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Berlioz en Allemagne

FRANCFORT

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Présentation
1842-1843
1853
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Présentation

    Berlioz se rend à Francfort à deux reprises à dix ans d’intervalle. À l’automne de 1842 son intention première – en l’occurrence déçue – est de prendre Francfort comme point de départ du voyage en Allemagne longtemps médité. Sans doute par manque de conviction de la part de Karl Guhr (1787-1848), Kapellmeister (directeur artistique) du théâtre de Francfort, il sera impossible d’y donner de concert, ce qui décourage Berlioz de revenir dans un avenir prévisible. Dix ans plus tard Berlioz est maintenant beaucoup mieux connu en Allemagne, et après la mort de Guhr la direction du théâtre de Francfort change de mains. Berlioz est maintenant le bienvenu, et en août 1853 on l’invite à y donner deux concerts qui vont être couronnés de succès.

    Berlioz donne un récit de son passage à Francfort en 1842-1843 dans la première de ses lettres sur son voyage en Allemagne, publiées d’abord peu après son retour dans le Journal des Débats (la lettre sur Francfort paraît le 13 août 1843). Elles seront reprises bientôt dans le Voyage musical en Allemagne et en Italie de 1844, et plus tard dans les Mémoires posthumes du compositeur avec quelques modifications. S’y ajoute la correspondance de Berlioz au cours du voyage de 1842-1843, et les lettres du compositeur seront la source principale pour son voyage de 1853. Ces textes seront largement utilisés dams ce qui suit.

1842-1843

    Chronologie

(1842)

19 septembre: Berlioz dîne à Paris avec Meyerbeer qui écrit à Francfort pour annoncer sa venue
20 septembre-mi octobre: Berlioz à Bruxelles (concerts le 26 septembre et le 9 octobre)
17 octobre: Berlioz à Francfort
23 octobre: Berlioz de retour à Paris
12 décembre: Berlioz quitte Paris pour Bruxelles
19-24 décembre: Berlioz à Francfort

(1843)

vers le 14 janvier: Berlioz quitte Mannheim pour Francfort
17 janvier: Berlioz quitte Francfort pour Weimar sans Marie Recio, qui le rejoint à Weimar
mi-mai: arrêt à Francfort en route entre Hanovre et Darmstadt

    Berlioz commence son premier grand voyage en Allemagne en décembre 1842, voyage précédé à l’automne par une visite de reconnaissance à Bruxelles où il donne deux concerts, après quoi il prend le chemin de Francfort. Là aussi il s’attend à y donner un concert, mais son espoir est déçu. Le 23 octobre, de retour à Paris, Berlioz écrit à sa sœur Nancy au sujet de cette randonnée (Correspondance générale no. 784; ci-après CG tout court):

[…] J’arrive de Francfort après avoir donné deux concerts à Bruxelles avec succès et argent. Mon arrivée en Allemagne devait être annoncée par deux lettres de Meyerbeer qui ont été perdues, de sorte que je suis tombé des nues à Francfort et que rien n’était préparé pour mes concerts. Le directeur du théâtre [Karl Guhr] a voulu en outre réparer dignement ce contretemps en organisant en grand deux splendides soirées où figureront les grands morceaux de mon Requiem avec mes deux premières symphonies. En conséquence et pour lui donner un mois pour ses préparatifs, j’ai laissé là toute ma musique. […] À Francfort, dès qu’on a su mon nom, j’ai trouvé l’accueil le plus empressé, je dirais même le plus respectueux. Puis j’y ai trouvé plusieurs anciens amis de Paris. Le voyage sur le Rhin est d’ailleurs une chose admirable, et tous ces vieux châteaux, ces ruines, ces montagnes sombres m’ont fait rêver tout éveillé, bercé par les souvenirs des poèmes de Goethe et des contes d’Hoffmann. C’est une des plus belles impressions de voyage que j’ai reçues. […] Je retournerai donc en Allemagne pour aller de là en Prusse dans quelques semaines, je t’écrirai avant ce second départ. […]

    Deux lettres de Berlioz à Guhr traitent de cette première visite. Le 18 octobre, Berlioz écrit de Francfort même à Guhr pour lui confier un gros paquet de musique, en soulignant que les partitions de la Symphonie fantastique et de Harold en Italie, encore inédites, n’existent qu’en exemplaires uniques (CG no. 781). Le 23, de retour à Paris, il lui envoie la grande partition et les parties séparées du Requiem avec des conseils pour l’exécution à venir, et ajoute (CG no. 782):

[…] J’attends de vos nouvelles avec impatience; vous connaissez l’immense importance que ce début musical en Allemagne a pour moi, et je suis bien reconnaissant de l’intérêt que vous voulez bien y prendre. Quant aux affaires d’intérêt, elles ne sont pas moins graves pour moi; j’espère que vous pourrez m’assurer la somme dont vous m’avez parlé. Je confie tous mes intérêts de diverses natures à votre cordiale fraternité d’artiste. […]

    Le 29 octobre Berlioz écrit à son ami Ferdinand Hiller qui se trouve à Francfort à ce moment et qu’il a peut-être rencontré plus tôt le même mois. Il lui demande de rendre visite à Guhr pour s’assurer que les préparatifs convenus sont bien en cours – Berlioz est inquiet de ne pas encore avoir reçu de nouvelles (CG no. 785). Fin novembre Berlioz s’attend toujours à ce que les concerts projetés à Francfort aient lieu (CG no. 789, à son autre sœur Adèle). La veille de son départ pour l’Allemagne il écrit comme promis à Nancy, et dans son résumé de l’itinéraire prévu il annonce les dates des concerts à Francfort: le 25 décembre et le 1er janvier (CG no. 791, 9 décembre).

    Mais d’après les Mémoires tout tourne mal dès le départ:

[…] J’étais parti de Paris me croyant assuré de donner trois concerts dès le début: le premier devait avoir lieu à Bruxelles, où j’étais engagé par la Société de la Grande Harmonie; les deux autres étaient déjà annoncés à Francfort par le directeur du théâtre, qui paraissait y attacher beaucoup d’importance et mettre le plus grand zèle à en assurer l’exécution. Et cependant, de toutes ces belles promesses, de tout cet empressement, qu’est-il résulté ? Absolument rien! […]

    Déçu à Bruxelles, Berlioz poursuit son chemin vers Francfort, où il se trouve le 19 décembre (CG no. 791quinquies [tome VIII]); ses premières impressions sont positives:

[…] Voilà une ville charmante et bien éveillée! Un air d’activité et de richesse y règne partout; elle est en outre bien bâtie, brillante et blanche comme une pièce de cent sous toute neuve, et des boulevards plantés d’arbustes et de fleurs dans le style des jardins anglais, forment sa ceinture verdoyante et parfumée. […]

    Mais peu après son arrivée, Guhr le détrompe; les concerts projetés sont impossibles dans l’immédiat: deux jeunes violonistes prodiges venues d’Italie, les sœurs Milanollo, sont en tournée, le public n’a d’oreilles que pour elles, des lettres de Guhr prévenant Berlioz à Bruxelles ont dû s’égarer… Il faut reporter les concerts, mais sans les annuller tout à fait; pendant quelque temps Berlioz continue à être persuadé qu’ils auront lieu, comme il ressort de lettres du 24 décembre (CG no. 792 [tome VIII]) et du 10 janvier (CG no. 799). Dans cette dernière il informe son correspondant qu’il vient de rencontrer Guhr à Mannheim la veille, et Guhr lui promet 24 violons pour sa venue à Francfort. Mais Berlioz a déjà ses soupçons. Le 30 décembre il écrit à Ferdinand Friedland, à Francfort à ce moment: qu’il prie Guhr de renvoyer sans délai une partie de la musique confiée à lui (CG no. 794; cf. 781-2, 791quinquies [tome VIII]). Berlioz ajoute qu’il va écrire prochainement à Guhr ou à son ami Ferdinand Hiller pour demander le reste ‘si on ne peut décidément rien faire à cette sacrée ville de Francfort’. Finalement, le 29 janvier, maintenant à Weimar, il écrit à Guhr lui demandant de renvoyer les ‘monstrueux paquets’ de musique qui sont encore entre ses mains: il renonce au projet de concerts à Francfort jusqu’à son retour, ‘car mes affaires s’arrangent très bien à Berlin, à Leipzig et à Dresde’ (CG no. 806bis [tome VIII]).

    Les séjours de Berlioz à Francfort en 1842 et tôt en 1843 – il loge à l’hôtel Russischer Hof – ont néanmoins leurs compensations. L’une est de revoir son ami Ferdinand Hiller, qui donnera plus tard un récit de cette époque dans lequel il met en cause la bonne foi de Guhr et laisse entendre qu’il ne voulait pas que Berlioz soit joué à Francfort, accusation que Berlioz se garde de reprendre à son compte. Dans l’article des Débats de 1843 et plus tard dans ses Mémoires Berlioz choisit plutôt de dresser un portrait de Guhr certes malicieux, mais dépourvu d’hostilité: musicien sérieux, Guhr avait une tendance assez sympathique à jurer en français… Berlioz insérera même dans son récit une lettre qu’il aurait écrite à Guhr en août 1843, après la publication dans le Journal des Débats de son Voyage musical en Allemagne, dans laquelle il remercie Guhr de ne pas lui avoir fait grief du portrait dressé de lui par Berlioz.

    Autre compensation: Berlioz assiste à Francfort à une exécution de Fidelio sous la direction de Guhr au théâtre, et entend pour la première fois un orchestre de théâtre allemand aux effectifs certes modestes mais de qualité réelle, tel qu’il en entendra à plusieurs reprises pendant sa tournée allemande. C’est aussi pour Berlioz la première occasion d’entendre le grand baryton Pischek qui l’impressionne vivement et qu’il entendra à nouveau à Vienne quelques années plus tard.

    De Francfort Berlioz poursuit sa route en fin d’année vers Stuttgart, Hechingen, puis Mannheim, après quoi il revient brièvement à Francfort vers la mi-janvier. C’est ici que, selon le récit donné plus tard par Hiller, Berlioz tentera le 17 janvier de fausser compagnie à Marie Recio, mais sans succès – elle le rejoint bientôt à Weimar. Voici une traduction (par Michel Austin) de ce passage des mémoires de Hiller (Künstlerleben, pages 90-1):

Vers la fin de 1841 [en fait 1842] Berlioz entreprit sa première tournée de concerts en Allemagne. Peu avant j’étais revenu d’Italie à ma ville natale de Francfort; nous nous rencontrons au théâtre où l’on donnait Fidelio, et nous nous saluons comme de vieux amis. Guhr le chef d’orchestre avait jugé bon de ne laisser aucune soirée libre pour Berlioz. Berlioz passait par Stuttgart, Mannheim, Karlsruhe, avec retour ensuite à Francfort. Il se trouvait que j’avais organisé un concert pour le jour suivant, et j’invitai Berlioz à y assister. “Impossible”, me répond-il. “Tu sais que je voyage en compagnie d’une cantatrice. Elle chante comme un chat, ce qui en soi serait de peu d’importance, mais l’ennui est qu’elle insiste pour participer à tous mes concerts. D’ici je me rends à Weimar, où nous avons un ambassadeur, et il m’est donc impossible d’y aller avec elle. Mais j’ai pris mes dispositions. Elle croit que ce soir je suis invité chez les Rothschild; je quitte donc l’hôtel vers sept heures, ma place sur la diligence est réservée, mes bagages sont en place, je pars, et quelques heures plus tard elle reçoit du patron de l’hôtel une lettre avec tout ce qu’il lui faut pour le voyage de retour”. Face à de tels préparatifs pas question pour moi d’insister sur mon invitation. Le lendemain je suis occupé toute la journée par mon concert. Mais le troisième jour la curiosité me pousse à apprendre quel tour les événements ont pris. Je me rends au Russischer Hof [Hôtel de Russie] où le portier se fait un plaisir de me raconter la suite de l’histoire. Fureur de Melle Recio à la réception de la lettre; le lendemain matin elle se rend à la poste où elle n’a pas de mal à découvrir la vérité. Car à cette époque les voyageurs étaient non seulement comptés, mais leurs noms aussi étaient inscrits sur le registre. Berlioz semblait si peu craindre de voir son projet réduit à néant qu’il n’avait pris aucune autre précaution, et fut bientôt rejoint par sa fidèle compagne. J’ai dû sans doute lui avoir écrit une lettre plutôt allègre, car quelques jours plus tard je reçus une lettre de Melle Recio, dans laquelle elle me tançait vertement et me faisait comprendre l’abîme qui sépare l’amour-propre et l’amour. Au milieu de la lettre se trouvaient, hélas! deux lignes de mon ami qui faisaient allusion à ce que j’avais écrit et disaient: “on a été ni attrapé ni rattrapé, mais on était certain d’être réunis”.

Note: Hiller a gardé l’original de la lettre de Marie Recio, écrite de Weimar; le texte complet est reproduit dans NL p. 231 no. 804bis. La phrase de Berlioz paraphrasée par Hiller dit exactement: “l’on a été ni rattrapé, ni attrapé, car on attendait avec [la?] certitude de ne pas se tromper.” L’expression utilisée par Berlioz “ne pas se tromper” est évidemment équivoque, sans doute à dessein. La paraphrase de Hiller, “sicher gewesen, sich wieder zu vereinigen”, masque l’équivoque.

    Berlioz s’arrête une nouvelle fois – la quatrième – à Francfort vers la mi-mai sur la route de Hanovre à Darmstadt, mais tout espoir de concert dans la ville est depuis longtemps abandonné.

    Berlioz reverra Guhr au moins deux fois par la suite. En août 1845 Guhr assiste au festival Beethoven à Bonn, mais le récit des Soirées de l’orchestre ne fait que mentionner son nom parmi la liste des nombreux délégués présents (Berlioz s’arrêtera à Bonn sur la route du retour). En mai 1846 Guhr est de passage à Paris et se trouve invité avec d’autres à prendre le thé chez Berlioz (CG no. 1038). Berlioz écrit à son correspondant, Émile Deschamps, ‘Vous y trouverez le Directeur du théâtre de Francfort, le célèbre capell-meister Guhr et un ténor de sa troupe’. La mention du ‘célèbre Kapellmeister’ est sans doute ironique: c’est à son portrait par Berlioz dans le Voyage musical en Allemagne (qui fournira plus tard la matière des Mémoires) que Guhr doit avant tout sa renommée.

1853

    Les années 1852 et 1853 marquent un nouveau départ dans les rapports de Berlioz avec l’Allemagne après une interruption de cinq ans. En novembre 1852 Berlioz assiste à Weimar à une représentation de Benvenuto Cellini sous la direction de Liszt et donne lui-même un concert, visite qui sera suivie de plusieurs autres dans les années à venir. En 1853 il se rend pour la première fois à Bade où il reviendra souvent par la suite. Il se produit comme chef d’orchestre dans plusieurs villes où il a déjà été accueilli (Brunswick, Hanovre, Leipzig, plus tard Dresde); d’autres il visite pour la première fois (Brême, plus tard Gotha). L’invitation qu’il reçoit en juillet 1853 de se rendre à Francfort est pour lui sans doute une surprise bienvenue. Gustav Schmidt (1816-1882), nommé Kapellmeister à Francfort en 1851 est à l’encontre de Guhr sincèrement dévoué à Berlioz et à sa musique, et il a sans doute aussi à cœur de dissiper les malentendus d’antan. Avec l’appui de Johann Hoffmann (1802-1865), le directeur du théâtre, en fonction depuis 1852, Schmidt s’adresse à Berlioz qui répond sans tarder avec des propositions détaillées concernant le programme, les dates possibles et d’autres questions pratiques (CG no. 1618, 15 juillet, de Paris). Dans une autre lettre au début d’août, cette fois de Bade (CG no. 1621), Berlioz avance de nouvelles propositions: outre les deux premières parties de la Damnation de Faust, déjà convenues, le programme comprendrait Harold en Italie (la partie d’alto solo sera jouée par Ernst, l’ami de Berlioz, qui la connaît déjà), et le Repos de la Sainte Famille, pour lequel il faut ‘un bon ténor pouvant chanter très doux’ (CG no. 1621). Le succès de ce morceau dans les concerts qu’il donne en Allemagne en 1853 (Brunswick, Hanovre, Leipzig), dans la foulée du succès obtenu à Londres la même année, incitera Berlioz dans l’année à venir à ajouter au groupe original des trois morceaux composés en 1850: l’ouvrage ainsi développé deviendra l’Enfance du Christ, dont la première partie sera dédiée à Joséphine et Nancy, nièces du compositeur (cf. CG no. 1830).

     Berlioz arrive à Francfort vers le 14 août, et les répétitions commencent sans délai. Deux concerts ont lieu le 20 et le 24 août au théâtre de Francfort (CG nos.1618, 1621, 1622, 1627, 1648; le théâtre n’existe plus), avec un programme identique qui comprend en outre l’instrumentation par Berlioz de l’Invitation à la valse de Weber. Quelques mois plus tard Berlioz évoque le succès de la visite dans une lettre à son ami Humbert Ferrand (CG no. 1648 [tome VIII], le 13 novembre):

[…] Il n’y avait pas la foule immense de Bade; mais on m’a fêté d’une façon tout à fait inusitée dans les villes libres, c’est-à-dire les villes esclaves des idées mercantiles, des affaires, comme l’est Francfort. […]

    Avant de se rendre à Francfort Berlioz avait écrit à Liszt à propos du voyage projeté, et Liszt l’avait prévenu de l’opportunité de concilier les critiques de Francfort (cf. CG no. 1620, fin juillet). Peu après son retour à Paris Berlioz envoie à Liszt un compte-rendu détaillé de ses succès à Bade et à Francfort (CG no. 1624, 3 septembre):

[…] Le concert de Bade a été très brillant, l’exécution fort satisfaisante, le public trop nombreux pour la salle. De là je suis allé reproduire une partie du programme à Francfort, devant un auditoire plus clairsemé mais beaucoup plus enthousiaste. Les journaux de Francfort m’ont fort bien traité et j’en ai été quitte pour les visites que tu m’avais recommandé de faire… Schmidt a été excellent, plein de zèle et d’activité. Je vais lui envoyer la partition de Tristia, ils ont l’intention de monter cela pour les représentations de l’Hamlet de Shakespeare, d’après les indications que je leur ai données.

Je te dirai que nos deux actes de Faust ont été exécutés trois fois sans coupures et que la fugue sur amen m’a conquis tous les cœurs; une bonne moitié de l’auditoire à Baden et à Francfort l’a prise aux sérieux comme fit autrefois le public du sonnet du Misanthrope. Un de mes exécutants de Francfort me disait dernièrement d’un air fin: « C’est une ironie?… J’en ai peur… » Réellement la fugue n’est pas assez désagréable, il y a là une sonorité d’orgue et une harmonie vibrante qui gâtent tout. De sorte que quand Méphisto dit aux ivrognes:

Vrai dieu! Messieurs votre
fugue est fort belle!

il y a des bourgeois qui tout en étant de son avis doivent me trouver plein d’immodestie, et remarquer que je me fais à moi-même des compliments en public. Du reste la farce n’en est que meilleure. […]

    Quelques jours plus tard une lettre à sa sœur Adèle ajoute quelques précisions (CG no. 1627, 7 septembre):

[…] Mon voyage d’Allemagne s’est borné à Bade et à Francfort. J’ai organisé et dirigé le Festival de Baden pour lequel j’étais engagé par M. Bénazet, puis je suis allé donner deux concerts au théâtre de Francfort, le tout avec un succès mirobolant. À Francfort on m’a donné un immense souper, avec couronnes, vers, discours, Toasts, etc. La musique militaire Prussienne est venu me jouer mon ouverture des Francs-Juges sous les fenêtres de l’Hôtel. Enfin on m’a comblé. […]

[…] Les deux premiers actes de Faust ont produit un effet prodigieux, à Francfort de même, et rectifié bien des opinions saugrenues que les amateurs et artistes de ces deux villes, où je n’étais pas encore allé, s’étaient formées sur ma musique. […]

[…] Peut-être au mois d’octobre, me rendrai-je à l’invitation que j’ai reçue de l’intendant du théâtre de Munich d’aller monter Faust en Bavière. Mais je n’en suis pas sûr. […]

    Le même jour que la lettre à Liszt, Berlioz écrit à Gustav Schmidt et ses collègues de Francfort pour les remercier chaleureusement, et annonce l’envoi de deux ouvrages récemment publiés, les Soirées de l’orchestre et les Tristia qui attendent encore leur première exécution (CG no. 1626):

[…] Je ne tarderai pas non plus à vous faire parvenir la partition de mes Tristia pour Hamlet et dès que vous m’informerez que la traduction est faite et que le théâtre a l’intention de s’occuper de la mise en scène de ce petit ouvrage, je vous écrirai toutes les indications nécessaires. […]

Je serais bien enchanté que le théâtre de Francfort put réaliser notre projet shakespearien dans le courant du mois d’octobre; peut-être cela me déciderait-il à aller à Munich et à passer à Francfort pour entendre Hamlet sous votre direction. […]

    En l’occurrence l’exécution de Tristia n’aura pas lieu, et l’ouvrage ne sera jamais joué du vivant de Berlioz.

    En ce qui concerne Munich, Berlioz avait dès ses premiers voyages en Allemagne l’intention de s’y rendre (CG nos. 791, 794-5, 823ter [tome VIII], 1001). Durant son séjour à Francfort en 1853 il écrit à Franz Dingelstedt à Munich pour évoquer la possibilité d’un voyage (CG no. 1622, 16 août):

[…] Permettez-moi de vous demander si, avant de retourner à Paris, il me serait possible de faire avec avantage un voyage à Munich. Cette capitale est la seule de l’Allemagne que je n’aie pas encore visitée, et le haut rang qu’elle occupe dans le monde des arts me fait éprouver un vif désir d’y faire connaître quelques-unes de mes dernières compositions; Entre autres ma Légende de La Damnation de Faust que je viens de faire entendre à la fête musicale de Baden et qu’on étudie en ce moment au théâtre de Francfort. […]

    Au cours de l’automne Berlioz continue à espérer que la visite aura lieu (CG nos. 1629, 1631, 1637). L’année suivante il prépare activement un voyage à Munich pendant l’été, mais se voit forcé d’annuller le projet: une vacance inattendue à l’Institut se présente, et Berlioz est obligé de rester à Paris pour pousser sa candidature, sans succès d’ailleurs (CG nos. 1749, 1751bis [tome VIII], 1756, 1761, 1764, 1768, 1771, 1773-4, 1775bis [tome VIII], 1776-7, 1779, 1783, 1784, 1785, 1799).

    Berlioz ne retournera pas à Francfort par la suite, mais les liens noués avec les musiciens de la ville persisteront (cf. CG nos. 2041, 2203), et les voyages en Allemagne de 1852-4 constituent pour Berlioz un jalon important. En octobre 1854 il rédige le chapitre 59 de ses Mémoires où il dit:

[…] D’ailleurs, j’ai la certitude de faire aisément et souvent exécuter cet ouvrage [l’Enfance du Christ] en Allemagne où je suis invité à revenir par plusieurs villes importantes. J’y vais maintenant fréquemment, j’y ai fait quatre voyages pendant les derniers dix-huit mois. On m’y accueille de mieux en mieux; les artistes m’y témoignent une sympathie de jour en jour plus vive; ceux de Leipzig, de Dresde, de Hanovre, de Brunswick, de Weimar, de Carlsruhe, de Francfort, m’ont comblé de marques d’amitié pour lesquelles je manque d’expressions de reconnaissance. […]

Illustrations

 

Vue générale de Francfort
Francfort

(Image plus grande)

    Cette carte postale de 1920 vient de notre collection. Le dessin est par R. Enders.

L’Hôtel Russischer Hof en 1875
Hôtel Russischer Hof

(Image plus grande)

    L’Hôtel Russischer Hof où Berlioz loge en 1842-1843, fut construit en 1794 et démoli en 1891. Cette photographie par Carl Friedrich Mylius date de 1875 et est dans le domaine public. L’hôtel n’existe plus.

Le Théâtre de Francfort en 1902
Théâtre de Francfort

(Image plus grande)

    Cette photo est dans le domaine public. Nous remercions vivement Pepijn van Doesburg de nous l’avoir envoyé.

Le bâtiment actuel sur l’emplacement du Théâtre de Francfort
Emplacement du théâtre

(Image plus grande)

    Nous remercions vivement Pepijn van Doesburg pour sa photo de ce bâtiment.

Page Berlioz à Francfort créée le 1er octobre 2006, révisée le 17 avril 2016. Page revue et augmentée le 1er mars 2024.

© (sauf indication contraire) Michel Austin et Monir Tayeb

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