The Hector Berlioz Website - Site Hector Berlioz

Paris et Berlioz: le renouveau

Articles et compte-rendus de concerts, 1869-1884

Extraits du Ménestrel

Présentation

    Cette page présente en ordre chronologique une série de comptes-rendus et articles sur Berlioz extraits du journal hebdomadaire Le Ménestrel et datant des années 1869 à 1884. Elle fait pendant à la page concernant le destin de Berlioz à Paris après sa mort où l’on trouvera des tables chronologiques dressant la liste des exécutions connues de sa musique dans la capitale pendant cette période. Les articles cités ci-dessous, qui ont été transcrits à partir du site internet de la Bibliothèque nationale de France, se rapportent dans chaque cas à des exécutions précises dont on trouvera le détail dans cette autre page.

    On a ajouté à liste ci-dessous des renvois à d’autres articles et comptes-rendus concernant cette même période, dûs à la plume de deux amis de Berlioz, Auguste Morel de 1876 à 1881, et Ernest Reyer de 1869 à 1884. Morel était lui-même collaborateur au Ménestrel, alors que Reyer était depuis 1866 feuilletoniste au Journal des Débats.

    Beaucoup des articles dans Le Ménestrel sont signés, et au fil des ans on reconnaît une série de noms différents: d’abord Gustave Bertrand et Adolphe Jullien, ensuite Victor Wilder, Arthur Pougin, Auguste Morel et H. Moreno, puis H. Barbedette, plus tard Charles Darcours, Victor Dolmetsch, G. Morsac et E. de Bricqueville. On constatera des divergences de vues entre ces différents critiques dans leur opinion de Berlioz: chaque collaborateur au journal était libre d’exprimer ses propres opinions. Adolphe Jullien et Auguste Morel, par exemple, sont tout dévoués à Berlioz, alors que Victor Wilder, wagnérien convaincu et traducteur des opéra de Wagner pour le concert et la scène en France, émet parfois des réserves. Mais tous traitent Berlioz avec respect: à cette époque personne ne conteste plus son génie et l’époque des Scudo semble maintenant révolue.

    Nous avons conservé la syntaxe et l’orthographe du texte original du Ménestrel.

Introduction

    This page sets out in chronological order a number of reviews and articles on Berlioz which cover the years 1869 to 1884 and are taken from the weekly Paris paper Le Ménestrel. It is intended to be a companion to the page on Paris and the music of Berlioz in this period which contains chronological tables listing the known performances of Berlioz’s works in Paris during this time. The articles which are reproduced below have been transcribed from the Internet site of the Bibliothèque nationale de France, and are all related to particular performances for which this other page provides detailed references.

    Links have been added in the list to other articles and reviews dealing with the same period, which were written by two friends of Berlioz, Auguste Morel from 1876 to 1881, and Ernest Reyer from 1869 to 1884. Morel was a contributor to Le Ménestrel, while Reyer had been writing the musical feuilletons of the Journal des Débats since 1866.

    Many of the articles in Le Ménestrel are signed, and over a period of years a number of different critics can be identified: at first Gustave Bertrand and Adolphe Jullien, then Victor Wilder, Arthur Pougin, Auguste Morel and H. Moreno, subsequently H. Barbedette, later Charles Darcours, Victor Dolmetsch, G. Morsac and E. de Bricqueville. Differences of opinion will be noted between these various critics in their estimate of Berlioz, and each contributor to the paper was free to express his own opinions. Adolphe Jullien and Auguste Morel, for example, were wholly devoted to Berlioz, whereas Victor Wilder, a dedicated admirer of Wagner who translated his operas into French for concert or stage performance in France, was at times rather critical. But all of them treated Berlioz with respect; in this period no one questioned his genius any longer and the age of critics like Scudo seemed to be over.

    We have preserved the syntax and spelling of the original text in Le Ménestrel.

1869 1871 1873 1875 1877 1879 1881 1883
1870 1872 1874 1876 1878 1880 1882 1884

1869

Le Ménestrel 14/2/1869, p. 86: […] Beaucoup ont applaudi, de grand cœur, l’ouverture du Carnaval romain, de M. Berlioz, œuvre essentiellement pittoresque, dont les rares qualités d’instrumentation semblaient exercer un charme entraînant. — Par ce Carnaval romain, la séance se trouvait close, et vraiment, à la veille du mardi-gras, la chose était de saison. […]

E. Reyer, Journal des Débats 10/3/1869, p. 2

E. Reyer, Journal des Débats 31/3/1869, p. 3

Le Ménestrel 14/11/1869, p. 395: […] Puis venaient les trois fragments de la Damnation de Faust, qui ont eu les honneurs de la séance. Quand le Menuet des feux follets fut redemandé, quelques voix protestèrent, par l’effet d’une vieille routine rancunière, mais l’inspiration en est si incontestable et d’une originalité si ravissante, que les bravos finirent par être unanimes. La valse des Sylphes ne fait que passer comme un fil de la Vierge dans un rayon lumineux : rien de plus suave dans le genre féerique. La Marche hongroise, que M. Pasdeloup nous a fait plusieurs fois entendre, était assurée d’enlever les suffrages. […] Gustave Bertrand.

Le Ménestrel 21/11/1869, p. 407: — M. Pasdeloup nous a offert, dimanche, l’ouverture du Roi Lear : cette ouverture et la symphonie ou mélologue le Retour à la vie sont les deux œuvres que Berlioz composa pendant son séjour à Rome. Elle remonte donc à 1831. L’andante débute par une belle phrase d’altos et de violoncelles reproduite tour à tour par tous les instruments. C’est un motif large en triolets qui fait penser un peu au prélude de l’Africaine, mais qui, loin d’être traité à l’unisson, donne lieu à plusieurs combinaisons d’orchestre remarquables d’effet et de couleur. C’est, du reste, la phrase caractéristique de toute l’ouverture, et, dans l’allegro, elle reviendra encore saisir l’oreille au-milieu du tumulte de l’orchestre. Puis, sur des accords frappés sur les cordes, le hautbois commence un chant délicieux auquel répond le violon. Ce charmant dialogue continue pendant huit mesures ; l’harmonie reprend alors le motif tandis que le quatuor l’entoure de charmantes arabesques : tout à coup le chant grave du début reparaît aux violoncelles et aux altos sous un léger murmure des instruments de bois, et, après un vigoureux éclat, l’andante se termine par un decrescendo plein de charme. Cette première partie est de tout point magnifique et l’orchestre l’a très-bien rendue. L’Allegro disperato qui suit renferme aussi de très-beaux détails, mais peut-être a-t il été pris dans un mouvement trop vif : on a bien pu distinguer encore la délicieuse phrase des violons et le chant plaintif des hautbois, mais on a perdu beaucoup de charmants détails qu’une exécution un peu moins précipitée aurait fait ressortir. Somme toute, c’est un morceau fort remarquable que M. Pasdeloup nous a fait entendre : nous l’en remercions et nous en profitons pour lui demander l’ouverture de Waverley, et surtout celle du Corsaire. A. J. [Adolphe Jullien]

E. Reyer, Journal des Débats 23/11/1869, p. 2

1870

Le Ménestrel16/1/1870, p. 55: […] Le grand attrait du concert était dans l’audition des fragments du Faust de Berlioz, qui obtinrent un si vif succès aux concerts Litolff. M. Pasdeloup n’en avait encore joué que la marche hongroise ; cette fois il annonçait le menuet des Feux follets et la valse des Sylphes. Ces deux merveilles de grâce et de finesse ont obtenu au Cirque le même succès qu’à l’Opéra, et il en sera souvent ainsi pour les œuvres de Berlioz qu’on ne manquera pas de nous faire entendre maintenant qu’il est mort. Berlioz vivait, que chacun se faisait un plaisir de le dénigrer sans connaître une seule note de ses œuvres. Où entendre en effet ses ouvertures, ses chœurs, ses symphonies ? Nulle part. Il meurt, le revirement est complet, et ce serait une curieuse, mais bien triste étude, que de relire les jugements de la presse parisienne à six ans de distance, au lendemain des Troyens et au sortir du premier concert de l’Opéra. Quoi que nous fassions, nous ne pouvons terminer sans adresser un avertissement à l’orchestre de M. Pasdeloup : la négligence y paraissait être dimanche à l’ordre du jour. Certes, il s’est distingué en exécutant le menuet de Mozart, et il a joué dans la perfection la valse des Sylphes ; mais il nous faut signaler de la mollesse dans le finale de Mozart, un peu de lourdeur dans le menuet de Berlioz, et surtout, à un instant, une vraie confusion dans le ballet de Prométhée. De la part d’un orchestre capable de jouer comme il l’a fait la valse des Sylphes, on est en droit d’exiger beaucoup. AD. JULLIEN.

Le Ménestrel 6/2/1870, p. 78: — M. Pasdeloup a la ferme intention, et ce n’est pas nous qui l’en blâmons, de conquérir aux œuvres de Berlioz les suffrages de son public ordinaire; mais celui-ci n’a pas l’air de vouloir s’y rendre facilement. C’était vraiment pitié de voir, l’autre dimanche [30 janvier], la salle se dégarnir peu à peu pendant l’audition des fragments de Roméo et Juliette; au dernier accord nous aurions presque pu nous compter, nous les fidèles qui ne croyons pas devoir proclamer une œuvre détestable ou superbe sans l’avoir consciencieusement entendue. C’est du reste un des signes distinctifs du public de M. Pasdeloup que cette précipitation à abandonner la place; à le voir s’élancer vers la porte au premier soupçon de cadence finale, on croirait qu’il ne vient à ces concerts que pour goûter le plaisir d’en sortir et s’écrier avec bonheur, en humant l’air des boulevards: « Enfin ! » — Comme circonstance atténuante, disons que le concert de dimanche était d’une dimension et d’une fatigue extrêmes. Les fragments de Roméo et Juliette, le seul véritable attrait du programme, se trouvaient tout à la fin, après la symphonie militaire de Haydn, après un long adagio de Rubinstein, après le concerto en mi bémol, de Beethoven. C’est un morceau tout plein de charme, d’amour, de passion et de fiévreux transports que la Scène d’amour dans le jardin de Capulet. Quels touchants accents prêtent à Roméo les accords du violoncelle, et qu’elle est douce la réponse de Juliette; aussi Roméo répète-t-il son aveu avec plus d’ardeur: la phrase mélodique revient ainsi plusieurs fois, toujours plus chaude, plus brûlante, elle éclate enfin avec tout l’orchestre dans un dernier transport d’amour pour retomber dans le calme silencieux de la nuit. Le scherzo de la Reine Mab, que M. Pasdeloup essayait pour la première fois, est une merveille de musique vaporeuse, et peu de morceaux, à notre avis, produisent une illusion plus complète: à entendre ces mille bruits de l’orchestre, on croirait voir voltiger hourris, sylphes et lutins. Dans l’andante du troisième morceau, rien ne saurait mieux peindre la tristesse de Roméo que cette plainte touchante du hautbois, accompagnée par quelques accords de harpe et les arpèges de violoncelle; la fin elle-même est puissante et dramatique, et, tout en trouvant le motif du bal un peu commun, nous rendons pleine justice à la vaste composition de cette scène compliquée. Somme toute, ces trois fragments, déjà fort importants, ne nous donnent que plus d’envie de connaître en entier, avec ses chœurs et ses soli, cette symphonie de Roméo et Juliette, qui arrachait à un Irlandais ce cri de joie enthousiaste: « Maître permettez-moi de serrer la main qui a écrit la symphonie de Roméo. Vous comprenez Shakspeare ! » [Ad. Jullien]

E. Reyer, Journal des Débats 22/2/1870, p. 1

Oscar Comettant, Le Ménestrel 27/3/1870, p. 130-2: Festival commémoratif d’Hector Berlioz

E. Reyer, Journal des Débats 31/3/1870, p. 1-2

1871

[Pas de comptes-rendus pour cette année]

1872

Le Ménestrel 14/1/1872, p. 55: — CONSERVATOIRE. — Il y a quelque dix ans, le 7 avril 1861, la Société des Concerts inscrivait sur son programme des fragments de la Damnation de Faust, de Berlioz, avec cette légende : « Après l’orgie de la cave de Leipzig, Méphistophélès conduit Faust, à travers les airs, dans un bosquet des bords de l’Elbe, où il l’endort et lui fait voir en songe l’image de Marguerite. » Ces fragments furent froidement accueillis, sauf le ballet des sylphes, qui obtint les honneurs du bis. A la fin pourtant, après le double chœur des soldats et des étudiants, quelques applaudissements se firent entendre, qui provoquèrent de vives manifestations en sens inverse. Ces marques de mécontentement froissèrent quelques musiciens qui, à leur rentrée dans le foyer, se mirent à acclamer Berlioz. Le public n’avait rien à voir à cette ovation, qui se passait hors de la salle de concert, mais les ennemis de l’auteur (ils étaient nombreux alors) saisirent l’occasion de l’attaquer et s’en allèrent en protestant que, si pareille scène se renouvelait, on serait forcé de faire usage, au Conservatoire, d’un vieil instrument délaissé, que les représentations du Tannhauser venaient précisément de remettre à la mode. Scudo, qui s’était de tout temps fait remarquer par son animosité contre l’auteur, fut un de ceux qui crièrent le plus fort ; quant à la musique, il la jugea d’un mot : « J’ose affirmer qu’on ne la réentendra pas en pareil lieu. » — Le comité des Concerts a droit à la reconnaissance des vrais amis de l’art, pour leur avoir fait réentendre ces pages admirables, si pleines de charme et de poésie, cet air délicieux du démon, cette enivrante scène du sommeil de Faust, cette adorable valse des sylphes et ces chœurs d’étudiants et de soldats, d’un éclat et d’une couleur sans pareils. Et quels précieux trésors d’orchestration !
    Nous n’insisterons pas sur ces beautés connues de tous les musiciens, depuis que MM. Litolff et Reyer les leur ont révélées : le premier à ses concerts de l’Opéra, l’autre au beau festival Berlioz. On se rappelle encore la surprise du public à cette révélation inattendue. Depuis lors, deux de ces morceaux sont devenus presque populaires. M. Pasdeloup les a souvent exécutés. Le Conservatoire s’est piqué d’honneur et il nous a réoffert le fragment de la deuxième partie qu’il avait joué il y a dix ans. L’exécution a été remarquable de la part de l’orchestre et des chœurs. M. Caron a chanté avec talent l’air de Méphistophélès et M. Grisy lui a donné la réplique en musicien consommé. En résumé, grand succès, et la valse des sylphes fut bissée, en dépit de l’opposition d’une partie du public. Ce que c’est pourtant que le parti pris et la haine d’un nom ! De la symphonie en , de Beethoven, et du Songe d’une nuit d’été, qui complétaient ce beau concert, nous ne dirons qu’une chose, c’est qu’ils ont été fort bien rendus, et que Mlle B. Thibault a dit avec beaucoup de grâce le solo du joli chœur des fées. C’est un événement capital que cette réapparition de Berlioz au Conservatoire. Il faut espérer que ce succès décidera les membres du Comité à nous faire réentendre ces morceaux avant dix ans révolus, et qu’ils se rappelleront aussi que ce n’est là qu’un mince fragment de l’œuvre de Berlioz : il y aurait honneur pour la Société des Concerts à poursuivre l’œuvre de réparation commencée par Litolff vis-à-vis du grand musicien qui, opéras à part, a écrit ces admirables compositions de la Damnation de Faust, de 1’Enfance du Christ, de Roméo et Juliette. AD. JULLIEN.

Le Ménestrel 14/1/1872, p. 55: — Le concert populaire de dimanche dernier [7 janvier 1872], au Cirque d’hiver, doit compter parmi les plus beaux de la saison. Et d’abord, on y a bissé du Berlioz, même au sortir de l’éblouissante symphonie en ut mineur du grand Beethoven ! Le public de l’endroit n’est pas coutumier du fait, et laisse passer rarement sans conteste les œuvres du maître romantique de l’école française. Cette fois, la danse des lutins et la valse des sylphes, de la Damnation de Faust, ont emporté tous les suffrages. Nous ne sommes pas bien certain qu’on n’ait pas chuté ces mêmes pages quelques dimanches auparavant.

Le Ménestrel, 15/12/1872, p. 22: […] Et si quelques esprits attardés ou quelques oreilles rétives n’ont pas goûté, au contraire, le Faust d’Hector Berlioz, placé à côté de la symphonie en la de Beethoven, il est avéré aujourd’hui que l’ensemble du grand public du Conservatoire reconnaît le génie de Berlioz, bien que français. — C’est tout un progrès dans les traditionnelles habitudes de l’endroit. […]

1873

E. Reyer, Journal des Débats 9/3/1873, p. 2

Le Ménestrel, 16/3/1873, p. 126: […] L’ouverture du Carnaval romain n’a pas été rendue avec moins d’ensemble et de précision ; peut-être même, si l’on veut nous permettre une légère critique, cette dernière qualité était-elle exagérée et pour notre part nous aurions désiré un peu moins de sérénité classique et un peu plus de fantaisie et de fougue romantique. L’œuvre de Berlioz a du reste été très-chaudement accueillie et le succès a prouvé à la Société que le maître français, maintenant que la mort l’a sacré immortel, n’avait plus rien à redouter des oppositions et des antipathies d’autrefois. […]

E. Reyer, Journal des Débats 28/10/1873, p. 1

E. Reyer, Journal des Débats 13/12/1873, p. 2

Le Ménestrel, 14/12/1873, p. 14: […] Les fragments de Roméo et Juliette de Berlioz, ont été fort-bien reçus également, et plus chaleureusement qu’on ne pouvait l’espérer de la première série d’abonnés, un peu rebelle comme on sait aux avances de la muse des compositeurs contemporains. Avec la nouvelle couche sociale qui depuis quelque temps a réclamé sa place à la salle de la rue Bergère, nous aurons prochainement une sorte de parlement musical, où la droite et la gauche seront représentées en proportions égales. Pendant que les uns diront « arrête, » les autres crieront « avance ! » Ce double courant est excellent et donnera le mouvement et la vie à la Société, qui sans cette impulsion tendrait peut-être à s’immobiliser dans une perfection béate et satisfaite.

1874

E. Reyer, Journal des Débats 15/3/1874, p. 2

1875

Le Ménestrel, 10/1/1875, p. 47: […] Nous devons constater que le public a fait le meilleur accueil aux fragments de la Damnation de Faust de Berlioz, dont le dernier morceau nous a pourtant toujours semblé d’une certaine vulgarité, accentuée, du reste, par la brutalité de l’instrumentation. M. Manoury prêtait au rôle de Méphistophélès sa voix fraîche et veloutée, mais ce jeune artiste ne paraît pas se rendre compte de ce qu’il y a d’ironique dans l’espèce de mélopée que l’auteur lui prête et qu’il a décoré, on ne sait trop pourquoi, du nom d’air. Il est vrai que le ton solennel dont Berlioz accompagne ce récit mesuré est bien fait pour dérouter le chanteur. Malgré ces réserves, qui nous sont toutes personnelles, nous répétons que le public n’a pas paru du tout partager notre avis. [Victor Wilder?]

E. Reyer, Journal des Débats 15/1/1875, p. 2

Le Ménestrel, 24/1/1875, p. 62: — Il y aurait quelques observations de détail à présenter au sujet de 1’exécution du bel oratorio de Berlioz, l’Enfance du Christ, que M. Colonne a donné ces deux derniers dimanches au concert du Châtelet. Certaines nuances insuffisamment indiquées, certaines altérations de mouvement appelleraient la critique. Cependant, l’ensemble mérite des éloges que nous ne marchanderons pas au jeune chef d’orchestre, et l’œuvre si savoureuse et si originale de Berlioz a été accueillie par le public avec une chaleur qui témoignait suffisamment sa satisfaction. Les dilettantes français finiraient-ils donc enfin par s’apercevoir que Berlioz était un homme de génie ? Patience, maintenant que le maître est mort, on en viendra peut-être à lui rendre justice. L’orchestre et les chœurs de l’Association artistique ont bien marché, sous la direction de M. Colonne et Mme Galli-Marié s’est distinguée, ainsi que le ténor Prunet, dans l’exécution des soli de l’Enfance du Christ. — A. P. [Arthur Pougin]

E. Reyer, Journal des Débats 21/11/1875, p. 2

Le Ménestrel 5/12/1875, p. 6-7: — M. Ed. Colonne, le fondateur des concerts du Châtelet, est l’un des chefs d’orchestre qui ont pris la courageuse initiative de faire casser l’arrêt qui a condamné en première instance la musique d’Hector Berlioz. Il veut rendre à la mémoire de cet illustre musicien la part de gloire qu’on n’a pas voulu lui accorder de son vivant. Après nous avoir fait entendre, l’année dernière, l’Enfance du Christ, il nous a convié cette fois à l’audition de Roméo et Juliette, l’œuvre de prédilection du maître et l’une des plus belles à coup sûr qui soient sorties de sa plume. Plus d’une page, dans cette symphonie dramatique, comme Berlioz l’appelle, est digne, en effet, du grand maître qui l’a signée et l’on peut prédire, sans craindre de se tromper, que la postérité, qui a déjà commencé pour l’auteur des Troyens, ne tardera pas à rendre pleine justice à cette œuvre passionnée et pittoresque; dont quelques inspirations trop fantaisistes ne sauraient altérer les lignes sévères et les grandioses contours. La grande musique veut du temps pour s’imposer à l’admiration universelle et l’éducation du public ne se fait pas en un jour. C’est une loi cruelle sans doute, dont les grands artistes sont les premières victimes, mais c’est une loi qu’il faut subir et contre laquelle rien ne sert de protester et de crier. Pour ce qui regarde Berlioz, des exécutions telles que celles de M. Colonne hâteront le jour de la justice : non qu’elles soient irréprochables, — il n’y a guère que la Société des Concerts qui pourrait nous donner une traduction fidèle de l’œuvre du maître, — mais parce qu’elles sont animées par l’esprit même qui les a inspirées, parce qu’elles sont dirigées par un homme qui aime cette musique avec passion et brûle du désir de communiquer son enthousiasme. Plus d’une fois d’ailleurs il y a réussi et le public tout entier a applaudi énergiquement la Fête chez Capulet, le Scherzo de la Reine Mab, l’admirable Scène d’amour, et le superbe finale où Capulets et Montaigus abjurent leurs haines séculaires sur le cadavre des deux amants de Vérone. L’interprétation des soli avait été confiée par M. Colonne à Mlle Vergin, une jeune artiste intelligente et habile dont la place est marquée d’avance sur un de nos théâtres lyriques ; à M. Furst, un jeune ténor du Conservatoire, doué d’une voix très-agréable, et à M. Bouhy, l’excellent baryton de l’Opéra-Comique, qui ne chante pas la musique de concert avec moins de talent et d’autorité que la musique de théâtre. On l’a très-vivement applaudi et c’était justice.

E. Reyer, Journal des Débats 12/12/1875, p. 2

1876

A. Morel, Le Ménestrel 16/1/1876, p. 54-5

E. Reyer, Journal des Débats 21/1/1876, p. 2

Le Ménestrel 20/2/1876, p. 94: M. Deldevez, qui est un admirateur passionné de Berlioz, avait fait mettre au programme de dimanche dernier, à côté de la symphonie en ut mineur de Beethoven, les deux premières parties de la Damnation de Faust. Le poëme de cette œuvre singulière, construit par Berlioz avec des fragments du Faust de Gœthe, traduit lui-même par Gérard de Nerval et M. Gandonnière, est d’une ordonnance assez puérile, il faut le dire ; mais oublions le poëte pour ne songer qu’au compositeur. Celui-ci, sans aucun doute, a fait de véritables progrès dans la faveur publique, et le temps n’est pas loin où ses œuvres provoquaient au Conservatoire de gros orages. Aujourd’hui les plus classiques habitués de la salle Bergère écoutent la musique de Berlioz, sinon avec plaisir, du moins avec résignation ; à l’occasion même, ils ne se font pas trop prier pour applaudir avec enthousiasme ce qu’ils avaient vertement sifflé jadis. Deux morceaux surtout méritent d’être mis hors de pair, c’est la célèbre marche hongroise connue sous le nom de marche de Rakoczy dont le thème a été emprunté à une mélodie populaire que Berlioz a travaillée avec beaucoup d’art et instrumentée de main de maître ; puis la scène du repos de Faust, qui est bâtie tout entière sur une phrase vraiment superbe, celle qui devient par la suite le sujet du gracieux ballet des Sylphes. Il serait injuste aussi de ne pas accorder une mention honorable au chœur de la Pâque : « Christ est ressuscité, » qui ne manque pas d’une certaine ampleur, et un chœur des soldats qui a de la force et de l’éclat, mais dont le thème est malheureusement trop vulgaire, même pour des soudards. Tous ces morceaux ont été très-favorablement accueillis par le public du Conservatoire ; les autres ont été écoutés plus froidement, mais, toutefois, avec la déférence qu’on doit à un compositeur sincère et convaincu. Bien que voué à une tâche assez ingrate, M. Bosquin s’est fait justement applaudir pour son excellente diction, M. Auguez également ; quant à M. Bouhy il n’était pas en voix. Les chœurs, stylés par leur excellent chef, M. Heyberger, ont bien mérité de Berlioz. De l’orchestre il est superflu de faire l’éloge. V. W. [Victor Wilder]

E. Reyer, Journal des Débats 1/3/1876, p. 1-2

A. Morel, Le Ménestrel 23/4/1876, p. 167

A. Morel Le Ménestrel 12/11/1876, p. 390

1877

Le Ménestrel 21/1/1877, p. 63: […] La Symphonie fantastique de Berlioz, œuvre toute caractéristique, commence maintenant à être comprise de bien des dilettantes qui, jusqu’à ce jour, étaient restés froids devant la musique de ce grand maître français de la symphonie. […] Enfin, la belle ouverture si originale, si pleine de couleur et de verve du Carnaval Romain, de Berlioz, a brillament terminé la séance.

A. Morel, Le Ménestrel 28/1/1877, p. 70

A. Morel, Le Ménestrel 18/2/1877, p. 95

A. Morel, Le Ménestrel 25/2/1877, p. 103

Le Ménestrel 25/2/1877, p. 103-4:— D’après le grand effet produit, il y a quinze jours, par les deux premières parties de la Damnation de Faust, d’Hector Berlioz, il était facile de prévoir l’éclatant succès qu’a obtenu l’œuvre entier au concert populaire dimanche dernier. Peu s’en est fallu pourtant que cette belle séance, qui avait attiré une foule considérable dans la salle du Cirque d’hiver ne pût avoir lieu, par suite de l’indisposition de Mlle Sablairolles, qui devait chanter Marguerite. Elle a été remplacée au dernier moment par une dame des chœurs, Mlle Garnier, qui doit être une excellente musicienne, car elle a appris en quelques heures ce rôle difficile, où elle a obtenu plus d’une fois des marques flatteuses de la satisfaction du public. Nous avons déjà détaillé dans notre précédent numéro les beautés que renferment les deux premières parties ; les deux dernières ne sont pas moins riches ; dans la troisième, la chanson du Roi de Thulé, l’évocation et le menuet des Follets, la sérénade de Méphistophélès, le duo de Faust et Marguerite qui se termine en trio par l’arrivée de Méphistophélès ; dans la troisième [quatrième], le bel air de Marguerite : D’amour l’ardente flamme, le galop sur l’abîme, le Pandemonium, chœur de démons célébrant la damnation de Faust, et, par opposition, le chœur d’esprits célestes chantant la rédemption de Marguerite : tout cela a produit une vive impression et a été constamment salué par les applaudissements les plus chaleureux. Nous avons déjà constaté que le courage et la bonne volonté de Mlle Garnier lui avaient porté bonheur. M. Talazac a eu de beaux moments dans le rôle de Faust et M. Bonnehée, qui n’a rien perdu, sinon de sa voix, du moins de son remarquable talent de diction, a très-bien accentué les passages saillants du rôle de Méphistophélès. Les chœurs et l’orchestre ont parfaitement marché. H. M. [H. Moreno]

A. Morel, Le Ménestrel 4/3/1877, p. 108-9

A. Morel, Le Ménestrel 11/3/1877, p. 118

E. Reyer, Journal des Débats 13/3/1877, p. 1-2

E. Reyer, Journal des Débats 30/3/1877, p. 1-2

A. Morel, Le Ménestrel 13/5/1877, p. 190

E. Reyer, Journal des Débats 23/5/1877, p. 2

A. Morel, Le Ménestrel 4/11/1877, p. 390

A. Morel, Le Ménestrel 16/12/1877, p. 23

Le Ménestrel 16/12/1877, p. 23: Dimanche dernier au concert populaire, M. Pasdeloup a fait entendre les parties instrumentales de Roméo et Juliette de Berlioz ainsi que le petit chœur qui se trouve dans la troisième scène : Roméo et Juliette sortant de la fête.
    Le public a écouté religieusement cette œuvre si généralement appréciée mais qui veut être entendue dans son ensemble pour qu’on puisse en apprécier toutes les beautés. M. Pasdeloup, qui le sait aussi bien que nous, ne tardera pas sans doute à nous la donner dans son intégralité. […] P.

E. Reyer, Journal des Débats 19/12/1877, p. 2

1878

Le Ménestrel 6/1/1878, p. 47: — Au Concert du Châtelet, à la demande générale, audition exceptionnelle de la Damnation de Faust d’Hector Berlioz, chantée par Mlle Vergin, MM. Lauwers, Talazac et Carroul. Entre la 2e et la 3e partie de l’oratorio, M. Mounet-Sully dira une poésie de M. Charles Grandmougin, intitulée : A Hector Berlioz. Le concert sera dirigé par M. Colonne.

Le Ménestrel 17/3/1878, p. 127: […] Berlioz, un maître qui est aujourd’hui au Châtelet en pays conquis. Aujourd’hui même une de ses œuvres les plus importantes et presque totalement inconnue, sa messe de Requiem, y sera présentée au public par l’orchestre et les chanteurs de M. Colonne, qui aura décidément l’honneur d’être l’Habeneck du Beethoven français. P.

A. Morel, Le Ménestrel 24/3/1878, p. 135

Le Ménestrel 24/3/1878, p. 135: — Le dernier programme des Concerts populaires comprenait surtout trois numéros intéressants : la symphonie d’Harold en Italie, de Berlioz, un concerto de piano de M. Grieg, jeune compositeur norwégien encore inconnu en France, exécuté par M. Charles de Bériot, et le joli air de Jeannot et Colin, de Nicolo, chanté par Mlle Isaac. La musique de Berlioz, on le sait, est terriblement difficile, et la meilleure bonne volonté ne suffit pas pour en saisir tous les mouvements, toutes les nuances et attaquer vigoureusement tous les rhythmes ; dans cet afflux de notes et de dessins divers, dans ces complications instrumentales si fréquentes, l’orchestre n’a pas été toujours bien d’aplomb, et on lui aurait souhaité plus d’assurance et de fermeté. […] A. P. [Arthur Pougin]

E. Reyer, Journal des Débats 30/3/1878, p. 2

Le Ménestrel 31/3/1878, p. 141: — A l’Association artistique (concert du Châtelet), dimanche dernier, on a fait au Requiem de Berlioz le même accueil qu’à la première exécution. L’œuvre du maître français ne pourra que gagner évidemment à mesure que le public sera plus familier avec elle et que les exécutants l’interpréteront avec plus de soin et de précision. Aujourd’hui, troisième et dernière audition du Requiem, M. Colonne ayant l’intention de reprendre la Damnation de Faust avant la clôture de la saison de concerts.

A. Morel, Le Ménestrel 7/4/1878, p. 150

Le Ménestrel 21/4/1878 p. 161-2: [extrait de Octave Fouque : Un précurseur d’Hector Berlioz. J.-F. Lesueur]:

    Le 8 mars 1869, mourait parmi nous, triste, fatigué, découragé, un grand artiste, un grand travailleur, homme de lutte et d’énergie, qui avait usé ses forces et sa vie dans un combat effrayant d’inégalité. De ce combat, il l’avouait lui-même, il était sorti vaincu. Joignant au talent de compositeur celui du polémiste et du critique, il avait voulu se servir à la fois de la parole et de l’exemple, et, rêvant un art nouveau, il avait eu recours pour fonder son école à la prédication comme à la production artistique. Mais en vain; il avait vu ses théories bafouées, tandis que ses œuvres n’attiraient qu’un petit nombre de curieux. Ses ennemis triomphaient partout. A la fin, lassé de tant d’efforts, humilié de tant de défaites retentissantes, il avait rendu les armes, déposé sa plume de compositeur, donné sa démission de critique, et sombre, muet, il s’était renfermé dans un farouche isolement, d’où il ne sortait qu’avec un douloureux effort et seulement pour se répandre en plaintes amères ou en sarcastiques invectives.

    C’est ainsi qu’il mourut. Quel changement presque subit ! A peine la tombe s’était fermée sur cette vive intelligence, un revirement presque immédiat se produisait. M. Pasdeloup, qui, il faut le dire à sa louange, avait toujours su rendre hommage au talent même vivant, s’enhardit à mettre plus souvent sur ses programmes le nom d’Hector Berlioz. Mais on sifflait encore quelque peu. Les funestes événements de 1870 ont eu du moins ce résultat de réveiller le sentiment patriotique, un peu endormi dans les derniers temps. Le public s’est montré plus avare d’enthousiasme pour les symphonistes d’outre-Rhin; il a voulu applaudir des maîtres français. Alors seulement Berlioz a trouvé chez nous le succès que vivant il n’avait obtenu qu’à l’étranger. L’Association artistique de M. Colonne s’est bientôt fondée en face des Concerts populaires, et après avoir quelque temps cherché sa voie, a cru la trouver dans l’exécution solennelle des œuvres du compositeur tant méconnu. La foule, une foule enthousiaste, applaudit tout l’hiver la Damnation de Faust aux concerts du Châtelet, dont les recettes, depuis ce subit engouement, dépassent toute prévision. Cédant au même courant, la Société des concerts du Conservatoire, qui de parti pris reste attachée à l’objet de sa fondation toute classique et n’ouvre la porte aux nouveautés qu’avec une extrême réserve, la Société des concerts a joué des morceaux de la symphonie de Roméo et Juliette et en entier les deux premières parties de la Damnation de Faust. Les orchestres rivaux du Cirque et du Châtelet se livraient l’an dernier à un véritable steeple-chase, dont le but était l’exécution de la Symphonie fantastique, et cette symphonie, œuvre imparfaite s’il en fut, sans pondération, sans mesure, excita les applaudissements de tous côtés. Enfin l’administration elle-même lutte avec les entreprises particulières et les sociétés artistiques, pour rendre au maître disparu, l’hommage que la France lui doit; sa messe de Requiem, déjà exécutée cet hiver aux concerts de M. Colonne, aura une place d’honneur dans les séances officielles de l’Exposition qui va s’ouvrir.

    Bref, le nom de Berlioz rayonne aujourd’hui au plus haut sommet de l’art dans une flamboyante apothéose: les poètes chantent ses louanges, et toute une école de compositeurs, en même temps qu’elle imite ses procédés, adopte avec enthousiasme les théories de celui qu’on nomme aujourd’hui le grand réformateur de l’art français. […]

[Version modifiée du même texte dans Les Révolutionnaires de la musique (1882), p. 1-4:]

    Le 8 mars 1869, mourait parmi nous, triste, fatigué, découragé, un grand artiste, un grand travailleur, homme de lutte et d’énergie, qui avait usé ses forces et sa vie dans un combat effrayant d’inégalité. De ce combat, il l’avouait lui-même, il était sorti vaincu. Joignant au talent de compositeur celui du polémiste et du critique, il avait voulu se servir à la fois de la parole et de l’exemple, et, rêvant un art nouveau, il avait eu recours pour fonder son école à la prédication comme à la production artistique. Mais en vain; il avait vu ses théories bafouées, tandis que ses œuvres n’attiraient qu’un petit nombre de curieux. Ses ennemis triomphaient partout. A la fin, lassé de tant d’efforts, humilié de tant de défaites retentissantes, il avait rendu les armes, déposé sa plume de compositeur, donné sa démission de critique, et sombre, muet, il s’était renfermé dans un farouche isolement, d’où il ne sortait qu’avec un douloureux effort et seulement pour se répandre en plaintes amères ou en sarcastiques invectives.

    C’est ainsi qu’il mourut. Quel changement presque subit ! A peine la tombe s’était fermée sur cette vive intelligence, un revirement presque immédiat se produisait. M. Pasdeloup, qui, il faut le dire à sa louange, avait toujours su rendre hommage au talent même vivant, s’enhardit à mettre plus souvent sur ses programmes le nom d’Hector Berlioz. Mais on sifflait encore quelque peu. C’est aux éphémères concerts de l’Opéra, dirigés par Henri Litolff sous l’inspiration de madame Tarbé des Sablons, que le public écouta sérieusement et applaudit avec surprise quelques fragments qu’il avait déjà pu entendre dans le festival donné en l’honneur de Berlioz par son élève préféré, Ernest Reyer. Les funestes événements de 1870 ont eu du moins ce résultat de réveiller le sentiment patriotique chez ceux d’entre nous qui avaient subi l’entraînement de théories généreuses, mais par trop cosmopolites; nous en avons fait la douloureuse expérience. Le public se montra plus avare d’enthousiasme pour les symphonistes d’outre-Rhin; il voulut applaudir des maîtres français. Alors seulement Berlioz trouva chez nous le succès que vivant il n’avait obtenu qu’à l’étranger. L’Association artistique de M. Colonne se fonda bientôt en face des Concerts populaires, et après avoir quelque temps cherché sa voie, crut la trouver dans l’exécution solennelle des œuvres du compositeur tant méconnu. La symphonie de Roméo et Juliette, exécutée par elle dans son entier, attira d’abord l’attention. Un nouveau courant se manifestait, qui entraîna jusqu’à la Société des concerts du Conservatoire. Puis ce fut le tour de la Symphonie fantastique, qui excita les applaudissements de tous côtés: les orchestres rivaux du Cirque et du Châtelet avaient couru un véritable steeple-chase dont le but était l’exécution de cette œuvre étrange s’il en fut, pleine d’imperfections et de génie. Enfin, le succès retentissant et prolongé de la Damnation de Faust vint mettre le comble à l’enthousiasme.

    Aujourd’hui le nom de Berlioz rayonne au plus haut sommet de l’art dans une flamboyante apothéose: les poètes chantent ses louanges, et toute une école de compositeurs imite ses procédés, adopte avec enthousiasme ses théories musicales. […]

Le Ménestrel 2/6/1878, p. 211: […] N’est-ce point, en général, le sort des œuvres sérieuses, longuement méditées, fortement conçues ? On les veut juger par trop vite ou y chercher de simples distractions qu’elles ne sauraient comporter ou multiplier sans raison. Souvenons-nous qu’il n’a pas fallu moins de dix ans de gymnastique symphonique au public parisien pour arriver à comprendre la Damnation de Faust, d’Hector Berlioz, qu’on exalte aujourd’hui après l’avoir honnie naguère. Ce sont là des enseignements dont nous devons savoir faire notre profit. […]

Le Ménestrel 6/10/1878 p. 360-1: [Octave Fouque: conclusion à l’article sur J.-F. Lesueur commencé dans le numéro du 24 avril]:

    Berlioz survivra-t-il à notre génération ? La Damnation de Faust, la symphonie de Roméo et Juliette, l’Enfance du Christ, resteront-elles comme des chefs-d’œuvre, ou bien périront-elles après avoir jeté un éclat passager ? Des enthousiastes voient dans Berlioz un dieu, qui doit détrôner Beethoven, un nouveau Messie que l’avenir saluera. Bien plus, l’histoire de la musique date de lui. Ce qui est antérieur est effacé ; quant aux nouveaux venus, ils n’ont qu’une chose à faire, emboîter le pas. Il nous faut parler sa langue, adopter sa critique, imiter ses procédés, sous peine de ne pas exister : hors de Berlioz, point de salut. Certains artistes, plus épris de la pureté du style que des séductions de la couleur, déclarent hautement que Berlioz ne savait pas écrire ; ils le regardent volontiers comme un perturbateur, un violenteur de règles et de langage, un génie de décadence. D’autres enfin, les sages, nous disent : Berlioz restera sinon comme un classique incontesté et incontestable, du moins comme une merveilleuse exception, un brillant phénomène, un monstre de génie.

    Qui a raison ? Berlioz est-il un astre, une comète ou un simple météore ? Mme de Sévigné a dit un jour avec plus d’esprit que de sens : « Racine passera comme le café. » Et le café nous est resté, — heureusement, — Racine aussi. Depuis qu’on a vu l’avenir casser ainsi l’imprudente sentence de la grande dame, la critique est devenue timide. Elle se tient sur ses gardes, veut faire la part des choses et, de peur de s’exposer à des mécomptes par trop vifs, se garde des prophéties. Disons pourtant notre pensée : Berlioz restera. Il restera malgré les amères critiques de ses ennemis, malgré même l’engouement irréfléchi de ses amis. Il est venu dire une parole que nul auparavant n’avait dite comme lui, et cette parole ne sera pas perdue, parce que rien ne se perd. Il a eu un précurseur dans le maître dont nous venons de raconter la vie [Lesueur] ; mais, comme le disciple a dépassé le maître ! Avec quelle puissance il a agrandi ses doctrines ! Certes, Berlioz a apporté sa pierre à l’édifice, une pierre qui est bien à lui, et sur laquelle il a à jamais gravé son nom.

    D’autres ont appris de lui le secret de cette couleur qu’il répandait avec une souveraine profusion. Ils sauront l’appliquer à un dessin plus ferme, contenu dans de justes limites, et de cette union entre le dessin classique et couleur de Berlioz naîtra la plus splendide création du génie humain, la musique moderne, qui sera l’art le plus grand, le plus puissant, le plus magnifique que l’on ait jamais rêvé. Jusqu’à ce jour, les Allemands seuls ont su dégager la poésie de la nature ; les Italiens ont chanté la passion ; nous parlons le langage du sentiment tempéré par le goût. La musique moderne réunira à la fois la poésie, la passion, le sentiment, le goût ; ce sera la vraie langue universelle, le lien cosmopolite des esprits et des cœurs.

    Berlioz aura beaucoup fait pour cet art nouveau. Dans une très-spirituelle et éloquente conférence au théâtre du Châtelet, M. de La Pommeraye disait : « Ce qui distingue Berlioz, c’est l’alliance, très-remarquable chez lui, du littérateur et du musicien. Quelquefois, il est vrai, le littérateur emporte le musicien hors des bornes ; mais, quand le littérateur ne domine pas trop, Berlioz atteint des effets inouïs et merveilleux que lui seul a trouvés : c’est l’art le plus complet qui ait encore paru. »

    Eh bien, pour finir par un hommage à cette patrie française à qui le monde doit tant et que nous n’aimerons jamais assez, il nous est doux de penser que dans ce large fleuve de l’art moderne qui confond et mêle tant de choses, l’un des courants les plus forts sera le courant français. Car on en convient aujourd’hui, c’est sottise d’accuser Berlioz de germanisme. Il est Français et bien Français : Provençal par le relief du contour et le feu de la couleur, Gaulois par la verve et l’impétuosité, Parisien par la merveilleuse clarté de l’esprit, il est Français, enfin, par ses origines, puisque ce n’est ni au delà du Rhin, ni de l’autre côté des monts, qu’il a été chercher ses modèles et ses maîtres : c’est en France qu’il a trouvé sa voie grâce à Lesueur. Par cette influence directement exercée sur Berlioz, l’auteur de l’Essai de la musique une et imitative, le musicien des Bardes et de la Mort d’Adam touche à notre génération. C’est ce qui nous a engagé à crayonner cette figure un peu oubliée, quoique si près de nous, figure curieuse et sympathique. L’homme et l’artiste chez Lesueur méritaient, du moins il nous le semble, que cet hommage leur fut rendu. OCTAVE FOUQUE.

Le Ménestrel 13/10/1878, p. 373: — M. Pasdeloup a rouvert jeudi dernier les concerts populaires par une séance extraordinaire offerte aux visiteurs de notre Exposition. Le sympathique chef d’orchestre a été accueilli à son entrée sur l’estrade par une triple salve d’applaudissements. Après cette ovation à laquelle nous nous associons pour notre part, le concert a commencé […] mais le grand intérêt de la séance était dans la Symphonie fantastique de Berlioz qui a quelque peu déconcerté le public mêlé d’étrangers et de provinciaux qui se trouvait réuni dans la salle du cirque. On sait du reste que la symphonie fantastique est une des plus difficiles à exécuter et à comprendre. Tantôt l’idée s’y dégage nettement, je dirai même brutalement, comme dans la valse du bal ; tantôt elle est indécise et confuse, avec des rhythmes bizarres et des contours indéterminés ; aussi ne l’a t-on applaudie que du bout des doigts et par simple politesse, semblait-il, pour M. Pasdeloup qui en faisait les honneurs à son public cosmopolite. En revanche la piquante sérénade de Haydn a été accueillie avec enthousiamc. Ce style gracieux et simple après la manière tourmentée de Berlioz a laissé pénétrer dans la salle comme une bouffée d’air frais. Toutes les poitrines se dilataient, toutes les mains applaudissaient. […] X.

Le Ménestrel 3/11/1878, p. 397: — La réouverture des concerts de l’Association artistique au théâtre du Châtelet s’est faite par la 14e audition de la Damnation de Faust d’Hector Berlioz, le grand succès de l’année dernière, qui, cette année encore, donnera certainement une série fructueuse de recettes. Nous n’avons pas à revenir sur l’appréciation de cette partition qui a été étudiée ici à différentes reprises ; mais nous aimons à constater une fois de plus que dans son ensemble, c’est une des œuvres les plus claires et les mieux conçues de Berlioz. C’est la raison, sans doute, de l’excellent accueil que lui fait le public parisien, aujourd’hui que son éducation musicale a été fort avancée par l’audition répétée des grandes partitions de Beethoven. Il est, du reste, curieux d’observer que ce public, avec un tact remarquable, met le doigt sur les pages les mieux venues et les souligne spontanément de ses acclamations. Il me semble dès lors qu’on devrait l’abandonner librement à son impression et ne pas chercher à surchauffer son enthousiasme par des applaudissements et des bis intempestifs. Qu’on redemande la Marche hongroise, orchestrée avec tant d’éclat et arrangée avec tant d’effet dramatique ; qu’on fasse répéter la piquante sérénade de Méphistophélès, qu’on veuille entendre deux fois la superbe invocation à la Nature, je n’y vois d’autre inconvénient que de prolonger outre mesure une séance déjà fatigante par les dimensions de la partition. Mais on devrait s’en tenir là ; l’œuvre de Berlioz n’y perdrait rien et le succès n’en serait pas amoindri. Ceci dit à l’adresse des claqueurs volontaires qui peuplent le parterre du Châtelet, nous constaterons que l’exécution de la Damnation de Faust offre une interprétation exacte et fidèle de la pensée de Berlioz. M. Colonne la comprend excellemment et s’entend à la mettre en relief avec beaucoup d’habileté. Il est parfaitement secondé dans cette tâche difficile par l’intelligente Mlle Vergin, dont le talent souple se plie avec un bonheur égal aux exigences du théâtre et à celles du concert, et par le baryton Lauwers, dont l’interprétation pleine d’effets bien compris et bien étudiés paraît porter à fond sur le public. Nos compliments aussi à M. Villaret fils, dont la voix sans grand éclat ne peut malheureusement donner à l’invocation à la Nature la largeur de phrase et la puissance sonore qu’elle demande. V. W. [Victor Wilder]

Auguste Morel, Le Ménestrel 8/12/1878, p. 16

E. Reyer, Journal des Débats 15/12/1878, p. 2

1879

Le Ménestrel 12/1/1879, p. 56: L’intérêt de la cinquième séance de la Société des Concerts se portait tout entier sur la symphonie dramatique de Roméo et Juliette, d’Hector Berlioz, magistralement interprétée, empressons-nous de le constater. Bien que l’œuvre ne fût pas donnée dans son intégralité, elle est de proportions telles qu’elle occupait le concert presque tout entier. Le premier morceau où Berlioz a cherché à peindre les querelles des Capulets et des Montaigus, a laissé les auditeurs un peu déconcertés. C’est du reste une inspiration assez médiocre, qui ressemble plus à ce qu’on appelle dans les théâtres lyriques un mélodrame, qu’à un morceau de symphonie. Le récitatif des cuivres, où l’on doit reconnaître la voix du prince, intervenant entre les partis rivaux, ne dit et ne peut rien dire de précis, on pourrait en retrancher les trois quarts comme on pourrait également le prolonger indéfiniment. Le second morceau a une tout autre portée : la tristesse de Roméo est profondément sentie et parfaitement exprimée ; la scène du bal qui lui succède a de la verve et de l’éclat, mais elle manque, à mon avis, de distinction. Ce qui est vraiment admirable, c’est la scène du jardin : interprétée à la perfection par la Société des Concerts, cette page magnifique me semble la plus belle inspiration de Berlioz. J’aime moins le finale de la réconciliation où M. Auguez a bien tenu le rôle du frère Laurence. Certainement le morceau a de l’ampleur et fait de l’effet ; mais si l’on se soustrait à l’impression toute physique qu’il produit, on s’aperçoit aisément que sous cette belle sonorité il n’y a vraiment pas grande idée. […]. V. W. [Victor Wilder]

Le Ménestrel 9/2/1879, p. 87: — 2 février : Concert du Châtelet. Excellente interprétation de Roméo et Juliette de Berlioz, par l’orchestre et les chœurs de M. Colonne avec Mlle Vergin, MM. Villaret et Lauwers. Grand et légitime succès, moins grand cependant que celui de la Damnation de Faust. Le plan de l’œuvre est moins heureux ; dans Faust, Berlioz a pris une foule de situations variées, formant contraste. La partie vocale n’est pas sacrifiée à la partie orchestrale, le tout forme un ensemble admirablement bien coordonné et qui laisse une impression intense. Dans Roméo, la note élégiaque domine trop, il n’y a pas de variété dans les situations, la partie vocale est sacrifiée à la partie orchestrale, le délicieux intermède de la Reine Mab se détache à peine du milieu qui l’encadre. On se demande pourquoi l’œuvre se termine par un ensemble éminemment scénique : La réconciliation des Capulets et des Montaigus, alors que le style descriptif a régné en maître dans tout ce qui a précédé. — Somme toute l’œuvre est d’un maître, d’un grand maître. J’ai entendu ce mot sur Berlioz, il est profondément vrai : « Berlioz n’a pas toujours fait ce qu’il y avait de plus grand, mais il l’a tenté ; c’est ce qui fera sa gloire. » — H. B. [H. Barbedette]

A. Morel, Le Ménestrel 16/2/1879, p. 95

E. Reyer, Journal des Débats 16/2/1879, p. 1

A. Morel, Le Ménestrel 16/3/1879, p. 124

E. Reyer, Journal des Débats 22/3/1879, p. 1-2

Le Ménestrel 12/10/1879, p. 368: M. Colonne nous prépare une surprise de haut goût. Il fera exécuter, cet hiver, aux concerts du Châtelet, une grande œuvre d’Hector Berlioz, encore inconnue en France, comme à l’étranger. Cette œuvre, de vastes dimensions et de rare valeur artistique, a pour titre : la Prise de Troie, opéra en trois actes, paroles et musique de l’auteur des Troyens. C’était la première partie de l’œuvre par trop complexe d’Hector Berlioz, et qui, par cette raison, ne put être donnée au Théâtre-Lyrique en même temps que les Troyens à Carthage. M. Colonne en espère un retentissement égal à celui de la Damnation de Faust. Vous verrez que cet Hector Berlioz si contesté par les musiciens, auxquels du reste il l’a bien rendu, finira par être à la fois notre Beethoven et notre Gluck français.

E. Reyer, Journal des Débats 17/10/1879, p. 2

E. Reyer, Journal des Débats 30/11/1879, p. 2

E. Reyer, Journal des Débats 12/12/1879, p. 1-2

A. Morel, Le Ménestrel 14/12/1879, p. 11-12

Le Ménestrel 21/12/1879, p. 23: — Nous avons reçu cette semaine nombre de lettres exprimant des opinions absolument diverses sur la Prise de Troie. Dans l’impossibilité de les publier toutes, nous croyons bien faire en nous abstenant. Nous nous bornerons à publier la note semainière que nous remet celui de nos collaborateurs qui assistait dimanche dernier à la nouvelle audition de l’œuvre d’Hector Berlioz, au Châtelet, sous la direction de M. Colonne. « Sans nous arrêter au mérite comparatif des artistes qui, au Cirque d’hiver et au Châtelet, interprètent l’œuvre de Berlioz, constatons un fait : l’affluence de plus en plus considérable du public, au théâtre du Châtelet, et la faveur soutenue avec laquelle il accueille la Prise de Troie. Nous sommes de plus en plus frappés du recueillement avec lequel ce public écoute, de l’intelligence avec laquelle il saisit les passages les plus pathétiques, de la manière dont il apprécie l’inimitable coloris d’une orchestration sans égale. Quant à savoir si la Prise de Troie est une œuvre scénique ou un oratorio profane, quant à se demander si le style de Berlioz ne manque pas de cette architecture nette et accentuée qui convient au suprême degré aux œuvres théâtrales, se demander, au contraire, s’il ne reste pas de parti pris, dans le vague de la phrase, laissant à l’orchestre le soin de tout peindre, de tout expliquer, sacrifiant à la richesse du tissu, la pureté du dessin qui devrait le recouvrir, — nous n’y songeons pas ; nous nous émerveillons de voir qu’une œuvre si sérieuse, si tendue, si profondément lamentable et tragique, captive à ce point le public et, mettrions-nous des restrictions à notre admiration pour Berlioz, que nous ne saurions nous empêcher de reconnaître qu’il n’est donné qu’aux grand maîtres de saisir à tel point le public. » H. B. [H. Barbedette]

E. Reyer, Journal des Débats 26/12/1879, p. 2

1880

Le Ménestrel 22/2/1880, p. 94: — Au Châtelet, dimanche dernier, beaucoup de monde comme toujours. A son arrivée au pupitre, M. Edouard Colonne a été l’objet d’une démonstration des plus flatteuses ; une salve d’applaudissements prolongés et chaleureux a accueilli le nouveau chevalier de la Légion d’honneur et pleinement ratifié la haute distinction que le ministre des beaux-arts vient de conférer si justement à l’habile et persévérant fondateur, président et chef d’orchestre de l’Association artistique du Châtelet. L’orchestre qui venait de faire hommage à son digne chef d’un magnifique bouquet, a aussitôt attaqué avec la correction et l’ensemble qui lui sont habituels, la symphonie en ré mineur de Schumann etc. […] A. M. [Auguste Morel]

A. Morel, Le Ménestrel 31/10/1880, p. 383

A. Morel, Le Ménestrel 28/11/1880, p. 415

Victor Wilder, Le Ménestrel 12/12/1880, p. 14: […] Sur l’ouverture du Corsaire de Berlioz, les avis paraissaient partagés. En ce qui me regarde, j’ai trouvé l’œuvre intéressante et curieuse. L’introduction m’a paru fort belle et le caractère sauvage de l’allegro me semble parfaitement répondre aux idées éveillées par le titre de ce morceau symphonique.

A. Morel, Le Ménestrel 12/12/1880, p. 14

A. Morel, Le Ménestrel 19/12/1880, p. 22-3

1881

A. Morel, Le Ménestrel 16/1/1881, p. 55

E. Reyer, Journal des Débats 30/1/1881, p. 1-2

A. Morel, Le Ménestrel 13/3/1881, p. 119

Le Ménestrel 13/3/1881, p. 119: — C’est Hector Berlioz qui a fait les honneurs des deux dernières séances de la Société des Concerts du Conservatoire, avec d’importants fragments de sa symphonie dramatique intitulée Roméo et Juliette. L’œuvre tenait le programme presque tout entier et l’aurait effectivement tenu si l’on eût exécuté la symphonie dans son intégralité. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait ? Cela tient, dit-on, à certaines difficultés d’exécution. En existe-t-il vraiment d’insurmontables pour les habiles symphonistes de la rue Bergère, va-t-on se demander peut-être ; nullement, et celles auxquelles nous faisons allusion tiennent uniquement à la partie vocale qui n’est pas toujours, comme on le sait, irréprochable à la Société des Concerts. Quoi qu’il en soit, les fragments exécutés ont été interprétés avec une grande correction, mais aussi sans conviction sérieuse. Le mouvement du scherzo, à notre avis, a été pris trop vite. La nature même de ce morceau et la légèreté extrême que Berlioz a voulu lui donner s’accommoderaient évidemment de cette rapidité excessive ; mais les limites de la vitesse sont marquées par la possibilité d’exécution. Le morceau qui a fait le plus d’impression sur le public, c’est la scène du « bal », page entraînante, il est vrai, mais qui est loin d’avoir la valeur de l’andante. Comment se fait-il que ce beau dialogue instrumental, une des plus belles inspirations de Berlioz, ait laissé le public relativement froid ? C’est un mystère que je ne me charge pas d’expliquer. […] — V.W. [Victor Wilder]

Le Ménestrel 13/3/1881, p. 119: — Au concert du Cirque d’hiver, l’audition de l’œuvre a été non moins intéressante. L’orchestre de M. Pasdeloup, dit le Figaro, n’a pas encore « fouillé » la partition aussi profondément que celui de M. Colonne, et il lui reste des trouvailles à faire dans la gamme des effets délicats de l’ouvrage, mais sa puissance et sa fougue sont incomparables. La supériorité incontestable de l’exécution du Cirque d’hiver a été du côté des chanteurs. L’idée de confier le rôle de Faust à M. Léon Achard est excellente. Voilà un artiste de style et sûr de lui ! M. Achard, n’ayant pas chanté à Paris depuis plusieurs années, avait bien le droit d’éprouver quelque trouble en faisant sa réapparition dans une œuvre capitale, mais le public a pu à peine soupçonner l’émotion de l’habile artiste. M. Achard, dont les principales qualités étaient naguère le charme et l’élégance de la diction, a élargi son style et chante aujourd’hui en maître : il a donné toute leur valeur aux moindres accents des chants et des récits du grand rôle tracé par Berlioz, et son succès a été aussi marqué que légitime. Mme Caron, une grande et belle jeune femme à la voix chaude, a fort bien dit le « Roi de Thulé », et a eu des élans très dramatiques dans la quatrième partie. Quant à M. Lauwers, qui, en 1876, n’a pas été sans contribuer à la résurrection de l’œuvre de Berlioz par la façon dont il a interprété le rôle de Méphistophélès, il a retrouvé au Cirque d’hiver son succès du Châtelet.
    La Damnation de Faust composera de nouveau, dimanche prochain, le programme de MM. Pasdeloup et Colonne. CHARLES DARCOURS.

Le Ménestrel 13/11/1881, p. 399: — M. Colonne a fait entendre dimanche dernier, à la suite de la symphonie fantastique, Lélio ou le retour à la vie, exécutant ainsi pour la première fois dans son intégrité, l’Épisode de la vie d’un artiste, de Berlioz. Il est difficile de juger une œuvre de cette importance à une première audition ; il nous a semblé cependant que les pages saillantes sont peu nombreuses dans Lélio et qu’on y retrouve rarement la puissance de facture qui caractérise jusque dans les moindres détails l’admirable Symphonie fantastique. Le Pêcheur, ballade de Gœthe, chantée par M. Bosquin et accompagnée au piano par M. Saint-Saëns, n’a pas un cachet bien spécial ; ce morceau offre, en outre, de si grandes difficultés d’intonation que M. Bosquin, malgré tout son talent, n’a pu les vaincre sans efforts. Nous préférons de beaucoup le Chant de bonheur, qu’il a dit ensuite avec un charme bien approprié au sentiment de la composition. Ici du moins, nous avons pu suivre une idée mélodique d’un contour gracieux, habilement écrite pour la voix et curieusement harmonisée. Le public a été heureux de retrouver dans le Chant de bonheur, le Berlioz qu’il aime, et l’impression produite a été telle que M. Bosquin, pour satisfaire au désir de ses auditeurs, a dû le chanter une seconde fois. Entre les deux morceaux on a exécuté un Chœur d’ombres, inspiré par une scène d’Hamlet, de Shakespeare. Ce chœur nous a semblé ne rendre qu’imparfaitement la pensée de l’auteur d’une « composition pleine d’un sombre et grand caractère ». M. Auguez a dit avec grand succès une Chanson de brigands, d’un rythme vif et entraînant, dont la vigueur tranche d’une façon heureuse sur la teinte un peu terne des parties précédentes de l’œuvre. Après une courte page symphonique intitulée la Harpe éolienne, d’une sonorité suave et mystérieuse, venait la Fantaisie sur la Tempête. C’est, à notre avis, tant par la conception que par les développements, la partie capitale de Lélio. Nous croyons que malgré quelques longueurs, la Fantaisie sur la Tempête peut compter parmi les meilleures productions de Berlioz et qu’elle restera comme une traduction musicale juste et saisissante de la pensée de Shakespeare. Nous ne voulons pas terminer sans ajouter que l’exécution de l’Épisode de la vie d’un artiste, a été telle qu’on pouvait l’attendre de l’excellent orchestre du Châtelet et de l’habile direction de son chef, c’est-à-dire digne en tout point du musicien de génie dont on interprétait l’œuvre. VICTOR DOLMETSCH.

Le Ménestrel 4/12/1881, p. 8:La Damnation de Faust avait fait salle comble au Cirque d’hiver, dimanche dernier. M. Pasdeloup a ouvert la séance par un petit speech en faveur de M. Lhérie, qui, bien involontairement avait fait manquer le concert précédent. Quant à la Damnation, elle a eu son succès habituel. La Marche hongroise a été bissée, et M. Lhérie a été très applaudi, après son air : « Sans regret j’ai quitté les riantes campagnes », qu’il chante avec beaucoup d’âme. Tous les morceaux chantés par M. Lauwers ont été chaleureusement acclamés, surtout la sérénade, qu’on a bissée. Mme Caron a eu sa part d’applaudissements après l’air du Roi de Thulé et après sa romance de la quatrième partie « d’Amour l’ardente flamme » qu’elle chante avec beaucoup d’expression. Le trio a obtenu aussi un grand succès, ainsi que l’Invocation à la nature, par Lhérie. Inutile d’ajouter que le ballet des Sylphes et le menuet ont reçu le bon accueil qu’on leur réserve toujours. En résumé, cette interprétation de la Damnation de Faust fait honneur à M. Pasdeloup et à l’orchestre des Concerts populaires. A. P. (? [lecture incertaine]) [Arthur Pougin?]

E. Reyer, Journal des Débats 13/12/1881, p. 1-2

Le Ménestrel 25/12/1881, p. 31: — L’éclat et le succès du Festival Berlioz, donné deux dimanches de suite au Châtelet, nous engagent à rappeler ici ce qu’écrivait M. E. Reyer dans le Journal des Débats au lendemain de la mort de l’auteur des Troyens : « Si le nom de Berlioz, disait-il, n’est pas de ceux que la foule a appris à saluer, il n’en est pas moins illustre, et la postérité l’inscrira parmi les noms des plus grands maîtres. Son œuvre est immense, l’influence qu’il a exercée sur le mouvement musical de son époque est plus considérable qu’on ne le croit aujourd’hui. Laissez faire le temps et la justice des hommes. » Jamais prédiction ne s’est plus rapidement et plus complètement réalisée. Treize ans à peine nous séparent de l’époque où ces lignes furent écrites et Berlioz est maintenant acclamé ; ses œuvres, loin de rencontrer la défiance et l’hostilité qui les accueillirent si fréquemment du vivant de leur auteur, ne trouvent plus partout que succès et ovations. Le festival Berlioz a été une nouvelle preuve de l’admiration profonde du public pour le musicien de génie dont on célébrait l’anniversaire. Il faut féliciter M. Colonne, dont les louables et constants efforts ont si puissamment contribué à propager la musique de Berlioz, d’avoir saisi l’occasion qui lui était offerte de rendre cette fois encore un éclatant hommage à sa mémoire. Les programmes avaient été composés de façon à donner un résumé complet des différents genres abordés par le maître et à présenter dans leur ensemble les diverses phases qui ont précédé et déterminé l’épanouissement de sa puissante individualité. La partie symphonique comprenait notamment l’ouverture du Roi Lear, des fragments de la symphonie d’Harold en Italie et la Marche Hongroise. Ces différentes compositions ont été remarquablement exécutées, et comme toujours très appréciées du public ; nous devons une mention spéciale à la « Marche des pèlerins » d’Harold en Italie, que l’on a fait bisser, ainsi qu’à la jolie et pittoresque Sérénade qui suit, dont l’important solo d’alto a été joué avec beaucoup de talent par M. Giannini. La partie vocale offrait au début la première audition d’un triple chœur sur la poésie de Victor Hugo, Sarah la Baigneuse. Ce chœur est plus intéressant de facture que vraiment heureux d’inspiration, et, quoique par instants la pensée mélodique soit agréable, l’impression générale, il faut bien le dire, a été peu satisfaisante. Bien au contraire, le « Serment de réconciliation » de Roméo et Juliette, que M. Auguez a chanté avec une grand autorité, a produit tant d’effet qu’il a fallu, pour répondre au désir du public, recommencer cette admirable page ; mais c’est le deuxième acte des Troyens, qui, chaque fois, a été le principal attrait du programme, non-seulement à cause de l’importance de l’œuvre mais aussi en raison de l’intérêt offert par une interprétation confiée à des artistes de valeur, ayant à leur tête Mme Brunet-Lafleur et MM. Bosquin et Auguez. Il faudrait, pour analyser toutes les beautés que renferme cet acte, citer un à un les morceaux qui le composent ; nous devons nous contenter, afin de ne pas dépasser les limites que nous nous sommes imposées, de signaler seulement les passages qui nous ont paru le plus en relief et ceux dont l’exécution nous a particulièrement frappé. Tout d’abord, parmi les trois airs de ballet, un délicieux Pas d’esclaves Nubiennes, accompagné par une sorte de mélopée pour voix de femmes d’un caractère étrange et d’une couleur particulière dont l’effet est saisissant ; puis le célèbre et magnifique Septuor chanté avec une rare perfection par Mmes Brunet-Lafleur, Storm, Marie Dihau, et MM. Bosquin, Auguez, Delaquerrière et Crépaux ; enfin, le duo final rendu par Mme Brunet-Lafleur et M. Bosquin avec un charme et une tendresse pénétrantes qui ont soulevé de véritables transports d’enthousiasme. Au premier concert, entre les deux parties du programme, M. Mounet-Sully est venu déclamer des stances de M. Ch. Grandmougin en l’honneur de Berlioz. Le talent de l’éminent sociétaire de la Comédie-Française et les généreuses pensées qu’il exprimait dans un noble langage ont produit une vive impression. La salle entière a associé dans une même ovation le poète, son interprète et l’illustre mort qu’ils glorifiaient tous deux. VICTOR DOLMETSCH.

1882

Le Ménestrel 29/1/1882, p. 70: — Si le nombreux public qui assistait dimanche dernier au Concert du Châtelet n’a pas fait un meilleur accueil à la Symphonie funèbre et triomphale de Berlioz, que M. Colonne faisait entendre pour la première fois, ce n’est ni faute d’une exécution satisfaisante ni manque absolu de toute valeur dans l’œuvre. Il faut voir la véritable cause du peu de succès obtenu par cette Symphonie dans la disproportion des sonorités formidables qu’elle renferme avec le cadre relativement étroit où ces sonorités trouvaient un écho trop éclatant, parfois même insupportable. C’est, à vrai dire, de la musique de « plein air », à laquelle aucune salle, si vaste quelle soit, ne saurait convenir, mais qui, transportée dans un milieu favorable, serait peut-être d’un effet grandiose. Pour une œuvre de ce genre, ce qu’il faut avant tout, c’est la clarté de l’idée, la franchise du rythme et la puissance d’exécution, qui seules ont une action directe et immédiate sur l’imagination des masses, telle a dû être la pensée de Berlioz en sacrifiant la perfection du contour mélodique et la recherche des détails incidents pour se préoccuper uniquement de tracer à grandes lignes les divers épisodes de sa Symphonie funèbre et triomphale. […] V. D. [Victor Dolmetsch]

Le Ménestrel 19/2/1882, p. 94: […] M. Colonne a offert à son public la Symphonie fantastique, de Berlioz. Que de pages il y aurait à écrire sur cette œuvre singulière qui n’a rien à voir avec ce qu’on appelle aujourd’hui le réalisme, mais qui est bien, en musique, l’expression de ce mouvement romantique qui signala les premières années de la monarchie de 1830 ! Sentimentalisme exagéré provenant plutôt de l’imagination que du cœur, évocation des traditions plus ou moins authentiques du moyen-âge, Danse Macabre, Sabbat des Sorcières, Marche au supplice ; — tout cela est bien démodé aujourd’hui. Pas plus qu’au Souffrances du jeune Werther, on ne croit aux tortures morales du jeune homme empoisonné de Berlioz. Mais il y a dans tout cela une puissance réelle, une conception hardie, une saveur âcre, une force pénétrante. Certes, cette musique n’est pas faite pour bercer doucement les âmes et leur faire entrevoir le beau idéal. Mais ne pas reconnaître que Berlioz était une forte individualité, ce serait réelle injustice ; Berlioz a fait autrement et mieux que la Symphonie fantastique, mais pour nous, cette œuvre est sa vraie caractéristique. H. BARBEDETTE.

Le Ménestrel 5/3/1882, p. 110: — Dimanche dernier, au concert du Châtelet, excellente reprise de la Damnation de Faust, de Berlioz. Mlle Brun a été excellente dans le rôle de Marguerite et M. Lauwers (Méphistophélès) très applaudi comme toujours. On a bissé la Marche hongroise et la Danse des Sylphes. La Damnation est et restera l’œuvre la plus populaire de Berlioz. Ce sera toujours la moins contestée et celle qui, par ses côtés brillants et variés, séduira toujours le plus les foules. Cette reprise avait attiré un public considérable. H. B. [H. Barbedette]

Le Ménestrel 19/3/1882, p. 125:La Damnation de Faust, d’Hector Berlioz, a obtenu un nouveau triomphe, dimanche dernier, au concert du Châtelet. L’œuvre y a été, pour ainsi dire, interprétée deux fois dans la même séance, tant il y a eu de morceaux bissés. Aussi le concert ne s’est-il terminé qu’à 5 h. ¼ [? lecture incertaine], au bruit des applaudissements et des rappels. Voilà un succès qui fait honneur à l’initiateur dévoué des œuvres du grand symphoniste français. Cent fois bravo, Monsieur Colonne ! A.

E. Reyer, Journal des Débats 26/11/1882, p. 1

H. Barbedette, Le Ménestrel 24/12/1882, p. 30

1883

Le Ménestrel 14/1/1883, p. 54: La Damnation de Faust, d’Hector Berlioz, a été et reste le grand succès de l’association fondée par M. Colonne, — association qui lui doit une grande part de sa situation artistique, et plus de 200,000 francs entrés dans sa caisse. Aussi, à l’unanimité, tous les membres de cette association véritablement artistique viennent-ils de voter une somme de mille francs pour l’érection du monument destiné à perpétuer la mémoire du grand symphoniste français. Cette bonne nouvelle a été transmise par M. Colonne au comité du monument d’Hector Berlioz, réuni, jeudi dernier, au Conservatoire, sous la présidence de M. Delaborde, secrétaire perpétuel de l’académie des beaux-arts, assisté de MM. Ambroise Thomas et Ernest Reyer, de l’institut, vice-présidents du comité.

Le Ménestrel 25/3/1883, p. 134: […] M. Colonne paraissait toujours calme. C’est au troisième morceau qu’on eut le secret de cette quiétude. On sait que, dans les marches d’Hamlet, Berlioz a employé le canon comme maximum d’un Crescendo. Le truc du canon a parfaitement réussi, il a tellement enthousiasmé le paradis que la Queue du Chat a été oubliée. Un bis formidable a éclaté : quelques-uns demandaient une audition séparée du coup de canon. Une partie du public, protestait et voulait entendre les Variations de Saint-Saëns pour deux pianos ; pas de piano, pas de piano, ont chanté en chœur les manifestants sur l’air des « Lampions ». Nouvelle audition du coup de canon, la Queue du Chat est oubliée. Le programme laïque peut continuer sans encombre. […] H. B. [H. Barbedette]

Le Ménestrel 25/3/1883, p. 134: […] La Fuite en Egypte, deuxième partie de l’Enfance du Christ de Berlioz, a causé un enthousiasme bien mérité : cet ouvrage respire un parfum religieux, et mystique des plus réussis. M. Escalaïs, jeune ténor de talent et encore élève au Conservatoire, a dû recommencer l’air le Repos de la Sainte Famille. […]

Le Ménestrel 2/9/1883, p. 319: — Aujourd’hui dimanche, 2 septembre, à deux heures, au palais du Trocadéro, deuxième festival populaire au profit du monument d’Hector Berlioz. Exécution des principaux chefs-d’œuvre symphoniques du maître. Poésie de Ch. Grandmougin, dite par Mounet-Sully, du Théâtre-Français ; conférence sur la vie et l’œuvre de Berlioz, par notre confrère Ed. Hippeau. Les premiers artistes lyriques apportent leur concours à cette solennité, notamment une grande cantatrice française, malgré son nom italien, Mme Sabini. Elle débute à Paris dans l’interprétation des principales mélodies du grand maître.

Le Ménestrel 9/9/1883, p. 326: — Jennius de la Liberté rend compte du second festival du Trocadéro, donné au profit du monument Berlioz. « Le programme, composé avec un grand soin artistique, dit-il, nous a donné l’occasion de réentendre des fragments de la Damnation de Faust et des Troyens fort bien exécutés. M. Edmond Hippeau, dans une trop courte allocution, a retracé l’existence douloureuse d’Hector Berlioz. Quelques défections regrettables ont troublé cette touchante solennité. M. Mounet-Sully, qui devait dire une poésie de M. Charles Grandmougin, a fait défaut au dernier moment. Et c’est le poète lui-même qui est venu adresser à la mémoire de Berlioz les strophes inspirées de son poétique hommage. L’auteur et l’interprète, qui ne faisaient qu’un, ont été chaleureusement applaudis. Mme Sabini, appelée à nous chanter la Captive, a fait défaut également. »

E. Reyer, Journal des Débats 28/10/1883, p. 2

Le Ménestrel 23/12/1883, p. 30: Il fut un temps où la musique de Berlioz offrait tout l’attrait du mystère ; l’auteur prenait soin de l’entourer de si étonnants commentaires, l’exécution en était déclarée tellement difficile, d’une difficulté touchant presque à l’impossibilité, que peu d’artistes étaient disposés à l’aborder ; on s’en approchait avec cette religieuse terreur qu’éprouvaient les anciens devant les bois sacrés qu’habitait un dieu. Berlioz n’a plus aujourd’hui de secret pour personne : on le joue avec la perfection qu’il avait rêvée ; ses commentaires sont reproduits sur les programmes. Le public peut, en toute connaissance de cause, apprécier cet artiste dont les aspirations n’avaient pas de bornes, qui rêvait l’immense et n’y atteignait que rarement. Il serait puéril de faire ici une appréciation de la Symphonie fantastique dont M. Pasdeloup a donné dimanche dernier une excellente exécution. […] En résumé, grand succès et excellent concert. H. BARBEDETTE.

H. Barbedette, Le Ménestrel 30/12/1883, p. 39

1884

Le Ménestrel 3/2/1884, p. 79: — M. Colonne a donné deux auditions consécutives de la Symphonie fantastique. Celle de dimanche dernier, à laquelle nous assistions, était vraiment remarquable par la précision des attaques, la correction des mouvements et le grand entrain avec lequel chaque morceau était enlevé, aux applaudissements d’un nombreux public. On a fait bisser la scène du bal, et peu s’en est fallu que la Marche au supplice n’eût le même sort. Décidément Berlioz porte bonheur à l’Association artistique. Il est vrai d’ajouter qu’aux concerts du Châtelet, le maître peut se croire chez lui. […] E. DE BRICQUEVILLE.

Le Ménestrel 10/2/1884, p. 86: Il y avait foule dimanche dernier au concert du Château-d’Eau ; le public était évidemment curieux d’entendre l’orchestre de M. Lamoureux exécuter pour la première fois la Damnation de Faust, dont M. Colonne semblait depuis 1877 s’être assuré le monopole. La séance a été extrêmement brillante. M. Lamoureux avait choisi pour chanter le chef-d’œuvre de Berlioz des artistes qui ne l’avaient pas encore interprété dans les concerts parisiens. Mme Brunet-Lafleur est une délicieuse Marguerite ; jamais nous n’avions entendu chanter avec autant d’art et de charme la Chanson du roi de Thulé et la romance « D’amour l’ardente flamme. » Nous regrettons seulement que le mouvement de la chanson gothique ait été pris un peu rapide. Le jeune ténor, M. Van Dyck, que nous avions déjà entendu dans le Défi de Phœbus et la Symphonie avec chœurs, a pleinement réussi dans le personnage de Faust ; M. Van Dyck possède de très sérieuses qualités de diction, auxquelles il joint un feu et une chaleur qui ont mis en lumière les nombreuses beautés de son rôle, et lui ont attiré la sympathie générale. Nous ne sommes pas aussi satisfaits de M. Blauwaert dont la puissante voix de basse est un peu lourde dans le personnage de Méphistophélès ; il n’en a pas moins eu un grand succès avec la Sérénade que le public, fidèle à la tradition, lui a redemandée. M. Jouhannet avait en partage la chanson de Brander. L’orchestre et les chœurs, sous l’habile direction de leur éminent chef, se sont surpassés de verve et de précision. Il ne serait pas suffisant de dire que la Marche hongroise a obtenu son succès habituel : la supériorité de l’exécution avait électrisé l’auditoire, et M. Lamoureux, en dépit de ses traditions, a dû répéter ce morceau, ainsi que plusieurs autres, devant les marques évidentes de l’enthousiasme général. G. MORSAC.

Le Ménestrel 17/2/1884, p. 95: — Dimanche dernier, M. Lamoureux a donné une seconde audition de la Damnation de Faust, de Berlioz. L’exécution a été non moins remarquable qu’au premier jour, l’orchestre est irréprochable. Mme Brunet-Lafleur s’est incarnée dans le rôle de Marguerite et lui donne le caractère chaste et passionné qui le caractérise. M. E. Van Dyck est un Faust des plus remarquables. Sa voix est excellente, sa méthode non moins excellente ; il a produit un grand effet sur le public considérable qui l’écoutait et laissé un peu dans l’ombre M. Blauwaert, qui serait un très bon Méphistophélès s’il comprenait que la simplicité de diction est la qualité maîtresse du chanteur et qu’il n’est pas besoin, pour agir sur l’auditeur, d’exagérer le caractère satanique du personnage. La Damnation de Faust est bien le chef-d’œuvre et la création typique de Berlioz. Outre qu’il y développe ses qualités d’invention personnelle, sa merveilleuse entente de l’orchestre, il y laisse admirablement entrevoir la réelle filiation dont il procède. On a beau exalter les maîtres modernes comme les initiateurs d’un monde nouveau, ils sont toujours les fils de quelqu’un. Quand Wagner est grand, on sent derrière le rideau la tradition de Weber, qu’il ne méconnaissait pas du reste. Mendelssohn est derrière Schumann, comme Bach et Weber combinés étaient derrière Mendelssohn ; et derrière Hector Berlioz, nous apercevons distinctement Beethoven et Gluck. Dans cette œuvre étonnante de la Damnation de Faust, nous n’hésitons pas à l’avouer, à part la dramatique et étourdissante instrumentation de la marche de Rakoczy, ce que nous sommes le plus tenté d’admirer, ce ne sont pas les ingéniosités d’orchestration et de timbres que le public applaudit à tout rompre, ce sont les pages où se révèle la tradition de Beethoven et surtout de Gluck, tout le rôle de Marguerite notamment, celui de Faust, bien supérieur au rôle grimaçant et torturé de Méphistophélès. Nous ne connaissons rien de plus grand, dans la musique, que le duo, trio et ensemble final : Ange adoré, et que cette invocation à la nature, vraiment sublime que M. Van Dyck a si bien comprise et interprétée. Ah ! si Berlioz, lui aussi, ne s’était pas laissé égarer par l’esprit de système, quel grand maître la France aurait eu, au lieu d’un grand artiste incomplet ! H. BARBEDETTE.

Le Ménestrel 16/3/1884, p. 127: Dimanche dernier, M. Pasdeloup a fait entendre aux habitués du Cirque d’Hiver, Roméo et Juliette, symphonie dramatique de Berlioz. M. Colonne avait fait un essai de ce genre, il y a quelques années : l’œuvre de Berlioz avait été fort bien exécutée, mais le public lui avait fait un accueil très froid ; il en a été de même au dernier Concert Populaire. On doit avouer que l’exécution n’a pas été d’ailleurs irréprochable. Il y a de fort belles choses dans la partition de Berlioz ; la Fête chez Capulet et le Scherzo de la reine Mab sont restés célèbres, le premier morceau, à cause de sa belle allure dramatique, le second par ses ingéniosités orchestrales qui font passer sur la longueur de l’œuvre et l’absence d’idée mélodique. Il est facile de comprendre pourquoi, malgré sa haute valeur, et même avec une exécution irréprochable, Roméo n’aura jamais le succès populaire de la Damnation de Faust. Dans Faust, Berlioz s’est fait un plan ; il a pris le premier Faust de Gœthe, successivement les situations maîtresses de l’œuvre et les a dépeintes comme il les comprenait, avec une grande intensité d’expression, et une coordination si bien établie qu’on peut se figurer, pour Faust, la mise en scène au théâtre. Dans Roméo et Juliette, il n’y a pas de plan. On ne sait pourquoi Berlioz a choisi telle situation plutôt que telle autre. Les unes sont traitées orchestralement en style descriptif, d’autres dramatiquement avec soli et ensembles vocaux. Le convoi de Juliette succède, on ne sait pourquoi, au Scherzo de la reine Mab et les Montaigus et les Capulets se réconcilient avec une rapidité inexplicable après la mort des deux jeunes époux. Donc, dans cette œuvre remarquable, il n’y a pas de plan. Qu’on fasse une symphonie dans les formes de la symphonie classique ; qu’on écrive une ode-symphonie suivant le modèle si charmant donné par F. David dans le Désert ; que même on adopte pour un sujet merveilleux et légendaire comme celui de Faust, le plan de la Damnation tel que Berlioz l’a tracé, le public, se trouvant en face d’une œuvre concrète, bien ordonnée, dont les contours sont nettement accentués, le public applaudira. Il restera froid devant une œuvre hybride, ne répondant à aucun plan logique et nettement conçu. Voilà ce qui explique pourquoi, au Cirque d’Hiver, l’œuvre de Berlioz n’a pas entièrement réussi. Une bonne note a Mme Mauvernay et à M. Couturier, qui ont soutenu avec un grand talent le poids de cette œuvre difficile. H. BARBEDETTE.

Le Ménestrel 23/3/1884, p. 135: M. Pasdeloup vient de donner deux auditions consécutives de Roméo et Juliette, de Berlioz. C’était, à ce qu’il paraît, l’œuvre de prédilection du maître, ce qui nous surprend peu, car Berlioz, l’égoïste par excellence, avait une prédilection marquée pour tout ce qu’il écrivait. En ce qui regarde celle-ci, le public du Cirque s’est montré un peu froid. Ce n’est pas que l’exécution fût défectueuse, mais, nous devons l’avouer, il est arrivé à la musique de Berlioz la pire des choses : la mode s’en est emparée, et mode elle vivra ce que vivent les modes à Paris, l’espace de quelques matinées. Entre le dédain systématique d’autrefois et l’engouement excessif provoqué par la Damnation de Faust, il y avait un abîme. Le public parisien, qui n’a jamais péché par excès de timidité, l’a franchi d’un seul bond, et aujourd’hui il n’est pas loin de se frapper la poitrine, en confessant qu’il a légèrement forcé la note de l’enthousiasme. Roméo, au demeurant est une œuvre intéressante, où les qualités du compositeur apparaissent aussi bien que ses défauts. On y trouve des pages superbes, d’autres qui ne témoignent que d’une imagination désordonnée ; des effets grandioses, et des sonorités excessives, des thèmes ravissants et des motifs vulgaires ; des élancements vers l’infini et des puérilités inconcevables. Du reste, point de plan arrêté d’avance ; la musique sert, pour ainsi dire, d’illustration à un poème où ne brillent ni le choix des idées, ni le souci de la forme. Elle vient donc là comme une collection de gravures accompagnant un texte. Mme Mauvernay (Juliette) [?] et M. Desmet (F. Laurence) se sont fort bien tirés des morceaux qui leur étaient confiés. M. Pasdeloup a conduit l’œuvre avec le soin consciencieux qu’on se plaît à lui reconnaître. […] EUG. DE BRICQUEVILLE.

Le Ménestrel 23/3/1884, p. 135: Le 13e concert du Conservatoire avait, comme attrait principal, l’exécution de la symphonie dramatique Roméo et Juliette, de Berlioz. La fête chez Capulet et la délicieuse scène d’amour ont été particulièrement applaudies : quant au scherzo la Reine Mab, il n’a produit que peu d’effet, bien que l’exécution ait été parfaite. […]

Le Ménestrel 4/5/1884, p. 183: — Voici les chiffres des recettes encaissées par nos trois grandes sociétés de concerts symphoniques pendant la saison d’hiver qui vient de se terminer. En 25 séances, les Concerts populaires du Cirque-d’Hiver (M. Pasdeloup) ont réalisé une recette totale de 93,080 fr. 25 c, soit une moyenne de 3,723 fr. 21 c. Les 22 séances de la Société des Nouveaux-Concerts du Château-d’Eau (M. Lamoureux) ont produit ensemble une somme de 96,813 fr. 35 c, soit une moyenne de 4,400 fr. 60 c. Enfin, les 24 concerts et la répétition publique de l’Association artistique du Châtelet (M. Colonne) ont fourni une recette de 222,384 fr. 66 c., soit une moyenne de 8,895 fr. 38 c. Une remarque intéressante est à faire en ce qui concerne les concerts du Château-d’Eau : c’est que les quatre concerts du mois de février, consacrés tous quatre à l’exécution de la Damnation de Faust, de Berlioz, ont produit ensemble une somme de 25,415 fr. 45 c., tandis que les quatre concerts du mois de mars, dans lesquels M. Lamoureux a fait entendre le premier acte de Tristan et Yseult de Richard Wagner, n’ont fait entrer dans la caisse qu’une somme de 18,888 fr. 45 c. D’où il suit que l’influence de Wagner sur le public est, relativement à celle de Berlioz, à peu près ce que 70 est à 100.

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; cette page créée le 15 novembre 2011, augmentée le 1er mai 2013.

© Michel Austin et Monir Tayeb. Tous droits de reproduction réservés.

Paris et Berlioz: le renouveau  
Ernest Reyer et Berlioz  
Auguste Morel et Berlioz  
Retour à la Page d’accueil

Paris and Berlioz: the revival  
Ernest Reyer and Berlioz  
Auguste Morel and Berlioz  
Back to Home Page