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Première exécution du Te Deum (30 avril 1855)

Un compte-rendu par Edmond Viel

Le Ménestrel 6 mai 1855, p. 1

Présentation (français) 
Introduction (English)
Texte du compte-rendu

Présentation

    Composé en 1848-1849 dans des circonstances et pour des raisons assez mal connues, le Te Deum ne reçut sa première exécution que plusieurs années plus tard, le 30 avril 1855 à l’église de Saint-Eustache à Paris. L’ouvrage faisait appel à des effectifs imposants: un grand orchestre, un double chœur auquel s’ajoute un chœur d’enfants, plus un orgue placé séparément et à distance de l’orchestre principal. Le Te Deum nécessitait par conséquent soit une grande église, soit du moins un local suffisamment vaste pour contenir tous ces effectifs. Ceci aide à expliquer le retard dans l’exécution de l’œuvre: Berlioz dut attendre 1855, l’année de l’Exposition Universelle à Paris, pour voir se réaliser les conditions nécessaires. Plusieurs lettres du compositeur donnent des récits vivants de cette grande occasion (CG nos. 1959, 1961, 1972). Ce fut l’unique exécution intégrale de l’œuvre du vivant du compositeur, mais quelques mouvements furent inscrits au programme de deux grands concerts donnés par Berlioz la même année pour célébrer la clôture de l’Exposition (15 et 16 novembre 1855).

    Le compte-rendu reproduit ci-dessous de la première exécution, publié dans l’hebdomadaire Le Ménestrel du 6 mai 1855, est de la plume du critique Edmond Viel, l’un des collaborateurs à ce journal; Viel se montre en général très favorablement disposé envers Berlioz, comme on peut le voir d’après plusieurs de ses autres comptes-rendus (voir Le Ménestrel 7 avril, 28 avril et 17 novembre 1850; 25 décembre 1853; voir aussi son compte-rendu de Désert de Félicien David dans Le Ménestrel du 5 janvier 1845). On se souviendra que Viel écrivit son compte-rendu du Te Deum après une seule écoute de l’ouvrage: d’où sa confusion au départ sur l’ordre des mouvements (il avoue avoir oublié de citer le troisième mouvement, Andantino, à sa bonne place). On remarquera aussi d’après son silence que le Prélude (pour orchestre) au troisième mouvement ne fut pas exécuté, mais que par contre la Marche pour la présentation des drapeaux, qui conclut l’ouvrage mais est souvent omise dans les exécutions modernes, était bien présente à sa place, suivant les intentions du compositeur.

Introduction

    The Te Deum was composed in 1848-1849 in circumstances and for reasons which are not altogether clear, though it only received its first performance years later, on 30 April 1855 at the church of Saint-Eustache in Paris. The work required large choral and orchestral forces, including an organ which was to be placed separately and at a distance from the main body of the orchestra; this meant in practice that a performance of the Te Deum could only take place in a large church, or at least a very spacious venue that could accommodate all these forces. This helps to account for the delay in the performance of the work: it was only in 1855, the year of the Universal Exhibition in Paris, that circumstances made it possible for Berlioz to put the work on. Several letters of the composer give eloquent descriptions of this great occasion (CG nos. 1959, 1961, 1972). It was the only complete performance of the work in Berlioz’s lifetime, though several movements from it were performed again on 15 and 16 November of the same year during two large scale concerts which Berlioz conducted to celebrate the conclusion of the Universal Exhibition.

    The following review of the first performance, published in the weekly Le Ménestrel on 6 May 1855, is due to the critic Edmond Viel, one of the regular contributors to the journal; he was generally very sympathetic to Berlioz, as can be seen from a number of his other reviews (see Le Ménestrel 7 April, 28 April and 17 November 1850; 25 December 1853; see also his review of Félicien David’s Le Désert in Le Ménestrel of 5 January 1845). The reader will bear in mind that Viel wrote his review of the Te Deum after only a single hearing of the work; hence his initial confusion about the sequence of the movements (as he admits, he forgot to mention the third movement, Andantino, in its proper place). It will be noted from Viel’s silence that the orchestral Prelude to the third movement was omitted at this performance, though the concluding March for the presentation of the colours, which is so often omitted in modern performances, was duly performed at its proper place, as intended by Berlioz.

Le Ménestrel 6 mai 1855, p. 1

TE DEUM DE BERLIOZ

exécuté à l’église Saint-Eustache.

    Berlioz est l’homme des grandes machines musicales; sa pensée, d’ailleurs si pittoresque, si pleine d’élévation, aime à se traduire par des moyens et des combinaisons exceptionnels. Au milieu des masses vocales et instrumentales, on dirait un roi dominant ses sujets, un général faisant manœuvrer ses troupes, ou mieux encore le génie de la musique lançant ou retenant à son gré, suscitant ou apaisant d’un geste les tempêtes sonores de l’harmonie.

    Le Te Deum que le maître nous a fait entendre lundi, dans la vaste basilique de Saint-Eustache, appartient à cet ordre de composition grandiose, et se relie comme facture à certains morceaux de ses œuvres précédentes, tels, par exemple que : le Tuba mirum de son Requiem, et le finale de sa symphonie : Roméo et Juliette. Ici, comme là, un immense appareil, et, pour, ainsi parler, une gigantesque charpente soutient le faix et favorise les développements de l’idée musicale.

    Dans son Te Deum, Berlioz n’a pas employé moins de neuf cents artistes répartis de la manière suivante : un premier chœur de cent voix à trois parties, un second chœur de cent voix également à trois parties, enfin un troisième chœur de six cents enfants chantant à l’unisson ; voilà pour la partie vocale. Quant à la partie instrumentale, elle se compose d’un orchestre de symphonie de cent soixante musiciens et du grand orgue de l’église.

    Toutes choses ainsi disposées, voici à peu près comment le compositeur a distribué, éparpillé, réuni ou amalgamé ses forces : — nous disons à peu près, car nous n’avons pas la prétention d’analyser un si prodigieux travail après une seule audition.

    L’œuvre débute par un brillant allegro où le style en imitation déploie toutes ses ressources. Suit un adagio dont le thème proposé par l’orgue se développe avec une incomparable majesté à travers les voix et les instruments ; on y remarque un crescendo d’une grande beauté et d’un puissant effet.

    L’allegro à deux temps qui vient ensuite se distingue par un caractère pompeux parfaitement approprié à la nature du sujet.

    Un cantabile écrit pour ténor solo tranche merveilleusement avec le numéro qui précède ; rien de charmant comme la discrète intervention du chœur avec des tenues des cuivres, pianissimo. M. Périer, un jeune chanteur encore inconnu à Paris, a rendu avec une belle voix et un bon sentiment cette page remarquable qui aurait peut-être exigé encore plus de nuances et d’onction.

    Nous avons omis de mentionner un chœur andantino d’une couleur douce et calme, placé, si nous avons bonne mémoire, entre le second et le troisième morceau.

    Voici venir maintenant un allegro a trois quatre [en fait 9/8], pour lequel l’auteur semble avoir tenu en réserve ses plus éclatantes inspirations comme ses forces les plus formidables. On se sent véritablement remué jusqu’au plus profond du cœur, lorsqu’arrive l’explosion foudroyante de toutes ces parties : voix, instruments, orgue, qui, divisés à dessein, désunis en apparence, ballottés en quelque sorte par un savant désordre, sont peu à peu ramenés, réunis, confondus dans un tutti d’une sonorité, d’une énergie, d’un entraînement surhumains. Si de la grandeur d’un résultat obtenu, on veut descendre à l’examen des procédés mis en œuvre, on ne peut assez admirer ce tissu si complexe disposé avec un art, avec une science infinis. Entre autres passages, citons la phrase du chœur qui annonce le crescendo et prépare l’explosion, avec son contre-sujet, à l’accompagnement d’un dessin obstiné.

    Il ne nous reste plus à parler que de la marche triomphale qui termine la composition, marche dont le thème, d’une rare franchise, est encore relevé par les artifices du contrepoint les plus ingénieux et l’instrumentation la plus originale et la plus splendide.

    Par l’immensité des proportions, autant que par l’éclat du coloris, Berlioz rappelle les immortelles peintures de l’école vénitienne : il est le Titien, le Paul Véronèse de la musique; mais avec plus d’idéal et de fantaisie dans la conception.

    Un mot, avant de finir, sur la place réservée aux exécutants. Tous, instrumentistes et chanteurs, étaient groupés autour du chef, dans un espace assez restreint ; c’est là une disposition mauvaise, qui devait contrarier et annihiler parfois les intentions formellement indiquées du musicien. Ici, en effet, les voix dialoguant entre elles ou avec l’orgue, ou avec l’orchestre, avaient tout simplement l’air de fractions appartenant à un seul chœur, à un très grand nombre de parties ; pour que chaque entrée se trouvât bien en saillie, il eût fallu entendre les sons partis de différents côtés. C’est à ce point de vue qu’écrivaient la plupart des maîtres du XVIe siècle, plaçant leurs chanteurs dans des tribunes opposées ; c’est seulement avec un pareil système d’exécution que peut réellement ressortir tout l’effet d’une composition à plusieurs chœurs.

E.VlEL.

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; cette page créée le 1er mars 2017.

© Michel Austin et Monir Tayeb. Tous droits de reproduction réservés.

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