douleurs n’ont pas été aigües, les angoisses nerveuses moins fréquentes ;
Monsieur Buisson a décidé d’accord avec mon père qu’il fallait
cependant se décider demain à faire une nouvelle application de sangsues, et
à frotter les piqûres avec la terrible pommade épipastique ;
je frissonne au seul nom de ce remède, très efficace il est vrai, mais si
douloureux !…..
Je ne saurais t’en dire plus long, chère sœur, je suis si
asphyxiée
d’ennui, de froid, de sommeil qu’il me serait impossible de rien tirer de ma
pauvre tête ; je suis incapable d’autre chose que de chauffer des linges
à Maman, de gémir, et de foudroyer mon bas,
c’est mon souffre-douleur.
Adieu, adieu, je vous embrasse tous bien tendrement.
Ton affectionnée
AB
Maman s’étonne de l’indifférence de
mes oncles et tantes à son égard, est-ce à tort ? Mr
Charles Bert qui te remettra ma lettre pourra te parler plus en détail de
l’état de Maman, il l’a vue hier.
Mon père réclame encore ses Lancettes, et voudrait
savoir si le cher Prud’homme est payé ?
2011.02.135 | Lundi 8 avril 1839 | À son père Louis-Joseph Berlioz | Transcription littérale | — |
Sur le mariage d’Adèle et Marc Suat le 2 avril 1839 voir R96.861.1.
Anjou lundi soir 8 avril [1839]
Étant resté un jour de plus ici, mon cher
papa, je craindrais que vous ne fussiez en peine si j’attendais notre
arrivée
à St Chamond pour vous donner de nos nouvelles.
Je ne puis vous dire, mon bon père, avec [q]uel aimable
empressement nous avons été [ac]cueillis par la famille Jourdan, on
[n]ous attendait ;
hier nous avons eu un grand déjeuner chez le père, puis le soir un dîner splendide
ici chez son fils aîné ; c’est tout à fait une maison montée pour
recevoir,
rien n’y manque, aussi mon oncle se retrouve sur son terrain, lui qui aime tant
le confortable ; j’ai occupé sa chambre d’honneur, et la
première place à
table, chose qui me troublait un peu.
Mais j’en jouissais de devoir toutes ces aimables
distinctions à mon bon mari qui est traité comme l’enfant de la maison.
Nous partons demain matin, et nous arriverons à quatre
heures à St Chamond. Je pense que Camille vous quitte aujourd’hui,
mon bon père, et cette pensée m’attriste plus que je ne puis dire ; quand je me
vois entourée de tant d’affection votre isolement me trouble comme un
remords.
Le temps est si froid et si mauvai[s] depuis notre départ que je crains que vous
n’ayez été privé de vos distraction[s] ordinaires ; écrivez-moi je vous prie
pou[r] me rassurer bien vite, nous vous donnerons encore de nos nouvelles cette
semaine soit de St Chamond soit de Lyon où nous serons mercredi soir.
Je suis horriblement pressée, il y arrive du monde pour le
dîner, et mon excellent mari est à côté de moi qui me donne des distractions
par les aimables douceurs qu’il me répète sans me lasser ; je l’aime déjà
de toute mon âme ; ne riez pas mon bon père, je ne saurais faire autrement,
impossible.
Je suis bien aise de vous dire que je fais honneur à mon
mari ; il a reçu beaucoup de compliments hier sur mon compte, le fait est que [la
fin de la lettre manque]
2011.02.136 | Samedi 8 juin 1839 | À son père Louis-Joseph Berlioz | Transcription littérale | Image |
Cette lettre répond à celle de son père du 4 juin. — Adèle avait annoncé son voyage à Paris à son frère qui répondit le 17 mai par une lettre enthousiaste (CG no. 651; R96.186 ): ‘À la bonne heure ! il n’y a que toi dans la famille, pour te décider enfin à ce gigantesque voyage !!! Bonne sœur je te remercie. Henriette est transportée de joie et Louis court dans toute la maison en criant comme un fou qu’il va voir sa tante Adèle !’. Sur le voyage des Suat à Paris voir R96.861.1. — L’ami ‘immensément riche’ de Berlioz est Georges Kastner; sur la visite à Versailles, voir le lettre suivante (2011.02.137). — Du voyage à Paris en 1839 date l’affection des Suat pour Louis Berlioz que durera pour le reste de sa vie; voir aussi 2011.02.137, 2011.02.138 et R96.861.2, R96.861.3 sur la réaction de Nancy (en 1839); 2011.02.192 et 2011.02.185 (en 1844); 2011.02.209, 2011.02.211, 2011.02.142, 2011.02.213, 2011.02.128, 2011.02.217 et 2011.02.218 (en 1847); 2011.02.229, 2011.02.233, R96.260.02, 2011.02.235 et 2011.02.293 (en 1854); 2011.02.247 et R96.857.1 (en 1857); R96.862.2 (en 1859); 2011.02.313 (en 1862); 2011.02.331 (en 1864).
Paris samedi 8 juin [1839]
Votre lettre m’a fait de la peine, mon
bon père, vous paraissez triste, souffrant, l’influence du mauvais temps
agissait aussi sur nous ; je pourrais être de même aujourd’hui car ce ciel
fond en eau depuis ce matin. Je me console parfaitement d’être
condamnée à rester chez moi ce soir, j’avais plusieurs lettres à écrire,
puis je tiens beaucoup à me reposer un peu maintenant que j’ai à peu
pres la douce certitude d’être enceinte !…. Vous comprenez, mon bon père,
combien mon mari et moi nous sommes heureux de cette bonne nouvelle ? et je
me hâte de vous la communiquer espérant aussi qu’elle vous sera agréable.
Je
suis presque pas fatiguée mais Marc ne me laisse pas faire d’imprudence. Soyez
tranquille, cher Papa, j’ai là un tendre surveillant, et je suis très docile.
Heureusement nous avions fait toutes les courses pénibles en
arrivant, avant que je pus me douter de ma grossesse, ainsi je pourrai achever
de satisfaire ma curiosité sans danger.
Nous nous voyons
tous les jours avec Hector ; je ne puis vous dire, mon père, toutes les aimables
attentions qu’il a pour moi, j’en suis émerveillée avec son état de
préoccupation ordinaire ; il travaille beaucoup dans ce moment à une nouvelle
Symphonie sur Roméo et Juliette, il paraît que c’est
un ouvrage immense et qu’il espère terminer avant l’hiver. Sa femme
espère
beaucoup … du reste, ils sont calmes,
heureux et très unis .. Hector a pris les idées d’un père de famille,
il pense à l’avenir de son enfant, Henriette aussi a des goûts très simples,
s’occupe de son ménage avec zèle et ne sort presque jamais. Demain nous
devons aller ensemble à Versailles dîner chez un ami d’Hector immensément
riche et qui a eu l’obligeance de nous inviter ; je n’ose vous dire le
plaisir que je me promets de cette journée, cher Papa, sans vous effrayer de la
chaleur avec laquelle je vous parle de mes impressions ;
je suis cependant très calme
habituellement, mais lorsque je vous écris je m’anime au souvenir de tout ce
que j’ai vu ; Paris est une ville de merveille capable de ranimer l’esprit
le plus stupide ; je jouis encore plus qu’une autre parce que j’ai le cœur
satisfait, mais je ne me crois point à l’abri des tribulations de la vie, l’expérience
a été trop douloureuse pour l’oublier.
Mais, cher père, je ne vois pas la nécessité de gâter mon
present par des appréhensions, et des craintes ?..
J’achèterai votre écuelle
de mon mieux.
Louis parle très souvent de son grand-père de la Côte et de sa
bonne Monique qu’il voudrait bien connaître ; dites cela à la pauvre fille, elle
sera heureuse d’être connue de ce cher enfant. Lundi nous dînons tous chez
Alphonse [Robert], il m’a fait l’accueil le plus empressé ainsi que sa
femme qui est effrayante de laideur … mais elle paraît très
bonne !….
Adieu, cher papa, je ne sais si vous pourriez me lire, je n’y
vois plus, et je suis très pressée ; mes amitiés à Mme Pion et à Mme
Veyron quand vous les verrez.
Nous serons probablement à la Côte avant la fin
du mois et je m’en fais une fête.
J’espère que nous vous ranimerons un peu
par le récit de notre voyage.
Adieu encore, bon père, mon mari et moi nous vous
embrassons tendrement.
Votre affectionnée
A
2011.02.137 | Mercredi 12 juin 1839 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.136. Nancy avait écrit à sa sœur plusieurs fois au cours de son séjour à Paris (R96.861.1, R96.861.2, R96.861.3).
Paris 12 juin [1839]
Je voulais t’écrire samedi, chère sœur,
en même temps qu’à mon père, mais cela me fut impossible ; depuis nous
sommes allés à Versailles où nous avons passé deux jours, à notre
retour j’avais un dîner chez Alphonse [Robert], où se trouvaient Mr Al.
Teisseire et Mr Duchadeau. Hector y vint avec nous ;
sa femme
était un peu souffrante et ne put y venir ; nous étions allés ensemble
dimanche à Versailles dîner chez Mr Castner, un ami d’Hector
immensément riche. La réunion fut assez agréable, il y avait plusieurs
gens aimables de Paris, entre autres Mr Tissot l’académicien dont
(sans me vanter) j’ai fait la conquête ?… Ne sois pas jalouse, si tu
peux, chère Nancy.
Je me repose un peu sur mes lauriers maintenant, car je t’écris
de mon lit ; la course de Versailles a été un peu trop
forte. Le parc est immense ; les galeries de tableaux plus encore ; j’ai
voulu tout voir me persuadant que ma fatigue ne signifiait rien ; mais
comme j’ai de bonnes raisons de croire que je suis au commencement d’une
grossesse il faut que je [me] repose pour réparer ma petite imprudence, et je compte d’après le conseil d’Alphonse
rester encore demain tout le jour dans mon lit, du reste je m’y trouve à
merveille. Mon bon mari est toujours à côté de moi, il m’entoure de
tous les soins et de toute la tendresse possible, il ne se pardonne pas de
m’avoir tant laissé courir à Versailles, mais dans notre inexpérience nous ne
croyions pas être imprudents. Hector et sa femme passèrent hier la soirée dans ma chambre ; Louis
vint aussi me distraire par son gentil
babillage ; que ne puis-je avoir aussi mon bijou, ma Mathilde ?…
J’ai fait ton emplette de robes après des indécisions
ridicules comme à ma louable habitude ; celle de Mme Pochin est de 32 sols
couleur noisette avec une petite feuille verte et rouge, et pour toi après une
heure d’anxiété j’en ai pris une de 36 sols fond blanc avec
une petite rayure verte assez jolie ; je ne sais, chère sœur, si tu seras
satisfaite ? Je n’en ai pris que 8 aunes chacune pensant qu’à des robes
de ce prix-là on ne pouvait trop mettre un volant ; cependant réponds-moi si tu
en désires une, je puis encore les changer ; pour la pélerine j’en ai
acheté une charmante très bien brodée à 3 frs [?] toute garnie ; si elle te
convient
tu la garderas, je te laisserai le choix avec celle que je
prendrai pour moi.
J’ai acheté les mitaines de Mathilde.
Adieu, chère sœur, Marc
veut absolument que je finisse ; il t’embrasse ainsi que moi bien
tendrement.
Toute à toi A S.
Ne t’inquiète pas de ma petite
indisposition ; ce n’est absolument rien, je suis si heureuse d’être
enceinte que rien ne me coûte.
Mes amitiés à Camille.
2011.02.138 | Dimanche 11 août 1839 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Adèle devait recevoir une lettre de son père quelques jours plus tard (R96.853.4). La lettre d’Hector est CG no. 657 qui accompagnait la lettre d’Harriet (R96.187). — Remarquer que dans sa lettre Adèle ne fait pas état de tensions entre les Pal et les Suat à cette date qu’on connaît par une lettre de Félix Marmion à Adèle datée du même jour (R96.859.6).
St Chamond dimanche 11 août [1839]
J’ai reçu hier mon fameux canapé,
chère sœur, je me hâte d’en accuser la reception à Camille, en lui faisant de
nouveau mes remerciements à ce sujet ; je le prie de faire des reproches au
tapissier seulement pour la manière dont il l’avait emballé, à peine si
les pieds étaient entourés de papier, le dossier n’en avait qu’un seul
double, et comme tout le poids reposait dessus il a été assez fortement rongé,
ce qui est grand dommage tu conviendras. J’espère cependant que l’ébéniste
me l’arrangera avec un peu de cire qui mastiquera les trous ; du reste je
suis enchanté de mon bel ouvrage, et je me suis vite dépêchée à faire
couper et faufiler l’enveloppe, pour m’en servir sans crainte de la ternir.
J’espérais un peu une lettre de mon père, mais je n’ai
encore eu de ses nouvelles que par toi ; il paraît que son accès de tristesse ne
diminuera point et cela m’afflige beaucoup ; pourquoi faut-il donc avoir
toujours quelques douloureuses pensées qui viennent troubler le bonheur le plus
complet ?…..
J’ai reçu depuis mon retour une lettre
d’Hector, et une de sa bonne et excellente femme ; il me l’avait
adressée à
la Côte, et je suis bien fâchée de n’avoir pu te la montrer ; je ne
pensais pas qu’Henriette pût se tirer si bien d’une lettre en français,
elle m’a fait un plaisir extrême.
Comme elle me l’avait promis il paraît qu’elle est allé
faire une seconde visite à mon portrait
avec Louis, Mademoiselle Zodalie aura été bien satisfaite ; Henriette me
raconte qu’on avait en vain cherché à tromper le petit en lui montrant
plusieurs portraits, et qu’enfin l’ayant laissé chercher tout seul il a
fini par découvrir le bon caché derriere un fauteuil, et que triomphant
il s’etait mis à crier « voilà ma Tante Adèle ! c’est elle !
c’est elle !…… »
Sa mère avait été attendrie de sa joie en me
reconnaissant, elle même avait été bien heureuse de me revoir encore ?…
car Dieu seul sait, ajoute-t-elle, quand nous nous
rencontrerons maintenant ?……
D’après ce que tu me dis, chère sœur, ta brillante réception
aura eu lieu mardi passé ; décidement le père Apprin a pris une
passion pour toi, prends garde, méfie-toi de lui, le petit fripon pourrait bien troubler ton repos ; cela m’inquiète
sérieusement,
et comme je désire que tu conserves ton beau calme je te conseille de ne
pas accepter tant de déjeuners ; nos parents seraient responsables alors de te négliger si
fort sur ce chapitre, ils ne savent pas à quoi ils t’exposent.
Pour moi, ma chère, je n’ai pas le temps de faire des
conquêtes, les jou[rnées] passent
comme une heure ; je serais tenté[e]
d[e]
désirer comme Mme Arvet qu’elles en eusse[nt]
cinquante huit au lieu de vingt quatre pour pouvoir accomplir tous mes projets.
Cette semaine je me suis un peu libérée des visites les plus urgentes, mais je
suis encore loin d’être sur mon courant, il faudrait passer une vie à cela
vraiment.
Mon mari est excessivement occupé depuis notre retour, les affaires lui
arrivent en foule, ce qui nous fait grand plaisir à tous deux ; je
commence à flairer les clients,
et à les apprécier beaucoup.
Nous sommes allés hier visiter un appartement en face de
celui où nous sommes ; je l’ai trouvé bien petit, mais si celui de l’original
de Monsieur ne me convenait pas celui-là pourra à la rigueur nous caser tous ; comme il est tout neuf il serait
très gai, point essentiel ;
nous déciderons cette importante affaire dans quelques jours, dans tous les cas
j’ai maintenant la certitude d’être logée cet hiver……
Adieu, chère sœur, je vais faire ma
toilette — nous sommes invités ce soir à prendre des glaces à la maison de
campagne de Mr Richard. Je vois avec plaisir que sa jeune femme
désire beaucoup me voir souvent ; comme elle est très agréable je me réjouis
des avances qu’elle me fait ; le député est de retour, sa maison est
charmante ; nous sommes parfaitement accueillis, sa femme aime beaucoup à
recevoir et tous les dimanches soir on y va, particulièrement. Ils avaient été
très aimables pour nous à Paris.
Adieu,
adieu, chère sœur, ma santé est excellentissime ; j’embrasse Camille et Mathilde.
AS.
2011.02.139 | Dimanche 10 novembre 1839 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
[Le début de la lettre manque]
Je travaille quand j’ai le temps à un
petit trousseau ; j’ai fait des petits bonnets délicieux sans qu’il m’en
coûte rien ; des cravates de
mon mari m’ont servi pour des collets,
souviens [toi?] que j’ai de [mot non déchiffré] chère sœur ?
Si tu voyais donc ma vieille capote
de satin blanc rajustée de ma façon ce serait bien autre chose ; je m’admire
chaque fois que je la porte ; notre jeune modiste est à Lyon, à son
retour des emplettes je me déciderai cependant à me faire faire un chapeau d’hiver.
J’ai trouvé ici parfaitement tout ce qu’il me fallait en toile pour drapeau ;
bazin piqué pour langes et jolies petites couvertures, dentelles etc. etc.
Tout le monde a tant d’argent ici ? ….
Je voudrais bien être à la mode du pays sous ce rapport ; en
attendant les affaires arrivent assez à mon mari, il est chargé de plusieurs
ventes considérables, et comme on paye bien cela bouchera un peu les trous de
cette ann[ée] mémorable pour nous et nous
commenceron[s] bientôt j’espère l’ère
économique…
Nous serons parfaitement bien logés et meublés ; quand
viendras-tu, chère sœur, admirer tout ce[la ?] J’aurai une gentille petite chambre à t’offrir plus mon salon.
Si tu veux, je ne pourrais la garder pour une meilleure occasion ?.. Quand je me rappelle comme tu étais mal cela m’attriste …..
Adieu, chère amie, j’espère que la dimension de ma lettre
est convenable ; il faut bien savoir que tu n’as pas
grand’chose à faire pour espérer faire lire avec intérêt des détails aussi
insignifiants ; il me semble que cela nous rapproche, chère sœur, cette habitude de
tout écrire est trop précieuse pour la perdre ; j’espère que tu
es du même avis.
Dis à Monique que sa nièce se porte à merveille ; elle
paraît
fort entrain du prochain déménagement, et plus encore de travailler au petit
trousseau ; j’en suis toujours très contente ; dis-lui cela de ma
part ; Julie comme toutes les vieilles domestiques paraît tres empressée pour
notre futur enfant, elle en sera folle, je le vois, et ne parlera peut-être plus de
nous quitter si vite…. Adieu encore, chère sœur, j’embrasse tendrement mon
père et Mathilde ; merci encore du fameux tapis.
Ton affectionnée sœur Adèle.
Mon mari rentre et veut que je te fasse ses amitiés ; j’espère que Camille sera parti, et nous réservons nos compliments.
2011.02.140 | Vendredi 20 décembre 1839 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | Image |
St Chamond vendredi le 20 décembre [1839]
Décidément, chère Nancy, je veux t’écrire
par le courrier de ce matin ; depuis plusieurs jours j’en fais en
vain le projet, d’une chose à l’autre je suis constamment
dérangée, et je crains
que tu ne me trouves un peu en retard, surtout après ta dernière lettre si
affectueuse et si détaillée comme je les aime tant. Je t’en remercie, bonne sœur,
et te prie de recommencer souvent ; plus habile que moi, tu sais mieux sans
doute suffire à tout ce que tu désires faire ; malgré les jours si
courts je suis un peu comme Mme Arvet, en retard habituellement ; je
sais faire, il est vrai, beaucoup de choses à la fois.
Les exercices de la mission que je veux suivre un peu au
moins à la fin m’absorbent et m’agitent ; il faut, dit-on, avoir assisté
à cinq sermons pour gagner l’indulgence, malheureusement ils se font toujours à l’heure de notre
déjeuner ou de notre dîner ; il faut que je me précipite, ou que j’y aille
sans manger, ce qui me fatigue beaucoup ; puis je crains horriblement la
foule, la chaleur. Marc ne veut pas me laisser aller seule absolument, il faut donc ou qu’il
m’accompagne, ce qui l’ennuie beaucoup, [ou]
que mes domestiques quittent ce qu’elles ont à faire
pendant une heure et demie, et l’ouvrage de la maison en souffre, ce que je
crains plus que je ne puis dire. Enfin cela finira le jour de Noël, et comme je
ne me suis pas fatiguée du tout ces jours-ci, grâce à Dieu je pourrai j’espère
terminer mon affaire convenablement.
J’ai eu une repasseuse, une lessive à compter et à mettre
en ordre cette semaine ; le tapissier est enfin venu de Lyon poser mon lit, je
suis maintenant meublée comme une petite maîtresse, rien n’est frais coquet
comme mes draperies Renaissance avec des glands et des galons bleus et blancs
assortis à mon meuble. Ma petite chambre fait l’admiration de tout le
monde ; je ne me trouve pas digne de tant de jolies choses ; mon mari
prétend qu’il ne saurait trop me dédommager d’avoir été si mal jusqu’à
présent, mais cela est cause que je jouis davantage de tout.
J’ai été veuve pendant deux jours cette semaine ; Marc a
été obligé d’aller à Lyon pour une affaire assez importante, et qui lui
rendra au moins huit ou neuf cents francs, ce qui vaut bien la peine de se
déranger
[et] qui nous ira
à merveille ; c’est le revenu d’un domaine. À propos de cela il a eu
l’occasion de voir le notaire de ton mari Mr Pantin ;
il lui a demandé s’il ne trouvait point d’acheteur pour les
Houteaux,
mais il paraît qu’il a peu d’espoir à ce sujet.
Marc est aussi allé chez Sophie [Munet] ; comme tu peux le
présumer,
la première chose qu’elle lui a demandé c’est si Pauline ne se marierait
pas ?… Elle était chargée de chercher une femme modèle pour un
monsieur de sa connaissance du plus grand mérite, très religieux, très
aimable ayant 36 ou 40 ans et 500,000 frs. (?) de fortune. Heu ! que
dis-tu de cela, chère sœur !..
Mais, mais, un mais insurmontable pour notre chère
cousine c’est qu’il faudrait aller habiter pendant cinq ans devine quelle
ville ?… St Pétersbourg ! Ne sautes-tu pas d’horreur comme
moi, après tant de belles choses j’étais en colère … Enfin ce Monsieur ne
demande qu’une femme de mérite, une femme unique, et Sophie m’ayant
souvent entendu vanter Pauline comme une merveille en a eu tout de suite l’idée,
mais je pense que sans me compromettre je puis répondre qu’il
n’y faut pas penser.
Le mariage de Mlle Rolland m’a fait grand
plaisir ; Marc connaît le Monsieur de vue et de réputation, il est en
effet très
bien et très riche. Sa famille jouit d’une grande considération dans le pays,
elle est tres Légitimiste, et a des manières tout à fait aristocratiques ; cela
ira avec Monsieur Ferrand… Je désirerais avoir l’occasion de connaître
cette jeune femme, nous serions assez voisines pour établir ensemble des
relations agréables. On dit que les dames de Rives de Gier trouvent le
séjour charmant ?… Je vois d’ici ton étonnement, mais c’est une
chose prouvée, la société y est très agréable à ce qu’il paraît
pour compenser le reste.
Pour achever de te surprendre je te dirai, chère sœur, que j’ai
eu hier une petite réunion de quinze personnes très gentilles vraiment, pour
notre coup d’essai nous ne nous en sommes pas trop mal tirés, tout le monde
avait l’air enchanté. J’ai inauguré ton beau
thé, tout était neuf depuis le salon jusqu’au panier
de Boston … C’était bien vraiment, mais cela te ferait pitié à toi, grande dame à
Lustre et à
Lampes,
et Camille hausserait les épaules ; mais c’est égal, je suis parfaitement
satisfaite. Plaisanterie à part, chère sœur, jamais je ne me suis trouvée si
heureuse ; j’aime à te le redire, sûre que cette rabâcherie ne peut que te
faire plaisir.
Il me semble que j’écrirais des volumes, j’ai le cœur et
la tête si pleins.
Mon père quand donc ira-t-il te rejoindre ?.. Je lui ai
donné de mes nouvelles depuis peu, et j’ai écrit dimanche une grande lettre
à Mme Veyron qui me répondra j’espère bientôt.
Fais mes compliments sincères à Mélanie sur la
convalescence de son frère ; j’ai appris cette bonne nouvelle avec un grand
plaisir… Ne savez-vous rien de Mme Burdet — dit Caffarel ?..
Je parie pour des maux de cœur ?…. Mille tendresses
à Tété [Mathilde] ; son tapis m’a fait beaucoup d’honneur, je l’ai entouré d’une
frange noire magnifique, et je suis très fière de dire : c’est l’ouvrage
de ma charmante petite nièce !..
Je l’embrasse tendrement en attendant sa lettre prochainement
… j’ai le projet d’y répondre sur du papier de dentelle rosé, enfin tout
ce que j’ai de plus magnifique, je ne garderai rien pour une meilleure
occasion, dis-le lui ?..
Camille doit continuer ses courses à St Vincent avec le
temps doux et bénin que nous avons ; s’il n’y est pas aujourd’hui je
me permettrais de l’embrasser sans façon à son retour de l’audience,
quand il se sera assuré « qu’il n’y a pas du monde » !
Tu pourras t’acquitter peut-être de ma commission. À quand le grand
dîner ?..
Adieu, chère sœur, ne me punis pas d’être resté trop
longtemps sans t’écrire en faisant de même ; mon mari te dit mille
choses affectueuses.
Je t’embrasse tendrement.
Toute à toi
A S
2011.02.145 | Vendredi 3 avril 1840 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Joséphine Suat était née le 12 février 1840. — Nancy Pal fit une voyage à Paris au cours du printemps de 1840 mais la date exacte ne semble pas connue (voir CG no. 709). — La lettre de Berlioz aux Suat la plus proche en date de celle-ci date de fin mars 1840 (CG no. 708); elle est adressée à Marc Suat et n’est d’après son contenu pas la lettre à laquelle Adèle fait allusion. — Le ‘fameux projet’ dont il est question pourrait être la Symphonie funèbre et triomphale qui fut exécutée pour la première fois à Paris le 28 juillet 1840.
St Chamond vendredi soir [3 avril 1840]
Je ne sais si je me trompe, chère sœur,
mais il me semble qu’il y a un siècle que je ne t’ai pas écrit. Tu m’attends
de pied ferme à ce qu’il paraît, et il faut bien que je trouve une minute
pour te provoquer et ce n’est pas chose facile ; je ne m’appartiens
plus absolument depuis que ma garde est partie. Ma fille m’occupe du matin au
soir ; depuis quelques jours surtout elle a des accès de coliques terribles ; ce
pauvre ange pleure à me fendre le cœur, puis quand elle est enfin un peu calmée
je suis si lasse que je suis incapable de rien. Marguerite m’est bien
précieuse, sans elle je ne m’en tirerais pas ; elle est d’une adresse
admirable pour langer ma petite, et moi j’ai tant peur de lui faire mal que je
suis gauche à m’exaspérer ; ses cris me font perdre la tête.
Ce matin j’etais inquiète ; nous avons
envoyé chercher le médecin qui m’a complètement rassurée ; comme elle
grossit beaucoup cela peut être la cause.
Cette chère petite dort paisiblement à côté de moi, et je t’écris
sur mes genoux pour ne pas la perdre de vue.
Ne vas pas croire pour cela, chère sœur, que je suis mère trop
faible ; quand la pauvre enfant ne souffre pas je suis très calme ; et je
me permets bien de la quitter quelques heures.
J’ai rendu toutes mes visites de couches déjà et je trouve que c’est superbe.
Il me tarde, chère amie, de savoir positivement vos projets
pour la Côte et Paris ; je voudrais
bien te voir quelques jours avant ton départ, mais d’un autre côté pour
rester avec mon père le plus possible en ton absence, il faudra me limiter et cela me
paraît difficile à concilier ; nous voilà à Pâques tout à l’heure
sans que j’y ai songé. Je pense que quinze jours après je me rendrai
près de vous d’après tes premières combinaisons. Je prends mes
arrangements en conséquence ; il y a pourtant près de six mois que je ne vous ai vus !…
Le voyage m’effraye avec ma petite ; par Lyon il faudrait
passer une nuit et par Vienne changer trois fois de voiture !… Je n’en
dormirai p[as] de soucis ; je deviens pour cela la digne fille de notre
pauvre mère ; tous les jours j’en suis plus convaincue.
Nous avons reçu hier quelques lignes d’Hector ; il parle
très vaguement de son fameux projet, sa femme a été encore malade ; la
dernière lettre de mon père était assez rassurante, mais il y a déjà
quelques jours que je l’ai reçue et il me tarde que tu m’en donnes de
récentes ; le beau temps doit le ranimer un peu et ses
réparations doivent l’occuper beaucoup.
Le mariage de Mr Hypolyte est-il fait ? Je
l’ai appris avec étonnement et plaisir.
Adieu, chère sœur, il est tard et j’ai un besoin extrême de mon lit
après une laborieuse journée. J’embrasse
tendrement Camille et Mathilde ; mon mari te dit mille choses affectueuses.
Adieu, adieu, écris-moi toi qui a le temps.
Toute à toi A
2011.02.146 | Dimanche 28 juin 1840 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
St Chamond dimanche 28 juin [1840]
J’attends depuis plusieurs jours de tes
nouvelles, chère sœur, je t’avais écrit à Voreppe, aussitôt
après
ton départ de la Côte ; j’espérais donc que ta solitude te permettrait
de m’envoyer une longue lettre ; ordinairement, chère Nancy, tu es d’une
exactitude charmante, pourquoi perdre une si bonne habitude ? Si le
courrier de ce soir m’attrappe encore comme celui de midi, je commencerai à
être inquiète ; j’ai reçu il est vrai une lettre de mon père, mais qui ne me
disait rien, ni de lui ni de vous, ainsi je ne sais donc rien
et je prends le parti de t’en demander raison, chère sœur, tout en gardant ma
Finette [Joséphine] que je croyais bien endormie, et qui ouvre ses grands yeux en
jargonnant. Cette chère petite commence à savoir s’amuser seule dans son berceau ;
je veux l’accoutumer à y prendre patience
souvent, si faire se peut ! –
J’ai eu de grandes occupations cette
semaine ; mon ancienne cuisinière est partie, cela m’a fait de la peine, l’attachement
de cette brave Julie pour la famille de mon mari était extrême ; elle
avait d’ailleurs d’excellentes qualités, et je suis sûre que je la
regretterai plus d’une fois. Ma veuve est installée, elle ne
fait pas mal la cuisine je crois, mais je ne puis trop savoir encore à quoi m’en
tenir sur son compte, et il y a trop peu de temps d’apprendre ; conserve
précieusement ta Françoise, chère sœur, tu ne pourrais trouver de pareille et c’est
une ennuyeuse chose que ces changements de domestiques.
Une autre importante affaire que je fais
aujourd’hui, c’est de mettre sa première robe à Joséphine !
Te
souviens-tu, chère Nancy, du grand jour où nous en mîmes une à Mathilde ?
J’étais
aussi entrain si ce n’est plus que pour ma fille, cependant
j’ai tenu beaucoup à la faire moi-même, et comme je ne fais plus rien depuis
longtemps c’est un tour de force. Le fait est que ma fille m’occupe et m’absorbe
nuit et jour, j’en suis folle à lier, mais pas plus que son père ; nous
nous la disputons souvent, elle est si gracieuse, si sage, si rose, si blanche etc.
etc. etc. Je ne sais ou je m’arrêterais, chère sœur, dans l’énumeration de
toutes ses rares qualités. J’interromps ma lettre à chaque ligne pour
l’admirer jouant avec un plumeau
d’une manière remarquable pour son âge ; que ma chère Titi
[Mathilde] ne rie pas
des enthousiasmes de sa Tante, dis-lui que pour elle c’etait pis
encore ! J’ai acheté des amours de petites bottines
tricotées
pour compléter sa toilette avec sa robe rose ; je sens que sa cousine donne
son opinion sur sa mère, elle qui
a un goût si difficile. Tout est en sens dessus dessous
ici pour la procession, déjà dimanche c’était magnifique ; le fait
est que comme les cérémonies de ce genre sont tout à fait dans l’esprit du
pays, et qu’on a beaucoup d’argent, on fait des choses charmantes, d’une
fraîcheur et d’un luxe extrême ; es-tu allée admirer les reposoirs
de Voreppe ce matin ? que fais-tu sous tes frais ombrages ? n’es-tu
point allée à Grenoble encore ? es-tu sans des nouvelles d’Hector, de
mon Oncle ? Je n’ai pas signe de vie d’eux depuis des siècles ;
allons écris-moi donc, chère sœur, et dis-moi vite que rien de sérieux n’est
cause de ton silence. Toi qui n’est pas nourrice, et qui n’a pas de
cuisinière à initier à tes habitudes, n’as tu pas le temps d’écrire ?
puis Mathilde ne pourrait-elle pas la remplacer bientôt ?… Si elle n’y
prend garde Finette lui passera devant ; dis-lui cela de ma part en l’embrassant.
Je voudrais pouvoir remplir encore une
page blanche, chère sœur, mais malgré tout ce que j’aurais à te dire, il
faut que je finisse. Finette perd patience et veut se lever. J’ai permis à sa
bonne d’aller à Vêpres avec Philippe, et maintenant on sonne à chaque
instant ; je ne puis suffire à écrire, répondre, et bercer. Adieu donc,
chère sœur, comprends ma position du
moment, et imite mon empressement à t’écrire en dépit de tout ; fais je te
prie [me]s amitiés à Camille, si tu vois Pauline ne m’oublie pas auprès d’[elle].
Finette embrasse Tante Nancy et cousine Mathilde de moitié
avec moi et avec toute l’affection possible.
Adieu encore, chère sœur.
AS
2011.02.147 | Dimanche 8 novembre 1840 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | Image |
Berlioz avait donné un grand concert à l’Opéra le 1er novembre, et en avait donné un récit détaillé le lendemain même dans une lettre à Adèle (CG no. 734); il est étonnant qu’Adèle n’en fasse pas mention dans sa lettre datée du 8 novembre. La lettre de Berlioz est certainement arrivée, puisqu’elle fait maintenant partie du fonds Chapot au Musée Hector-Berlioz (inventaire R96.194), mais sans doute avec un retard de plusieurs jours. L’original comporte ni enveloppe, ni adresse, et n’a donc pas de timbres postaux qui permettraient de vérifier la date d’arrivée. — Sur Alphonse Figuet-Dufeuillant, ami de Berlioz, voir CG VIII, index p. 756. — Le projet de Berlioz d’aller à Lille en 1840 ne semble pas avoir eu de suite. — Sur la translation des cendres de Napoléon qui eut lieu le 15 décembre, voir la lettre de Berlioz à Adèle (CG no. 739) et l’allusion dans la lettre d’Adèle du 17 décembre (2011.02.151).
St Chamond dimanche 8 novembre [1840]
J’attendais de vos nouvelles avec une
vive impatience, ma chère Nancy, bien que les rivières de la Côte ne
soient pas à redouter, je craignais quelques désastres pour les propriétés
de mon père ; je n’entends parler que de sinistres depuis tant de jours
que je vais finir par m’y accoutumer.
L’eau a fait ici assez de mal ; plusieurs maisons et
fabriques sont écroulées, notre petite rivière du Gier
était effrayante à voir, les rues ont été plusieurs fois presque navigables
dans certains quartiers, mais qu’est ce que cela auprès de Lyon ?…
Le
chemin de fer est interrompu, pour plusieurs mois peut-être, à notre grande
contrariété, cela paralyse tout pour St Chamond. Pour moi je ne puis me
consoler de ne plus espérer la visite de Louise [Boutaud] à cause de cela, car je n’admettrais
point sa raison de n’oser venir seule dans les wagons ; en
prenant la première voiture, toujours très bien composée, il n’y
a rien à redouter ; témoigne-lui je te prie tous mes regrets, je présume d’ailleurs
que Louise attendra afin de ne pas être obligée de faire des emplettes en bateau ;
tous les magasins étant fermés dans la rue St Dominique et sur le quai de
Saône surtout, il me semble qu’il y aurait de la folie à faire le voyage
dans ce moment.
Nous avons depuis hier soir Mr Dufeuillant
fils ; il m’a donné des nouvelles d’Hector très détaillées,
son festival
a assez bien réussi ; la salle de l’Opéra était remplie par la plus brillante société, il y a eu de
bruyants applaudissements à
certains passages, puis un seul coup de sifflet qui a fait sangloter la
pauvre Henriette ; il n’a pas su nous dire quel avait été le résultat
sonnant ;
mais la fatigue avait été horrible pour Hector, il l’avait laissé encore
tout brisé, et moulu.
Comme je ne présume pas qu’il ait encore écrit à la Côte
je me hâte de vous communiquer mes récentes nouvelles ;
il était aussi sur le point de se décider à aller à Lille pour donner un
autre Festival, mais comme il avait reçu des propositions à ce sujet il
voudrait prudemment régler l’article argent avant de prendre un parti
définitif.
Voilà, chère amie, où il en est maintenant ; Mr
Dufeuillant est venu exprès de Paris pour passer quatre ou cinq jours avec
nous, il y retournera pour assister à la cérémonie de la translation de
Napoléon, puis reprendra ses courses vagabondes. Il compte passer son hiver en
Espagne ; comme il a beaucoup vu nécessairement nous avons beaucoup à le
questionner ; mon mari est vraiment heureux de sa visite et lui sait un
gré infini d’être venu de si loin à notre seule intention, c’est
une preuve d’amitié tres grande. Je l’ai accueilli avec tout l’empressement
possible ; son affection pour mon Marc et pour Hector suffirait pour le faire
bienvenir pour moi en toutes occasions, puis c’est
un excellent jeune homme malgré ses bizarreries.
La relation brillante que tu me fais de
vos bals m’a fort intéressé, j’ai appris avec grand plaisir que tu
t’y étais bien amusée ; les distractions sont si rares par le temps qui
court qu’on les appréciera d’autant mieux.
Ta lettre m’a fait vraiment du bien ; mon père est en bonne
santé, tout disposé à passer son hiver à Grenoble.
Mais c’est charmant
toutes ces bonnes nouvelles ; pour riposter
je te dirai que la coqueluche de ma Finette [Joséphine] est presque finie, jamais
elle n’a été si rose, si grosse, et si diable ; elle a repris ses gentilles
bonnes grâces qui faisaient ma joie et mon orgueil.
Les nuits sont meilleures aussi, puis dans la journée elle
reste des heures entières assise sur mon tapis s’amusant paisiblement pendant
que je travaille ; maintenant je me porte à merveille, je me trouve
engraissée, et bonne mine [la fin de la lettre manque]
[dans la marge de gauche de la première page, fin du texte qui commençait sans doute à la fin de la dernière page de la lettre] n’aye point été invité aux soirées, cela devait te fendre le cœur, ma jolie Titi [Mathilde] aurait si bien figuré.
2011.02.148 | Mercredi 2 décembre 1840 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
St Chamond mercredi 2 décembre [1840]
Je t’adresse ma lettre à Grenoble,
chère
sœur, et j’aime à me flatter qu’elle t’y trouvera installée depuis deux
jours au moins.
Je ne puis te dire la peine que j’ai éprouvé en lisant la
tienne dimanche soir ; je me disposais à aller passer la soirée chez les dames
Ardaillon, mais je n’en eus plus le courage. J’avais le cœur serré des
tristes détails que tu me donnais au sujet de notre père ; ta position devait
être bien cruelle, chère sœur, personne plus que moi ne saurait le comprendre et
le plaindre ; nous devions cependant un peu nous attendre à la conduite de
mon père ; tous les ans c’est la même indécision douloureuse, mais
en dépit de l’expérience passée on veut espérer mieux, on en a tant besoin !….
Je lui écrirai aujourd’hui pour faire une diversion d’une
seconde à ses tristes pensées, le beau soleil que nous avons depuis hier
sera, j’espère, plus puissant que toutes les lettres ; Mathilde lui fera
peut-être encore un plus grand vide que toi. Cette chère petite est probablement enchantée de se retrouver à Grenoble ;
remercie-la je te prie de ses charmantes pantoufles ; elles iront à
merveille avec une gentille paire de bas à jour qu’une vieille demoiselle de
mes
amies a eu l’attention de me tricoter.
Si tu avais trouvé une occasion pour Vienne ou même Lyon je
les aurais facilement fait prendre.
La mort de la pauvre Mme Golety m’a fait
beaucoup de peine, Mme Félicie a dû passer de bien cruels
moments ; quand on en a comme nous la si douloureuse expérience on partage
sincèrement de pareils chagrins ! Si ta belle-sœur avait été à Vienne
j’aurais éprouvé le besoin de lui écrire à cette occasion ; crois-tu son
retour prochain ?….
J’avais appris par Louise [Boutaud] la banqueroute
Simon ; quelque
étendue que soit la réputation merveilleuse de ces dames, elle est
complètement ignorée dans [le] département de la Loire. Louise me parlait
aussi d’un projet de mariage pour Mlle Méline à Paris ; comme tu ne
m’en dis rien je pense que rien n’est décidé ; je
serais bien enchantée d’apprendre cette bonne nouvelle.
Mademoiselle Nancy [Clappier] sera enchantée de ton retour ; je
jouis de la savoir installée paisiblement à la ville pour tout l’hiver.
Fais-lui donc une visite de ma part je t’en prie et dis-lui tout ce que tu
pourras imaginer de plus affectueux pour moi ; il y a un siècle que je ne lui ai
pas écrit, mais ma Finette m’occupe tellement, puis toutes mes habitudes de
vie lui sont si étrangères maintenant que je craindrais de ne pouvoir guère
l’intéresser.
Gronde Pauline de ma part sérieus[ement], elle ne mérite
plus que je surmonte ma paresse en sa faveur ; mes reproches faits embrasse-la
pour moi quand même ! ..
Les Michal
sont-ils donc toujours au même point ?.. Parle-moi de tous nos amis et
parents, tu me feras grand plaisir, chère sœur.
Ma Finette est toujours plus gentille ; elle se porte à ravir,
la coqueluche est complètement passée grâce à Dieu, aussi les nuits sont moins pénibles, à part la
dernière où il a fallu la tenir jusqu’à
une heure ; en rentrant hier soir à onze heures la croyant profondément endormie,
elle jouait comme une petite folle.
Mon mari est allé à St Etienne aujourd’hui
pour ses affaires, je vais profiter de son absence pour écrire à vous tous ; j’ai
mes jours de lettres, mes jours de visites, et mes jours de congé.
Mr Dufeuillant n’était que
quatre jours ici ; je lui avais remis une lettre pour Henriette à son départ ; il
m’avait promis quelques détails sur eux, mais il n’a point encore
écrit.
Adieu, chère sœur, mes compliments à Camille ; je pense que
comme à sa louable habitude il t’aura apporté des merveilles de Lyon.
Adieu
encore, toute à toi.
2011.02.150 | Dimanche 13 décembre 1840 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Sur les tensions qui se font jour de temps en temps entre les deux sœurs, voir la lettre de Félix Marmion à Adèle du 11 août 1839 (R96.859.6) et la lettre suivante (2011.02.151).
St Chamond dimanche 13 décembre [1840]
J’ai attendu plusieurs jours avant de te
répondre, chère sœur, j’avais besoin d’être plus calme ; certain
passage de ta dernière lettre m’avait affecté et surpris bien douloureusement,
je t’avoue que je me croyais bien plutôt en droit d’adresser de semblables
reproches que d’en recevoir ; depuis l’époque de mon mariage votre conduite
a été une énigme pour moi.
Vous seuls m’avez méconnue, repoussée d’une
manière si
étrange, qu’il me semblerait que vous [ne] me pardonnez point d’être heureuse,
et d’aimer mon mari comme il le mérite, en dépit de tout ce que vous avez pu
faire ! ..
Mais ne revenons pas sur le passé, chère sœur, je sens mon
cœur bondir à certains souvenirs, laisse-moi oublier, et pour cela
croire que votre cœur n’y était pour rien, mais que votre jugement seul
avait été étrangement égaré.
Je ne comprends pas pourquoi ton mari m’adresse des hommages
respectueux ; il me semble que j’ai toujours été la même
à son égard, si par hasard il en a été autrement c’est bien certainement
sa faute et non la mienne ! ……
Qui pourrait dire, chère sœur, s’il était possible de
pousser plus loin que moi l’affection et le dévouement exalté,
pour toi et tout ce qui t’appartenait ?..
Je n’ai point oublié non plus toutes les preuves
d’amitié que vous me prodiguiez jusqu’à l’époque où j’ai cru à mon
tour pouvoir vous initier à ma vie nouvelle, à mon amour, à mon bonheur, et
vous m’avez repoussé avec un dédain, une froideur que j’étais loin
d’attendre.
Votre conduite a été une des plus amères déceptions de ma vie, mais
j’étais trop fière pour vous en demander l’explication, ou pour m’en
plaindre.
Mon cher Marc pourrait te dire toutes les larmes que j’ai
versé à ce sujet, j’aurais peut-être oublié ce que c’était que le
chagrin sans cela.
J’espérais toujours que vous reviendriez à moi.
Maintenant, ma chère, je ne sais plus que
croire ; le temps apprend beaucoup de choses !… Il me serait bien
doux de penser qu’il ne m’apportera que des consolations à ce sujet, et
qu’un jour enfin nous serons tous unis de cœur comme je le désire, et
j’ose le dire comme je n’ai jamais cessé de le mériter.
J’ai appris la maladie de notre bonne cousine Pauline avec
la peine la plus vive, j’espère cependant que son état n’est point
aussi alarmant que tu parais le croire.
Mon père m’a écrit dimanche dernier, il ne paraissait pas
trop [mot illisible] ; je ne présume pas qu’il soit encore disposé à partir pour Grenoble.
Adieu, chère sœur, adieu Camille, embrassons nous comme
autrefois, avec la plus vive et la plus sincère affection, et oublions tous
tout ce qui pourrait avoir altéré nos sentiments réciproques.
Toute à toi
A Suat
2011.02.151 | Jeudi 17 décembre 1840 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.150. — Sur Sophie Munet voir R96.864. — Le concert de Berlioz du 13 décembre est présenté par lui comme un grand succès dans sa lettre à Adèle écrite quelques jours après (CG no. 739; R96.195).
St Chamond jeudi [17 décembre 1840]
Tu as bien raison, ma bien chère sœur,
assez de récriminations et d’explications comme cela ; de grâce n’y revenons
plus, cela nous fait trop de mal à toutes deux, et comme tu le
dis oublions tout, et aimons nous toujours ; c’est ce qui ne me sera
certes pas plus difficile qu’à toi, si tu le veux franchement comme je l’espère.
Le facteur m’a remis ta lettre hier soir au moment où j’arrivais de Lyon à
moitié gelée ; j’y étais allée la veille par un temps très
supportable, j’avais plusieurs commissions à faire, et surtout
plusieurs personnes à voir, Sophie [Munet] en première ligne. Mais j’ai pu en
jouir à peine quelques heures ; la noce de son frère qui avait été retardée
malencontreusement pour moi, avait eu lieu la veille, et l’absorbait
complètement. Enfin elle m’a un peu promis de venir le jour de ma Loterie
pour me dédommager ; je pense que j’aurai beaucoup de monde ; Mme
Richard (Mlle Boissat)
me prêtera j’espère son piano droit dont la dimension s’accordera
très bien avec
la petitesse de mon salon ; j’aurai une demoiselle de Lyon amie des dames
Roche
qui est d’une force aussi remarquable que sa
complaisance, puis les demoiselles Ardaillon ; ainsi j’aurai avec
un ou deux Messieurs un orchestre assez bon. On vient de m’interrompre
pour me remettre trois Lots délicieux, un gentil métier à tapisserie en
citronnier, ouvrage d’un vieux Monsieur, puis des chiffonnières, et des
bretelles brodées en soie d’un goût parfait ; c’est à qui me
témoignera le plus d’empressement. J’espère que nous nous amuserons ; que ne
peux tu, ma bien chère, venir m’aider à faire mes honneurs ; ma gentille
nièce Titi [Mathilde] m’aurait été bien nécessaire pour tirer les billets, elle m’aurait fait beaucoup d’honneur,
surtout à présent qu’elle apprend la grammaire !. et la géographie !….
ce doit être un prodige en tout point, je suis bien aise de savoir que
cette chère petite que j’aime tout comme ma fille aimée, fait de rapides
progrès ; il me semble que j’aurai aussi un peu le droit d’en être
fière, n’avons nous pas appris ensemble les capitales de l’Europe ?
……
J’aurais prochainement une occasion pour Vienne pour
apporter les fameuses pantoufles ; ma Finette [Joséphine] aime
déjà beaucoup les jolies choses, il fallait la voir hier admirer le chapeau
que je lui apportais de Lyon en peluche grise avec une petite plume de la même
nuance ; elle n’était pas difficile de la trouver à son gré, car il est
charmant. Cette chère enfant m’occupe exclusivement ; pourvu qu’elle
ait ce qui
lui faut, peu m’importe ma toilette. Je n’ai rien acheté cet hiver absolument,
c’est plus tôt fait ………
Je suis heureuse d’apprendre que mon père ne va pas
mal ; je
bénis de grand cœur le Blottoir [?],
dont la construction utile ou non l’occupe et le distrait ; le froid atroce que
nous avons depuis deux jours le déterminera peut-être à aller vous joindre.
Je te remercie de me donner de bonnes nouvelles de notre
chère cousine Pauline ; je charge Mathilde de lui faire une visite en mon nom,
j’espère qu’elle accepte ma commission avec plaisir.
Hector et sa famille ne vont pas mal ; Mr
Dufeuillant en donne des nouvelles aujourd’hui en écrivant à mon mari ; il
paraît que le concert a été peu nombreux ; notre pauvre frère choisit mal ses
moments. La cérémonie Napoléonienne absorbait tout le monde.
Finette veut absolument m’empêcher de
continuer ma lettre ; je ne sais comment résister à ses agaceries. Je te
remercie du désir que tu me témoignes de t’initier à ses petits progrès, le
fait est qu’elle [est] gracieuse à croquer, mon mari en est fou, nous nous la
disputons souvent, elle trône sur la table tous les jours à déjeuner
et à dîner, mangeant de tout avec nous et faisant mille petites singeries que
nous admirons avec enthousiasme ! …
Elle commence à marcher pas mal en lui mettant une serviette
sous les bras, comme nous faisions à Mathilde s’il t’en souvient ?.
mais avant le printemps je n’espère pas qu’elle coure seule.
Tu comptes donc ouvrir tes salons au mois de janvier ; je te
souhaite autant de succès que l’année passée, ton amabilité en est garant.
Mme Veyron ne m’écrit pas plus qu’à toi ; je
suis navrée d’apprendre que la pauvre Mme Prost retourne à
Gillonay ; le malheur se cramponne à cette femme sans relâche, elle me fait une
pitié indicible ! …..
Adieu, ma bien chère sœur, adieu, mon cher frère Camille ; je vous embrasse tous deux avec la tendresse la plus
parfaite.
Mon mari vous fait ses compliments affectueux ; un bon baiser à Mathilde.
Ne m’oublie pas auprès de Mlle Clappier et des
personnes qui voudront bien se souvenir de moi, Mme Pochin par
exemple.
J’avais écrit à Mme Felicie.
Adieu encore, aime-moi comme je t’aime, t’aimerai
et comme je t’ai toujours toujours aimée ; et je n’aurai rien
[à (lacune)]
Toute à toi
Adèle Suat
2011.02.153 | Mardi 12 ou mercredi 13 janvier 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
St Chamond mercredi 12 janvier [sic] [1841]
Decidément, ma chère Nancy, nous devenons
si absorbées l’une et l’autre que ce n’est pas sans peine que nous
parvenons à continuer notre correspondance avec la même exactitude ; depuis
trois jours je fais en vain le projet de t’écrire ; hier j’avais un grand
dîner
de deux heures et une petite soirée, de sorte que je n’ai pas eu une minute à
moi, je suis rentrée à minuit truffée, c’est le mot. Quel dîner !….
saumon, chevreuil, pâté de foie, dinde truffée etc. etc. etc. enfin, j’avais un
brillant appétit à dépenser heureusement.
J’ai trouvé en rentrant une longue lettre de Pauline qui m’a
fait bien plaisir ; elle me donnait de bonnes nouvelles de mon père et de ta
soirée ; il paraît, chose incroyable, qu’il avait hésité s’il irait
au salon ?..
Je ne puis te dire, chère amie, combien je jouis de savoir ce
bon père tranquillement auprès de toi ; j’espère que cet hiver se passera mieux
que celui de l’année dernière. Mon projet est d’aller le voir à la
Côte les premiers jours du Carême ; pour peu qu’il prolonge son
séjour à Grenoble il se trouvera peu seul, les jours seront
plus longs à cette époque, la saison moins rigoureuse ; je pourrai
emmener Finette et par conséquent rester plus longtemps auprès de notre bon
père ; nous faisions ce plan hier avec Marc ; si rien de nouveau ne
survient je l’exécuterai, ton habitude étant de venir à Pâques à la Côte
nous ne ferions pas ainsi double emploi, ce qu’il ne faut pas.
Ma lettre t’arrivera probablement demain au moment où tu t’habilleras
pour ta soirée ; à propos j’adopte les manches plates ; es-tu à la
hauteur depuis longtemps ?.. Mathilde a de brillants succès à ce que m’apprend
la renommée ; j’ai reçu les pantoufles, elles sont charmantes.
Madame Félicie m’a répondu la semaine dernière, elle
est bien profondément triste ; crois-tu que Mr Henri ait quelques
chances pour obtenir la place de Mr Blachette ? ou Mr
Burdet ?… Je souhaite que toutes ces ambitions soient satisfaites. C’est
encore plus sûr de n’en point avoir.
Il y a un siècle que je n’ai point de nouvelles de mon
oncle ; tiens-moi au courant.
Je te prie de me rappeler bien tendrement au souvenir de Mlle Nancy
[Clappier] et de Pauline ; je fais sérieusement le
projet de leur écrire sous peu pour répondre à Mme Pion ; j’ai été
interrompu si souvent que je croyais ne pas en finir.
Finette va bien ; elle est endiablée et veut toujours être
à terre maintenant, ce qui fatigue beaucoup ; elle annonce être aussi gourmande qu’une
charmante jeune personne que Mathilde connaît intimement ; pour des
confitures ou du café Finette fait tout ce qu’on veut, c’est le moteur de sa
première éducation, sans cela elle n’appr[endrait]
aucune petite gentillesse.
Adieu, ma chère sœur, écris-moi donc de longues relations de
tes brillantes réunions.
Je trouve que Camille a très fort raison d’étendre
tes invitations ; il ne t’en coûtera ni plus d’argent, ni plus d’embarras ; il n’y
a que le premier pas qui coûte.
J’embrasse bien tendrement mon père ; Mathilde lui fera une
visite de ma part dans sa chambre pour faire ma commission ; mes amitiés
à Camille, je te prie ; mon souvenir à Monique.
Ton affectionnée sœur
Adèle Suat
2011.02.154 | Jeudi 28 janvier 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Sur la soirée à St Etienne voir 2011.02.152 et 2011.134.
St Chamond jeudi 28 janvier [1841]
Je te porte malheur, chère sœur, chaque fois que je te
félicite de garder notre bon père je choisis
toujours le moment où il part pour cela. J’ai reçu une lettre de lui depuis
son retour à la Côte assez satisfaisante ; il me parle avec joie de la visite
que je lui promets pour le Carême. Je te remercie beaucoup de celle que tu m’annonces
aux féries de Pâques ; je serai
bien heureuse, chère sœur, de ta visite chez moi, il y a si longtemps que j’espère
en vain ta visite. Je regrette seulement qu’à cette époque différentes
personnes de ma connaissance intime seront absentes, les dames Ardaillon surtout,
avec qui j’aurais été bien aise de te faire faire connaissance. J’aime tant ces dames, leur maison est si agréable
que leur séjour à Paris est un vrai chagrin pour moi ;
elles sont parties cette semaine.
Enfin, ma chère, je ferai mon possible pour que tu ne t’ennuies
pas trop avec nous ; je t’avoue que cela me préoccupe d’avance ; je ne puis
oublier ce que Camille m’avait dit de la fâcheuse impression que tu avais remporté de St Chamond la
première fois ; il est vrai
que tout est bien changé autour de moi et que matériellement tu seras mieux.
Si
tu amenais Mathilde, ce que je n’ose espérer, je serais bien plus tranquille.
Quant à mon voyage à St Vincent il se fera bien
aussi j’espère à la fin de l’été, avant mon second séjour à la
Côte ; mais Finette
sera plus grande, elle marchera seule, et sera plus raisonnable ; de cette
manière
nous ne resterons pas trop longtemps sans nous voir cette année.
Mon mari doit partir demain pour Beaurepaire, il verra mon
père un instant, j’espère ; ce voyage d’affaires m’ennuie beaucoup. Sophie
[Munet] m’écrit
pour m’engager instamment à aller avec ma petite charmer mon veuvage avec le
sien ; Mr Munet est absent pour quelque temps, mon mari me prendrait
à Lyon en revenant. Tout cela est bien tentant, mais je deviens extrêmement
paresseuse pour sortir de chez moi ; je m’y trouve si bien sous tous les
rapports que je ne désire jamais en sortir, puis mes indécisions sans fin !…
Il faut cependant que j’aille faire faire
ma fameuse robe de velours ; je suis invitée à une brillante
soirée à St Etienne et mon mari tient beaucoup à ce que rien ne
manque à ma toilette. C’est donc une occasion de faire voir le jour
à la belle robe ; puis je viens de faire faire un corset à la fameuse
Mademoiselle Jocourt qui me fait
une taille de poupée. Tu vois, ma chère, que je ne veux pas trop être
arriérée ;
quand on vieillit, il faut se soigner.
J’ai reçu ces jours derniers une lettre de mon oncle ; il
paraît assez ennuyé de son long séjour à Huningues,
je le comprends ; il a le projet d’aller à Paris au p[rintemps?].
Sa belle robe de foulard a dû ren[dre] Mathilde bien heureuse, le corset
de velours bien plus encore ; je la vois charmante avec le joli costume que tu me
dépeins, son père doit être heureux et fier de ses succès. Je ne serais pas
étonnée que ce ne fût pour sa fille qu’il ait désiré recevoir toutes les
semaines.
J’ai eu lundi un petit dîner de six dames très gai ;
mon mari avait un banquet au cercle, et j’ai eu l’idée de nous réunir
à cette occasion. Je crois, ma chère, que tu aurais apprecié mon excellent
dîner ; j’avais voulu traiter ces dames dignement, nous avons attendu ces
Messieurs jusqu’à deux heures du matin.
Finette va bien ; elle veut
absolument marcher, c’est un petit démon ; ses dents la font souffrir
depuis quelques jours. Si je vais à Lyon j’irai sans elle positivement.
Adieu, chère sœur, ta soirée d’aujourd’hui sera sans doute
brillante, amuse-toi bien ; apprécie comme ils méritent les
compliments que tu reçois, c’est une finale peut-être. Je ne sais si j’aurai
aussi plus tard mon été de la St Martin ; comme qu’il
en soit, peu m’importe !
Je vous embrasse tous.
Ton affectionnée sœur
Adèle Suat
2011.02.155 | Vendredi 12 février 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
St Chamond vendredi [12 février 1841]
Il paraît que tu vas
suivre mon mauvais exemple, chère sœur, car si je compte bien il y a aujourd’hui
seize jours que je n’ai pas de vos nouvelles, et je t’ai écrit deux fois
dans cet intervalle. J’ignore si mon père est auprès de toi ; ton silence m’inquiète
à cause de lui, peut-être y-t-il une lettre perdue ? Les plaisirs
nombreux seraient-ils seulement la cause de ce retard, j’aime à me le
persuader, mais chaque année à cette époque je deviens plus craintive.
Rassure-moi donc vite, ma bonne sœur, jusque-là je ne saurais que te dire ;
je craindrais trop les hors de propos. On nous annonce une nouvelle
inondation ; la Saône grossit épouvantablement, Dieu veuille nous préserver, les
pauvres Lyonnais doivent étre effrayés. On ne redoutait encore rien la semaine
dernière pendant mon séjour à Lyon : il paraît que les pluies que nous avons
depuis sans interruption en sont cause.
Nous allons tous bien ; Finette met
des dents à force qui la rend
bien pénible les nuits, elle commence à faire de temps en temps quelques pas
seule, mais je n’espère pas qu’elle marchera parfaitement avant un mois ou
deux.
Sa préférence pour son père est tous les jours plus marquée ;
je suis loin d’en être fâchée ; mon bon Marc en est si heureux, puis
entre nous tout est de moitié.
Adieu, ma chère amie, j’ai une dame à dîner, et il faut que
j’aille faire un tour de cuisine.
Je n’avais voulu t’écrire qu’après l’arrivée du
dernier courrier, et il est tard ; mille tendres caresses à notre père qu’il
voudra bien partager avec vous tous, grands et petits.
Ton affectionnée sœur
A S
2011.02.152 | Jeudi 25 février 1841 | À son père Louis-Joseph Berlioz | Transcription littérale | — |
Sur la soirée à St Etienne voir 2011.02.154 et avec plus de détails 2011.02.134. — Sur les musiciens Italiens ambulants voir aussi 2011.02.134. — Sur les ennuis de domestiques des Suat voir aussi 2011.02.157, 2011.02.158.
St Chamond jeudi [25 février 1841]
Je serais désolée, mon bon père, de
déranger le moins du monde vos projets ; je comprends très bien que vous en
changiez suivant la disposition de votre santé ; le temps redevenant
triste et froid c’est un motif de plus pour vous décider à partir pour
Grenoble samedi ; j’irai vous voir alors à votre retour, et quand vous
le désirerez je trouverai bien moyen de m’arranger je l’espère.
Dans
ce moment je suis dans les ennuis de cuisinière ; nous avons donné son congé à
la nôtre ce matin ; c’est une langue d’enfer. Il me sera difficile peut-être d’en
avoir une autre maintenant ; elle fait une réputation affreuse à Marguerite, et
ce sont des scènes habituelles chaque jour ; cela me rend à plaindre. Une dame de ma connaissance m’en avait indiqué une du Bourg-Argentat,
les renseignements que j’avais pris me convenaient ; cette
fille avait fait le voyage pour me parler, ma diablesse de cuisinière a dit que
je n’y étais pas pendant trois jours de suite, et maintenant il faut que j’écrive
à cette fille pour lui faire mes conditions et l’engager sans la voir. Marguerite
prétend qu’elle ne doit pas rester ici après tout ce que l’autre
a dit d’elle ; ce sont des larmes de part et d’autre qui m’ennuient
plus que je ne puis dire. Ce qui n’empêche pas, cher père, que nous n’ayons
tres gaiement fini le carnaval ; lundi la soirée de St Etienne a été
très brillante, il y a un luxe
effréné dans la maison où nous étions, on nous y a reçu avec un empressement
recherché, rien n’avait été négligé pour me faire passer ces
deux jours agréablement. Mme Dumoret est une très jolie femme, et
remarquable aussi par son esprit et la distinction de ses manières ; elle
me fait
toutes les avances possibles.
Mardi ma soirée finale a été d’une gaîté folle, c’était
tout à fait nos intimes, j’avais procuré une surprise à
ces dames. J’avais entendu dans la journée des musiciens Italiens, la
bonne inspiration m’est venue de les faire venir le soir nous faire danser. J’ai donc bien gardé mon secret, et
à neuf heures et au
beau milieu d’une partie de vingt-et-un tout à coup les portes de mon salon se
sont ouvertes et mon orchestre inconnu a préludé au milieu des exclamations de
surprise. Les jeunes personnes étaient ravies ; nous nous sommes mis à danser
tou[s] comme des fous, la musique était si agréable que nous ne touchions pas
terre, et jusqu’à une heure du matin nous nous sommes amusés avec un
entraînement très rare. Pendant le souper les musiciens ont joué et chanté délicieusement en s’accompagnant de la harpe ; c’était charmant d’à
propos, les pauvres artistes ambulants étaient aussi enchantés de leur
aventure,
ils ont bien bu, bien mangé, et fait une recette comme cela ne leur arrive pas
souvent. Enfin nous nous sommes bien amusés, jamais je n’avais
vu mon mari si entrain, il dansait comme un écolier, nous rivalisions tous de
jeunesse ; Finette s’en mêlait aussi, elle était trop drôle ; elle
sera bien comme sa mère, cette chère petite.
J’ai peur que la poste ne parte et je
finis vite mon bon père.
Je vous embrasse bien tendrement.
Votre affectionnée fille
Adèle
2011.02.134 | Vendredi 26 février 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | Image |
Voir 2011.02.152.
St Chamond vendredi [26 février 1841]
Merci, ma chère sœur, des détails que tu
me donnes sur tes plaisirs et tes toilettes, cela nous rapproche il me semble ;
à mon tour que je te raconte que j’ai passé très gaiement mes derniers jours
gras. Mon voyage à St Etienne a été charmant, en dépit de la pluie battante
qui nous y a accompagné dimanche ; cela a été la dernière malencontre. Mr
Dumoret nous attendait avec sa voiture au chemin de fer, et pendant deux jours
nous avons été comblés de toutes les attentions les plus aimables. La
recherche de Mme Teisseire et de Mme Jourdan pâlissait
devant celle de Mme Dumoret ; il est impossible de rien désirer de
plus confortable que cette maison. La soirée de lundi était
excessivement nombreuse et parfaitement bien ; la maîtresse de la maison
était jolie comme un ange. Mais que je te divertisse un peu à mes dépens : croirais-tu,
ma chère, que pour danser la second
contredanse (comprends-tu, la seconde ?)
j’en ai été reduite à un criquet de clerc d’avoué envoyé par
le maître de la maison !….. Oh humiliation… J’étais si outrée
que je voulais refuser, mais cependant la crainte de m’ennuyer toute la soirée
à faire tapisserie m’a décidé
à subir mon triste début ; pour me consoler je
me rappelais alors mes succès d’autrefois du temps de Dada et de
mille autres, je m’exagérais même mes vieux triomphes par pitié…..
Puis j’ai réfléchi que je m’étais peut-être trop modestement cachée dans un coin du
salon ; alors j’ai fait un tour de salon avec un aplomb rare, j’ai
avancé mon fauteuil davantage, en un mot je n’ai rien négligé. De ce moment-là tout est allé à
merveille, ma toilette était une des plus jolies, et mon
mari m’assurait que je lui faisais beaucoup d’honneur…
Enfin cela n’empêche
pas, suffit !… À mon retour j’ai fait rire les dames
aux larmes en leur racontant mes succès ; Mme Richard m’a
avoué alors que pareille chose lui était arrivée à St Etienne l’année
passée, et comme elle est très bien, très
bien cela m’a consolé. Nous sommes revenus mardi
à midi ; à peine
ai-je eu le temps d’embrasser Finette, on nous attendait au second pour
dîner.
Marguerite avait heureusement tout préparé pour le soir ; ma réunion a été d’une
gaîté folle, je ne trouve pas dans mes souvenirs de jeune fille aucune occasion
où je me sois tant amusée.
J’avais entendu dans l’après-midi des musiciens
ambulants ;
l’idée me vint de les faire venir le soir. Marc toujours si empressé de me
faire plaisir ne me laissa pas le temps d’en exprimer le désir que tout
était arrangé ; il me gâte, ce
pauvre ami, j’en étais vraiment touchée plus que je ne puis dire. Nous
gardâmes bien notre secret : nous commençons une raisonnable partie de vingt-[et]-un ; je ne me donnais à dessein
aucune peine pour l’animer, lorsqu’à neuf heures les deux portes de mon
salon s’ouvrent et mon orchestre improvisé est introduit au milieu des
exclamations de surprise de tout le monde. Ils étaient trois réfugiés
Italiens d’un talent rare ; l’un d’eux chantait très bien, un autre l’accompagnait
de la harpe, ils nous jouèrent des contredanses délicieuses. Les jeunes
personnes étaient ravies, du reste leur entrain fut contagieux comme c’était
tout à fait dans l’intimité ; il y avait beaucoup d’abandon ;
nous avons dansé et galopé jusqu’à minuit, la musique était enlevante,
nous ne touchions pas le parquet ; mon mari était d’une gaîté comme je
ne l’avais jamais vu, il dansait avec folie. Vraiment ma collation était
charmante ; pendant que nous mangions les musiciens nous jouèrent des morceaux
délicieux, nous applaudissions à outrance [la fin de la lettre manque]
2011.02.156 | Lundi 7 ou mardi 8 mars 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
La première lettre connue de Berlioz à Adèle en 1841 date du 14 mars (CG no. 745; R96.196). — D’après une lettre de Berlioz à Marc Suat de la fin avril 1841 il ressort que les Suat avaient parlé à Berlioz de la société philharmonique de St Chamond (CG no. 747; R96.198).
St Chamond 8 mars lundi [sic]
Chère sœur
Voilà plusieurs jours que je fais en vain le projet de t’écrire,
et je suis toujours dérangée au moment où je me dispose à prendre ma
plume ; mais décidément je le veux et me voilà lancée…
Je te remercie, bonne sœur, de m’avoir bien vite instruit de
la définitive résolution de mon père ; j’espère de cette manière que
mes tribulations de domestiques seront enfin terminées à l’époque où
j’irai à la Côte ; mais je ne puis former encore de plan à ce sujet,
peut-être à l’heure qu’il est mon père pense déjà à retourner chez lui, le beau soleil va le tenter !
Je comprends, chère sœur, quelle difficulté il y a pour toi
à avoir constamment des distractions à lui offrir ; il me serait bien doux de
partager avec toi, mes ressources ne pourront jamais lutter avec les tiennes
malheureusement. Mon père ne viendra jamais chercher chez moi quelques jours de
douces jouissances de famille ; je pense souvent à cela avec tristesse ;
mon mari [et moi] serions si empressés, si heureux de le
recevoir, ce pauvre père. Mais il ne faut pas espérer, je le crains, qu’il
puisse se décider à faire un si long voyage ; la route de Grenoble est la
seule maintenant qui lui soit familière ; c’est déjà un beau triomphe
d’obtenir, et nous devons tous nous en féliciter. À propos de félici[ta]tions, Marc a vu hier dans
le Moniteur la nomination de ton beau-frère ; j’ai appris cette bonne nouvelle avec grand plaisir, la société de ta belle-sœur te sera bien agréable, Madame Pochin doit être ravie comme vous tous et
plus encore.
J’ai écrit hier quelques lignes à Mme
Félicia
à cette occasion et pour lui rappeler qu’elle nous avait promis une visite ;
j’espère que comme elle sait tout accommoder, déménagement et autres
choses,
elle sera assez aimable pour venir ici avant son départ et profiter au moins une
fois du voisinage. Ce n’est vraiment qu’une promenade de Vienne [à]
ici
maintenant que les jours sont longs.
Nous avons eu hier un brillant concert ; notre Société
philharmonique est d’un zèle admirable et fait merveille. La salle est neuve et bien
décorée, ces Messieurs ont deux très bons maîtres de
musique, des répétitions fréquentes, aussi ils jouent de manière à faire
plaisir et avec beaucoup d’ensemble ; ils sont très nombreux ; ils
avaient fait venir de Lyon Mr Beaumann [?], célèbre violon qui a un talent admirable ; je ne me figurais pas qu’un violon
pût
faire autant de plaisir ; puis une excellente chanteuse et un chanteur distingué.
En résumé la soirée a été cha[rmante], il y avait foule d’etrangers,
[Mme]
Richard avait Mr et Mme Bergeron et un grand dîner en leur honneur avant le
concert ; puis
nous avons également terminé [?] jusqu’à minuit chez elle ; j’ai beaucoup causé de Grenoble avec
ma
charmante anglaise, elle était consternée en apprenant la catastrophe de Henry
[?] Simon !..
Mlle Michal, Mlle Lesage et beaucoup
d’autres ont été le sujet de notre conversation. Point de nouvelles
d’Hector ; comme toi je compte sur mon oncle pour savoir ce qu’ils deviennent
tous. Louise [Boutaud] ne me répond point non plus, Mlle
Méline à qui j’avais écrit par les dames [?] Ardaillon il y a six semaines, pas
un mot ! Mais en revanche j’ai reçu une lettre charmante de cette dernière ce matin,
on ne peut plus affectueuse.
Finette va bien, mais
elle ne se lance pas à marcher seule, moins même qu’il y a quelques jours.
Adieu, chère sœur, mille caresses à mon pere et à Mathilde de ma part, et à
toi et à ton mari une bonne embrassade toute fraternelle.
Adele Suat
2011.02.157 | Vendredi 19 mars 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Sur les embarras financiers de Berlioz à cette époque voir ses lettres à Adèle du 14 mars, à Nancy du 29 mars, et à Marc Suat de la fin avril (CG nos. 745, 746, 747). — Sur les ennuis de domestiques des Suat voir 2011.02.152. — Cette lettre est semble-t-il la dernière de cette collection où Adèle appelle Mathilde Pal ‘Titi’.
St Chamond vendredi 19 mars [1841]
J’ai reçu hier soir, ma chère sœur, ta seconde lettre, et celle qu’elle contenait m’a aussi
profondément affecté que toi. Comme tu le dis très bien, ma chère, il ne nous
est plus possible de nous associer à tous les rêves de fortune et de gloire de
notre pauvre frère ; une longue expérience à ce sujet nous fait voir sa
position sous son véritable et triste jour, l’avenir de sa femme et de son
enfant est effrayant avec une semblable manière de faire, mais toutes ces
réflexions ne sont pas d’hier et ne changeront rien malheureusement.
Quant aux six mille francs qu’il demande à mon père, mon
mari aurait
écrit de suite pour offrir à ce dernier de les lui avancer, mais en y
réfléchissant il a pensé qu’il valait mieux que ce fût toi qui fît cette
offre de notre part à mon père ; mon mari ignorant ses affaires ne voudrait pas
paraître empressé de s’y mêler
sans qu’il le désirât, mais au premier mot à ce sujet il s’empressera de
retirer cette somme et de la mettre à la disposition de mon père ; il pense d’ici à
un
mois, il faut ce temps pour le retirer. Maintenant il nous semble qu’il
serait peut-être plus sage, sous le prétexte de manque de fonds de mon père,
et dans le but de forcer Hector à manger plus lentement son petit
capital, de ne lui envoyer que 3 ou 4000 frs [?] à la fois ; du reste, ma
chère, cela est indifférent à mon mari, tu le comprends, et dans l’intérêt seul d’Hector.
Nous lui aurions écrit à ce sujet, mais comme il ne s’est point adressé à
nous, tu voudras bien, ma chère, arranger cela comme tu plairas, de même que pour
apprendre cela à [mo]n père en temps opportun ; je ne lui en écrirai rien
avant que tu m’aies répondu ce que tu as fait.
Maintenant, ma bonne sœur, pour me distraire de toutes ces pénibles
pensées parlons un peu du plaisir que nous aurons bientôt de nous embrasser ;
je te remercie mille fois de ta visite promise, j’y pense sans cesse, je
fais mille projets pour te dorloter de mon mieux pour que tu te trouves bien chez
moi afin de t’engager à y venir souvent.
Le plan de campagne que tu me proposes me
convient à merveille, et j’espère que rien ne m’empêchera de repartir
avec toi pour la Côte, mais je t’avertis que si tu ne m’amènes pas ma
Titi [Mathilde] je ne m’engage à rien, pas même à te recevoir de bonne
grâce ; j’ai déjà
organisé une réunion de petites filles en son honneur, où elle m’en ferait
beaucoup. Comme tu ne me dis rien à ce sujet j’ai grand peur que tu médites
quelque coup de mère barbare que je ne te pardonnerais de ma vie, je t’en
préviens ; à Mathilde à veiller à ses intérêts et aux miens
par conséquent !
Finette ne marche toujours point dans ce moment ; cela me
serait cependant bien commode avec mes embarras. Si je voulais te faire les
détails de mes tribulations de cuisinière je te ferais peut-être pitié, ce
serait une histoire à la Bardousse.
Voilà dix jours que ma méchante femelle est partie ;
dimanche j’en avais installé une autre à grand’peine, je m’abonnais
[?] à la former faute de mieux. Lundi je l’envoyai à la rivière sottement,
là ma vieille bavarde avait tellement fait de rapports absurdes
qu’en rentrant cette fille me déclara qu’elle voulait s’en aller, qu’on
lui avait dit que j’étais terrible, que je ne gardais point de
domestiques, qu’on mourait de faim chez moi etc. etc. et mille autres bêtises
auxquelles je ne ferais point attention si cela n’avait une conséquence fort
ennuyeuse.
Mon mari impatienté de cela pria cette fille de faire son
paquet et de décamper de suite, elle nous fit une scène ; j’étais
tremblante comme une imbécile, et maintenant me voilà ; je ne puis
te dire combien ces tracasseries sont pénibles, je me donne une peine affreuse.
Finette fait exprès de ne vouloir pas rester une minute assise, j’ai pris une
ouvrière pour la tenir, mais elle a pris hors de propos un amour de mère
désolant. Je voulais prendre une femme de ménage, impossible de la voir de
plusieurs jours.
Marguerite se multiplie de bonne grâce ; c’est
bien quelque chose, mais cette fille est souffrante, et je voudrais
pouvoir la faire reposer, mais comment faire, mon prochain voyage à la
Côte augmente mon impatience de voir ma maison désorganisée à ce point.
Comment laisser mon mari seul si je n’ai pas enfin installée quelqu’un sur
qui je puisse compter pour le servir convenablement ? Enfin je ne veux pas trop me
tourmenter ; avec de la patience tout s’arrangera, j’espère.
J’ai reçu hier une lettre de Mme Félicie qui
me promet une visite dans 15 jours. J’en serais bien enchantée, je trouverais
bien moyen de leur faire faire [un] bon dîner en dépit de tout.
Louise [Boutaud] m’écrit hier également, pour elle la vie se passe, sans fatigue et
sans inquiétude aucune, les plaisirs et la parure, voilà son
affaire. Elle me donne une commission énorme de rubans ; je ne
sais quand je trouverai le loisir de m’en occuper, je ne m’appartiens pas,
pour t’écrire si longuement il faut que je [me] mette en colère. Finette me rompt
la tête, et je ne sais comment s’appellera notre déjeuner.
Mon
mari ne veut point que je l’oublie auprès de vous tous.
Je t’embrasse
tendrement
Toute à toi
Adèle
J’écrivis de même
avant hier à mon père. Adieu, chère sœur, à bientôt ; cette perspective me
paraît bien douce, mais Mathilde ou rien, je te le déclare !….
À Pauline une visite de ma part en attendant que je puisse
lui écrire.
Mon mari attendra ta réponse avant de
demander son argent.
2011.02.158 | Mardi 23 mars 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.157, et sur les ennuis de domestiques des Suat 2011.02.152.
St Chamond lundi soir [22 mars 1841]
Tu as bien raison, ma
bonne sœur, d’attendre ton arrivée à la Côte pour mettre mon père au
courant des affaires d’Hector ; ses décisions sont toujours si promptes, et
souvent si bizarres qu’il est prudent de parler au lieu d’écrire.
Quant à
ce que tu as écrit à Hector, mon mari avec sa bonté et sa délicatesse
extraordinaires est presque fâché que tu aies exigé qu’il s’adressât
directement à lui ; il craint que cela ne blesse la fierté de notre frère, qui
dans cette occasion croyait ne demander que ce qui lui appartenait. Il se doute
même qu’il ne préfère chercher des ressources ailleurs à des
intérêts exorbitants ; son premier mouvement a été de le prévenir en lui
écrivant de suite pour le mettre à l’aise, mais après avoir pensé
comme lui d’abord, j’ai réfléchi qu’il était peut-être plus sage de
laisser aller les choses, et d’attendre l’effet de ta lettre sans
écouter l’impulsion de notre cœur. Marc a eu de la peine
à se résigner ; il lui semble que ce doit être si cruel de frapper à
plusieurs portes quand on est dans une gêne de ce genre, mais si cette peine
pouvait engager notre pauvre frère à l’économie, il faut le tenter sans l’espérer
trop, malheureusement.
Je viens de recevoir une lettre de mon père qui m’a fait
plaisir en me donnant de bonnes nouvelles de sa santé, mais qui n’a pas
simplifié mon embarras, tant s’en faut ; je suis horriblement contrariée qu’il
ait pris sans me prévenir une jeune fille pour me la former, je l’avais
prié de me dire si Monique ne connaîtrait personne qui pût me convenir,
et de me l’écrire tout
simplement. Au lieu de cela sans perdre une minute, sans savoir si j’en
ai trouvé une ici, rien, il commence l’éducation d’une
cuisinière
à mon intention. Tu comprends, ma chère, que cela ne peut me convenir en aucune
manière ; je ne puis attendre mon retour de la Côte, et laisser Marc seul ici
sans personne, et dans le doute si celle qu’on prend
me conviendra ; puis j’ai découvert une bonne Auvergnate, qui sait
faire la cuisine, et qui désire venir chez moi, ses maitres quittant St
Chamond où elle tient à rester. Je l’aurai ainsi dans huit jours, ce qui est
bien différent ; il faut donc que j’écrive de suite à mon père qu’il s’est
trop pressé, au risque de le vexer ; mais comment faire mieux, dis-moi ?..
Il paraît qu’il est contrarié horriblement que mon séjour
à la Côte ne coïncide pas avec le tien ; il me dit qu’il se croira obligé
de me tenir compagnie souvent, que ce sera un souci pour lui ; mais comprends-tu
cela, ma chère ? Cela m’a attristé plus que je ne puis dire. Je vois que
je voudrais contenter tout le monde et que je n’y réussirai pas ; je crois que
mon père avait déjà cette idée-là quand je parlais d’aller le voir au
commencement du Carême, et qu’il avait cru changer les choses en allant à
Grenoble passer quelques jours.
Mon mari ne peut comprendre cela. Pour moi les idées de
notre pauvre père m’étonnent moins.
Pour m’achever hier j’ai eu une
frayeur épouvantable. Joséphine s’est echappée des mains de sa bonne et est
tombée un coup affreux à la
renverse sur la tête ; pendant deux heures elle a poussé des cris horribles,
nous envoyâmes chercher notre médecin, impossible de le joindre ; ne sachant
que
devenir nous lui mîmes de la moutarde ; il vint ensuite et nous rassura.
Elle dormit assez paisiblement, mais à son reveil rien ne pouvait la distraire ;
ses yeux étaient éteints, nous étions fous d’inquiétude ; hier soir
cependant elle a repris sa vivacité et son teint ordinaire ; aujourd’hui
elle va bien et je commence à croire que la chute n’était pas seule cause de
l’état où elle était hier mais une crise de dents ; le tout joint ensemble
elle ne voulut pas me quitter une minute, l’inquiétude et la fatigue m’ont
abîmée ; quelle journée affreuse nous passâmes hier ; je croyais qu’elle
avait duré au moins 48 heures !……
Dieu merci, j’espère qu’elle n’aura pas de suite ;
je lui ai fait prendre un bain d’une heure mais ce soir elle est agitée,
souvent elle l’est autant, mais tu sais, ma chère, que lorsqu’on a eu de
l’inquiétude on a peur de tout. Adieu, ma chère, je te quitte pour aller me
coucher ce dont j’ai grand besoin ; mais Finette ne me permet guère
d’espérer de bien dormir.
Tu es bien sotte de ne pas me promettre d’amener Mathilde ;
les terreurs de Camille me paraissent un peu fortes, mais on aime
tant ces pauvres enfants qu’on en devient absurde ; mais en première
ligne [mot effacé]
je n’ose trop insister, mais il m’en coûte beaucoup beaucoup, cette
chère
petite avait déjà son lit prêt, je me préoccupais chaque jour de ce qui
pourrait lui faire plaisir …… Arrange-toi au moins pour me rester le plus
possible en compensation. Il faudra bien que je me repose un peu de mes tracas
sans départir ; je n’ai pas eu le temps de m’asseoir aujourd’hui à peine
pour dîner.
Toute à toi, Adèle
J’ai reçu cette
semaine une lettre de Mme Méline qui me dit que les dernières
nouvelles de Mme Julhiet
n’annonçaient pas que son mari
se trouvât mieux du séjour de Nice.
Cette pauvre femme espère tout du temps. J’admire
sa persévérance et je la plains plus encore.
Mardi matin
Finette a dormi contre notre attente, elle va très bien ce
matin, elle est là assise par terre qui s’amuse paisiblement.
2011.02.159 | Samedi 3 avril 1841 | À son père Louis-Joseph Berlioz | Transcription littérale | — |
La lettre de Berlioz à Marc Suat dont il est question ne semble pas avoir survécu. — Le projet de Berlioz de donner un festival au Panthéon ne semble pas connu par ailleurs; il n’en est pas question dans ses lettres de cette époque.
St Chamond dimanche [sic] [Samedi 3 avril 1841]
Il y a bien des jours
que je forme en vain le projet de vous écrire, mon cher papa ; mon temps ne m’appartient
plus maintenant, ma petite fille m’occupe du matin au soir, et pour trouver
moyen de faire une lettre c’est souvent une chose impossible, malgré toute
ma bonne volonté. Cette semaine surtout la pauvre enfant avait des
coliques si violentes que j’étais inquiète ; quand je voyais de grosses
larmes inonder sa petite figure, cela me fendait le cœur ; elle grossit
beaucoup, c’est ce qui est cause de cela probablement. Depuis deux jours
grâce
à Dieu elle n’a plus de ces accès, elle est rose et blanche et fait
de bons sommeils et de bons repas ; cette chère enfant n’est point
méchante, quand elle ne souffre pas je la garde des heures entières très
sagement éveillée à me faire de gentilles bonnes grâces ; il me tarde bien,
mon cher papa, de vous la faire admirer. Le temps approche où je songerai à me
mettre en route pour la Côte ; j’attendrai le mot d’ordre
de Nancy pour fixer mes projets ; jamais je n’étais resté six grands mois loin de vous tous, c’est
long ! bien long, et je vous embrasserai, bon père, avec une joie
inexprimable ! J’espère que je vous trouverai en bonne santé, je veux
vous faire compliment sur votre bonne mine absolument. Vos grandes réparations
doivent commencer à s’avancer ; comment vous résignez vous avec ce beau
soleil de printemps à rester dans la maison pour les surveiller ?
Pour moi ces jours-ci je me suis occupée de mon parterre ; il
y a devant le cabinet de mon mari une petite terrasse grande comme un mouchoir
de poche, et c’est là où je travaille à avoir quelques fleurs ; il y
avait ici un marchand très bien fourni, et j’ai acheté plusieurs arbustes
qui me donnent les plus belles espérances pour cet été ; ce soi-disant jardin me
sera précieux pour promener ma petite, et pour la faire jouer au soleil quand
elle aura deux ou trois ans.
Mon mari a reçu la procuration d’Hector
pour l’affaire de la maison Charbonnel ;
il lui écrivait quelques lignes à la hâte en la lui envoyant ; il est
très
occupé à ce qu’il paraît à courir les Ministères, mais pourquoi ?…
mais qu’espère-t-il, point d’explication ! son fameux Festival dans le
Panthéon réussira-t-il ? pas un mot à ce sujet, j’en suis toujours
réduite aux conjectures. Comme avec mon oncle, il ne faut pas être trop curieuse
avec ces deux Messieurs depuis quelques temps.
Le mariage de Mr Hypolyte quand se fait-il ?
J’espère tous les jours u[ne] lettre de Mme Veyron qu’elle m’avait
fait annoncer par mon mari ; si vous la voyez, cher papa, rappelez lui cela, et
faites lui mille amitiés de ma part.
Marguerite est très adroite pour ma petite, j’ai pleine
confiance en elle quand je sors ;
elle m’a dit qu’elle resterait chez moi cette année si je lui
donnais 200 frs. [?] de gage. Mon mari trouve comme moi que nous n’avons rien de mieux à faire que d’en passer par
où elle voudra ; nous la
remplacerions difficilement sous tous les rapports, et pour la petite surtout
nous arrangerons cela à la Côte.
Mes amitiés à Monique.
Adieu, mon cher papa, Joséphine se réveille et il faut que je
finisse ; nous vous embrassons bien tendrement tous trois.
Votre affectionnée fille
Adèle
2011.02.160 | Jeudi 6 mai 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Suivant la promesse de la lettre précédente (2011.02.159) Adèle fit un séjour à La Côte de vers la fin avril jusqu’au mois suivant.
La Côte St André jeudi [6 mai 1841]
Tu es bien gentille, ma chère Nancy, d’avoir su trouver le temps de nous écrire malgré tous tes
embarras ; je commence à croire qu’il n’y a que moi qui ne sais pas suffire
à tout malgré ma bonne volonté et mon activité. Je te remercie de tes offres
de services pour mes emplettes de draps. J’ai écrit
à Marc pour savoir si cela
lui conviendrait ; il doit venir lundi et s’il est d’avis de faire cette
emplette il apporterait l’argent pour cela. Il me semble qu’avec 300 frs
[?] on
pourrait en avoir 6 paires de neufs très beaux en mettant la toile à quatre
francs l’aune ; ainsi partant de ce point il serait facile de voir si
on les mise
trop haut.
Je suis fâchée, ma chère amie, que Camille ne veuille point
profiter de tes renseignements acquis à la sueur de ton front pour un
portail en fer ; tu ne
pouvais douter du zèle que mon mari aurait mis à cette grande affaire.
Mon père va assez bien ; il a eu cependant
depuis un mal de doigt assez violent pour l’empêcher de dormir l’avant
dernière nuit, et me disait que cela pouvait facilement devenir gangréneux !……
Je commençai à m’effrayer puis en y réfléchissant et surtout en voyant le
doigt je me rassurai bien vite ; il ne faut plus trop prendre au pied de la
lettre ce que dit notre pauvre père.
Ma bonne est revenue seulement hier dans la nuit, et j’en
avais passé trois sans dormir avec Finette, et dans la journée je n’avais
pu trouver personne pour la garder, mais j’en étais presque bien aise ; cela me
distrayait.
Je passe toujours mon temps ici assez péniblement ; il me
semble qu’il y a des siècles que j’ai quitté Marc. Sa visite me remontera,
il passera j’espère deux jours avec moi, puis je ne repartirai probablement qu’à
la fin de mai ; je me suis imposé cela quoiqu’il puisse m’en
coûter. Nous nous promenons tous les soirs avec mon père du Chuzeau au Moulin et à la
Grange ; l’essentiel est que cela lui fasse plaisir, je jouis quand je vois qu’il
se distrait avec moi et ma Finette, mais sa surdité me fatigue horriblement,
non pas d’irritation d’esprit mais de [mot non déchiffré].
J’ai quelques visites à faire aujourd’hui et je ne puis m’y
décider.
J’ai à peine vu Mme Pion de[puis?..] toi elle avait
cinq ouvrier[s… les?] plus intrépides reculeraient […] t[u] conviendras. Je pense [que] nous irons à
Beaurepaire av[ec mon] mari …… Je suis allée au couvent lundi, Mme
Giroux t’attendait pour te
remettre des commissions pour les dames Gagnon ;
elle fut consternée en apprenant ton départ.
Adieu, chère sœur, mille amitiés de ma part à tous nos
parents
et amis, à Mme Félicie un souvenir particulier en reconnaissance de
son aimable visite à St Chamond ; j’embrasse Camille et Mathilde de moitié
avec toi.
Adèle Suat
2011.02.161 | Lundi 10 mai 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
La Côte St André lundi [10 mai 1841]
Je te remercie, ma chère amie, de l’empressement que tu
veux bien me témoigner pour mes
commissions ; les gants vont parfaitement, quant aux draps mon mari étant d’avis
de profiter de cette occasion d’après ce que tu m’en avais écrit, il a
apporté l’argent et nous te l’enverrons ou
par eux [en?] effet, ou vendredi par Dumond.
Tu feras comme pour toi, chère sœur, seulement si il en a six
plus fins que les autres nous préférons y mettre 5 fr l’aune au besoin s’il
le faut, et prendre les plus beaux, et les plus neufs. Nous te prierons, chère
sœur, de nous faire faire une caisse et de nous les adresser directement à St
Chamond par le roulage ; mille remerciements d’avance pour tout l’embarras
que cela vous causera, mais à charge de revanche.
Mon mari est arrivé cette nuit, mais ses affaires ne lui
permettent pas de faire un séjour de plus de deux jours ; nous
allons ensemble cet après-midi faire une visite à Mme Veyron,
demain nous allons à Beaurepaire, et après-demain il pense repartir. Je
me retrouverai encore plus tristement après son départ ; notre Finette est plus
endiablée que jamais ; voilà trois nuits que je dors à peine quelques
heures.
Marguerite est malade, ainsi
fatiguée ou nous [?] il faut que
Marc et moi nous la gardions ce soir ; j’ai encore plus de peine ici que chez
moi parce que j’ai une cuisinière de moins pour le matin et Claudine pour les
nuits ; Monique ne peut absolument rien, elle était hier d’une humeur
massacrante ; je dînais chez Mme Laroche et pendant que je n’y
étais pas elle fit une scène à mon père très déplacée, à propos d’une
paire de bas qu’il lui demandait. Tu vois, chère sœur, qu’il ne faut pas s’y
frotter.
Mme Pion est enchantée de la mousseline
que tu lui as envoyée ; mais elle en désirerait encore 2 aunes, les robes
seraient trop étroites à deux largeurs d’abord, puis les plis en
prendront beaucoup et il en manquerait évidemment. Elle te prierait ensuite de
lui acheter 3 paires de gants en filets noir, d’un prix modéré, ni des plus
chers, ni des meilleurs marché.
Puis des remerciments et des excuses s[ans] fin : je comprends
chè[re] sœur
que l’absence prolong[ée] d’Henriette doit multiplier les embarras.
Connais-tu le mariage de Mr Joseph Lacroix avec Melle
Bonnard de Vienne, 120,000 frs comptant, 17 ans et une figure charmante…
C’est magnifique j’espère ; j’ai dîné hier avec lui, il était
rayonnant.
Adieu, chère sœur, je vous embrasse tous bien tendrement, mon
mari te dit mille choses affectueuses.
Toute à toi
Adèle S
2011.02.162 | Mardi 10 août 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
St Chamond mardi 10 août [1841]
Depuis ma dernière
lettre, chère sœur, j’ai eu beaucoup d’inquiétudes au sujet de
Finette ; je
commence seulement depuis hier à respirer plus librement, cette malheureuse
dentition éprouve horriblement cette chère enfant. Je craignais un
épanchement
au cerveau et tu peux deviner quelle angoisse me déchirait. Le médecin m’assurait
bien qu’il n’y avait pas le moindre danger, mais quand je voyais ma pauvre
petite si brûlante, les yeux si éteints, et gémissant en me disant « Mal,
maman, mal ! » .. je
croyais de perdre la tête, je ne vivais plus, c’est le mot, nuit et jour je la
promenais ; enfin le médecin s’est décidé à lui donner un coup de
lancette
dans la gencive et depuis lors elle a été soulagée, mais je ne puis te dire,
chère sœur, l’émotion que j’ai éprouvé en tenant ma pauvre enfant pendant
cette petite opération. Elle faisait des
cris atroces ; on me dit cependant que ce n’est pas douloureux et qu’il y
avait plus de peur que de mal ; peut-être même faudra-t-il y revenir de l’autre
côté, et il faudra bien reprendre mon courage. Mais tout cela joint au manque
complet de sommeil depuis quinze jours m’a abîmée ; mon mari se
désespérait de ne pouvoir rien pour me soulager, mais que faire ?
Joséphine ne voulait pas me quitter à peine pour sa bonne ; cette tendresse extraordinaire me frappait, du reste,
chère sœur, tu sais combien mon
imagination est ingénieuse en pareil cas …… Maintenant grâce à Dieu elle
en est aux caprices ; je les trouve adorables et je ne sais rien lui refuser ; et
pour t’écrire j’ai fait acte de courage en la faisant crier pour la faire
emporter de ma chambre ; c’est sublime pour moi dans ce moment.
J’ai reçu hier quelques lignes de mon
père ; il allait très bien. Mon mari n’est pas allé à Beaurepaire comme tu
penses bien à cause de la petite ; maintenant des affaires le retiennent ici, et
il est probable qu’il n’ira plus qu’au commencement d’octobre en m’accompagnant
à la Côte. Tous nos projets ont été dérangés cet été, maintenant je ne
désire qu’un peu de repos complet.
Marc est invité aujourd’hui [au
d]îner de baptême de Mr
Deloye ; sa femme est accouchée très heureusement en une heure d’un magnifique garçon.
Je ne puis te
dire le plaisir que cela m’a fait, elle croyait rêver ! Elle ne pouvait
croire que ce bel enfant fût à elle ; la pauvre femme se frappait horriblement les
derniers jours de sa grossesse, elle ne pouvait voir aucune de nous sans fondre
en larmes, cela me fendait le cœur. Mr Munet
est venu nous voir il y a quelques jours ; Mme Richard est
repartie ce matin pour Mon Chat ; elle m’a fait promettre d’y aller
passer quelques jours avec les dames Ardaillon à la fin du mois.
Adieu, chère sœur, je te
quitte pour déjeuner ; il est onze heures, et c’est bien l’heure pour une
femme qui a veillé et bercé une
partie de la nuit.
Je commençais à engraisser, et à recevoir des compliments sur
ma bonne mine.
C’est dommage que m[lacune]lle
n’arrête en si bonne disposition, mais [lacune
g]agnerai le temps perdu.
Avant d’aller
à la Côte, j’espère, dis à Mathilde que Finette lui dira laide et polissonne tant
qu’elle
voudra ; mes compliments à Camille.
Toute à toi, Adèle.
2011.02.163 | Samedi 11 septembre 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Sur l’invation des Richard voir 2011.02.162, et sur le séjour d’Adèle voir aussi 2011.02.164.
St Chamond samedi 11 septembre [1841]
Tu as un temps à
souhait pour ton voyage, chère sœur, j’en profiterai aussi car je pars à
quatre heures avec Mr Richard pour sa campagne de Mon Chat. Je
laisse ma Finette à Marc, ainsi je suis tranquille ; du reste elle va à merveille,
c’est un petit diable gentil à croquer, elle mange comme deux afin de vous
présenter une meilleure figure à la Côte.
Mme et Mlles Ardaillon sont parties ce
matin, et nous allons mener toutes ensemble la vraie vie de Château ; je suis
sûre que Mme Richard doit recevoir à
merveille, cette partie était projetée depuis cet hiver.
Marc viendra me chercher à la fin de la semaine.
J’ai eu avant hier une surprise agréable en voyant arriver
notre cousin Victor B[erlioz], mais le motif de son voyage à Lyon m’a
étonné bien
tristement, c’est un secret.
Il a amené Pauline à la Ferrandière au Sacré Cœur où elle
veut se faire religieuse. Ma tante n’a pu lui résister
davantage, elle tourmentait pour partir depuis plusieurs mois. Son pauvre frère
était navré, navré, il en pleurait comme un enfant ; je le comprenais mieux que
personne, quel vide Pauline va faire dans cette famille. Il craignait que la
santé de son père n’eût reçu
un choc.
Ils sont partis incognito, et veulent retarder le plus
possible d’en parler, dans la crainte ou l’espoir plutôt qu’elle
ne s’y accoutumera pas.
Je serai à deux pas de son couvent à Mont Chat, mais Victor m’a
prié de ne pas aller la voir encore
pour ne pas la contrarier.
Il est parti ce matin.
J’ai des millions de choses à faire, je viens de donner
une lessive afin de la trouver prête à fermer
et repasser à mon retour et faire ensuite paisiblement mes préparatifs de
départ pour la Côte. Notre projet est de partir le 28 ou le 29 ; nous passerons
par Beaurepaire, je pense, pour différentes raisons et le 2
octobre je pense que j’aurai le plaisir de vous embrasser. J’ai
écrit avant-hier à Hector … Que fait mon oncle ?
Adieu, chère sœur, embrasse notre bon père bien tendrement
pour nous ; mille choses à Camille, à Mathilde, mes amitiés à Mme
Pion ; dis-lui que j’emporte ses plumes
à Lyon pour en tirer le meilleur parti possible.
J’ai écrit à Louise [Boutaud] la
semaine passée ; adieu, le temps me presse et je ne suis pas habillée.
Toute à toi
Adè[le]
Il vient de nous
arriver ici une Grenobloise mariée au directeur de la poste. C’est Mlle
de Galbert.
Je ne sais si je pourrai en tirer parti, j’ai peur que
non ;
son mari est très bien, il s’appelle Mr de Morgues, il était à
Crest.
2011.02.164 | Mardi 21 septembre 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | Image |
Voir 2011.02.163. — L’invention du daguérréotype, dont il est question dans cette lettre, remonte, on le sait, à 1839.
St Chamond mardi [21 septembre 1841]
J’ai trouvé ta
lettre hier en arrivant, chère sœur, ayant prolongé un peu mon séjour à Mon
Chat ; j’y étais si agréablement sous tous les rapports que je n’ai pu
résister aux instances de Mme Richard. Sa campagne est magnifique, tu
peux t’en faire une idée quand tu sauras que cette propriété
vaut cinq cents mille francs ! C’est un parc immense au milieu
duquel il y a une forêt de haute futaie qu’on traverse par des délicieux
sentiers, devant la maison une immense pelouse, puis des jardins anglais de
chaque côté, et tout cela tenu avec un soin et un goût parfait.
Il est
impossible de mieux faire ses honneurs que Mme Richard, tous les
dimanches il y a du monde chez elle ; rien ne manque, piano, billard, jeux
de toute espèce, album, journaux, puis un gentil petit cheval corse, et une
calèche miniature pour se promener dans le parc. Le temps a été à souhait, nous pouvions rester dehors toute la soirée, les enfants tiraient des petits feux d’artifice
qui faisaient un très joli effet dans la verdure. Le matin nous prenions notre
café dehors sur une charmante table rustique.
J’aurais joui bien davantage de tout cela si mon mari et
ma Finette en avaient pris leur part ; Marc a pu en profiter seulement
dimanche.
Tu penses bien, chère sœur, que pour être à la hauteur de
cette vie j’ai fait de mon mieux pour être gentille ; les dames Ardaillon
faisaient aussi beaucoup de frais, aussi nous avons fini par conclure (modestie
à part) que nous avions été aimables à qui mieux mieux !.. Pour ma
part j’ai fait deux conquêtes ! … Je ne te dirai pas de qui
pour
ne rien gâter.
Étant à deux pas de la Ferrandière je n’ai pas pu
résister
à aller voir Pauline ; cependant prudemment je lui avais écrit un mot
pour savoir s’il n’y aurait pas d’indiscrétion ; elle me fit répondre qu’elle
m’attendait. Je ne puis te dire, chère sœur, l’impression pénible
que m’a laissé cette visite, j’en étais malade ; c’est que je n’avais
déjà plus retrouvé que l’ombre de notre bonne et si aimable cousine ;
elle me parlait de sa famille comme si elle n’y était nullement
nécessaire,
comme y étant déja complètement étrangère, je n’oserais dire un mot plus
expressif ;
peut-être faut-il attribuer cela à la préoccupation inséparable d’un
nouveau genre de vie.
Son idée fixe était que je fis dire à sa mère qu’elle
était très contente, pensant qu’elle me croirait mieux que ses lettres ;
enfin je la quittai le cœur bien gros je t’assure, je n’aurai probablement
pas le désir de renouveler souvent de semblables visites. Pour me
remettre j’en fis une autre le même jour plus agréable, j’allai chez Mme
Bouchardon, où je trouvai sa mère et les Faure [?], toutes me firent l’accueil le
plus aimable, Mme Reval [?] surtout me remerciait beaucoup d’être venue les
voir. Elle me fit visiter avc orgueil la propriété de son Eugène qui me parut bien
mesquine, et bien peu confortablement tenue
en comparaison de Mon Chat ; cela sent la boutique un peu, à
part de beaux ombrages que j’admirai convenablement comme tu devines bien ;
enfin je passai une heure tres agréable à parler d’autrefois ; de
douloureux souvenirs de part et d’autre furent rappelés aussi, comme tu
peux
le présumer.
Mme Bouchardon fut enchantée d’apprendre que tu
pouvais rivaliser de rotondité
avec elle, et me chargea de mille choses pour toi, le jour où elle est venue
ensuite me voir avec sa sœur Joséphine, que j’ai trouvé horriblement
changée.
Comme j’avais deux équipages à mes ordres j’ai fait
plusieurs courses à Lyon ; je me suis occupée un peu de ma toilette afin
de faire honneur à la Côte. On y est
si difficile que ce n’est pas une plaisanterie, malgré toute la peine [que]
je me
suis donnée je n’espère guère recevoir beaucoup de
suffrages, cependant une élégante robe de gros
de Naples garnie en passementie,
un canezou d’un genre nouveau
orné de ma belle dentelle Valenciennes, mon chapeau blanc restauré coquettement ...
Si ensuite toutes vos réunions d’automne ont eu lieu avant mon arrivée, comme
cela est probable d’après ce que tu m’écris, je regretterai beaucoup la peine
inutile que je me suis donnée en votre honneur et gloire.
Que je te dise encore, chère sœur, que j’ai voulu procurer
une petite surprise à mon père ; je me suis rappelé qu’il m’avait
témoigné ce printemps le désir de voir des daguérréotypes et en
faisant faire par ce procédé le portrait de mon mari qu’il m’avait
promis depuis longtemps, j’ai eu l’idée de porter le mien à mon
père ;
mais la lumière m’a très mal traité, j’en suis furieuse ; pour
me consoler Marc est d’une ressemblance frappante, frappante. Je ne puis te dire combien j’en suis heureuse.
Pour moi il paraît qu’il m’est impossible de rester assez
immobile pendant une minute pas davantage, il faut qu’on vous fixe la
tête dans un cercle, et toujours avoir les yeux sur un objet sans remuer les
paupières. C’est horriblement difficile, à cause de la réverbération du
soleil, puis l’idée que le plus imperceptible mouvement peut faire manquer l’opération
vous donne un besoin de bouger horrible ; beaucoup de personnes ne peuvent pas
supporter cela. On m’a recommencé deux fois, peut-être à la troisieme
aurais-je été plus heureuse ; mais le temps nous manquait.
Cette expérience m’a intéressé au delà de toute
expression, cela tient du prodige ; et je ne regrette pas mes 15 frs ni ma laide figure ; en voulant être trop gracieuse il
paraît que j’ai
bougé les lèvres et j’ai été punie. — Morale Ma
vivante image (qui ne l’est guère).
Ma chère Finette m’a fait des tendresses extraordinaires à
mon arrivée ; elle se porte à merveille, je lui ai trouvé bien meilleure mine,
c’est un diable s’il en fut et je réclame d’avance toute l’indulgence
du grand-père et de la tante. Je l’ai déjà avertie que l’oncle
Camille ne la supporterait pas à table ; j’espère que Mathilde la
protègera de sa
sagesse. Dis à cette chère petite qu’elle m’[a] bien fait courir à Lyon
p[our] un gentil canezou à lui
a[pporter?] Si je n’ai pas reussi ce n’es[t pas] ma faute, c’est
très simple [lacune] mais assez gentil, je […]
mieux comme à mon ordinai[re lacune]
Je ferai ta commission [pour des?] rubans si je peux,
tu [lacune] pour [?] que ce n’est pas toujours [lacune]
soigne donc bien ta gripp[e je te] prie, quelle idée absurde [lacune]
tousser avec ce temps tiède et [lacune] le
papier me manque, j’ai tant a dire. Je vis tellement
depuis quelques temps que je deviens prodigieusement bavarde. Il me fallait
cependant reprendre haleine avant d’aller vous voir.
Mes compliments à la [mot non déchiffré] étrangère que j’espère encore trouver à Beauregard.
[Mes] amitiés à Mme
et Mlle Pion [… on ne] peut rien faire des plumes [elles n]’en valent pas la peine ;
[j’]embrasse
Louise [Boutaud] et sa mère, [ell]es ont dû
briller à Rives ?…
Adieu, chère Nancy, adieu père, à bientôt.
Adèle S.
Je te souhaite des cailles comme celles que j’ai mangé à Mon Chat tous les jours.
2011.02.165 | Dimanche 12 décembre 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Remarquer dans cette lettre l’allusion discrète à la grossesse d’Adèle; Nancy Suat devait naître le 19 juillet 1842 (voir 2011.02.167, 2011.02.168).
St Chamond dimanche 12 décembre [1841]
Que je commence par te
féliciter, chère sœur, d’être enfin pourvue d’une cuisinière et d’une
bonne
à ce qu’il paraît, le provisoire a toujours beaucoup d’inconvénients et peu d’économie ;
il était temps que tu en fusses sortie vraiment.
Ta longue lettre m’avait beaucoup intéressée, les détails
qu’elle contenait sur notre famille et nos amis étaient précieux pour moi ;
l’état de notre pauvre tante Félicie me fait une peine profonde. Dis-lui donc
je te prie mille choses bien affectueuses pour moi à ta première visite.
Pauline, j’en suis toujours plus convaincue, a été
entraînée à cette
folle démarche par quelque idée fixe ; impossible à deviner, c’est
une énigme d’un autre genre que celle d’Odile [Burdet], mais non moins étrange ;
dis-moi s’il valait la peine à cette dernière de vouloir se remarier à
tout
prix pour vivre constamment séparée de son mari ? Il faut du reste (affection
à part) tenir bien peu de compte de l’opinion publique pour arranger ainsi sa
vie !… Les pauvres Michal
sont un sujet d’une pitié profonde ; il ne leur manquait plus que la
maladie de Mélanie pour compléter leur affreuse position, c’est trop !….
pour une patience humaine vraiment…
Mon père m’avait donné de ses nouvelles la semaine
dernière, ce qui m’avait surpris très agréablement, je t’assure ; je pense lui
écrire demain ainsi qu’à mon oncle Félix [Marmion] avec qui je suis très en
arrière,
mais j’attendais de savoir où le prendre définitivement. La garnison de
Thionville ne le consolera pas beaucoup il me semble de son long Carême à
Huningues ;
sa douce philosophie lui sera d’un secours indispensable dans cette occasion.
La nouvelle du départ de Mlle Lucie pour Paris
m’a fait crier Oh ! et Ah ! avec plaisir, mais je veux te gronder de
ne point me raconter l’événement arrivé à leur cousin Blanchat. Cela me
préoccupe, une de leurs petites filles est morte sans doute
malheureusement ?…… Quel coup pour sa mère si impressionable. Je t’assure que j’ai
fait comme tu t’y attendais de ta relation Poussielgue,
les découvertes
souterraines sont charmantes, très heureusement trouvées ; le séjour d’Aubenas
est fait exprès pour le sujet, on ne peut plus convenablement tomber ……
Je la vois délicieuse avec le costume de mariée,
d’honneur Mr Gourmier
a fait preuve d’un grand courage ce jour-là…. Je le tiens pour
intrépide …… C’est dommage que tu sois privée de ce jeune ménage pour l’ornement
de tes salons ce carnaval, auras-tu Mme Didier ?
cette laide-là au moins serait précieuse, je le souhaite pour l’agrément de
tes soirées. Pour moi je rumine un grand dîner pour les premiers jours de
janvier ; je renonce à un bal pour des raisons que je te dirai un peu plus tard,
rien ne presse … devine — si tu peux ?…..
Nos réunions se bornent jusqu’à présent aux —
dimanches,
ce soir nous dînons chez Mme Richard, dimanche
passé c’était chez Mme Ardaillon …
Je suis rassasiée de truffes déjà, cependant j’apprécie infiniment
ces bons petits dîners, où le confortable est si complet, mais plus de truffes
de grâce, l’odeur seule me rassasie ……
Je te disais que nous sommes sur le point de terminer notre
marché de voiture avec .. Mme Charmeil,
en dépit de tout ce que le diable de sellier a fait pour la déprécier. Il
paraît d’après ce m’écrivait hier Mme Charmeil
qu’il a fait plus, qu’il l’a cassée, car quand Mr
Casimir [Faure] l’a essayé elle penchait horriblement d’un côté, et elle était
en très bon état positivement. Marc est de toute colère de cela et lui
écrit vertement, je pense que cela se terminera à 35o
à cause de ces dégâts ; il faut baisser le prix, c’est égal, nous
serons enchantés d’en être débarrassés aussi bien. Marc
vient d’écrire à Mr Casimir pour terminer ; je n’ose encore trop
me féliciter, j’ai peur de quelque nouvelle anicroche.
Joséphine continue à aller à merveille ; elle dort mieux la
nuit, et du reste elle supporte sagement Claudine la nuit quand il le faut ;
c’est un point capital pour nous ……
Elle attend le jour de l’an avec impatience parce que son
père lui promit un grand cheval qui aura des bonbons dans le ventre ; elle
raconte cela à sa manière très drôlement, elle est enchantée aussi de mettre
la cuisinière en colère en lui disant « grosse Auvergnate ».
Sa passion pour le clerc de son père est toujours plus forte.
Cela promet, conviens[-en] chère sœur ? Rien au monde ne
vaut son Berthaud, elle se précipiterait par la fenêtre si elle le voyait
dans la rue ; c’est incroyable vraiment, aussi je lui recommande de ne pas se
montrer pour éviter des scènes affreuses. Pendant que j’y
pense, tu ne voudrais point par hasard acheter un mouchoir de poche … une bonne
occasion. Tu te rappelles celui que j’avais donné à broder aux
demoiselles Ginet pour Mme
Richard ?…. eh bien, la jeune personne à qui elle voulait le donner (Mlle
Séguier, cette fameuse pianiste de Lyon dont je t’avais parlé souvent) vient
de mourir subitement, en conséquence Mme Richard qui l’aimait
beaucoup ne veut pas revoir ce mouchoir, cela lui ferait de la peine. Elle pense
le donner à vendre à sa lingère à Lyon ; mais peut-être cela te
conviendrait-il, dans ces
cas-là on fait de bons marchés ; réponds-moi à ce sujet ? Il est encore à la
Côte ; je pense que tout compris il coûterait à peu pres 22 fr
— pour moi j’en aurai pour longtemps avant de faire pareille
emplette. Je ne rêve qu’économie, tout en dépensant de
l’argent, je recule pour mieux sauter. Je viens de prier Mme Richard
de m’acheter à Lyon où elle va demain un joli chapeau dont j’ai un besoin
urgent ; comme à ma louable habitude je lui ai dit de faire comme pour elle ;
je suis sûre que le choix sera parfait, elle a un goût exquis, je connais peu de
femmes qui se mettent aussi bien.
Je pense ce soir me faire très belle ; je mettrai un
bonne[t] très frais arrivé de Lyon ; il est très gracieux, surtout d’un cóté ;
de l’autre il déplaît, mais je crois que c’est parce qu’il est à moi ; je
ne suis jamais satisfaite de ce que j’ai, c’est une maladie.
Adieu, chère sœur, assez bavarder sur des riens ; mille amitiés à ton mari, à Mathilde des caresses,
mes compliments à tes belles-sœurs ;
remercie Mme Dubaux de son bon souvenir. Mon mari ne veut point être oublié
près de toi.
Adèle
Site Hector Berlioz créé par Michel Austin et Monir Tayeb le 18 juillet 1997; pages Lettres de la famille du compositeur créées le 11 décembre 2014, mises à jour le 1er avril 2015.
© Musée Hector-Berlioz pour le texte et les images des
lettres
© Michel Austin et Monir Tayeb pour le commentaire et la présentation
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