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Partitions de Berlioz

Weber: L’Invitation à la valse (op. 65), instrumentée par Berlioz (H 90)

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Présentation

    La découverte par Berlioz de la musique de Weber, et l’influence qu’elle eut sur lui, sont traitées en détail dans la page Berlioz et Weber à laquelle le lecteur est renvoyé. En ce qui concerne l’attitude de Berlioz envers la musique de Weber il faut sans doute souligner ici un trait particulier: l’extrême susceptibilité de Berlioz envers toute divergence du texte exact de Weber, et sa volonté de défendre à tout prix l’intégrité de l’original. Cette attitude rigoriste de la part de Berlioz a son origine dans les circonstances dans lesquelles il entendit la musique de Weber — c’est-à-dire l’opéra Der Freischütz — pour la première fois à la fin de 1824. On sait que ce que Berlioz entendit tout d’abord n’était pas l’original de Weber mais un pastiche, sous le nom de Robin des bois, dü à la plume du critique Henri Castil-Blaze (1784-1857), qui se trouve avoir été le prédécesseur de Berlioz comme critique musical du Journal des Débats. La spécialité de Castil-Blaze consistait dans ses arrangements d’œuvres d’autres compositeurs (Mozart figurait parmi ses victimes), avec pour objet de les rendre populaires auprès du public – et du coup de s’enrichir grâce aux droits d’auteur qu’il en tirait. Castil-Blaze devint une des bêtes noires de Berlioz qui dans ses écrits le fustigea sans ménagement, lui et ses ‘castilblazades’ (Mémoires, chapitre 16; voir la page Berlioz et Weber).

    À part le pastiche français de Castil-Blaze, les exécutions du Freischütz de Weber à Paris dans l’original allemand étaient rares: elles dépendaient de la présence de compagnies allemandes en visite (juin 1829, avril 1842). Mais en 1841 un fait nouveau se présente, que Berlioz raconte dans le chapitre 52 de ses Mémoires. Ce texte se trouvant sur ce site il n’y a pas lieu de le transcrire intégralement ici, mais résumons les principaux faits. En mars 1841 l’Opéra de Paris, alors sous la direction de Léon Pillet, décide de monter le Freischütz de Weber dans une traduction française. Les conventions de l’Opéra exigeaient la suppression de tout dialogue parlé et son remplacement par des récitatifs chantés; elles exigeaient de plus l’inclusion d’un ballet. On fit appel à Berlioz, à l’époque le plus ardent défenseur de Weber en France, mais Berlioz ne consentit à participer qu’à la condition expresse que le chef-d’œuvre de Weber serait représenté intégralement et sans les coupures et autres adaptations naguère infligées à l’œuvre par Castile-Blaze dans les années 1820.

    Pour les récitatifs, Berlioz mit en musique la traduction française d’Émilien Paccini, mais ce travail avait, dit Berlioz, un grave inconvénient:

Le dialogue parlé, mis tout entier en musique, parut trop long, malgré les précautions que j’avais prises pour le rendre aussi rapide que possible. Jamais je ne pus faire abandonner aux acteurs leur manière lente, lourde et emphatique de chanter le récitatif; et dans les scènes entre Max et Gaspard principalement, le débit musical de leur conversation essentiellement simple et familière, avait toute la pompe et la solennité d’une scène de tragédie lyrique. Cela nuisit un peu à l’effet général du Freischütz, qui néanmoins obtint un éclatant succès. Je ne voulus pas être nommé comme auteur de ces récitatifs, où les artistes et les critiques trouvèrent pourtant des qualités dramatiques, un mérite spécial, celui du style, qui, disaient-ils, s’harmonisait parfaitement avec le style de Weber, et une réserve dans l’instrumentation que mes ennemis eux-mêmes furent forcés de reconnaître.

    Pour le ballet aussi Berlioz s’efforça de rester fidèle à l’esprit de l’original:

Tous mes efforts pour l’empêcher étant inutiles, je proposai de composer une scène chorégraphique, indiquée par Weber lui-même dans son rondo de piano, l’Invitation à la valse, et j’instrumentai pour l’orchestre ce charmant morceau. Mais le chorégraphe, au lieu de suivre le plan tout tracé dans la musique, ne sut trouver que des lieux communs de danse, des combinaisons banales, qui devaient fort médiocrement charmer le public. Pour remplacer alors la qualité par la quantité, on exigea l’addition de trois autres pas. Or, voilà les danseurs qui se fourrent dans la tête que j’avais dans mes symphonies des morceaux très convenables à la danse et qui compléteraient on ne peut mieux le ballet. Ils en parlent à M. Pillet; celui-ci abonde dans leur sens et vient me demander d’introduire dans la partition de Weber le bal de ma Symphonie fantastique et la fête de Roméo et Juliette.

    Berlioz raconte comment il fit appel au compositeur allemand Dessauer, alors de passage à Paris, pour contrecarrer cette initiative en s’y opposant formellent:

Nous prîmes des airs de danse dans Obéron et dans Preciosa, et le ballet fut ainsi complété avec des compositions de Weber. Mais après quelques représentations les airs de Preciosa et d’Obéron disparurent; puis on coupa à tort et à travers dans l’Invitation à la valse, qui, ainsi transformée en morceau d’orchestre, avait pourtant obtenu un très grand succès.

    Pour lancer cette nouvelle version française du Freischütz Berlioz consacra un feuilleton entier du Journal des Débats à l’ouvrage (13 juin 1841). Commençant avec ses souvenirs des années 1820 et sa profonde déception de n’avoir pu rencontrer Weber lors de son passage à Paris en février 1826, Berlioz fait ensuite un vibrant éloge du génie de Weber tel qu’il se manifeste dans le Freischütz et dans Obéron, puis fait un compte-rendu détaillé des représentations et de la contribution des participants: chanteurs, chœurs et orchestre. Il souligne que l’ouvrage a été exécuté intégralement et sans coupures, respectant scrupuleusement les intentions du compositeur. Mais il ne souffle mot sur son rôle capital dans l’entreprise, ne fait qu’une allusion passagère aux récitatifs, et ne dit rien du ballet ni de l’Invitation à la valse. Nulle part dans ses feuilletons il ne révèle qu’il est l’auteur de l’instrumentation de ce morceau: dans un article de novembre 1861 qui évoque la fondation par Jules Pasdeloup des Concerts populaires, il loue le chef d’orchestre d’avoir présenté au public populaire la musique des grands maîtres, y compris la version pour orchestre de l’Invitation à la valse, mais laisse entendre que l’ouvrage est entièrement dû à Weber (Débats 12 novembre 1861).

    Comme on pouvait s’y attendre, l’instrumentation de Berlioz est scrupuleusement fidèle à l’original de Weber; on peut le constater en comparant les deux versions, la version originale pour piano et celle de Berlioz pour orchestre, sauf que la tonalité est haussée d’un demi ton de ré bémol à ré majeur, tonalité plus praticable pour l’orchestre, notamment pour les cordes, et qui a aussi plus d’éclat (grâce en partie à la résonance naturelle des cordes à vide des instruments à cordes). On a ici un bel exemple de l’art de Berlioz, qui utilise sa maîtrise dans ce domaine pour donner plus de relief à l’original de Weber, mais sans jamais chercher à se faire remarquer. La musique rappelle certaines pages de Berlioz lui-même, en particulier le Bal de la Symphonie fantastique.

    Un trait particulier de l’instrumentation est l’emploi des harpes, instrument pour lequel Berlioz avait une prédilection spéciale. ‘Rien de plus sympathique avec les idées de fêtes poétiques, de pompes religieuses, que les sons d’une grande masse de harpes ingénieusement employée’, écrit Berlioz dans le chapitre sur la harpe de son Traité d’instrumentation. Berlioz utilise la harpe dans des scènes de fête où les cordes hautes de l’instrument prêtent à la musique un scintillement tout particulier (autres exemples: le second mouvement de la Symphonie fantastique, le second mouvement de Roméo et Juliette, la fin du dernier mouvement du Te Deum, et la Marche troyenne). Berlioz préconise que les deux parties de harpes soient exécutées par autant d’instrumentistes que possible; lui-même dit avoir dirigé le morceau à Paris et à Londres avec au moins 16 harpes (CG no. 2201).

    Berlioz publia le morceau sans tarder, et la partition parut en 1842. Il s’attendait à ce qu’il devienne populaire comme morceau de concert, comme le montre une lettre à l’éditeur Maurice Schlesinger (CG no. 753; 28 août 1841):

Je pense qu’il vaut mieux ne pas encore graver la grande partition du Freischütz; mais les parties séparées de l’Invitation à la Valse seront certainement d’un grand débit; ce morceau d’une exécution facile sera joué partout, aux concerts, au théâtre et aux bals. Pour cela et pour les récitatifs je vous demanderai cinq cents francs. Voyez si vous croyez pouvoir faire à ce prix cette publication; je ne crois pas qu’on puisse avoir de plus modestes prétentions.

Exécutions dirigées par Berlioz

    La première exécution de l’Invitation comme morceau de concert (indépendamment des exécutions de l’opéra de Weber au théâtre) eut lieu lors d’un concert à Paris le 1er février 1842, mais le morceau souffrit du voisinage au même concert de la nouvelle version de la Symphonie funèbre et triomphale (cf. CG no. 765). Par la suite Berlioz dirigea l’ouvrage assez souvent, à Paris, en France, et dans ses voyages à l’étranger. Voici une liste chronologique de ces exécutions:

1844: Paris, Salle Herz, 3 février (mais les témoignages probants pour cette exécution semblent faire défaut)
1845: Paris, Cirque Olympique, 16 mars; Lyon, 20 & 27 juillet
1846: Prague, 7 avril
1848: Londres, 29 juin; Versailles, 29 octobre
1850: Paris, 23 avril & 12 novembre (Société philharmonique)
1851: Paris, 4 mai (Société philharmonique)
1852: Londres, 28 mai
1856: Bade, 14 août
1863: Paris, Salle Martinet, 8 & 22 février (CG no. 2699)

Exécutions dirigées par d’autres chefs d’orchestre

    Les exécutions connues sous d’autres chefs d’orchestre sont moins nombreuses:

1842: Vienne, décembre (chef d’orchestre pas connu)
1847: Londres, novembre (chef d’orchestre Louis-Antoine Jullien)
1853: Boston (États-Unis), 22 October (chef d’orchestre pas connu)
1858: New York (États-Unis) (chef d’orchestre C. Anschütz)

    Il faut finalement faire mention du chef d’orchestre Jules Pasdeloup, fondateur en 1861 des Concerts populaires à Paris qui devaient révolutionner l’activité musicale en France et à l’étranger. En plus des grands classiques qu’il voulait rendre plus accessibles au public, Pasdeloup prônait à sa façon la musique de Berlioz et d’autres compositeurs contemporains (y compris Wagner). L’instrumentation par Berlioz de l’Invitation à la valse figurait parmi ses compositions favorites, qu’il faisait entendre presque chaque année du vivant de Berlioz; en 1861 (3 novembre & 29 décembre), 1862 (30 novembre), 1863 (22 novembre), 1864 (28 février), 1865 (10 décembre), 1866 (21 octobre) et 1868 (5 avril & 6 décembre). Après la mort de Berlioz le morceau continue à figurer souvent dans ses programmes des années 1870 et 1880. En public Berlioz salue l’action de Passwloup et le loue de faire entendre, entre autre musique, l’Invitation à la valse. Mais la correspondance du compositeur révèle un détail important: Pasdeloup exécutait l’ouvrage dans une version tronquée, puisqu’il omettait l’andante qui conclut en douceur le morceau, pour ne pas attiédir les applaudissements du public (CG nos. 2581, 3072). C’était préciseement le genre de ‘castilblazade’ que Berlioz avait dénoncé tout au long de sa carrière, et il s’indignait qu’on pût le croire responsable de cette coupure, lui qui avait défendu Weber toute sa vie. Il est navrant de constater que l’exemple de Pasdeloup fut suivi par d’autres après lui. Le morceau était devenu populaire auprès du public, et fut souvent exécuté par les grandes sociétés de concert de l’époque, mais souvent semble-t-il dans la version tronquée de Pasdeloup (outre la page sur Pasdeloup on consultera celles sur Édouard Colonne et Charles Lamoureux).

    La partition de Weber et l’instrumentation de Berlioz ne comportent aucune indication de métronome. Dans cette version le Moderato a été fixé à noire = 80 et l’Allegro vivace à blanche pointée = 72, avec une accélération à blanche pointée = 80 au Vivace (mesure 202).

    Weber: L’Invitation à la valse, orch. Berlioz (durée 9'21")
    — Partition en grand format
    (fichier créé le 25.09.2001)
    — Partition en format pdf

   Weber: L’Invitation la valse, version originale pour le piano (durée 9'21")
    — Partition en grand format
    (fichier créé le 10.10.2001)
    — Partition en format pdf

© Michel Austin pour toutes partitions et texte sur cette page.

Cette page revue et augrmentée le 1er mars 2022.

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