(Textes corrigés, en ordre chronologique)
Liste
chronologique des lettres de Marc Suat
Liste chronologique des
lettres de Joséphine Suat-Chapot
Liste chronologique des
lettres de Nancy Suat-de Colonjon
Lettres de Marc Suat
Lettres de Joséphine Suat-Chapot
Lettres de Nancy Suat-de Colonjon
La transcription littérale des lettres de la famille Suat se trouve sur une page séparée
Les lettres d’Adèle Suat se trouvent sur des pages séparées (transcriptions littérales, et textes corrigés)
2011.02.310 | Mardi 19 février 1856 | À son beau-frère Camille Pal | Transcription littérale | — |
Sur le procès Pion voir 2011.02.224.
Vienne ce 19 février 1856
Mon cher beau-frère
Je viens de recevoir les sept cents francs
que vous m’avez adre[ssés pou]r le compte d’Hector en un mandat tiré à
votre ordre par votre receveur général sur notre receveur particulier et que
vous m’avez endossé valeur en compte.
Vous êtes complètement dans l’erreur en supposant que c’est
par légèreté qu’il a été parlé du jugement Pion dans la sommation notifée
à Paris, c’est au
contraire avec réflexion et parce qu’il n’en pouvait être
autrement que la chose a été faite ainsi, et je suis surpris que vous ne l’ayez
pas compris.
Les réparations à faire sont indivises, M. Paret ne
pouvait y mettre la main seul ; elles forment un tout qui ne peut
être fractionné entre les intéressés que par un accord spécial ;
dès lors la nécessité de lui faire savoir comment et avec qui il doit faire ce travail puisque la
déclaration ne le lui a pas dit. Vraiment quand vous supposez autrement vous n’y avez pas réfléchi, surtout en qualifiant de frustratoire
la sommation qui n’a pas le moindre caractère d’un acte de cette nature, et
qui a été une formalité nécessaire en face du mauvais v[ouloir] de M. Paret
af[in] de suppléer à la lacune qui s’est glissée dans la déclaration.
Le notaire aurait dû faire autrement ; il n’y avait
pas l’ombre d’opportunité à faire deux actes, il suffisait de dire dans la
vente même que comme condition M. Paret demeurait tenu de la moitié des réparations à faire et qu’il les ferait de
conformité à l’esprit du jugement intervenu entre nous et M. Pion et
de concert avec les personnes qui y devaient concourir.
Nous étions parfaitement en droit de lui imposer
cette clause, parce que les dégradations venaient soit du défaut de
réparations, soit de force majeure, le tout postérieurement à notre
vente privée.
Si le notaire l’eût compris en ce sens (comme je l’avais indiqué) nous n’aurions pas eu les
tiraillements que
nous éprouvons avec M. Paret et probablement tout serait réparé depuis
longtemps. Nous aurions de plus évité les frais et l’ennui de la sommation q[ui (si] j’en
crois votre lettre et que M. Paret soit prêt
à remplir ses engagements) a été plus persuasive que toutes les belles paroles que vous et moi avons pu dépenser
pour cela.
En définitive je suis bien aise d’être instruit sur le
point où vous avez mis cette affaire, que vous n’avez pu traiter sans vous être
entendu avec moi, ne vous en ayant point donné le
mandat ; j’ignorais votre voyage à la Côte, d’ailleurs
je préfère faire mes affaires moi-même.
Adieu, mon cher beau-frère, mille amitiés à Mathilde et à
son mari.
Tout à vous
Suat
R.S.V.P.
Roche m’a remboursé 6f. 45 pour impôts de 1855 ; mais j’ai moi-même payé cette somme au percepteur ; si vous l’aviez payée aussi (ce dont je doute, et il y a probablement erreur de votre part), il y aurait double emploi et matière à restitution. J’ai fait un état fort exact des impôts de 1855, et si vous me faites connaître la somme que vous avez payée je pourrai à un centime près vous édifier soit de l’exactitude soit de l’erreur commise.
[de la main de Camille Pal]
Répondu le 21 février 1856.
M.
Je viens répondre à la dernière lettre
que vous m’avez adressée qui doit faire cesser toute relation d’affaires
entre nous.
Je n’ai pris aucun engagement avec M. Paret soit en votre
nom soit au nom d’Hector, vous pouvez donc traiter cette affaire ainsi et comme vous le jugerez convenable.
J’ai l’honneur, M. de vous saluer.
R96.857.1 | Dimanche 8 novembre 1857 | À son beau-frère Hector Berlioz | Transcription littérale | Image |
CG VIII, no. 2259bis; voir le brouillon de la lettre d’Adèle du 11 novembre (R96.856.3). — Sur les Suat et Louis Berlioz voir 2011.02.136.
Vienne ce 8 novembre 1857
Mon cher Hector,
Nous venons de recevoir votre lettre par
laquelle vous semblez être inquiet de votre fils ; il est ici encore
jusqu’à demain ou après demain ; nous avons retardé les uns et les
autres de vous écrire parce que nous attendons une réponse de M. Lecourt auquel
Louis d’après notre conseil a écrit il y a huit jours pour le prier de
lui
donner des renseignements précis sur les conditions de son embarquement,
le nom de son capitaine et l’époque présumée du départ ; et pas un
mot de réponse n’est encore arrivé, ce qui l’inquiète et le surprend comme
nous. En conséquence il va d’abord à Tournon où il est attendu par son
oncle, et de là il filera sur Marseille sans plus attendre les
renseignements demandés à M. Lecourt ; pour plus de précaution
encore il a écrit hier à M. Morel qu’il suppose de retour des eaux.
Louis est revenu triste de son séjour à Paris, Adèle s’en inquiétait et elle a cru comprendre qu’il
était peu à l’aise chez vous, il croit que votre femme supporte
difficilement sa présence sans pour cela qu’il se plaigne de ses procédés.
Évidemment, mon cher Hector, votre fils doit être le bienvenu chez vous, il y
est à sa place et votre rôle est de l’y maintenir ; je vous dirai
même que ma femme s’étonne qu’il n’ait pas son lit chez vous.
Je serais
désolé de vous fatiguer à ce sujet mais sous l’inspiration de votre sœur
je n’ai pu résister à vous dire ce qui précède ; comme tous les
parents vous êtes appelé à avoir des sollicitudes sur votre fils.
Ma femme vient de mettre en ordre tous ses
effets avec beaucoup de soins ; elle présume qu’il
pourra se suffire avec le peu d’argent qu’il a, s’il ne séjourne
pas à Marseille, à peu de chose près ; mais évidemment s’il
est retenu chez M. Morel il faudra bien payer la pension à ce dernier, si
excellent pour lui, et des procédés duquel il est du reste fort reconnaissant.
Adieu, mon cher beau-frère, nous espérons
votre sœur et moi que votre femme est rétablie de son
indisposition qui au dire de Louis n’a pas été sans gravité ;
écrivez-nous plus longuement et donnez-nous de bonnes nouvelles de vos
santés à tous deux.
Nos compliments affectueux et ceux de
votre fils à votre femme, nous vous embrassons tous
Suat M
R96.857.2 | Samedi 10 septembre 1859 | À sa femme Adèle Suat | Transcription littérale | Image |
Sur le voyage d’Adèle et Joséphine Suat en août-septembre 1859 à Dieppe puis à Paris où elles verront Berlioz, voir aussi la lettre de Nancy et Marc Suat (R96.858.5), celle d’Ernest Caffarel (R96.862.1), et celles de Berlioz à Adèle (CG no. 2395, 26 août, de Bade) et à Pauline Viardot (CG nos. 2396, 8 septembre, de Paris et 2402, 13 septembre: ‘Ma sœur et ma nièce sont parties ce matin, et ma femme les a accompagnés à Fontainebleau où elles resteront deux jours’).
Vienne ce 10 septembre 1859
Les nouvelles que tu me donnes sur ton
frère, chère amie, me font bien de la peine ; je pense toutefois comme te
l’a dit sa femme que rien n’est
inquiétant dans son état ; chez lui comme chez ton père le système
nerveux est très developpé et probablement il sera ainsi le reste de ses jours,
avec des alternatives meilleures lorsque rien ne le surexcitera ;
déjà lorsque nous le vîmes à Vienne je le trouvai ainsi, moins fortement
sans doute ; mais je vis bien qu’il y avait des moments où sa
sensibilité prenait des proportions très fortes. Dis-lui de ma part tout
ce que ton cœur saura trouver de plus affectueux.
Puisque j’en suis sur ton frère ; sache donc de sa femme si je puis leur envoyer le vin
très
prochainement ; je ne serais pas fâché d’avoir la place qu’il
occupe pour le vin nouveau et les vendanges ne tarderont pas ; les deux
tonneaux seront prêts d’ici à huitaine et je pourrai les envoyer à partir de
cette époque ; mais bien entendu je pourrai m’arranger autrement s’ils
n’ont pas la place suffisante à leur cave.
Sache aussi ce qu’il font des vieux
tonneaux ; s’il y avait moyen de me les adresser, je n’en serais
pas fâché, ils sont quelquefois difficiles à trouver, et il y aurait
économie, les quatre tonneaux que je leur aurai expédiés m’ont coûté à Vienne 32 francs ; s’ils n’en tirent aucun parti autant
vaudrait me les adresser par le chemin de fer – de domicile à domicile.
Je pense que cela ne coûterait qu’une somme de six ou huit francs. Mais il
faut pour cela avoir soin en les soutirant de les boucher de manière à ce que
l’air n’y puisse pénétrer par aucune ouverture ; s’ils étaient
gâtés la spéculation serait mauvaise ; il serait bon de les sentir avant de les
envoyer.
Ta lettre m’a fait plaisir en m’apprenant
que vous aviez bien employé votre temps, Joséphine et toi ; que notre
fille admirait tout et qu’elle s’enthousiasmait des belles choses que
Paris
et les environs possèdent ; continuez, profitez bien de votre temps, que
Joséphine prenne des notes pour son service à elle ; et qu’elle puisse
en toute circonstance se remémorier son voyage, il est assez complet et il est
fâcheux que de telles choses soient faites pour des buses comme j’en
connais qui n’ont plaisir [à] rien ; Dieu merci ce n’est votre cas ni de l’une
ni de l’autre.
C’est une idée excellente de vous
arrêter à Fontainebleau ; je crois que pour bien faire il vous
faut partir à six heures trente de la gare de Paris afin d’être à huit
à Fontainebleau. En prenant quelque chose en partant ou avec vous, vous
pourrez avant déjeuner et jusqu’à onze heures visiter les jardins, puis
déjeuner, et après voir le Château ce qui vous prendra jusqu’à deux heures
environ ; le reste de la journée pourrait être employé à la forêt que
vous visiteriez en voiture jusqu’à dîner, et après vous coucheriez à
Fontainebleau pour en repartir le lendemain matin à 7 heures ½ environ. De
cette facon vous arriveriez à Dijon de bonne heure et y coucheriez ; on y
arrive vers 4 heures de l’après-midi ; vous auriez encore le temps de
vous y promener ; et le lendemain matin vous pourriez y voir le Palais
des États, si curieux, les églises etc. et en repartiriez à midi pour arriver ici
à 9 heures du soir.
Écris-moi un mot avant de partir ; si tu
adoptes cet arrangement, il suffirait de me faire connaître le jour de
votre départ ; vous arriverez le surlendemain ; je ne suis guère d’avis
que vous preniez les 3es : il ne faut pas trop se fatiguer ;
si toutefois vous essayez ne manquez pas à la première station de
changer, en prenant pour supplément les secondes si vous êtes fatiguées
ou mal entourées dans les 3es.
Léonie Couturière est accouchée d’une
fille ; elle a beaucoup souffert, sa pauvre mère pleurait à chaudes larmes,
l’excellente femme ! tu auras fait sans doute sa
commission à Mme Chauliaguet.
Le sac est arrivé ; les filles ont
lavé tout ce qui y était ; nos domestiques ont bien fait tout ce qu’elles
ont pu pendant ton absence.
Je pense que vous coucherez à Vienne si
vous arrivez le soir d’après l’itinéraire que j’ai tracé ; mais dès le matin le
lendemain vous partiriez pour la
campagne à moins que votre retour ait lieu le samedi.
J’écrirai à ton oncle mais je ne pense
pas qu’il y ait urgence.
Adieu, chère femme, je t’embrasse du plus profond de mon cœur et
Joséphine avec toi
(signature)
R96.857.3 | Vendredi 7 novembre 1862 | À son beau-frère Hector Berlioz | Transcription littérale | — |
Lettre reproduite dans CG VIII no. 2668bis; voir aussi la lettre de Louis Berlioz à son père du 4 novembre, CG VIII no. 2667bis. — Sur Alexis Ber(t)chtold voir CG VIII index p. 733. — Sur Ernest Caffarel voir R96.862.1.
Vienne 7 novembre 1862
Bien cher Hector,
Je prends vivement part à vos sollicitudes, à vos peines et
voudrais bien pouvoir en alléger le fardeau et vous aider [à] en
faire disparaître
les causes ; mais plus j’y réfléchis, plus je me trouve impuissant à
cela. J’ai particulièrement vu avec peine que vous ayez refusé l’invitation
de l’Empereur ; il n’aurait pas fallu ce me semble pour quelques
centaines de francs que j’aurais pu vous adresser courrier par courrier
vous
priver d’un moyen de faire qu’on se rappelle de vous dans l’occasion.
Il est malheureusement trop tard sans
doute pour revenir, et il faut se résigner comme dans tous les faits accomplis.
Les sommes que j’ai eues à employer pour Louis ne sont pas très importantes. La première était de 160 f. ;
elle fut appliquée par ma bonne Adèle à compléter son vestiaire au moment
où il partit pour Bombay la seconde fois. À son départ par les soins
de votre sœur il était parfaitement monté.
La seconde a servi à lui acheter des draps que je lui envoyai à Marseille peu après sa nomination de Capitaine au
Long-Cours ; il me demanda des draps voulant, m’écrivait-il, avoir un
appartement meublé dont le prix serait moins coûteux. Cette seconde somme
était de 162. f.
J’ai reçu une lettre de lui qui m’est arrivée en même
temps que la vôtre ; il me demande combien il a à
me restituer pour ces avances, et je ne puis lui répondre autre chose qu’à
vous, qu’il ne m’est rien dû, ces dépenses ayant été imputées
dans mon compte avec vous.
Il me dit qu’il compte avoir un emploi d’ici
au 1er décembre, et je n’ai pas besoin de vous dire combien je l’encourage
dans ma réponse à tenir cette belle promesse ; lui ajoutant que je
forme le désir qu’elle ne soit pas trop inférieure à celle qu’il a
perdue par sa faute ; car je le crois comme vous, il n’eût pas
perdu cette position si avantageuse, si enviée, s’il n’eût fait quelqu’acte
intempestif, en vue de se dispenser d’un service qu’il n’aime pas.
Il me demande une réponse chez M.
Berchtold, rue de l’Empereur 20, et je vous donne cette adresse pour le cas
où il vous conviendrait de la connaître.
Je me souviens de ce Monsieur qui nous plut assez à ma pauvre Adèle et à moi ; il
me semble qu’il n’a
pas été étranger à la nomination de Louis dans les Messageries
(il était alors employé chez M. Rothschild). Votre fils l’aime
beaucoup, il est peut-être le seul qui puisse avoir quelqu’autorité sur
son esprit. Serait-il impossible d’avoir une entrevue avec lui sans que
Louis s’en doutât, et de causer avec lui du moyen de lui trouver une
nouvelle position, et des causes qui lui ont fait perdre celle qu’on lui
avait obtenue. Si vous jugiez convenable de suivre cette idée, il faudrait faire
tenir un billet à M. Berchtold chez M. Rothschild, en le priant de
passer chez vous à l’insu de votre fils, que vous désireriez avoir
avec lui un entretien à son sujet ; cela flatterait M. Berchtold et l’encouragerait
à rendre un nouveau et bien signalé service à Louis.
Si vous écriviez au domicile de M.
Berchtold la lettre pourrait être vue par Louis qui reconnaîtrait votre
écriture, et vous arriveriez à l’effet contraire.
Je me souviens que peu après
la réception de Louis comme Capitaine au Long Cours, Ernest Caffarel, qui lui
avait été d’un grand secours pour l’amener au travail, soit par
les conseils, soit par l’exemple, me dit : Louis devrait profiter de
l’occasion ; l’État demande des Capitaines aux Long-Cours pour prendre du service dans la marine
impériale,
et il n’y a pas pour Louis de meilleure carrière que celle-là ; j’étais
parfaitement de cet avis, votre oncle encore plus ; et je voulus vous en
dire un mot ; mais à peine eus-je prononcé le mot de marine impériale,
que vous m’arrêtâtes, entraîné par votre tendresse pour votre fils.
Probablement alors que même vous eussiez
été du même avis que nous, ce projet aurait avorté, Louis ayant toujours
manifesté une grande répulsion pour le service militaire ; mais aujourd’hui
en face d’une situation extrêmement grave, il pourrait au
contraire se faire qu’il subît cette nécessité ; si toutefois aujourd’hui comme alors, il y a encore une
porte ouverte dans la marine de l’État pour les officiers de la marine
marchande. D’ailleurs ce serait un
moyen de mettre votre fils au pied du mur, car il ne peut y avoir pour lui
aucune autre carrière que celle de l’une ou de l’autre marine.
La marine militaire ne présente pas plus
de dangers que la carrière militaire sur terre : les hommes qui
périssent par le fait de leur profession dans cette dernière, sont
certainement plus nombreux proportionnellement que dans l’autre ; la
marine marchande elle-même a certains périls qui n’existent pas ou qui sont
moins grands dans la marine de l’État.
Je vous livre ces réflexions, à vous de juger. Mais il me semble que
la planche de salut est dans les mains de l’ami
de votre fils ; ce sera certainement lui qui aura le plus d’empire sur
son esprit, et qui peut-être matériellement pourra lui procurer un emploi ;
une démarche de votre part le touchera et peut-être ……
Adieu mon bon ami, je vous embrasse du
meilleur de mon cœur
Suat
Je n’ai pas besoin de vous le
demander ; tenez-nous au courant de ce qui se passera. Mes filles vous
embrassent tendrement.
Nos compliments bien empressés à votre belle-mère.
2011.02.311 | Mercredi 17 octobre 1855 | À sa cousine Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | — |
Sur Monique Nety voir 2011.02.309. — Une lettre de Berlioz à Adèle du 30 septembre 1855 (CG no. 2029) annonce une lettre à Marc Suat sur des questions de revenus qui semble perdue.
Vienne mercredi [17 octobre 1855]
Ma chère Mathilde,
Nous sommes arrivées depuis lundi dernier
et nous avons fait un bon voyage ; maman était très lasse ; nous
avions pris le courrier et non la diligence comme en allant,
pour être sûres d’avoir des places, car maman aurait été très
contrariée
de rester un jour de plus à la Côte dans cette grande maison, qui est si
triste maintenant. Monique seule pourrait nous y ramener, mais elle est bien
souffrante depuis quelque temps. Elle ne dit à personne quand elle souffre,
elle se soigne seule et ne veut ou plutôt ne peut pas venir à Vienne comme les
hivers précédents. Nous avons été très peinées de la voir en cet état.
Madame Laroche a été très bonne pour nous, elle nous a bien demandé de tes
nouvelles ; nous y avons dîné samedi et le dimanche
nous sommes allées à St Etienne chez Madame Lacroix où nous avons
trouvé les demoiselles Hippolyte que nous aurions été bien contrariées de ne
pas voir. La journée s’est passée agréablement. Nous avons eu de bonnes
vacances cette année et grâce à toi surtout, chère Mathilde, qui as été si
bonne pour nous et qui nous as tant gâtées à St Vincent. Mais il y
a toujours le revers de la médaille : mon père était seul ici et il ne trouvait
pas les vacances bien agréables ; aussi il est bien heureux de notre
retour. Tout le monde commence à revenir à Vienne, la Toussaint approche et
bientôt les devoirs vont recommencer. Nous n’avons pas encore vu les dames
Dutriac, elles sont à Lyon, ou du moins elles étaient, car on les attendait hier.
Mon père y a dîné l’autre jour avec mon oncle Marmion, le jour de son
passage ; ils ont vu Mr Couturier ; ils en sont enchantés
tous les deux. Léonie est aussi contente que possible, et je désire, ma chère
Mathilde, que tu le sois autant qu’elle. Elle a déjà reçu plusieurs cadeaux
que nous te raconterons quand nous les aurons vus. La noce est renvoyée au 29
ce qui ne fâche pas maman ; elle ne sera pas obligée
de se presser pour faire sa course à Lyon ; elle est un peu souffrante
depuis son retour ; ce n’est, je crois qu’un petit refroidissement qui
passera bien vite, je l’espère. Elle a écrit cependant à Guarnier
pour ta commission de toile, et moi, ma chère, j’ai cherché pour toi des
lettres et des écussons, les plus jolis et les moins longs que j’ai pu
trouver. Je les envoie dans ma lettre et je te recommande surtout mon petit
papillon qui ne serait ni difficile ni long à faire, et qui serait joli et
original. Le petit : Mathilde ne serait pas laid non plus. Maman pense que
pour les lettres qui n’ont pas de p tu pourrais les remplacer par un
second
m.
Nous sommes allées au Chuzeau, la Billiat n’avait rien de
nouveau à te dire ; nous avons vu ta vigne qui est assez jolie ; les
nôtres sont superbes ; les vendanges sont fixées au 22.
Mon père ayant reçu une lettre de mon oncle Hector qui lui
demande des détails précis sur ses revenus de cette
année ne pourra lui répondre, maman ne s’étant pas rappelé de ce que ton
père lui avait dit sur Murianette, sans
avoir une note que ton père aurait la bonté de lui envoyer pour lui dire
combien ont coûté les réparations de la maison fermière, si les transports
qu’a faits le fermier en diminution de son bail se retrouveront sur la vente
des bois ; si ton père pense que le fermier puisse payer toute sa ferme
sans diminution et quand elle sera échue, combien il y aura d’impôts à
prélever. Le fermier a dit à maman que l’orage avait cassé l’autre jour
12 ou 14 arbres dont il allait faire du charbon, que le même orage lui avait
jeté à terre beaucoup de châtaignes qui seront perdues parce qu’elles n’étaient
pas mûres ; le fermier compte avoir 3 charges de vin de plus que l’année
passée, c’est dire que la récolte est très lourde. Il est bien entendu que
maman n’a rien dit au fermier pour les arbres, ne sachant pas ce qu’il y
avait à faire et laissant ce soin-là à ton père puisqu’il a eu l’obligeance
de se charger de cette administration. Voilà une longue pancarte de
recommandations, chère Mathilde, à la suite de laquelle je te dis adieu et je
t’embrasse de tout mon cœur en te disant à bientôt, les premiers
jours de novembre comme tu nous l’a promis. JS
PS L’averse de l’autre jour a encore fait du
dégât au
pré Rançonnier.
Monique te remercie du panier de fruits que tu lui as
envoyé.
2011.02.326 | Décembre 1857 (?) | À sa cousine Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | — |
Camille, fils de Mathilde et Jules Masclet, était né le 20 septembre 1856.
Ma chère Mathilde,
Nous envoyons à Camille une petite robe
que nous lui avons brodée ; nous espérons qu’elle lui ira bien, mais
dans tous les cas comme elle n’est que faufilée, il te sera facile d’y
faire les corrections voulues. Cette petite robe est un modèle de Paris, nous
en avons vu beaucoup dans ce genre qui nous avaient paru jolies. Nous t’envoyons
également le patron et un aperçu du dessin d’une veste de zouave qui doit
compléter le costume ; essaye-le à Camille et quand tu y auras fait les
modifications nécessaires, renvoie-le nous afin que nous puissions la broder de suite sur du piqué pareil à la robe. Nous avons essayé
la robe et la veste à un petit garçon de trois ans, et les mesures étaient
bonnes. Nous aurions bien du plaisir, ma chère Mathilde, à revoir ton petit
Camille si joli et si gentil. Il doit avoir grandi et s’être fortifié depuis
qu’il est venue à Coupe-Jarrets. Embrasse le pour ses cousines Joséphine et
Nancy.
Nous avons eu dernièrement des nouvelles de nos cousines
Burdet ; je dois répondre à Laure dans quelques jours ; elles
allaient toutes bien.
Adieu, chère Mathilde, comme ceci n’est qu’une lettre d’envoi,
je la finis là. Je t’embrasse et te fais ainsi que Nancy mille bons souhaits
pour l’année prochaine. Maman t’écrira bientôt. N’oublie pas, je te
prie, quand tu nous répondras si tu as reçu le carton, de nous donner des
nouvelles de la cousine Victor, nous n’en savons aucune.
Ton affectionnée
Joséphine.
2011.02.313 | Mercredi 3 septembre 1862 | À sa cousine Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | — |
‘Estressin, campagne peu éloignée de la ville, où ils [la famille Suat] vont passer trois ou quatre mois tous les étés’ (Berlioz, Mémoires, Voyage en Dauphiné). — Le ‘nouveau succès de Berlioz’ dont il est question vers la fin de la lettre fait allusion aux premières représentations de Béatrice et Bénédict à Bade le 9 et 11 août 1862. — Les Troyens allaient être représentés (dans une version tronquée) au Théâtre-Lyrique en novembre et décembre. — Sur le séjour de Louis Berlioz à Grenoble voir la lettre de Berlioz à Odile Burdet du 25 août (CG no. 2647).
Estressin. 3 septembre (18)62.
Chère Mathilde,
Ta dernière lettre remonte si loin, que
nous sommes impatientes d’avoir de tes nouvelles et de savoir comment tes
petits enfants ont supporté les fortes chaleurs. Cette période de l’année
est toujours à redouter, toujours pénible à traverser et les jeunes mamans ne
l’aiment guères. Enfin, je suppose que tout le monde va bien autour de toi ;
ce matin, nous avons su indirectement de tes nouvelles : nos cousines nous
écrivent qu’elles t’ont rencontrée ; ce renseignement n’était pas
inutile, car j’ignorais quelle région que tu habites dans le moment, et j’hésitais
à t’écrire ; on doit te réclamer à St Vincent, te
désirer à Crémieux ; mais il est vrai que tu satisfais
rarement les désirs de ceux qui attendent ta visite ; nous, par exemple,
serions en droit de nous plaindre de l’inexactitude de tes promesses, nous
espérions tant vous voir au printemps, nous y comptions si bien ! Il faudra
bientôt nous dédommager, chère Mathilde, en allant faire vos vendanges, ou en
revenant.
Nous n’avons eu que déceptions cette année, au sujet des
visites, et j’ai grande envie de t’accuser de nous avoir porté malheur en
commençant à nous manquer de parole la première. Nos cousines Burdet n’ont
pu venir, les obstacles se sont accumulés autour d’elles, les vers-à-soie,
la maladie d’Auguste, la mort de ma tante, les examens d’Albert, et que
sais-je encore. La mort de notre pauvre tante Victor a été plus prompte qu’on
ne s’y attendait, on était tellement accoutumé à la voir malade et
épuisée, mais vraiment on ne peut regretter la vie pour elle, vie de
souffrances continuelles, vie de tristesse et d’isolement. Ma cousine
cependant a eu, je crois, beaucoup de chagrin, tu connais son bon cœur et son
dévouement à sa famille.
Nous croyions ma tante Marmion de retour à Tournon depuis le
16 août ; elle nous avait écrit son projet de repartir à cette époque.
Sa saison a été très malheureuse au début, tu sais sans doute qu’une
indisposition l’avait empêchée de prendre ses bains ; aussi je suppose
qu’elle aura voulu remplacer le temps perdu et prolonger son séjour pour
suivre un traitement à peu près complet. Nous avons su cela, toujours par mes
cousines qui ont rencontré mon oncle et ma tante samedi, au moment où ils
allaient repartir pour Tournon. Tu as dû les voir à leur passage, chère
Mathilde, c’est une bonne et sûre occasion, car on n’obtient pas facilement
une visite de ma tante.
Tu veux sans doute que je te parle de nous et de nos
occupations ? Notre été s’est passé si paisiblement que je n’ai
aucun incident à te raconter, sauf le voyage de mon père à Plombières. Nous
l’avons décidé non sans peine à y aller ; les eaux lui ont fait du
bien cette année et la distraction a contribué aux bons résultats de son
voyage ; mon père aime beaucoup Plombières, il s’y plaît toujours, surtout
quand il y trouve des connaissances agréables. Pendant son absence, nous comptions les jours, nous gémissions de la chaleur et nous recevions de
bonnes lettres de Plombières pour nous faire prendre patience. Nous n’avons
pas quitté Estressin où nous nous trouvons à merveille, nous promenons
beaucoup, il y a des sites charmants autour de nous, le pays est vraiment fort
joli. Ce matin, j’ai fait avec Nancy une grande course sur la montagne, d’où
on a une vue splendide. Enfin, chère Mathilde, tu sais que je me plais à la
campagne et tu comprends que je regretterai en la quittant notre champêtre et
modeste campement. La pensée de retourner à Vienne ne me sourit nullement,
aussi nous resterons ici jusqu’à ce que le froid nous fasse déloger, c’est-à-dire,
je pense, jusqu’à la Toussaint. Il est vrai que nous ne sommes point dans une
solitude complète, nous avons quelques voisins, plus même qu’à la ville.
Les journaux t’ont appris sans doute le nouveau succès de
mon oncle Hector ? Succès de bon augure, je l’espère, pour l’avenir
des Troyens. Mon pauvre oncle avait bien besoin de cela pour se remettre un peu
de ses récents chagrins. Tu sais aussi que Louis a passé plusieurs semaines à
Grenoble avant d’aller à Paris. Il paraît qu’il a pris un caprice à ton
sujet, chère Mathilde (tu n’ignores pas que cela lui arrive encore, c’est
un véritable enfant que notre cousin Louis).
Mes cousines Burdet n’ont pas pu le décider à aller te voir. J’ai été
peinée en apprenant cela, je pense que tu n’as pas été satisfaite du
procédé ; mais, je te le répète, c’est un fâcheux caprice, une
boutade à laquelle il ne faut pas attacher trop d’importance, les caprices
passent. Adieu, chère Mathilde, je te quitte pour reprendre mon métier à
tapisserie, nous avons commencé de broder quelques meubles et nous travaillons
avec ardeur. Nancy se joint à moi pour t’embrasser bien tendrement ainsi que
tes enfants.
Nos amitiés, je te prie et celles de mon père, à ton mari,
Ton affectionnée
J
J’attends bientôt ta réponse, adieu encore.
Le dernier malheur de cette pauvre Emy
Babinet ne t’a-t-il pas vivement impressionné ? Quant à moi cela m’a
beaucoup peiné ; je comprends combien elle doit être triste et
malheureuse.
2011.02.314 |
Lundi 3 août 1863 ou jeudi 3 septembre 1863 (?) |
À sa cousine Mathilde Pal-Masclet |
Transcription littérale |
— |
Rappelons qu’il est fort possible que cette lettre fasse suite à la lettre 2011.02.316 du 29 août 1863. — Sur les séjours d’automne de Mathilde chez sa belle-mère à Crémieux voir la lettre 2011.02.319.
Estressin 3 août (18)63.
Bien chère Mathilde,
Je ne veux pas tarder davantage à te
donner des nouvelles de notre intéressante malade puisque tu as la bonté de t’en
préoccuper. Le mieux se soutient, il progresse quoique lentement à mon gré.
Nancy n’a plus de fièvre, elle ne souffre pas ou peu, elle se lève une
grande partie de la journée. Le médecin ne vient la voir que rarement, et
enfin elle commence à manger dans les proportions d’un moineau ou d’un
colibri. Tout cela est satisfaisant sans doute, chère Mathilde, ce sont de
bonnes nouvelles ; mais, malgré tout, je me tourmente, j’ai peur que cet état
languissant ne reste habituel, comme il l’était avant cette espèce de crise,
et que les malaises que Nancy avait depuis trois ans ne reparaissent, ou plutôt ne continuent. Le médecin n’a pas voulu nous assurer le contraire.
Enfin, il faut encore remercier Dieu que la maladie n’ait pas eu la gravité
qu’on pourrait redouter au début.
Ta bonne lettre m’a bien fait pleurer de douces larmes,
chère Mathilde ; je suis si sevrée de témoignages d’affection et de
sympathie et j’ai le cœur tellement oppressé par tant de choses, qu’une
preuve d’amitié vraie ne me laisse pas insensible. Maintenant où j’en
aurais un besoin plus immense que jamais, c’est alors qu’elles deviennent
plus rares ; l’isolement est bien grand autour de moi, mon père et ma sœur
absorbés par leurs soucis respectifs, sont las du reste de me voir souffrir, je
pèse sur leur existence d’une manière désolante, je le sens, je le vois
même. Et puis, il n’y a rien de plus terrible que d’être témoin constant
d’un malheur sans soulagement, sans espérance possibles ; alors, il faut
chercher à ne pas voir, à ne pas entendre ; c’est ce qu’ils font.
Mais, chère Mathilde, pour moi qui ne puis pas fuir la douleur à volonté,
pour moi qu’elle poursuit sans relâche et en augmentant toujours de violence, pour moi qui suis atteinte jusqu’au fond du cœur,
la vie est une chose bien cruelle. La résignation, dernière ressource, semble
bien difficile, et Dieu ne l’accorde pas malgré les instantes prières ;
il faut lutter, travailler sans cesse et souvent pour n’obtenir que de
nouveaux tourments. Enfin ce martyre finira un jour, et en attendant, chère
Mathilde, je te remercie de ton souvenir affectueux.
J’espère que l’indisposition de Camille commence à se
dissiper et que cette longue période de fraîcheur amenée par la pluie
chassera ses malaises, inévitables après un pareil été. — Te voilà au
moment de partir pour Crémieux, pour tout l’automne je suppose, c’est ta
plus longue absence pendant l’année. Si au moins nous pouvions espérer une
petite visite à Estressin avant ton retour à Grenoble ! combien cela nous
ferait plaisir, puisque nous ne devons pas aller te voir nous-mêmes !
Adieu, chère Mathilde, nous t’embrassons mille fois ainsi
que tes charmants petits personnages.
Nos amitiés à ton mari,
Toute à toi.
J.
2011.02.316 | Samedi 29 août 1863 | À sa cousine Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | — |
Voir la lettre 2011.02.314 et son commentaire chronologique.
Estressin 29 août (18)63.
Bien chère Mathilde,
Je voulais te remercier bien vite des
charmantes photographies de tes gentils enfants, qui nous ont fait grand plaisir.
Camille a posé à merveille, il a un air d’importance très drôle par son
sérieux, et ta petite fille a une bonne mine intimidée qui ne manque pas d’attrait.
Elle est devenue un vrai personnage depuis que nous ne l’avons pas vue. A
présent il nous faut ta photographie, il y a une place qui l’attend dans l’album,
ainsi que celle de ton mari ; ne tarde donc pas, je te prie, à nous envoyer la
famille au complet.
Je t’aurais répondu plus tôt, chère Mathilde, mais si tu
savais quelles vicissitudes nous avons eues depuis notre retour des eaux !
D’abord notre saison à Néris a été très tourmentée, j’ai souffert d’une
manière horrible pendant tout mon traitement ; à notre arrivée ici, c’était
plus horrible encore, il s’y joignait les émotions du
retour, ce qui me bouleverse toujours, et des crises plus fortes. Mais ce n’est
pas tout. Tu sais que depuis trois ans Nancy se plaint de malaises impossibles
à chasser ; il y a une huitaine de jours elle gémissait davantage, enfin
vendredi matin, en se levant, elle s’est trouvée mal, puis une forte fièvre s’est
déclarée, et elle garde le lit encore. La fièvre a beaucoup diminué aujourd’hui,
le pouls est presque à l’état ordinaire, mais nous avons eu de grandes
inquiétudes ; nous craignions une maladie grave, le médecin parlait tout bas de
fièvre typhoïde, il ne voulait pas se prononcer. Grâce à Dieu, j’espère
que tout danger est passé maintenant et que nous en serons quittes pour des
alarmes et des soins. Si au moins ce pouvait être une crise favorable qui lui
rendît une santé parfaite, combien nous la bénirions, mais c’est peu
probable, nous avons trop de malheur pour que rien tourne à bien chez nous ;
ma pauvre Nancy s’attend à retrouver son petit fardeau de misères. Nous
avons heureusement un très bon médecin de Lyon qui se trouve par hasard à
Estressin où il soigne, chez sa belle-mère, sa femme malade ; c’est le
gendre de Mr Faugier, et le major de la charité de Lyon. Une
absence de notre médecin a permis de lui faire infidélité ; puis à la
campagne, les choses auraient été plus compliquées, s’il avait fallu
recourir à Vienne. Mr Berne prétend que le séjour à
Estressin aidera Nancy à se remettre plus vite et a empêché la maladie de
devenir grave. — Nous ne sommes ici que depuis une semaine, les premiers jours
après notre arrivée, nous les avons passés à Vienne à cause des fêtes et
des grandes chaleurs. Estressin devenu fournaise n’était plus abordable, et
impossible pour mon père qui fait la course à pied chaque matin et chaque soir.
Tu veux sans doute savoir, chère Mathilde, comment s’est
passé notre temps à Néris. Eh ! bien, ce pays qu’on nous dépeignait
sous un jour si affreux, n’est pas aussi triste qu’on veut bien le dire, et
sans mes grandes souffrances je m’y serais vraiment plue ; il y a peu de
plaisirs, peu de monde, peu de mouvement, presque pas de jolies promenades, mais
on y trouve une société choisie et agréable ; à notre hôtel surtout,
nous avions des ressources en ce genre ; j’espère que nous pourrons
continuer quelques-unes des relations faites à Néris avec des personnes de
Lyon, et un jeune ménage de Vienne que nous ne connaissions pas. Mais, chère
Mathilde, tu ne saurais t’imaginer dans quel état de tristesse, d’inquiétude
et de souffrances, je suis rentrée à Vienne ! Loin d’être une réaction
comme cela arrive quelquefois, le mal augmente dans des proportions effrayantes,
ces jours-ci, je ne sais plus où j’en suis. Voilà ma
dernière et unique ressource épuisée ; je comptais peu, j’en conviens,
sur un très brillant résultat. Cependant, les eaux de Néris font de
fréquents miracles, elles ont une action souveraine sur les nerfs ; le médecin
me citait chaque jour des guérisons étonnantes, il m’assurait la mienne,
avec une persistance inouie, ses prophéties merveilleuses m’ont porté
malheur, je crois. Maintenant je me désole doublement. Qu’essayer, à quoi
recourir ? et le souvenir de l’hiver dernier, les tortures du présent
sont de mauvais présages. La résignation sans espérance est plus difficile qu’on
ne croit à pratiquer, chère Mathilde ; mais, à chacun sa destinée, rien
ne l’arrête, il faut la subir avec un cœur brisé et soumis, jusqu'au bout.
Si tu apprends que je suis morte ou folle ou quelque chose d’extraordinaire
enfin, ne t’étonne pas ; une seule devrait te surprendre, ce serait la
nouvelle de mon bonheur.
Mais, chère Mathilde, je m’oublie, je t’attriste en
causant autant de mes chagrins ; pardon de me laisser aller ainsi, tu es
une si bonne cousine que je cède, sans m’en douter, à l’influence de ton
amitié. Parlons d’autre chose n’est-ce pas ? D’abord j’ai à t’expliquer
(ce que tu as sans doute deviné), je veux dire notre manque de parole à mes
cousines Burdet. Notre visite leur avait été promise aux vacances de Pâques,
ces pauvres amies attendaient l’automne avec grande impatience, et pendant ce
temps-là mon père réfléchit qu’il serait inconvenant d’aller à Claix sans lui à cause d’Auguste... Nous avons donc donné je ne sais
quels prétextes, ce qui nous a fort ennuyées, je t’assure, nous craignions
de fâcher nos cousines ; enfin, il y a complication de tous côtés pour nous. De
plus, nous serons privées du plaisir de te voir, chère Mathilde, ce qui
augmente bien nos regrets. — Comment ma cousine t’a-t-elle raconté tout
cela ? a-t-elle eu l’air de se douter du motif de notre refus d’aller
à Claix ? je te prierais de nous le dire.
Nous avons vu hier ma tante Marmion ; tu vas t’en
étonner, mais tu sauras qu’elle n’a pas fait son voyage d’Allevard, à la
grande contrariété de mon oncle qui attendait cela comme une distraction. Ma
tante allait à Lyon et s’arrêtait au passage pour nous voir pendant quelques
heures, elle ne savait pas Nancy malade. Je lui ai montré les photographies de
tes enfants, je te préviens qu’elle en réclamera à son tour.
Adieu, chère Mathilde, ma tête et ma main gribouillent
après cette longue lettre. J’ai appris avec grand plaisir que tes enfants n’ont
pas souffert des grandes chaleurs, je pense que vous allez tous bien, plus
heureux que nous, et que nous trouverons quelque moyen pour
te revoir sans attendre un temps indéfini, mais pour Claix, il est plus que
probable que nous n’y retournerons pas ces vacances.
Adieu encore, Nancy se joint à moi pour t’embrasser
tendrement ainsi que tes mimis..
Mon père te fait ses amitiés, et nous envoyons les nôtres
collectives à ton mari.
Ta cousine qui t’aime.
J.S.
Victoire envoie un bonjour à Henriette et
elle la prie de dire à ses parents que sa sœur et elle vont bien.
Nous avons vu souvent à Néris le cousin François qui a
été d’une amabilité incomparable. C’est un homme charmant ; il a
promis de nous faire une visite à son retour d’Allevard, j’aime à croire qu’il
tiendra parole.
Nous avons visité sa belle manufacture, il est dans son
établissement comme un véritable petit roi.
2011.02.317 | Jeudi 10 décembre 1863 | À sa cousine Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | — |
Le projet de mariage dont il est question dans cette lettre concernait Nancy Suat (voir les lettres de Berlioz aux Suat du 26 et 29 novembre et du 24 décembre 1863, CG nos. 2806, 2807, 2815). Joséphine Suat ne devait se marier qu’en septembre 1867 (voir 2011.02.333), et Nancy en janvier 1870.
Vienne 10 décembre (18)63.
Chère Mathilde,
Je sais que tu t’intéresses vivement à
la question qui nous a longtemps préoccupé, et je viens t’annoncer que
toutes les alternatives sont terminées : le mariage est rompu par suite
des impressions fâcheuses que ce projet produisait
sur Nancy, et qu’elle n’a pu vaincre. Je te remercie de toute l’affection
que tu nous a témoignée dans cette nouvelle circonstance.
Mon père qui t’embrasse de tout son cœur ainsi que ton
mari, et qui a été profondément contrarié du résultat de cette affaire, me
charge de te dire qu’il est allé avec Mr Girard, il y a environ trois semaines, goûter le vin de Côte-Batie de la récolte de 1861,
tout-à-fait en première qualité. Le vin venait d’être soutiré, et malgré
cela il lui a paru excellent, si bien que Mr Girard en a
arrêté une demi-pièce (219 à 220 litres environ) ; avant-hier, on l’a
goûté de nouveau et il a semblé exquis, bien supérieur à ce qu’il était
la première fois ; il vaut celui de 1858, dont mon père, qui en a une
très petite provision, est enchanté. Si ton mari en veut une demi-pièce, elle
pourra lui être expédiée en tonneau double fût ; prix 200 fr. comptant
et il y aurait en sus les frais de la double enveloppe. Si au contraire, il n’en
voulait qu’un quart, mon père pourrait le lui procurer en partageant avec lui,
mais à raison du port, de l’emballage et de l’entrée qu’il faudrait
payer à Vienne, cela serait beaucoup plus coûteux.
Mon père pense qu’il n’y a pas à hésiter, et qu’il
vaut mieux en prendre une demi-pièce. Ton mari aura la bonté de faire
connaître bien vite sa décision à ce sujet, le vin devant
être livré un de ces jours.
Adieu, chère Mathilde, j’aime à penser que tes enfants
vont toujours à merveille. Je les embrasse ainsi que toi bien tendrement, de
moitié avec Nancy.
Ta cousine qui t’aime
J.S.
Mon père part ce matin pour la Côte, des affaires l’ont empêché d’y aller plus tôt.
2011.02.319 | Jeudi 12 octobre 1865 | À sa cousine Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | — |
Vienne 12 octobre (18)65.
Chère Mathilde,
Pourquoi donc nos lettres commencent-elles
toujours par des reproches ou par des excuses ? Est-ce une fatalité ?
Cette fois, je t’enverrai les uns et les autres, ce qui, je crois, égalisera
les positions. — Il y a longtemps en effet que nous n’avons reçu de tes
nouvelles, et nous aurions été moins patientes à attendre une lettre de toi, si
nous n’en n’avions su indirectement par les cousins et cousines. Je suppose
que tu es encore à Crémieux car tes habitudes sont régulières comme le
soleil, et les brouillards de novembre te font seuls rentrer.
Nous regrettons que ces longs séjours chez ta belle-mère
nous privent chaque année du plaisir de te revoir, nos voyages se rencontrent
bien mal. — Mais il faudra que tu nous dédommages ; cette année nous
réclamons avec instances une visite. Rien n’est plus facile, tes enfants sont
maintenant de petits personnages très capables de faire le voyage au long cours
de Grenoble à Vienne, et les études de Camille ne sont pas
encore tellement sérieuses qu’il ne puisse les interrompre une semaine au
moins. Ainsi, chère Mathilde, pas de prétextes, je t’en prie, nous n’y
croirions pas. Au commencement de décembre, nous t’attendrons, avant les
grands froids. Novembre est le mois des installations, des arrangements, et puis
nous irons je pense à Tournon à cette époque. — C’est entendu , n’est-ce
pas ? Tu ne voudrais pas être la seule à nous refuser une visite. Tous
les autres cousins grenoblois nous ont promis la leur, les Berlioz au printemps,
et les Burdet cet hiver. — Tu sais sans doute que nous sommes allées passer
quelques jours à Claix ; le carré n’y tenait plus d’impatience
de se revoir, après un an de séparation, et des voyages d’outre-mer à
raconter. Mais, ces jours de réunion passent trop vite, et au départ, on
déplore toujours de ne pas habiter la même ville. Nous avons passé notre
temps d’une manière très paisible ; nous avons fait une course à St
Georges, où nous avons parlé beaucoup de toi (le cousin Victor te porte
chaleureusement dans son cœur) ; par malheur, nous n’avons pu jouir de
ses enfants qui avaient la rougeole.
Nous voilà revenues au calme de Vienne, qui est encore bien
désert. Mme Savoye est revenue pourtant ; avant son
arrivée, nous pouvions nous croire dans le Sahara.
La santé de mon père a été excellente tout l’été,
nous en étions bien heureuses ; ce bien-être semble se gâter depuis
quelques jours, et cela nous fait peur.
J’ai reçu ce matin des nouvelles de ma tante Marmion, qui sera
à Anjou jusqu’à la fin du mois, et qui ne gémit pas trop sur sa santé
actuelle. Mon oncle fait sa tournée dauphinoise habituelle, avec fêtes,
dîners, etc.
Mon pauvre oncle Hector n’est pas si triomphant : sa
dernière lettre disait qu’il avait toujours de violentes douleurs. Cet état
de souffrance nous afflige et nous inquiète.
Adieu, chère Mathilde, Nancy m’appelle pour aller
déjeuner, aussi je me hâte de t’embrasser de tout mon cœur ainsi que tes
enfants sans oublier ton mari.
Ta cousine affectionnée
J.S.
2011.02.320 | Mercredi 19 décembre 1866 | À sa cousine Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | Image |
Sur le concert de Berlioz à Vienne (Autriche) le 16 décembre 1866, voir la page sur Vienne. Berlioz avait écrit à Joséphine et Nancy Suat le soir même du concert pour leur annoncer son succès (CG no. 3195; R96.438); sa lettre a dû arriver peu après celle-ci.
Vienne 19 décembre (18)66.
Chère Mathilde,
Je ne veux pas laisser repartir ta tante
sans la charger de te porter nos souvenirs et tous nos vœux pour 1867, pour toi
et les tiens ; vœux nombreux et sincères, tu ne saurais en douter. Une
année qui commence inspire toujours des souhaits pour ceux qu’on aime ;
mais en même temps cette perspective d’avenir amène des réflexions
sérieuses et une certaine sollicitude pour l’inconnu qui se présente. Je suppose que tes enfants, qui n’ont pas de préoccupations de cet
ordre-là, voient venir le jour de l’an avec joie. Nous aimerions bien à
pouvoir les embrasser et nous amuser avec eux plus souvent. Si Camille nous
faisait l’honneur de nous écrire, nous serions très enchantées ;
demande-le lui de notre part. Chère cousine, tu n’abuses pas de la
correspondance, et je te prie de donner à tes enfants de meilleures habitudes.
Notre existence continue à être des plus insignifiantes ;
enfin, je ne saurais rien te raconter d‘intéressant. Nous voyons peu de
monde, nous faisons toujours à peu près la même chose. Nos leçons de chant,
de loin en loin, forment notre principale distraction. Tous les lundis, nous allons travailler pour les pauvres chez les sœurs de St
Vincent avec quelques dames et jeunes filles ; voilà ce qui constitue nos
petits plaisirs.
L’hiver s’annonce devoir être très calme, on ne parle d’aucune
réunion en projet. Nous n’en sommes pas désolées ; quand on sort peu,
on perd l’envie de s’amuser. Du reste, mon père est si souvent souffrant,
que nous ne pourrions pas être très mondaines. Il vient de passer une mauvaise
semaine. Aujourd’hui il va mieux, mais sa santé nous donne des continuelles
sollicitudes.
Nous avons eu dernièrement au passage nos cousins Michal,
qui ne nous ont donné que quelques heures. Nous avions chargé notre cousine Mélanie de te faire nos amitiés. Louise est à Grenoble, et je suppose que tu
la vois pendant ses petits séjours. Sa maternité doit l’absorber d’avance ;
la pensée de la retrouver mère de famille nous étonne et nous paraît encore
incroyable.
Sais-tu que notre oncle Hector est en Autriche, et que
dimanche passé il a donné à Vienne un grand concert ? Nous attendons
avec impatience des nouvelles de ses succès.
Nos oncles Marmion sont à Nice, où après beaucoup de
recherches ils sont parvenus à s’installer dans un joli logement, dans le
plus beau quartier de la ville, rue Gioffredo no 10. Ma tante
tousse moins depuis qu’elle a quitté Tournon.
Adieu, chère Mathilde, je termine en t’embrassant de la
part de nous tous, ainsi que ton mari et tes enfants.
Toute à toi
J Suat
2011.02.322 | Mercredi 6 mai 1868 | À sa cousine Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | Image |
Rappelons que le mariage de Joséphine Suat et Auguste Chapot avait eu lieu le 10 septembre 1867 (2011.02.333). Henri Chapot, premier fils de Joséphine et Auguste Chapot, est né le 6 novembre 1870; l’enfant annoncé par Joséphine dans cette lettre de 1868 n’aurait donc pas survécu. On remarquera que dans sa lettre de mars 1869 (2011.02.324) Joséphine ne fait aucune allusion à un enfant qui lui serait né dans les mois précédents. — Sur les chutes de Berlioz en mars 1868 voir la page sur Berlioz et Nice. — Entre autres lettres de Berlioz traitant de ces événements on en connaît deux à Nancy Suat de la fin mars 1868 (CG nos. 3349 et 3351) et une à Joséphine Chapot du 23 avril (CG no. 3355); ces trois lettres se trouvent au Musée Hector-Berlioz (R96.461 à 463). — Berlioz avait aussi donné un récit détaillé de ses chutes à Camille Pal le 28 mars (CG no. 3350). — Mathilde Masclet écrivit à Berlioz qui lui répondit le 8 avril (CG no. 3353).
Soissons 6 mai 1868.
Chère Mathilde,
Je ne saurais te dire depuis combien de
temps je forme le projet de t’écrire, et toujours il se présente un obstacle
pour m’obliger à renvoyer ce plaisir. D’abord, à mon arrivée, tous les
détails de l’installation m’ont absorbée ; puis des difficultés de
domestiques ; enfin, ceci est la plus grande raison de mon silence, depuis
deux mois et demi je suis très souffrante, et incapable souvent de rien faire.
J’ai commencé à être malade le jour même de mon entrée dans notre
appartement et depuis lors, avec des périodes plus ou moins douloureuses, je n’ai
pas cessé d’être gémissante. Tu voudras
donc bien, chère Mathilde, me pardonner, et me le prouver en me donnant
bientôt de tes nouvelles et de celles de tes enfants. — Voilà l’hiver
passé, les émigrants ordinaires de chaque été songent à retrouver leurs
jardins et leurs champs. Je suppose que tes projets ont leur programme habituel,
et qu’après un premier séjour à St Vincent, tu iras t’installer
pour un mois à Crémieux, et qu’alors Camille [Masclet] ralentira un peu son ardeur
pour le travail. Ses études sont déjà assez sérieuses et un repos relatif
doit être favorable à sa santé. Quant à la jeune Marie [Masclet], elle est sans doute
enchantée de jouir de plus de liberté.
Je te parle de mes misères, chère Mathilde, et je ne t’ai
pas dit encore que malgré tout ce qu’elles ont de pénible, elles me rendent
heureuse par l’espoir qu’elles me donnent : la perspective d’un
bébé attendu vers la Toussaint prochaine. Pour m’aider à prendre patience
et courage dans les heures où je souffre beaucoup, je songe à la joie que me
promet ce futur poupon désiré. Je commence à penser à son petit trousseau
dont Nancy s’occupe déjà. Cela nous distrait dans nos moments de solitude
respective, et il nous semble que cette communauté de pensées nous réunit un
peu. Nous ne sommes point encore habituées à vivre séparées l’une de l’autre,
je ne sais même, si nous y parviendrons jamais.
Ma chère Nancy me manque sans cesse, c’est le point noir
à mon bonheur, et je crois qu’elle aussi supporte avec peine son isolement à
Vienne. Enfin, bientôt nous allons nous retrouver tous les quatre réunis pour
quelque temps : j’attends mon père et Nancy dans une quinzaine de jours,
et j’espère aller un peu mieux à cette époque afin de jouir de leur visite
plus complètement et de rendre leur séjour plus agréable. J’ai un gentil
et commode logement ; seulement je déplore qu’il ne soit pas assez grand
pour nous permettre d’avoir deux chambres à donner. Je
pense que mon père ne sera pas trop contrarié de prendre un lit dans l’hôtel
voisin ; j’attends une réponse à ce sujet.
Je te parlais en commençant, chère Mathilde, de mes
embarras de domestiques, ils ont été assez prolongés ; enfin j’ai pu
trouver une bonne, cuisinière encore assez novice et que je tâche de former
peu à peu avec mes très faibles connaissances.
Tu as sans doute appris le surcroît de souffrances de mon
pauvre oncle Hector, occasionné par des chutes dans son voyage à Nice et à
Monaco. Ces accidents nous inquiétaient, et Auguste est allé le voir à Paris.
On le soumet toujours à un régime sévère, il ne sort pas, d’après les
ordres du nouveau médecin qui le soigne ; il était en convalescence
lorsqu’il a eu une rechute. Il va mieux maintenant, à ce qu’il nous a
écrit, après nous avoir laissé trois semaines sans nouvelles.
Je n’ai pas de lettre de ma tante Marmion, qui je suppose
pourtant revenue d’Hyères. Mon oncle désire toujours le retour.
Tu dois voir souvent ma cousine Burdet dans les loisirs que
lui laisse sa triste solitude. Elle fait bien quelques visites à ses filles,
qui viennent les lui rendre. Mais ce n’est plus la même chose.
Adieu, chère Mathilde, sois indulgente si je ne t’écris
pas très exactement, et ne tarde pas, je te prie, à me répondre. Je t’embrasse
tendrement ainsi que tes enfants. Mon mari me charge de le rappeler à ton
souvenir et à celui du cousin Jules. — J’ai eu ce matin des nouvelles de
mes belles-sœurs qui partent pour la campagne après-demain. L’une d’elles
est un peu souffrante, ce qui ne sera rien, j’espère. Adieu encore et toute
à toi
JC
2011.02.324 | Samedi 13 mars 1869 | À sa cousine Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | Image |
Berlioz est mort le 8 mars 1868 à son domicile parisien au no. 4 rue de Calais à midi et demi. Son fidèle serviteur, sa belle-mère Madame Martin et ses amis Ernest Reyer et Madame Charton-Demeur étaient à son chevet pendant ses dernières heures. Le service funèbre eut lieu à l’Église de la Trinité (11 mars) et il fut enterré au Cimetière Montmartre où ses deux épouses avaient déjà été inhumées. Berlioz avait rédigé son testament le 29 juillet 1867, dans lequel il instituait ses trois nièces, Mathilde Pal-Masclet, Joséphine Suat-Chapot et Nancy Suat ses légataires universelles. Marc Suat mourut le 1er décembre 1869.
Soissons 13 mars (18)69.
Ma chère Mathilde,
Je t’aurais écrit plus tot si j’avais
eu le temps et le courage de le faire. J’ai eu tant de secousses depuis
quelques semaines, j’ai fait tant de voyages pénibles, que je suis toute
souffrante et ébranlée.
Tu attends sans doute que je te donne quelques détails sur
les derniers instants de notre pauvre oncle bien regretté. Nous avons au moins
la consolation de penser que sa fin a été calme et qu’il s’est éteint
sans grande souffrance. On lui a donné l’Extrême-Onction
assez à temps, je veux l’espérer, pour qu’il ait eu un éclair de foi vive
encore et suffisante. Des amis l’entouraient ; nous n’étions pas
encore arrivés. D’après nos recommendations, on voulait nous prévenir
aussitôt que le danger a paru pressant ; mais le bureau télégraphique se
fermant le dimanche de meilleure heure, il a fallu attendre au lendemain pour
nous envoyer une dépêche ; aussi sommes-nous arrivés quatre heures trop
tard, à notre grand regret. — J’ai bien dit adieu à notre cher oncle au
nom de toute la famille, et mon mari a rempli auprès de lui les derniers
devoirs. Il a été admirablement soigné par sa belle-mère, sa domestique et
le mari de cette dernière ; tous ses amis étaient unanimes pour le dire.
Je ne te raconte pas la cérémonie, tu as dû, comme moi, en
lire les détails dans les journaux. Il a été inhumé au
cimetière Montmartre, dans un caveau de famille où reposent déjà ses deux
femmes. — Je ne te parle pas non plus de ses dispositions testamentaires. C’est
Mr Edouard Alexandre qui nous les a fait connaître
sommairement, et qui t’a écrit, sur notre demande. Le notaire a dû depuis
compléter ses premiers renseignements. Les deux lettres t’ont été
adressées rue Villars, où se trouve ton nouveau logement ; cependant,
comme il n’est arrivé de vous à Paris aucune réponse, je me demande si vous
y êtes déjà installés.
Je sais que Nancy t’a donné récemment des nouvelles de
mon père et t’a parlé de nos inquiétudes à son sujet. Le mieux survenu
pendant notre séjour à Vienne n’a pas progressé, comme nous l’espérions,
et les bulletins que m’envoie Nancy ne sont pas très satisfaisants. Nous
souhaitons ardemment le beau temps, la chaleur, qui
seraient, je crois, un bon remède pour notre malade. On n’a pas osé encore
lui apprendre la mort de mon oncle.
Adieu, chère Mathilde, je termine car je suis très lasse ce
soir, et je t’embrasse bien tendrement ainsi que tes enfants. Nos amitiés
à ton
mari, je te prie.
Ta bien affectionnée
J. Chapot
P.S. Voici, si vous ne l’avez déjà, l’adresse du notaire :
Mr Gatîne, rue Ste Anne 51, Paris.
Nous sommes chaque jour dans l’attente d’un ordre de
départ pour Laon, par suite, pour mon mari, d’un changement de bataillon.
Mais jusqu’à nouvel avis, écrivez-nous à Soissons.
2011.02.327 | Vendredi 8 août 1856 | À sa cousine Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | Image |
Sur le séjour d’Adèle à Plombières en juillet-août 1856 et sa rencontre avec son frère Hector, voir son mémoire du 2 août (R96.856.2). Voir aussi la page sur Berlioz et Bade.
Vienne août vendredi 1856
Ma chère cousine
Je viens de recevoir une lettre de Maman
qui se plaint de ce que tu ne lui donnes plus signe de vie ; et elle serait inquiète de toi, si elle ne savait de tes nouvelles
par mon oncle Marmion, aussi elle m’a chargé de te faire ses reproches, et de
te dire qu’elle ne partira que le 15. Elle s’amuse toujours beaucoup, tu as
su sans doute que mon oncle Hector était à Plombières, il en est reparti
mardi, maman était bien heureuse de pouvoir le voir pendant 15 jours, aussi elle ne le quittait presque pas ; elle le voit si rarement.
Madame Boutaud part aussi dimanche. Marthe [Boutaud] était bien
heureuse, elle est allée au bal donné par l’empereur, ce qui l’a émerveillée.
Tu as reçu la visite de mon oncle et de ma tante Marmion,
nous les avons vus à leur passage ; ma tante était enchantée de St
Vincent, elle avait été bien heureuse aussi de te voir, elle nous a raconté
qu’elle avait vu nos cousines Burdet, qui lui ont beaucoup plu.
Pendant l’absence de maman nous nous émancipons je t’assure,
toutes ces dames nous font sortir. Nous attendons le 16 avec grande impatience,
c’est qu’il y a un grand mois que maman est partie. Mais aussi nous aurons
le bonheur de les voir arriver bien portants, car les eaux leur ont fait
beaucoup de bien à tous deux.
Les prix ne sont pas encore donnés ; nous
pensons que ce sera du 25 au 26. Aujourd’hui et tous ces jours-ci, nous sommes
en compositions comme tu le penses.
Et toi, chère cousine que fais-tu, vraiment on dirait que
nous sommes separées par le monde entier, car tu ne nous écris jamais. Mais je
t’en prie réponds-moi, ainsi qu’à maman, cela nous fera bien plaisir de
savoir ce que tu deviens.
Adieu, chère Mathilde, je t’embrasse de tout mon cœur ainsi
que Joséphine. Quant à ton mari je n’ose peut-être pas, cependant comme il
est ton mari et que je t’aime bien, je l’embrasse tout de même, malgré
qu[’il y] ait fort peu de temps que je le connaisse.
Adieu encore chère Mathilde.
Ta cousine qui t’aime
Nancy
J’avais oublié de te dire que mon oncle
Hector avait été invité par l’empereur, il y est allé, Sa Majesté a été
très gracieuse pour lui et lui a
parlé deux fois.
Il est parti pour Bade où il compte donner des concerts.
R96.858.8 | Fin novembre 1858 (?) | À sa mère Adèle Suat | Transcription littérale | — |
Sur la série de lettres de Nancy Suat concernant la période de novembre à décembre 1858 et sur les autres lettres qui s’y rapportent, voir la page sur la chronologie.
Tournon jeudi matin.
Mon oncle vient de recevoir ta lettre,
chère Maman, et ma tante sort de ma chambre, où elle est entrée pour m’apporter
des nouvelles. Toujours la même chose ! Que ce mot est terrible, mon Dieu
c’est désespérant ; pauvre Joséphine, pauvre maman ; cependant il
paraît qu’elle n’a pas été plus souffrante depuis la dernière lettre que
tu m’as écrites qui m’avait tant peiné, car tu me disais qu’elle avait
été encore plus fatiguée qu’à l’ordinaire si c’est possible. L’absence
de papa a été bien malencontreuse, et il a dû vous en coûter beaucoup de le
laisser partir, quand on est si malade et si triste on a besoin d’être tous
réunis ; toi surtout, chère maman, toi qui es toujours, toujours là, il
est de toute nécessité que tu aies papa pour t’aider un peu ; et puis
Joséphine est plus tranquille quand elle sent que vous êtes tous près d’elle.
Moi je voudrais bien pouvoir aussi lui donner mes soins et toutes mes caresses,
je voudrais prendre tous ses maux et les porter à sa place ; mais je ne
puis que penser à elle et à vous. cher papa et chère maman.
Madame
Boutaud a retardé son voyage à Lyon jusqu’à lundi prochain ; son projet est
toujours de s’arrêter à Vienne pour te voir. Je dîne et je déjeune bien
souvent chez elle, et je passe presque toutes mes journées avec Marthe, qui est
d’une bonté pour moi dont tu ne peux pas te faire une idée.
Lundi dernier nous avons eu notre petite
réunion chez ma tante ; nous étions sept, il y avait les deux demoiselles
Molière, les grandes amies de Marthe ; elles sont très bien, puis Melle
Descote et Melles Taste
et Ferrand ; ma tante nous a donné un très bon goûter dont nous faisions les
honneurs, Marthe et moi ; Marthe a découpé deux poulets avec une dextérité
admirable, Joséphine malgré son grand talent n’aurait pas mieux fait.
Quand est-ce qu’elle voudra, cette bien
chère sœur, se laisser distraire et amuser ? Espérons que ce moment si,
si désiré ne se fera peut-être pas trop attendre, et que bientôt nous aurons
le bonheur de la voir redevenir la Joséphine d’autrefois, gaie et bien
portante ; mais il ne faut pas parler de cela, je vais la faire pleurer, je
me tais bien vite sur ce sujet.
J’ai écrit hier à Marie et aujourd’hui
ou demain j’écrirai à Céline.
Ce soir je vais dîner chez Mme Césarine. Tu auras la bonté, chère maman, de m’envoyer par Mme
Boutaud 1 ou 2 chemises, des bas, des pantalons, des camisoles et tous les cols et toutes les manches qui restent encore à
Vienne. Si tu m’envoies
ma robe tu me feras expliquer comment tu veux la faire faire ; la tailleuse de
ces dames est une bonne faiseuse.
Adieu, adieu chère maman, je t’embrasse
ainsi que Joséphine, ma chère Joséphine et papa de toutes les forces de mon
âme.
P.S. J’étudie mon piano tous les jours.
Mes compliments bien empressés à la
bonne Mme Savoye.
Le départ de mon oncle n’est pas encore fixé.
R96.858.7 | Fin novembre 1858 (?) | À sa mère Adèle Suat | Transcription littérale | — |
Voir R96.858.8. Sur Eugénie Blachier voir sa lettre du 23 novembre 1858, R96.865.
Tournon samedi.
Je t’écris, chère maman, pour te dire
que madame Boutaud, au lieu de partir lundi, partira demain à 1 heure de Tain, et
arrivera à Vienne à trois heures à peu près ; elle dînera avec vous et
repartira le soir, afin d’être lundi de bonne heure à Lyon.
Je veux espérer que sa visite fera un peu
plaisir à Joséphine, qu’elle la distraira ; que je serais contente si
ces dames, à leur retour, me disaient qu’elle va un peu mieux ! Toi maman,
la courte apparition de la si bonne madame Louise [Boutaud] te fera peut-être du bien ;
car tu as besoin, dans cette triste circonstance, de l’intérêt et de l’affection
de tes amies.
Hier je suis allée avec ma tante voir Mme
Blachier, mais elle n’y était pas ; de là alors nous sommes allées chez Mme
Descot, cette demoiselle qui était chez ma tante l’autre jour ; elle
est très adroite et fait fort bien le filet ; elle nous a montré une garniture
de mouchoir qu’elle avait faite au filet avec du fil excessivement fin, c’était
très joli et imitait la guipure.
Le départ de ma tante n’est pas du tout
fixé ; je crois cependant qu’elle se décidera pour Hyères ; mon oncle a
un peu repris ses fatigues d’autrefois, et ma tante tousse ;
outre cela, elle a un petit bobo au doigt puis un clou sur la poitrine, de
sorte qu’elle se tourmente ; néanmoins, je suis sûre que Joséphine
voudrait bien changer sa maudite fièvre contre tous ces petits maux. Pauvre sœur !
Il vaudrait encore mieux ne rien changer et n’avoir plus la fièvre.
Adieu, adieu chère maman, chère
Joséphine, je vous envoie ainsi qu’à papa toutes les caresses de mon cœur.
J’avais oublié l’autre jour de te
dire de mettre dans le paquet que tu m’enverras : des mouchoirs de poche,
des bonnets de nuit, une paire de manches, un tricot, et une tournure et une jupe
gommée, puis mes semelles fourrées que j’avais oubliées. Voilà beaucoup de
choses et je crains que cela ne fasse un bien gros paquet ; mais madame Boutaud
ne s’en chargera qu’à son retour et tu auras la bonté de l’envoyer à la
gare le jour où elle passera.
J’aurais bien envie, chère maman, de
prendre des leçons d’accompagnement de Mr Marel, le professeur de
Marthe qui enseigne très bien ; si tu juges convenable de me
le permettre, tu me le feras dire par Mme Boutaud.
Adieu encore, c’est l’heure de
déjeuner ; je vous embrasse encore mille et mille fois.
Nancy Suat.
J’ai écrit hier à Céline de mon mieux ; toutes les
recommendations ont été suivies.
Si le temps n’est pas très sûr madame
Boutaud partira tout de même, mais s’il pleut à torrents tu conçois facilement
qu’elle ne s’embarquera pas.
Je décachète ma lettre pour accuser
réception du sac ; tu as bien pensé à tout, chère maman, et je te
remercie de tout mon cœur. Joséphine est toujours aussi triste, mon Dieu que
je la plains ! Ta robe est très jolie et me plaît beaucoup ; je la ferai
faire bien comme tu me le dis, afin qu’elle soit bien comme celle de
Joséphine,
R96.858.11 | Fin novembre 1858 (?) | À sa sœur Joséphine Suat | Transcription littérale | — |
Voir R96.858.8.
Tournon dimanche.
Ma bien chère Joséphine
La bonne lettre de maman m’a un peu
rassurée, et j’ai été bien heureuse d’apprendre que vendredi tu avais
moins souffert ; cela était de toute justice, tu avais assez payé ton tribut
jeudi.
Mon Dieu que cette fièvre est donc
terrible, pauvre petite sœur ! Mais écoute, quand tu seras guérie tu
prendras ta revanche et alors nous serons tous bien heureux.
Ma tante me soigne et me dorlote ; on fait
du feu dans ma chambre, et c’est là que je reçois Marthe qui passe ses
journées avec moi ; hier j’ai dîné chez sa mère et aujourd’hui j’y ai
déjeuné, ce soir je suis invitée chez Mme Bergeron ! Ma tante
voulait avoir cet après-midi une réunion de jeunes filles, mais ces
demoiselles étaient toutes invitées chez une autre personne, de sorte que le
goûter a été renvoyé à demain ; il doit y avoir une petite loterie où il y
a de forts jolis lots, dont un t’est destiné. Pourquoi n’est tu pas là
chère, chère sœur pour prendre ta part de ces petites distractions, mais le
mauvais temps ne dure pas toujours, et les beaux jours reviendront peut-être
bientôt ! alors je n’irai plus sans toi et mon plaisir sera centuplé.
Madame Boutaud a toujours le projet de partir mercredi, mais ma
tante ne veut pas qu’elle m’emmène ; elle veut me garder jusqu’à son
départ pour le midi et après me laisser à Madame Boutaud, ce qui est de toute
impossibilité, car enfin je ne peux pas passer ma vie toujours loin de vous ;
mais je ne peux pas faire entendre raison à ma tante sur ce sujet, et il
faudrait je crois l’autorité de maman pour la décider.
Adieu, ma chère sœur, je te quitte pour
rejoindre Marthe pour aller à Vêpres, où je prierai de tout mon cœur pour
toi ; je vais mettre mon beau châle, que tout le monde trouve bien joli,
et on prétend que je ressemble à une dame ; tu comprends combien je suis
flattée, j’espère bien que tu as mis le tien aujourd’hui et que de ton
côté tu veux aussi essayer de jouer la dame.
Allons, je plaisante ; ai-je tort ?
Dieu veuille que non.
Adieu encore, j’embrasse papa et maman
mille et mille fois et toi je t’étouffe de baisers.
Ta sœur
Nancy
R96.858.6 | Début décembre 1858 (?) | À sa sœur Joséphine Suat | Transcription littérale | — |
Voir R96.858.8.
Tournon jeudi.
Ma bien chère Joséphine
Monsieur Genin vient de faire sa visite à
ma tante et il m’a remis le petit paquet de maman, qui me dit que tu vas un
tout petit peu mieux ; Dieu veuille que cela ait continué ! Le jour du
passage de Mme Boutaud tu n’as pas non plus été par trop
souffrante, de sorte que tu as pu jouir un peu du plaisir de voir ces dames. Mr
Genin m’a raconté que dimanche il était allé voir maman et qu’il t’avait
trouvé en grande toilette assise au coin du feu ; il te trouve aussi
grasse qu’autrefois, et dire qu’avec cette apparence tu souffres si
affreusement.
Madame Boutaud ne revient que ce soir ;
je ne me suis pas ennuyée pendant l’absence de Marthe, j’avais mon ouvrage
et le piano ; puis j’allais me promener, un jour avec Mmes
Frachon et Sauvet, un autre jour
avec Mmes Bergeron ; hier je suis allée à Chaise avec Mme
Xavier, nous avons visité l’église, les rues. Aujourd’hui devine ce que je
suis allé voir ? Une ménagerie. Il y avait des lions, des
tigres, des panthères, des hyènes, des ours blancs, deux beaux pélicans,
tout blancs avec un grand grand bec, puis de jolis perroquets roses, blancs,
rouges, charmants, et enfin des singes, qui attiraient beaucoup de curieux ; le
fait est qu’ils étaient fort amusants, avec toutes leurs grimaces, ils
avaient des figures d’hommes véritablement.
Es-tu allée te promener aujourd’hui ? Il
fait bien beau, tu as dû profiter du soleil, car il y a longtemps qu’on ne l’avait
vu. Je voudrais bien être avec toi, chère petite sœur, et tâcher de te
distraire, de t’occuper ; que je serais heureuse si je te voyais sourire ;
que je donnerais de choses pour cela.
J’espère que maman va bien, qu’elle
se soigne et ne se tourmente pas trop ; je la remercie bien de ses jolies
cravates qui me font grand plaisir. J’imagine que tu en as aussi et que tu les
portes ; ah mademoiselle, on vous donne de jolies choses et vous ne voulez
pas les mettre ; le petit col de ma tante est bien joli, n’est-ce
pas ; elle m’a donné le mien aujourd’hui, il n’est pas tout
à fait
de même que le tien, mais il est bien joli dans son genre.
Je parle toilette et bêtises ; je t’ennuie
peut-être, pauvre amie, je voudrais te distraire un moment, mais si
tu es triste et souffrante je ne remplis peut-être pas mon but, mais je veux
espérer que si ; je veux croire que ma lettre te fera plaisir et que tu recevras
bien les millions de baisers que je t’envoie ; chère sœur réponds-moi :
oui.
Adieu je t’embrasse et je t’aime plus
que je ne puis le dire. Mille caresses à papa et à maman.
Nancy.
Je renvoie par Mr Genin la crinoline de maman. Mes
tailles de dessous vont bien, cependant si les autres ne sont pas faites on
pourra les tenir un peu plus étroites en bas et plus larges en haut.
J’ai pris hier ma première leçon d’accompagnement ;
je crois que cela me fera du bien pour la mesure.
Adieu je n’y vois plus, les petites
Bergeron sont là qui babillent, qui bougent, de sorte que ma lettre doit en
souffrir beaucoup ; mais tu es indulgente, et pourvu que je le dise que je
t’aime bien tendrement, c’est tout ce que tu veux, n’est-ce pas.
Bien des choses à Victoire et à Marie ;
mes compliments à Mme Savoye et a Mme Lucien, et mes
amitiés à Léonie et Caroline.
R96.858.10 | Jeudi 9 décembre 1858 (?) | À sa mère Adèle Suat | Transcription littérale | — |
Voir R96.858.8. La lettre de Félix Marmion annoncée à la fin de la lettre est sans doute la lettre R96.859.10.
Jeudi matin.
Chère maman,
Je veux espérer que le proverbe : point de nouvelles,
bonnes nouvelles, a raison, et que Joséphine continue toujours à aller pas trop
mal ; je ne me permets pas d’espérer qu’elle va mieux ; ses promenades à
cheval l’amusent-elle un peu ? Je la vois d’ici galopant fièrement
sur la grande route, et toi pauvre maman la suivant modestement sur tes jambes.
Tu me demandais dans ta lettre quand
était fixé le départ de mon oncle ; eh bien personne ne le sait, car ma
pauvre tante est pour le moment dans son lit ; tu sais qu’elle avait un clou
ces jours passés, elle l’a encore et outre cela une telle irritation de la
peau qu’elle lui donne des démangeaisons affreuses, qui sont arrivées peu à
peu de la poitrine jusqu’aux yeux ; elle prend des grands bains tous les soirs
pour calmer un peu ses nerfs qui sont bien agacés, car elle se tourmente
comme tu peux t’en faire une idée ; cependant ce n’est rien du
tout, et son
médecin l’a priée d’avoir la bonté de ne pas se tourmenter ;
tu comprends, chère maman, que le voyage est renvoyé ; il devait s’effectuer
lundi passé, mon oncle avait écrit à Marseille à Mr Morel pour
retenir des places pour la diligence d’Hyères ; il a été obligé de
contremander les places ; il est bien un peu contrarié de cela ; mais
à quelque chose malheur est bon, dit-il, et si ma femme est encore souffrante
pour quelque temps, au lieu d’aller à Hyères, nous irons quand elle sera
rétablie passer deux ou trois mois à Marseille simplement, ce qui m’arrange
très bien. Adèle et Joséphine se décideront peut-être à faire ce
voyage ?
Madame Veyron est arrivée depuis lundi ;
elle ne va pas mal, et elle a le projet, quand les jours seront plus longs, de
venir te faire une petite visite à Vienne. Madame Louise [Boutaud] a un dîner de famille
aujourd’hui ; hier je suis allée avec elle et Marthe faire des visites, nous
avons commencé par les dames de Landersset, que nous avons trouvées, son fils
y était aussi et il nous a montré de très jolies peintures, des vues de la
Suisse, des portraits etc. ; il a un beau talent et beaucoup de
dispositions, sa sœur
aussi, car l’année passée elle a fait le portrait de Marthe et il est très
ressemblant ; de là nous sommes allées chez Mmes Descot et
Ferrand, que j’avais vues chez ma tante ; Mme Ferrand est de
Grenoble et parente ou du moins alliée à ma tante Auguste. À propos de Grenoble, j’avais oublié de te dire que j’avais reçu une lettre
de Marie qui me disait que sa mère avait dû t’écrire.
Adieu, chère maman, à bientôt je l’espère,
car il serait bien triste pour nous d’être séparées pendant les fêtes de
Noël et du jour de l’an. J’envoie à Joséphine un million de caresses, et à
papa et a toi chère maman je donne tout mon cœur.
Nancy
P.S. Je n’aurai pas assez d’argent pour donner des
étrennes aux filles, payer ma robe et mes leçons.
J’ai écrit une lettre bien affectueuse
à Louise Bichat.
Je reçois la lettre de papa à l’instant,
Joséphine est à peu près toujours de même. Mon Dieu qu’il faut de la
patience.
Mon oncle écrira demain.
R96.858.12 |
Lundi 13 et mardi 14 décembre 1858 |
À sa mère Adèle Suat (avec Thérèse Marmion) |
Transcription littérale |
— |
Voir R96.858.8.
[De la main de Thérèse Marmion]
Lundi [13 décembre 1858]
Je vais toujours mieux, ma chère Adèle, mais je ne partirai pas avant mardi prochain ; je continue de prendre mes grands bains, remèdes insupportables à raison des précautions qu’il faut prendre pour éviter le froid ; jeudi je cesserai ce remède incommode ; tâchez de venir vendredi avec Joséphine pour être témoin dimanche des débuts de votre fille, ce nouveau genre de distraction intéressera votre malade et nous serons tous bien heureux de vous recevoir ; répondez-nous donc promptement et donnez-nous une réponse favorable ; il ne faut pas que cet arrangement nous prive du plaisir de voir votre mari, mais dites-le lui bien, et surtout renoncez l’un et l’autre à nous enlever notre petite Nancy ; il faut qu’elle passe son carnaval à Tournon : je trouve très heureux que Joséphine continue ses courses à cheval, je suis persuadée que cet exercice amènera sa guérison complète ; je vous l’assure pour le mois d’avril ou le mois de mai ; de retour du midi à cette époque, vous venez nous voir, et je donne une belle soirée ; allons, ma chère Adèle, du courage et de la patience, et venez un peu vous retremper au milieu de nous.
[De la main de Nancy Suat]
Ma chère maman
La lettre d’hier de ma tante t’a peut-être bien
contrariée ; je n’étais pas chez elle quand elle t’a répondu.
Il y a bien longtemps en effet que je suis loin de vous ; mais
ma tante t’a expliqué probablement que nous devions jouer une petite comédie
et que si je m’en allais avant, je la ferais manquer, ce qui contrarierait
beaucoup madame Boutaud et Marthe qui est très entrain. Que je serais heureuse
si tu te décidais à venir ce jour-là avec ma chère Joséphine pour assister
à mes débuts ; vous m’emmèneriez après, car je n’aurais plus de raisons
pour rester à Tournon, et j’en aurais beaucoup qui m’attireraient vers
Vienne, car j’espère bien être de retour au milieu de vous pour les fêtes de
Noël et du jour de l’an.
Joséphine se permet le plaisir d’amazone
qui l’amuse un peu à ce qu’il paraît, ce qui est déjà
beaucoup, et moi je vais m’essayer sur la scène ; j’ai un joli rôle
bien long, Marthe est une anglaise, vieille, chargée
et la mère de mon futur mari, qui sera probablement monsieur de Landersset ou Mr
Gallongeon ; mais rassure-toi, chère maman, il ne me fait point de
déclaration car il a toutes les peines du mondes à baragouiner deux ou trois
mots à demi français ; Melle Molière est une petite ouvrière bien dégagée et très amusante, Mlle Noémie
Blachier devient ma vénérable grand-mère et enfin Mlle Landersset
est portière. Que j’aurai de choses à vous raconter !…
Hier nous avons diné chez Mme
Camille Bergeron, et demain soir il y a une réunion assez nombreuse chez madame
Deville où je suis invitée ; je te dirai que je trouve ma robe grise bien
simplette, mais ma tante Marmion ne me comprend pas et prétend que je suis
très convenable comme cela ; je m’en rapporte à elle, n’est-ce pas, chère
Maman !
Il est l’heure de la promenade de notre
pauvre et chère petite malade ; bravera-t-elle aujourd’hui bravement le
brouillard et le froid ? Je m’imagine que oui et je vais la suivre en
imagination (on peut aller aussi vite qu’à cheval) sur la route de Marseille
ou de Goudrière, et c’est là que je vais lui envoyer un million de baisers,
qu’elle recevra sans pleurer je l’espère.
Adieu, chère maman, je t’aime de toutes
mes forces.
Je te quitte pour étudier mon piano, car
je vais prendre aujourd’hui ma leçon d’accompagnement que j’aime beaucoup ;
Mr Marel est un excellent professeur.
Nancy
R96.858.9 | Jeudi 16 décembre 1858 | À sa mère Adèle Suat (avec Thérèse Marmion) | Transcription littérale | — |
Voir R96.858.8. La lettre de Louise Boutaud dont Thérèse Marmion fait mention est R96.863.5.
Tournon jeudi matin [16 décembre 1858].
Chère Maman
J’ai reçu ton paquet avant-hier soir
bien à temps ; je l’attendais avec impatience, il ne manquait rien, et jusqu’à
ma chère Joséphine qui avait voulu m’envoyer ses épingles ; pauvre sœur,
malgré ses maux et sa tristesse, elle pense à moi, elle s’occupe de mes
plaisirs. Que je voudrais donc que ce soit des siens ! Mais son tour
viendra comme tu le disais, chère maman, et alors elle prendra sa revanche.
La soirée de Mr Deville était
plutôt une reunion qu’une soirée, c’est-à-dire qu’il y avait la famille
et quelques personnes étrangères ; on n’a pas dansé heureusement à
cause de Mme Deville la mère, on a joué très gravement à la comète
(un nouveau jeu qui ressemble un peu au nain jaune), puis au lancenet, et on s’est
retiré à 11 heures ; j’avais mis ma robe lilas avec le fichu de même, je me
suis félicitée de l’avoir, car toutes ces dames avaient des robes un peu
claires.
Nous sommes très occupées toujours de
notre petite comédie ; tous les jours nous avons une répétition, et j’espère que cela en
ira pas trop mal, je ferai
de mon mieux, chère maman, pour te faire honneur ainsi qu’à madame Boutaud ;
j’ai un rôle sentimental assez difficile mais à force de repétitions je
parviendrai à faire bien peut-être, notre projet est toujours de la jouer
dimanche ; je suis une petite ouvrière fleuriste réduite là par des
revers de fortune, ma toilette alors sera très simple, on doit me prêter une
petite robe claire, puis je mettrai mon fichu à la paysanne, celui qui n’a
pas de rubans ; et un bonnet un peu gentil sur la tête. Marthe aura une
toilette beaucoup plus compliquée ; ma tante a découvert une vieille robe grise
avec deux volants en biais festonnés, avec un vieux mantelet, puis elle aura un
chapeau délicieux, un chapeau démesurément grand garni de bleu, avec un voile
vert, ce qui sera tout à fait anglaise, puis un boa ; un éventail, des
gants, un ridicule etc. etc. toutes ces demoiselles
auront aussi chacune une toilette assez drôle.
Je ne sais si tous ces détails amusent ou
attristent Joséphine ; je voudrais bien la distraire, et puisque malheureusement
tu ne te décides pas à venir, je voudrais au moins tout t’expliquer.
Hier j’ai dîné chez Melle
Noémie Blachier avec Marthe, les demoiselles Molière
et une jeune personne qui est chez Melle Deville ; aujourd’hui je suis
invitée à goûter chez Mme Eugénie Blachier. Tu vois, chère maman,
combien j’ai de distractions ; c’est bien triste de penser que ma pauvre sœur
souffre et gémit, pendant que je suis invitée et gâtée par tout le monde.
Ses courses à cheval l’ont donc
fatiguée ? C’est doublement affligeant, puisque cela la distrairait un
peu ; mais peut-être que quand elle se sera reposée quelques jours, elle
pourra les reprendre, en mettant un intervalle, en allant moins loin ; elle
pourrait essayer.
Adieu, chère maman ; je te quitte, il
faut que je finisse de m’habiller et que j’aille ensuite chez Marthe pour la
répétition ; ma tante veut aussi t’écrire.
Adieu, mille baisers à Joséphine
Nancy
Je te remercie de ma jolie palatine, elle est charmante et m’a
fait bien plaisir l’autre jour ; je l’avais gardée pour entrer au salon.
Il est inutile je crois que je fasse
terminer les enveloppes de corset que tu m’as envoyées, j’en ai encore de
propres.
Ma robe marron est un peu rongée en effet,
[je] pourrai y coudre une tresse, comme à celle de Joséphine, mais je n’aurai
peut-être pas le temps ; avec cette comédie la journée passe vite, cependant
j’étudie toujours mon piano et longuement ; les morceaux que tu m’as
envoyés me semblent jolis.
Adieu
[De la main de Thérèse Marmion]
En m’éveillant, ma chère Adèle, je me suis
aperçue que j’avais un
commencement de clou sous le bras ; voilà donc mon départ renvoyé pour 8 jours
au moins ; j’espère bien que vous renoncerez au projet d’envoyer
chercher Nancy ; Louise [Boutaud] qui ne se doutait pas de l’ajournement de mon
voyage vous a écrit ce matin pour vous faire comprendre la nécessité de nous
laisser encore notre chère petite. Laissez-vous donc toucher, ma chère amie,
vous nous rendez tous heureux et franchement dans l’intérêt de votre
chère
enfant ce sacrifice est nécessaire. Adieu, ma chère amie, courage et
patience ; n’abandonnez pas les promenades à cheval, c’est un
moyen
puissant ; le beau soleil d’aujourd’hui la déterminera à sortir, je l’espère ;
nous attendons des nouvelles impatiemment, toujours dans l’espoir qu’elles
seront meilleures, et toujours de nouvelles déceptions. Adieu.
Il faut que vous sachiez que votre fille a été trouvée
charmante à la soirée de Mme Deville ; heureusement nous
eûmes
l’idée d’envoyer chercher la robe à 7 heures du soir, car sans cette
précaution on ne l’aurait apporté que le lendemain.
R96.858.1 | Lundi 20 décembre 1858 | À son père Marc Suat | Transcription littérale | — |
Voir R96.858.8.
20 décembre 1858 Tournon lundi matin
Cher papa,
C’est à toi que j’écris pour
répondre à ta lettre, qui m’avait fait bien de la peine ; car tu me
disais que Joséphine était toujours aussi souffrante et qu’on avait encore
essayé vainement des sangsues et un vésicatoire. Pauvre sœur ! Que de
remèdes, et surtout que de maux ; si au moins on pouvait les partager.
Maman doit être à bout de forces et de courage ; il me tarde bien de l’embrasser,
de la revoir ainsi que Joséphine et toi cher papa ; j’espère que ce
sera cette semaine, car il y a déjà bien longtemps que je suis loin de vous.
Hier a été un jour de grandes émotions,
nous avons joué notre fameuse comédie, qui a excité des applaudissements
frénétiques auxquels nous n’avions pas [pu] nous attendre ; elle a bien
réussi en effet, les costumes étaient charmants et nous ne nous sommes pas
trop intimidées ; le public était pourtant nombreux et imposant ; il
y avait d’abord toute la famille, puis les parents des acteurs ;
la famille Deville, Goleti etc, ce qui faisait beaucoup de monde. On avait mis
des paravents dans le salon pour former la scène, et à huit heures on a
commencé ; Mlle Marel a joué une ouverture, puis on a lu le
programme qui avait été composé par monsieur Camille Bergeron et qui était
fort drôle ; après quoi j’ai paru sur le théâtre toute seule,
pour réciter un monologue, qui me faisait beaucoup de souci je t’assure ;
la pièce a duré vingt minutes à peu près et nous nous sommes retirées au
milieu des applaudissements ; on a même rappelé les acteurs et nous sommes
venus alors faire un salut au public, qui avait été si indulgent. Puis nous
sommes allées changer de costume, ce qui a encore été assez long, car ces
demoiselles avaient de la poudre, des perruques et même du rouge, on avait voulu
nous en mettre. Quand les toilettes ont été terminées on a sauté, moi je n’ai dansé ni polkas ni valses, comme maman avait paru le
désirer. Je me suis permis les quadrilles avec le galop et l’avocat de
paille.
Tu vois cher papa que je me suis bien amusée et qu’il est bien temps maintenant de revenir vous trouver,
car enfin je ne veux pas être plus longtemps dans les plaisirs, quand ma
pauvre sœur est si souffrante. Pourquoi n’était-elle pas hier au milieu de
nous ? Mais son tour viendra et alors elle dansera comme quatre pour remplacer ;
quand ce bienheureux temps arrivera-t-il ? ah espérons que ce sera
bientôt.
Je pense qu’on pourrait venir me
chercher demain ou après-demain ; si tu n’avais pas le temps Victoire
viendrait, mais j’aimerais bien mieux que ce soit toi, cher papa, dix mille
fois mieux.
Il me reste 31 francs et 14 sous ; là-dessus il faut payer la façon de ma robe (qui va très
bien), puis les leçons
et enfin les étrennes.
Ma tante va bien ; elle
avait pris un bouton pour un clou, heureusement elle en a été quitte pour la
peur ; je ne sais pas quand est fixé le jour de son départ, mais mon
oncle doit joindre une page à ma lettre et probablement il parlera de cela.
Adieu, cher père, je t’embrasse de tout
mon cœur ainsi que maman et Joséphine.
Nancy Suat.
Mes compliments à Madame Savoye ;
il me tarde de voir Henri, je le trouverai bien changé, je suis sûre qu’il
ne me reconnaîtra pas.
Mes amitiés aux Demoiselles Rémond.
Bien des choses à Victoire et à Marie.
R96.858.2 | Vendredi 24 décembre 1858 | À sa mère Adèle Suat | Transcription littérale | — |
Voir R96.858.8. et la lettre de Mme Boutaud du lendemain (R96.863.3). — Sur Melle Bressac voir la lettre d’Adèle du 29 décembre, 2011.02.260.
Tournon vendredi. 24 décembre 1858
J’ai reçu seulement ta lettre ce matin,
chère Maman, je l’attendais déjà depuis deux ou trois jours et j’étais
étonnée de n’avoir encore eu point de nouvelles.
J’ai été heureuse d’apprendre que Mlle
Bressac avait dit la même chose que les autres médecins ; cela
tranquillise
toujours papa et toi, mais je suis sûre que Joséphine n’a pas foi dans sa
parole, cependant cela doit lui prouver qu’elle n’a pas une maladie inconnue
comme elle se le figure, puisqu’ils ont tous dit de même.
Madame Boutaud et Marthe sont bien bonnes
et bien affectueuses ; ce soir je dois aller à la messe de minuit avec
Marthe, et sa mère a le projet de faire faire mon lit aujourd’hui, afin qu’à
mon retour de la Messe je couche chez elle ; mais nous avons réfléchi
avec ma tante, puisqu’elle ne part (ma tante) que lundi matin [27
décembre] et que papa doit
venir me chercher après les fêtes, il ne vaudrait peut-être pas la peine de
faire une installation chez Madame Boutaud pour deux ou trois nuits
seulement ; après le départ de ma tante, Marie viendrait coucher dans la
chambre de Sophie et alors je n’aurais pas peur ; cet arrangement parait
assez raisonnable ; j’en parlerai ce soir à Mme Louise [Boutaud] et je verrai
ce qu’elle dira.
Ma tante est toujours disposée à partir lundi ; je ne sais si elle trouvera plus de chaleur à
Hyères qu’ici,
car aujourd’hui je t’écris la fenêtre ouverte ; mais j’ai peur que
ce beau soleil et ce vent du midi si chaud ne nous amènent la pluie, ce qui
serait bien ennuyeux ; Joséphine ne pourrait plus [se] promener, car j’espère
qu’elle n’a pas abandonné ses promenades à pied, qui ont le mérite de
faire passer une heure. Il me tarde bien de la revoir, cette pauvre malade, et
toi aussi chère Maman ; j’espère que tu te soignes, que tu ne te fatigues pas
inutilement et surtout que tu ne te tourmentes pas trop ; je sais bien que quand
on voit Joséphine si souffrante, malgré soi on est porté à s’inquiéter,
mais puisque tous les médecins s’accordent à dire que ce n’est pas
dangereux, mais que c’est long ! Il faut au moins apprécier cette pensée
qui est si nécessaire pour donner des forces et du courage dont tu as si besoin,
chère maman. Ayons confiance en la neuvaine des Stes
Claire. Si leurs prières et les nôtres ne sont pas exaucées tout de suite
espérons que ce sera bientôt. Qui sait peut-être qu’au moment où on n’y
pensera le moins elle se remettra complètement ; ces dames parlent du
printemps, des bains de mer et de l’hydrothérapie ; tous ces moyens
seront-ils inutiles comme les autres ? Non, non il faudra bien que cette
terrible fièvre cède une fois, voilà bien assez longtemps qu’elle résiste
à tous les efforts.
On vient de m’apporter la note de ma
robe marron qui se monte à 11,15 ; je la ferai payer tout de suite. Dans ta
prochaine lettre je voudrais bien, chère Maman, que tu me dises ce qu’il faudra
donner aux domestiques ; Sophie et Marie sont très complaisantes et m’ont
lavé et repassé plusieurs fois des manches des cols et plusieurs autres
objets.
Adieu, chère Maman, je passe loin de vous
pour la première fois la fête de Noël, mais j’espère bien pouvoir vous
embrasser le premier jour de l’an.
En attendant je t’envoie tout mon cœur
Nancy
Je vais prendre ma leçon.
R96.858.3 | Mercredi 29 décembre 1858 | À sa mère Adèle Suat | Transcription littérale | Image |
Voir R96.858.8. Voir aussi les lettres d’Adèle Suat (2011.02.260), de Louise Boutaud (R96.863.5), de Félix Marmion (R96.859.8) et de Thérèse Marmion (R96.860.2).
Tournon mercredi 29 décembre 1858.
Je t’écris de chez madame Boutaud,
chère Maman, j’y suis installée depuis dimanche soir, ma tante est partie
lundi matin, malgré ses yeux qui étaient encore un peu enflés, mais le grand
air lui fait du bien, et le médecin lui avait conseillé de partir, alors elle
s’est décidée.
Mon oncle et ma tante doivent passer un
jour ou deux à Marseille, de sorte qu’ils auront le temps de s’informer de
ce médecin magnétiseur que tu as envie d’aller consulter ; Joséphine
en a-t-elle le désir ?
Pauvre amie, on comprend qu’elle n’ait
plus confiance qu’en Dieu et le temps ; quand on parle du temps et qu’il y a
9 grands mois qu’elle souffre, il semble que cette guérison devrait bientôt
arriver ; espérons que 1859 nous sera plus favorable que 1858 ; il
faut avoir confiance en cette année nouvelle, bénissons-la à l’avance si
elle doit voir bientôt le rétablissement complet de notre si chère malade ?
Je me suis informée du jour
de la rentrée des collégiens ; c’est lundi, de sorte que ce sera probablement
lundi ou mardi que je vous embrasserai ; d’ici là je vous enverrai bien des
baisers et bien des souhaits de bonne année, puisque je ne pourrai pas
comme les autres années venir vous surprendre, cher papa et chère maman, et disputer à ma pauvre Joséphine le plaisir de vous embrasser la première dans
votre lit ; du moins je penserai bien à vous et mon cœur ira vous trouver bien
souvent.
Tu me disais, chère Maman, que tu ne me
donnais point d’étrennes cette année ; mais j’espère bien que mon
châle et ma victoria, sans parler de ma montre, sont de fameux cadeaux ; ma
victoria me fait un très grand plaisir, c’est si commode et si chaud. Mr
Rémond n’oubliera pas son album, j’en suis sûre. Pourvu qu’il soit aussi
bien choisi que celui de l’année passée ; je te charge, chère maman, de
présenter mes souhaits de bonne année à ces demoiselles, ainsi qu’aux demoiselles Molière si tu les
vois.
Hier j’ai reçu une lettre bien
affectueuse de Céline, qui m’exprime tous les regrets qu’elle a eu de ne
m’avoir pas vue à son passage ici ; je l’ai bien regretté aussi, car
j’aurais été bien heureuse de voir cette chère Céline, mais il paraît qu’elle
n’a pas eu le temps.
J’avais oublié de te dire où je
couchais, chère Maman ; eh bien on m’a donné une jolie petite chambre,
avec une tapisserie comme Joséphine en désirera bientôt une pour notre
chambre ; elle donne dans l’anti-chambre et est tout près de celle de
madame Veyron et en face des domestiques, de sorte que je n’ai pas peur du
tout,
du reste je suis devenue brave maintenant. Je n’empêche pas Marthe de faire
ses devoirs, j’assiste aussi à ses leçons de littérature et d’histoire d’Angleterre ;
elle prend dans ce moment sa leçon de piano, moi j’ai la mienne cet après-midi.
Adieu chère Maman, adieu papa, adieu
Joséphine, je vous envoie mille baisers pour l’année prochaine.
Nancy
Bien des choses aux filles, je leur souhaite aussi de tout mon
cœur une bonne année.
Mes compliments et mes souhaits à Mr
et Mme Savoye, un gros baiser à Henri. Mme Savoye sera bien
heureuse de voir George.
Je n’oublie pas non plus le bon père
Marchand et Mme Dutriac et Mme Lucien.
R96.858.4 | Vendredi 31 décembre 1858 | À sa mère Adèle Suat | Transcription littérale | — |
Voir R96.858.8 et la lettre précédente.
Tournon 31 décembre 1858.
Chère Maman
Je t’écris à la hâte, car je vais
faire des visites avec Mme Boutaud à toutes ces dames, et des
visites de remerciements puisqu’on a eu la bonté de penser à moi ; je t’écris
sur une table qui est encombrée de boîtes, de carnets etc. ; Mme Fanny m’a
envoyé une boîte de dragées, sa belle-fille Mme Caroline qui est ici,
une corbeille de fruits confits, Mme Sauzet une jolie boîte de
chocolats fins, Mme Emma une de dragées, Mme Boutaud une
autre boîte aussi et enfin les dames Bergeron chacune un carnet ; je suis
bien reconnaissante de la bonté de toutes ces dames, et j’espère que les
bonbons ne sont pas défendus à ma chère Joséphine, qui partagera avec moi
toutes ces générosités.
Mais parlons vite de Marthe ; c’est très
embarrassant, mais je vote pour le bracelet d’ambre, c’est ce qui nous fera
le plus d’honneur ; je n’en
suis pas d’avis du verre d’eau, ni de la coupe ; quant
au livre de messe, elle en a un très beau qu’on lui avait donné pour sa
première communion ; elle a de tout véritablement ; le bracelet sera
peut-être plus cher que le reste, mais au moins cela représente le prix. Enfin,
chère Maman, tu feras pour le mieux, j’en suis sûre.
Tu n’oublieras pas de m’envoyer de l’argent ;
j’ai donné 5 f à Sophie le jour de son départ, j’en donnerai autant à
Marie ; quant aux domestiques de Mme Boutaud je ferai comme tu me
le dis ; il n’y ni garçon, ni cuisinière, c’est une femme de ménage qui vient
tous les jours faire la cuisine ; je ne sais pas s’il faudrait lui donner ;
puis Mme Boutaud a sa femme de chambre et Mme Veyron la
sienne qui s’occupent toutes deux de moi. Explique-moi je te prie chère maman
tout cela très en détail.
J’ai payé la couturière et aujourd’hui
j’ai fait demander la petite note de Mr Marel.
Adieu, bonne année, mille millions de baisers à Joséphine, à papa et à toi chère maman.
A bientôt
Nancy
R96.858.5 | Mardi 13 septembre 1859 | À sa mère Adèle Suat (avec Marc Suat) | Transcription littérale | Image |
Sur le voyage d’Adèle et Joséphine Suat à Paris en septembre 1859 voir ci-dessus R96.857.2.
Vienne mardi [13 septembre 1859]
Malgré les courses, les fatigues et les
agitations de Paris, tu as encore trouvé le temps de nous écrire plusieurs
fois, chère maman, pour nous donner quelques détails sur votre vie de
Paris ; d’après tes lettres il paraît que vous avez déjà vu beaucoup
de belles choses, que Joséphine a admiré avec enthousiasme et plaisir malgré
ses maudites fatigues qui n’ont pas voulu la quitter.
Après cette vie si agitée, si tourmentée,
chère maman, tu apprécieras vraiment j’en suis sûre la paisible
tranquillité de Coupe-Jarrets ; tu y trouveras des raisins et des figues
excellentes qui te feront plaisir. Joséphine sera obligée de prendre la pioche
et l’arrosoir, car le parterre a grand besoin de ses soins entendus et les
réclame.
Nous ne nous y sommes pas installés ; nous
y allons seulement passer la journée de temps en temps de sorte que nous
varions nos plaisirs.
Dimanche nous avons dîné
papa et moi chez Mme Marchand, qui a chez elle dans ce moment la
famille Ainé ; Mlle Noémie a été fort gracieuse et très
aimable ; hier nous sommes allés tous ensemble à Chasse ; Mme
Dutriac, malgré la grossesse si avancée de Léonie, nous avait engagé à y
aller passer la journée ; cette pauvre femme est vraiment toujours trop bonne,
elle n’avait pas besoin de cet embarras dans ce moment ; du reste Léonie
va fort bien et n’a pas maigrie je t’assure ; Mme Dutriac est un peu moins triste, cependant l’arrivée de la
famille Ainé qu’elle n’avait pas vue depuis la mort du pauvre Mr
Marchand lui a rappelé de douloureux souvenirs. Elle a beaucoup causé de toi
avec papa et elle espère bien avoir le plaisir de te voir à ton retour.
Mme Guillermet est venue savoir
de tes nouvelles l’autre jour ; elle te croyait arrivée depuis longtemps.
Adieu, chère maman, papa réclame deux
pages ; je t’embrasse mille et mille fois ainsi que ma chère
Joséphine.
J’espère que vous parlez un peu de moi
à mon oncle Hector que je n’ai pas vu depuis si longtemps ; dis-lui de ma part
qu’il faut absolument qu’il vienne bientôt nous voir à Vienne papa et moi.
Adieu encore
Nancy
[De la main de Marc Suat]
Chère femme, je viens ajouter quelques
lignes à celles de Nancy pour te dire avant tout que nous allons bien l’un et
l’autre. Il me tarde infiniment de savoir ton frère arrivé ; il te donnera de
l’agrément dont tu as bien besoin pour te remettre un peu de ta fatigue si
longue auprès de notre pauvre malade. Tu me diras les détails de son concert
et tout ce qui se passera entre vous. Tâchez de savoir exactement ce que je
devrai faire pour son vin ; il est devenu très cher, mais ce n’est pas une
raison pour ne pas lui adresser tout ce qu’il voudra ; seulement j’aurais
besoin de savoir combien sa cave peut contenir de tonneaux de la dimension
de ceux que je lui ai envoyés.
Ne manquez pas de voir Mme
Chauliaguet et de lui dire que depuis plus d’un mois Mme
Dutriac remet de lui écrire parce que sa fille fait attendre son
poupon ; elle est énorme, cela ne peut tarder beaucoup ; il y a
bientôt six semaines qu’on attend chaque jour l’événement ; ils s’étaient
trompés dans leurs calculs. Nous avons passé une bonne journée à Chasse hier
et en sommes revenus à 9 heures du soir. J’ai trouvé Mme Dutriac
vieillie, la pauvre femme.
Je ne sais si je dois te conseiller de
venir par Orléans ; je remarque par le livret des chemins de fer que tu aurais
à changer de voiture plusieurs fois, ce qui est un inconvénient pour les
personnes et pour les effets ; tu aurais une demi-journée à Orléans
où vous pourriez vous reposer, mais d’Orléans à Vienne il y a loin et avec
les retards vous seriez 14 heures à faire ce trajet, du matin à 8 heures 35
au soir à 19 heures. Le plaisir de voir Orléans peut-il compenser l’embarras
que tu aurais et une quarantaine de francs de plus de
dépense ; il me semble plus naturel de les consacrer à passer
une journée ou deux de plus à Paris. D’ailleurs, en partant de Paris à 6 heures du matin vous arriveriez à Dijon à midi et pourriez y coucher pour en
repartir le lendemain à midi et 22 et arriver ici à 9 heures du soir.
Vous auriez moins d’embarras, moins de fatigues, la période de temps passée en
voiture étant moindre, et moins de sollicitudes n’y ayant pas de changement de
voiture.
Si non pour vous
arrêter à Dijon où vous auriez deux demi-journées au lieu d’une. Adieu.
2011.02.329 | Mardi 30 décembre 1862 | À sa cousine Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | — |
Vienne 30 décembre (18)62.
Ma chère Mathilde
Voici bientôt le moment de réaliser ta
promesse. Les nombreux devoirs du jour de l’an accomplis, tu voudras bien te
souvenir de nous et aussi nous embrasser à notre tour .. Mon père à son
retour de Grenoble nous avait dit combien ton mari s’était montré terrible
à notre égard. C’est un père trop modèle qui ne veut pas être bon cousin.
Pourquoi aussi ne pas nous amener les enfants ? Papa nous a donné un vif
désir de les voir en nous parlant de toutes leurs petites gentillesses ; Camille
et sa sœur seraient je t’assure bien soignés et ce voyage ne leur ferait
certainement pas de mal. Chère Mathilde, sois moins inexorable que le cousin
Jules et plaide toi-même notre cause auprès de lui … Enfin si vous
persistez à ne pas venir tous, amène-nous au moins Camille, il n’aura pas
besoin de sa bonne et il [est] assez grand pour faire seul avec toi un voyage d’aussi
long cours …
Nous avons reçu ce matin une lettre de mes cousines Burdet ;
elles nous disent que tu es bien bonne et bien affectueuse avec elles ..
Elles ont grand besoin en effet de témoignages d’amitié ; notre pauvre
cousine Adèle surtout est profondément atteinte, la mort d’Albert sera un
chagrin toujours vivant pour elle .. Je ne sais si leur nouvel appartement
est plus ou moins agréable que celui de la place Ste
Claire .. Ce doit être loin de tout et bien solitaire, surtout en
comparaison de l’animation de la place ..
Les prédications du pére Félix sont finies ; tu as
dû
les suivre avec grand intérêt, c’est si rare d’entendre de bons orateurs
dans nos petites villes .. Vienne n’a pas eu cette bonne fortune ;
tout est calme, et même assez triste par suite de plusieurs morts ; nous
aurons grand besoin, chère Mathilde, de quelques bons jours passés avec toi, ta
visite nous fera à tous du bien, ce sera d’un heureux augure pour la nouvelle
année. Puisque je parle de nouvel an je t’envoie à cette occasion tous nos
bons souhaits pour toi et tous les tiens ..
Adieu, chère amie, ou plutôt à bientôt, je t’embrasse
mille fois.
Ta cousine affectionnée
Nancy
Mon père me charge de prier ton mari de
retirer le montant de l’effet qui est inséré dans ma lettre, et de lui en
faire tenir le montant par la poste en un billet de banque de cinq cents francs
et par lettre chargée avec valeur déclarée.
Mon père pense que mon cousin Jules connaît la manière dont cela se pratique :
la lettre et le billet doivent être sous enveloppe, cachetée avec de la cire
à trois ou cinq endroits et au-dessus de l’adresse il faut écrire en toutes
lettres le montant de la somme. Comme cette commission est pour une autre
personne que lui papa joint le montant de l’affranchissement en timbres-poste ..
Autre recommandation ; tous les cachets doivent porter la même empreinte ..
Mon père remercie d’avance ton mari de tout l’embarras
de cette commission ..
Adieu encore, chère Mathilde, Joséphine se joint à moi une
seconde fois pour t’embrasser ainsi que tes deux petits enfants.
2011.02.331 | Vendredi 30 décembre 1864 | À sa cousine Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | — |
Sur la nomination de Louis Berlioz comme capitaine, voir la lettre de Berlioz à Mathilde Masclet du 10 novembre 1854 (CG no. 2930): ‘Je te préviens que tu auras désormais à parler à Louis avec un certain respect, il est Capitaine provisoire du vaisseau La Louisiane, et il sera Capitaine définitif à son retour en Europe. Il a dû arriver au Mexique aujourd’hui. C’est un voyage qu’il fait au moins deux fois par an, il passe ensuite deux mois à St Nazaire mauvais petit port de France où son navire doit stationner, et quinze jours à Paris chez moi.’ Mathilde était donc déjà au courant. Voir aussi les lettres CG nos. 2935, 2944, 2949, toutes de décembre 1864.
Vienne 30 décembre 1864.
Tu dois nous trouver sottement
paresseuses, chère Mathilde, et je vois bien qu’il faut encore ajouter cette
amende honorable à toutes celles de l’année : donc c’est un pardon
à demander, et tu l’accorderas facilement.
Ayant attendu si longtemps de répondre à ta lettre, j’aurai
au moins l’avantage de te donner de meilleures nouvelles de la santé de mon
père, qui a été enrhumé et bien assez souffrant. Depuis deux ou trois jours
il commence à se trouver mieux et à reprendre un meilleur appétit. Il aura
payé son tribut à l’hiver, et avec une foule de petits soins il pourra peut-être être bientôt dans son état normal.
Que fais-tu de tes deux charmants lutins ? L’approche
du jour de l’an prépare bien des joies, bien des émotions, que tu partages
en bonne mère de famille ; la petite Marie doit en
prendre sa part vivement, car elle est presque une raisonnable personne à présent.
Nous vivons, comme toi dans notre petit coin, sans voir
beaucoup de monde. Les relations se perdent, se dispersent et il est assez
difficile aux jeunes filles d’en créér de nouvelles, je suis du reste grand
amateur de solitude ; nous voyons cependant, assez intimement, une
charmante jeune femme, depuis peu de temps à Vienne. Son mari Mr
Moiret a été nommé substitut au commencement de l’été ; c’est le
frère de notre voisine madame Savoye, ce qui a établi des relations assez
suivies entre nous ; c’est une aimable et bienveillante personne ;
elle a, auprès d’elle, dans ce moment, et pour tout l’hiver, sa mère et sa
sœur, ce qui forme un petit noyau ; puis le voisinage de madame Savoye que
nous voyons tous les jours forme à peu près notre intimité. Léonie Genin, Mme
Dutriac et sa fille en font encore partie. Mme Dutriac a été
bien éprouvée depuis quelque temps, aussi ces dames étaient-elles assez
découragées. Une foule d’ennuyeuses affaires compliquant encore le tout. Tout le monde a sa part de soucis et de chagrins.
Nous avons eu des nouvelles de mon oncle Hector, Louis est
revenu de son fameux voyage ; je ne sais si tu avais appris ses exploits, à la
suite desquels il a été nommé capitaine. Joséphine lui écrit dans ce
moment à St Nazaire.
Ma tante Marmion tousse toujours énormément et se porte
bien en dehors de cette vilaine toux, qui l’inquiète et la prive de toutes
espèces de distractions. Nous ne l’avons pas vue depuis un temps immémorial ;
notre petite visite du commencement de l’hiver n’ayant pas pu s’exécuter,
justement à cause d’un rhume plus sérieux, qui la condamnait à une foule de
soins et à un silence presque complet.
Vois-tu de temps en temps nos cousines Burdet ? Elles
vivent bien retirées à présent.
Grenoble a une physionomie assez calme cette année, nous
disait-on ; la mort de Mme de Fontenoy ne l’animera pas,
et va sans doute anéantir beaucoup de projets de fêtes.
Quant à notre modeste Vienne, tout fait présager un carnaval peu brillant, des deuils, des départs et une foule de
circonstances annoncent qu’il ne ressemblera pas à celui de l’an passé,
qui était il est vrai exceptionnel.
Mardi, nous étions pourtant invitées à la sous-préfecture,
mais pour une foule de raisons nous n’avions pas profité de cette
invitation ; on [n’]est jamais empressé d’aller à la première réunion qui
est toujours assez froide ; l’année passée nous l’avions
expérimenté, et papa eût-il été bien portant, nous n’aurions pas eu envie
de recommencer ..
Il paraît, en effet, que ces dames étaient si peu nombreuses
qu’elles ont été réduites à faire le jeu du ferret, c’est naïf ..
Adieu, chère Mathilde, nous t’embrassons tous les trois une
fois de plus à l’occasion de la nouvelle année. Un gros baiser à Camille et
à Marie. Bien des amitiés à ton mari.
Ta cousine
Nancy
2011.02.333 | Vendredi 23 août 1867 | À sa cousine Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | Image |
Berlioz, qui avait pris les eaux de Néris en août 1867, n’avait d’abord pas voulu assister au mariage de sa nièce (CG no. 3267, 6 août 1867, à Marc Suat: ‘Avec les habitudes de province un mariage est pour moi une chose odieuse, horrible et je ne saurais en être témoin’), mais pour finir il s’y décida (CG no. 3271, 5 septembre, à son oncle Félix Marmion, de Vienne: ‘Je suis dans mon lit comme presque toujours, je souffre comme un misérable de ma névralgie que les eaux de Néris n’ont pu combattre sans danger au dire du médecin. Et voilà que Suat et ses filles m’ont retenu à Vienne pour assister au mariage. J’ai vu que je leur aurais fait de la peine en retournant à Paris, et je suis resté. Pourtant quelle société que la mienne ! ces pauvres enfants restent les trois quarts du temps à travailler auprès de mon lit, je ne puis pas même les accompagner à la promenade le soir’). — Sur le voyage de noces des jeunes mariés à Chamonix on se rappellera qu’Adèle Suat avec fait un séjour mémorable en juillet 1844 à Aix-les-Bains avec excursion à Chamonix (2011.02.183 et 2011.02.184).
Vienne 23 août (18)67.
Aujourd’hui, chère Mathilde, je puis te
donner les derniers renseignements et t’indiquer définitivement la date du
grand jour .. Une lettre du commandant, reçue hier, nous annonçant que
les permissions étaient enfin arrivées, nous a permis d’arrêter le
jour ; ce sera le mardi 10 septembre.
Nous pensons que tous les Grenoblois arriveront la veille,
lundi, par le train qui est ici à 3 heures 10 de l’après-midi ;
j’ignore à quelle heure il part de Grenoble, tu auras la bonté de t’en
informer.
Puisque nous avons le regret de ne pouvoir donner de l’hospitalité
à personne, les chambres seront retenues à l’hôtel en face de nous et après quelques instants de repos on viendra
dîner à la maison sans façon
et uniquement en famille ; le soir on signerait le contrat, puis on s’entendrait
pour le lendemain. Nous pensons dans tous les
cas mettre le dîner de noce à 9 heures, car il est très probable que les
mariés partiront le jour même dans la soirée, pour Chamonix.
Je te préviens en passant, chère Mathilde, qu’il
ne faut pas t’inquièter de la coiffeuse, pour le 10 il y en a une de retenue ..
Chère Mathilde, comme nous sommes très occupées par mille
détails et par la présence de mon oncle, toujours aussi souffrant, tu nous
permettras de ne pas t’écrire de nouveau, et tu auras la bonté de regarder
tous ces renseignements comme positifs, sauf obstacles imprévus. — Pour
les chambres à l’hôtel, dis-nous aussi, le plus tôt que tu le pourras, si deux vous suffiront avec
vos enfants, car nous comptons tout
à fait sur eux.
Je pense, chère Mathilde, que tu as donné la réponse de
mon père, au sujet de la sérieuse affaire dont on t’avait parlé. Je te
prierais de nous dire dans ta lettre où tout cela en est, mais surtout je te
demande, avec grande instance de garder le secret le plus complet sur cette
ébauche de projet vis-à-vis de tout le monde et même de mon oncle et ma tante
Marmion et de mes cousines.
Adieu chère Mathilde, je te quitte à la hâte, à bientôt.
Nous t’embrassons tous, mon oncle Hector en tête.
Ta cousine
Nancy
R96.858.13 | Vendredi 1er mars 1878 | À Auguste Chapot (?) | Transcription littérale | — |
Le destinataire de cette lettre n’est pas connu, mais en fait ne peut-être qu’Auguste Chapot, le mari de Joséphine, sœur de Nancy: Nancy ne dirait pas ‘vous’ en adressant sa sœur, et Henri Chapot, fils d’Auguste et Joséphine né le 6 novembre 1870, est trop jeune à cette date.
Gilbert [de Colonjon] me charge de vous dire qu’il a profité de son séjour à Paris pour prendre quelques renseignements sur l’état de la succession artistique de notre oncle Berlioz. Il a pu constater tout d’abord qu’il y a à cet endroit une complète confusion, et que tout serait à faire pour débrouiller une situation d’autant plus compliquée que nous n’avons ni doubles, ni nomenclature des traités faits par notre oncle de son vivant avec ses éditeurs, tant en France, qu’à l’étranger. Il paraît certain par exemple que la partition de Béatrice et Bénédict n’a point été vendue et on a fait à Gilbert des offres à ce sujet. Rien n’indique qu’il n’en soit pas de même pour d’autres œuvres. Nous avons probablement quelques réclamations à faire ou au moins à tenter envers un éditeur allemand. Tout est à cet égard dans l’abandon le plus complet. Il s’est ainsi trouvé qu’une petite agence de billets d’auteurs nous devait, depuis la mort de notre oncle 1847 frs. qui auraient été retenus indéfiniment à défaut de réclamation et que mon mari a fait verser à la caisse centrale à votre disposition. A une autre fois des renseignements plus complets.
Site Hector Berlioz créé par Michel Austin et Monir Tayeb le 18 juillet 1997; pages Lettres de la famille du compositeur créées le 11 décembre 2014, mises à jour le 1er avril 2015.
© Musée Hector-Berlioz pour le texte et les images des
lettres
© Michel Austin et Monir Tayeb pour le commentaire et la présentation
Retour à la page principale Lettres de la famille du compositeur
Retour à la page Tables des lettres publiées sur ce site
Retour à la page Chronologie
Retour à la page Images