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Berlioz: Pionniers et Partisans

Édouard Colonne: textes et documents (2)

Présentation

    Cette page rassemble en ordre chronologique plusieurs textes et documents qui illustrent la carrière du chef d’orchestre Édouard Colonne; elle sert de complément à la page de comptes-rendus et d’annonces concernant les exécutions de la musique de Berlioz données par Colonne ou par les Concerts Colonne à Paris de 1873 à 1910. On consultera aussi deux pages reproduisant des lettres autographes inédites conservées au Musée Hector-Berlioz, la première d’Édouard Alexandre, adressée à Colonne et datée du 20 mai 1877 (voir aussi ci-dessous), et l’autre de Colonne lui-même, adressée au Maire de La Côte-Saint-André et datée du 20 juillet 1890.

Introduction

    This page reproduces in chronological order a number of texts and documents, in the original French, which illustrate the career of the conductor Édouard Colonne; it is intended as a supplement to the page of reviews and announcements of performances of the music of Berlioz given in Paris by Colonne or by the Concerts Colonne from 1873 to 1910. Readers should also refer to two separate pages which reproduce unpublished autograph letters from the collections of the Hector Berlioz Museum, the first from Édouard Alexandre, addressed to Colonne and dated 20 May 1877 (see also below), and the second from Colonne himself, addressed to the Mayor of La Côte-Saint-André and dated 20 July 1890.

1877

Le Ménestrel 10/6/1877, p. 222: — Notre jeune et vaillant chef d’orchestre, M. Colonne, vient d’être l’objet d’une attention bien délicate de la part de l’exécuteur testamentaire d’Hector Berlioz, qui vient de lui offrir l’un des bâtons de chef d’orchestre de l’auteur de la Damnation de Faust. Ce précieux cadeau était accompagné d’une lettre de M. Edouard Alexandre, d’où nous extrayons les lignes suivantes : « La façon dont vous interprétez les œuvres de Berlioz, la grandeur magistrale avec laquelle vous les faites exécuter par votre admirable orchestre, vous rendent digne de tenir en main un souvenir de notre cher et regretté maître. »

1882

Lettre de Hans von Bülow à Édouard Colonne à Paris, 30 mars, de Meiningen

Lettre de Hans von Bülow à Camille Saint-Saëns, 4 mai, de Christiana en Norvège

1885

Lettre de Hans von Bülow à August Steyl à Francfort, mi-avril, de Paris

Lettre de Hans von Bülow à Édouard Colonne à Paris, mai (publiée sans date ou indication d’origine dans Le Ménestrel, 24 mai 1885, p. 200)

1886

Le Ménestrel 3/10/1886, p. 355: — Jeudi dernier [30 septembre] a été célébré à la mairie de la rue Drouot le mariage de Mlle Vergin avec M. Édouard Colonne, le sympathique chef d’orchestre des concerts du Châtelet. Après la cérémonie, réception chez les deux époux, où on a vu défiler nombre de notabilités artistiques. Mme Colonne a fait avec beaucoup de bonne grâce les honneurs de ses nouveaux salons de la rue Le Peletier, et elle a pu voir réunies autour d’elle beaucoup d’amitiés et de sympathies.

1894

Le Ménestrel 7/10/1894, p. 320:

— Notre excellent confrère Austin de Croze soumet au plébiscite des musiciens, dans le journal le Soir, les trois questions suivantes:

I. — Faut-il créer, dans nos Conservatoires, une classe de chefs d’orchestre ?
II. — Devons-nous tolérer, dans les théâtres subventionnés et les Conservatoires de Paris ou de province, des professeurs, des chefs d’orchestre et des musiciens étrangers ?
III. — Les étrangers doivent-ils profiter des mêmes avantages que nos élèves compatriotes à l’instruction donnée en nos Conservatoires ?

    Si tant est qu’on réponde à l’appel de notre confrère (gare aux abstentions!) il est probable que le suffrage universel, qui n’est pas plus infaillible en art qu’en politique, va divaguer de la belle façon sur ces insidieuses questions. Pour nous, la plus grande libéralité s’impose dans les affaires artistiques, et toutes les limites ou les frontières qu’on voudra élever entre les différents pays à ce sujet ne seront qu’au détriment de l’art en général. Il n’y a qu’une chose à craindre en musique, c’est la médiocrité ; celle-ci, il faut tâcher de la bannir de chez nous par tous les moyens, fùt-elle française au premier chef. Si donc il y a à l’étranger de meilleurs chefs d’orchestre, de meilleurs chanteurs, de meilleurs professeurs qu’en France, nous ne voyons aucun inconvénient à ce qu’on les attire dans notre pays et qu’on les y garde le plus longtemps possible. Ce sera pour tous un grand profit.
— Voici déjà l’opinion de M. Colonne sur la question. Lettre adressée à M. Austin de Croze :

    Vous me faites l’honneur de me demander, monsieur, si je crois à l’opportunité de la création d’une classe de chefs d’orchestre au Conservatoire. Vous désirez aussi savoir ce que je pense de la présence des artistes étrangers sur nos scènes lyriques et dans nos orchestres.
    Sur le premier point (et bien que je considère comme indispensable pour les compositeurs de s’habituer de bonne heure à diriger), je ne suis pas très sûr qu’un professeur soit nécessaire ; l’expérience tendrait à prouver, au contraire, que l’instinct, le tempérament, les dispositions naturelles, aidées de la pratique, suffisent.
    Sur le second point, de beaucoup le plus important, c’est une profession de foi que vous me demandez, monsieur, et je vais vous la faire aussi complète que possible.
    Non, il ne faut pas fermer la porte aux artistes étrangers et dresser entre eux et nous une muraille de la Chine intellectuelle. Les économistes ont le droit d’être, à leur gré, protectionnistes ou libre-échangistes. Nous n’avons pas ce droit. Pour les artistes, le libre-échange des idées est la loi suprême. Et d’abord, vous pourrez bien arrêter à la frontière les artistes, ces ouvriers de la pensée, vous n’empêcherez jamais d’entrer la pensée elle-même.
    Le vrai remède à l’immigration dont vous vous plaignez est dans l’émigration que beaucoup des nôtres pratiquent, au grand avantage de tous.
    Une dernière considération terminera cette trop longue lettre. Ne croyez-vous pas, monsieur, qu’il y aurait quelque chose de monstrueux à élever devant nous des barrières intellectuelles au moment où la France, cette nation généreuse entre toutes, va appeler à elle les forces vives du monde entier? La musique est la langue universelle. Elle est le trait d’union entre les peuples, et si jamais la fraternité doit régner sur la terre, c’est à la musique que le Monde le devra. ED. COLONNE.

1898

Le Ménestrel 11/12/1898, p. 399:

— A l’occasion du jubilé de l’Association artistique des concerts du Châtelet et de la 100e audition de la Damnation de Faust, une souscription, on le sait, a été organisée pour offrir un souvenir artistique à M. Ed. Colonne. M. Alfred Lenoir, l’auteur de la statue du square Vintimille, exécute pour la circonstance un bas-relief en bronze à la gloire de Berlioz dont le modèle sera exposé dans le foyer du théâtre du Châtelet les dimanches 11 et 18 décembre. Les artistes de l’orchestre, membres de l’Association, en recevront chacun une reproduction.
— Aujourd’hui dimanche, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de l’Association artistique et de la centième audition de la Damnation de Faust, un banquet sera offert à M. Edouard Colonne au Grand-Hôtel.
— Pour prendre part aujourd’hui même à la centième exécution de la Damnation de Faust au Chatelet, Mlle Marcella Pregi revient d’une triomphante tournée de concerts à travers l’Allemagne et la Suisse. Elle y a surtout interprété, avec des lieds allemands de Brahms et de Schumann, plusieurs pièces classiques de la belle collection des Gloires de l’Italie et des mélodies françaises, parmi lesquelles la Psyché de Paladilhe, la Musette de Perilhou, le Chant provençal et le Portrait de Manon de Massenet ont eu le plus grand succès.

Le Ménestrel 18/12/1898, p. 403-4:

A ÉDOUARD COLONNE (1)

Quand le génie éclot, d’abord il se présente
Sous le fragile aspect d’un enfant faible et nu ;
Sa marâtre est la foule inepte et malfaisante
Qui le laisse en un coin sans l’avoir reconnu.

Mais un être d’amour, de rêve ou de chimère,
En errant dans le bleu, toujours passe par là
Qui voit l’enfant, s’émeut, se penche, apôtre ou mère,
(Car la maternité n’est qu’un apostolat).

Et, le trouvant si beau, si fort dans sa détresse,
Si grand, par son regard qui contient l’infini,
Le soulève jusqu’à son baiser, le caresse
Et l’emporte en ses bras comme un fardeau béni.

L’enfant s’épanouit, s’affirme, se révèle
Et verse des clartés sur le monde étonné ;
Mais l’être de bonté dont cette aube nouvelle
Est l’œuvre magnifique en reste illuminé.

Berlioz fut cet enfant, car il fut ce génie.
D’abord l’instinct haineux des médiocrités
Le couvrit d’ombre, et sa fécondité honnie
Pour la foule des sourds épancha ses beautés ;

Puis quelques-uns, meilleurs, moins tourmentés d’envie,
Prêtèrent vaguement l’oreille à ses accents
Et sourirent, séduits, mais, poursuivant leur vie,
S’en furent au delà ! — car c’étaient des passants !

Et le silence allait s’établir, quand un autre
Approcha qui connut l’enfant prédestiné
Et s’écria : « J’ai foi ! » — Car c’était un apôtre
Et dans ce cri d’amour son cœur s’était donné.

Il le prit et clama : « Le monde est ton domaine. »
Et, fier de porter seul le génial fardeau,
Il remonta le cours de la sottise humaine
Et marcha devant lui, répétant son credo.

Mille ennemis déjà l’accusaient d’hérésie ;
(L’apôtre est l’ennemi des pervers en tout lieu !...)
Mais qu’importe la haine, immonde frénésie,
Lorsqu’en ses bras tendus on sait qu’on porte un Dieu !

Et le prophète allait, produisant le Génie
Et contraignant le monde à s’en laisser charmer,
Et le Dieu répandait sa force en harmonie
Et châtiait la foule en s’en faisant aimer !...

Et l’univers conquis ouit des chants sublimes,
Hymnes des séraphins et clameurs des damnés,
Cris des aigles géants perdus parmi les cimes
Et plaintes des forêts sous les vents déchaînés !....

Tout émanait de l’âme et rien d’un art factice,
Et l’apôtre pleurait de joie et de fierté,
Car il avait au monde imposé la justice
Et dans le cœur de l’homme écrit la vérité.

Or, l’apôtre et le dieu n’ont qu’une même gloire ;
Le destin les enchaîne en un commun bonheur ;
S’il assure à Berlioz l’éternelle victoire,
Colonne en gardera, lui, l’éternel honneur.

11 Décembre 1898.
PIERRE BARBIER.

(1) Poésie lue au banquet d’honneur offert par ses amis à M. Edouard Colonne, à l’occasion de la centième audition de la Damnation de Faust.

1899

Le Ménestrel 15/1/1899, p. 23: M. Ed. Colonne est revenu hier samedi à Paris tout juste à temps pour la répétition de son concert du Châtelet. Le mercredi 11, à 7 heures et demie, il dirigeait un concert à Prague : il en repartait le même soir à 10 heures et demie pour Berlin. Le jeudi 12 il faisait répéter à Berlin l’orchestre de la Philharmonique pour un concert qui avait lieu le lendemain 13, à Hambourg. Voilà de l’activité ! Aux deux concerts de Prague et de Hambourg, qui ont valu à notre compatriote d’enthousiastes ovations, le programme était uniquement composé d’œuvres françaises : Ouverture de Phèdre, de Massenet, la Jeunesse d’Hercule, de Saint-Saëns, l’Arlésienne, de Bizet, l’ouverture du Roi d’Ys, de Lalo, des fragments de la Damnation de Faust, de Berlioz, Au Cimetière, de Fauré, le Premier miracle de Jésus, de Paladilhe, et Non credo, de Widor.

1900

Le Ménestrel 5/8/1900, p. 248: M. Ed. Colonne vient de terminer triomphalement le premier cycle de ses concerts au Vieux Paris. Sur les 180 concerts donnés dans ce laps de temps, 52 ont été consacrés à la musique française, 51 à la musique étrangère, 54 aux programmes internationaux et 29 à des séances de musique populaire. Parmi les concerts de musique française, 28 ont été exclusivement consacrés aux œuvres de Berlioz, Bizet, Lalo, Massenet, Saint-Saëns, Widor, Pierné et d’Indy. En ce qui concerne la musique étrangère, 29 séances ont été entièrement réservées à Beethoven, Mendelssohn, Mozart et Wagner. Pour la musique internationale, ont été représentées les nationalités suivantes : l’Allemagne, l’Angleterre, l’Autriche, la Bohême, l’Espagne, la France, la Hongrie, l’Italie, la Pologne, la Russie et la Norvège. Rendons hommage à M. Ed. Colonne qui, en dirigeant personnellement et en menant à bien cette série formidable de 180 concerts, a réalisé à lui seul le plus grand effort musical qu’aucune Exposition ait encore produit.

Le Ménestrel 21/10/1900, p. 336: Les amis de M. E. Colonne, pour fêter sa nomination au grade d’officier de la Légion d’honneur, lui offriront un grand banquet qui aura lieu le mercredi 31 octobre.

Le Ménestrel 4/11/1900, p. 352:

    Comme nous l’avons annoncé, les amis de M. Edouard Colonne se sont réunis mercredi dernier au Grand-Hôtel en un cordial banquet pour fêter sa promotion au grade d’officier de la Légion d’honneur. Au dessert, M. Ernest Reyer a pris la parole au nom de tous, et dans un éloquent discours a su heureusement associer le nom de Berlioz à celui du remarquable chef d’orchestre qui a tant fait pour la gloire de l’immortel compositeur de la Damnation de Faust. On a lu aussi une lettre de M. Massenet, qui, éloigné de Paris en ce moment, n’en a pas moins tenu à envoyer à son ami Colonne le témoignage ému de ses félicitations. Puis M. Théodore Dubois, au nom du comité de l’Association des concerts du Châtelet, dont il est le président, au nom du Conservatoire, dont il est le directeur, a loué M. Colonne en termes très dignes et très chaleureux. Son toast a été suivi de celui de M. Petit, délégué de l’orchestre, et de celui de M. Vincent d’Indy, qui a rappelé spirituellement qu’il avait fait ses débuts jadis comme timbalier sous les ordres de M. Colonne. A toutes ces cordiales manifestations, celui-ci a répondu par un petit speech plein de tact et de délicatesse qui concluait ainsi :

Bien que mes amis se soient plu à faire remarquer que, le premier parmi les chefs d’orchestre présents et passés, j’avais obtenu la haute distinction qui vient de m’être conférée, j’ai, moi, le droit de penser, avec tous ceux qui depuis trente ans suivent le mouvement musical en France, que je ne suis pas le seul à l’avoir méritée.

Qu’il me soit donc permis de lever mon verre à la mémoire de Jules Pasdeloup, le véritable fondateur des concerts populaires; à la mémoire de Charles Lamoureux, qui fut, comme moi, l’infatigable et ardent continuateur de son œuvre, et auprès desquels je ne me reconnais d’autre mérite... que celui de leur avoir survécu.

    Ainsi s’est terminée cette petite fête de l’amitié, où l’éminent chef d’orchestre, toujours inlassable, a pu retremper son énergie pour les luttes futures.

1903

Édouard Colonne, Livre d'Or du Centenaire 1903 [paru fin 1907], p. 95:

Interprétation des œuvres d’Hector Berlioz

    A l’occasion du Centenaire de Berlioz, vous me demandez mon opinion sur l’œuvre du Maître français ; vous savez déjà mon admiration pour Berlioz, dont je m’honore d’avoir, le premier en France, fait connaître toutes les grandes œuvres dans leur intégrité.

    Je me bornerai donc, en ma qualité d’interprète, à vous présenter quelques considérations sur l’interprétation particulière à donner, selon moi, à ses œuvres.

    Dans les œuvres de Berlioz, les sentiments et les passions sont exprimés avec une intensité inouïe. Ainsi, une interprétation qui ne serait que parfaite serait une interprétation fausse.

    Il ne faut point raisonner avec Berlioz, qui n’est point raisonnable. Il faut l’admirer dans son génie et l’aimer jusque dans ses erreurs.

    Il faut, pour le traduire, boire avec lui le narcotique de Lelio et, halluciné comme lui, traverser le rêve effrayant de la Symphonie fantastique.

    Il faut se jeter avec lui dans l’héroïque mêlée de la Marche hongroise et, comme lui, en sortir triomphant.

    Il faut, comme lui, livrer son âme à Satan et le suivre, sans trembler, à travers la Course à l’abîme, jusqu’au séjour effroyable de l’éternelle Damnation.

    Il faut, la nuit, sous le ciel de Vérone, aimer comme lui Juliette et rêver d’un amour infini dans un duo sans fin.

    Il faut se glisser avec lui dans le char minuscule de la Reine Mab et accomplir avec lui, en un tiers de minute, un fantastique voyage au pays des fées.

    Il faut croire et s’agenouiller pieusement avec lui devant le Repos de la Sainte-Famille.

    Il faut trembler enfin et se sentir comme lui saisi d’un indicible effroi, lorsqu’éclatent, fulgurantes, à l’appel de son génie, les formidables fanfares du Jugement dernier.

    Paganini considérait Berlioz comme le Beethoven français ; cette opinion, hardie assurément, si l’on se reporte au temps où elle fut émise, pourrait encore, aujourd’hui, paraître excessive. Et pourtant, on ne peut se défendre de faire un rapprochement entre l’auteur des Troyens et celui de Fidelio et de constater que, sans les exécutions des concerts, la génération actuelle ne connaîtrait Beethoven et Berlioz que de nom.

Édouard COLONNE.

1908

Le Ménestrel 19/12/1908, p. 406:

— Les admirateurs d’Hector Berlioz avaient reçu, la semaine passée, « de la part de la Fondation Berlioz et de la Société du Vieux-Montmartre », une invitation ainsi conçue :
Vous êtes prié de vouloir bien assister à la pose d’une plaque commémorative sur la maison qu’habita Hector Berlioz à Montmartre, 22, rue du Mont-Cenis, maison dans laquelle il composa Béatrix et Bénédict [sic pour Benvenuto Cellini] et Harold en Italie, de 1834 à 1837.
Cette première manifestation de la Fondation Hector-Berlioz aura lieu le dimanche 13 décembre 1908, à l’occasion du 39e anniversaire de la mort du Maître.
Rendez-vous au pied de la statue, square Vintimille, à dix heures précises. Une visite aura lieu aussitôt au tombeau.
Dimanche matin, en effet, les membres et le comité de la Fondation Berlioz, dont le président est M. Edouard Colonne, se sont réunis autour de la statue de l’auteur des Troyens, et de là se sont rendus à la maison de la rue du Mont-Cenis, avec ceux de la Société du Vieux-Montmartre. Après l’inauguration de la plaque commémorative, la plupart d’entre eux sont allés rendre une visite à la tombe de Berlioz, au cimetière Montmartre. Ajoutons que la Fondation Hector-Berlioz vient de publier son premier rapport, qui porte les dates de Mars-Décembre 1908.

Romain Rolland, Musiciens d’aujourd’hui (1908), p. 234-42:

    […] L’éditeur de musique, Georges Hartmann, ayant conscience des forces qui s’amassaient dans l’art français, groupa autour de lui la plupart des talents de la jeune école : — Franck, Bizet, Saint-Saëns, Massenet, Delibes, Lalo, Paladilhe, Joncières, — et entreprit de les produire au dehors. Il loua le théâtre de l’Odéon, recruta un orchestre, dont il confia la direction à M. Édouard Colonne ; et, le 2 mars 1873, le Concert National fut inauguré par une matinée musicale où M. Saint-Saëns joua son concerto en sol mineur, et où Mme Viardot chanta le Roi des Aulnes de Schubert. Dans la première année, on donna six concerts ordinaires ; de plus, deux concerts spirituels, avec chœurs, furent consacrés à Rédemption de César Franck et à Marie-Magdeleine de Massenet. En 1874, l’Odéon fut abandonné pour le Châtelet [en fait dès novembre 1873]. Cette campagne fit du bruit et attira le public ; mais les résultats financiers furent des plus médiocres. L’éditeur Hartmann se découragea et voulut abandonner l’entreprise. C’est alors que M. Édouard Colonne eut l’idée de constituer son orchestre en société, et de poursuivre l’essai, pour le compte de l’Association Artistique. Parmi les artistes fondateurs se trouvaient MM. Bruneau, Benjamin Godard, Paul Hillemacher. Les premiers temps furent difficiles; mais la persévérance de l’Association eut raison de tous les obstacles. En 1903, elle a fêté son trentième anniversaire. Pendant ces trente années, elle avait donné plus de huit cents concerts, et fait entendre des œuvres d’environ trois cents compositeurs, dont la moitié sont français. Les quatre compositeurs joués le plus souvent au Châtelet avaient été Saint-Saëns, Wagner, Beethoven, et surtout Berlioz.

    Berlioz est véritablement la propriété des concerts du Châtelet. Non seulement on y exécute ses œuvres plus souvent qu’ailleurs ; mais nulle part on ne le comprend mieux. L’orchestre Colonne et son chef, doués de beaucoup de fougue et d’une ardeur un peu déréglée, sont parfois gênés dans les œuvres d’une tenue classique ou d’un sentiment recueilli ; mais ils expriment à merveille le romantisme tumultueux de Berlioz, son lyrisme intense, et le coloris éclatant et fin de ses peintures et de ses paysages musicaux. Bien que Berlioz ait aussi sa place aux concerts Chevillard et à ceux du Conservatoire, c’est au Châtelet que reste attachée la foule des Berlioziens, dont l’enthousiasme n’est pas atteint par la campagne que, depuis quelques années, dirige contre Berlioz une partie de la critique française, sous l’influence des jeunes partis musicaux : les D’Indystes et les Debussystes.

    C’est aussi au Châtelet que se sont conservées jusqu’à ce jour, dans le public, les plus ardents passions musicales. Grâce aux dimensions du théâtre, un des plus vastes de Paris, et au grand nombre de places bon marché, il y a toujours là une clientèle de jeunes gens, étudiants et étudiantes, qui sont un des publics les plus vivants qu’on puisse voir. La musique est pour certains d’eux beaucoup plus qu’un plaisir : c’est un besoin. Il en est qui se privent pour économiser leur place de concert du dimanche. Et combien de ces adolescents et de ces jeunes femmes ne vivent, toute la semaine, que dans la pensée de ces heures d’oubli et d’ivress musicale ! Un tel public n’existait point en France, avant 1870. C’est l’honneur des concerts du Châtelet, et des concerts Pasdeloup, de l’avoir créé de toutes pièces.

    Édouard Colonne n’a pas été seulement un grand éducateur du goût musical en France. Personne n’a plus travaillé que lui à abaisser les barrières qui séparaient le public français de l’art étranger ; et en même temps il a contribué activement à faire connaître à l’étranger l’art français. Tandis qu’il dirigeait des concerts dans toute l’Europe et en Amérique, il cédait la direction de l’orchestre du Châtelet aux grands Kapellmeister allemands et aux compositeurs étrangers : Richard Strauss, Grieg, Tschaikowsky, Hans Richter, Hermann Levi, Mottl, Nikisch, Mengelberg, Siegfried Wagner, et tant d’autres. Nul chef d’orchestre n’a plus fait pour la musique parisienne depuis trente ans. Il convient de ne pas l’oublier.

    Les concerts Lamoureux ont eu, dès l’origine, un caractère assez différent des concerts Colonne. Cette différence tenait à la personnalité des deux directeurs. Elle tenait aussi à ce que les concerts Lamoureux, quoique postérieurs de moins de dix ans aux concerts Colonne, représentaient une nouvelle génération musicale. Le progrès avait été singulièrement rapide : à peine le riche trésor de la musique de Berlioz avait-il été exploré, qu’on se lançait à la découverte du monde wagnérien. Il fallait là un nouveau guide, ayant une connaissance spéciale de cet art, et en général de l’art allemand. Charles Lamoureux fut ce guide. Déjà, en 1873, il avait dirigé de grandes exécutions de Bach et de Hændel, données par la Société de l’Harmonie sacrée. Il venait de quitter la direction de l’orchestre de l’Opéra, quand il inaugura, le 21 octobre 1881, au théâtre du Château-d’Eau, la Société des Nouveaux Concerts. Ces programmes eurent d’abord un programme des plus larges, comprenant tous les genres de musique et de toutes les écoles. Au premier concert figuraient des œuvres de Beethoven, Hændel, Gluck, Sacchini, Cimarosa et Berlioz. Dans la première année, Lamoureux fit entendre la Neuvième Symphonie de Beethoven, une grande partie de Lohengrin, et des œuvres de nombreux musiciens français de la jeune école. Diverses compositions de Lalo, de Vincent d’Indy et de Charbier furent exécutées chez lui, pour la première fois. Mais ce fut surtout à l’étude des partitions wagnériennes que Lamoureux se consacra avec prédilection. Ce fut lui qui donna en France les premières grandes auditions intégrales de Wagner : en particulier, celles du premier et du second acte de Tristan en 1884-1885. La bataille wagnérienne n’était pas encore finie, comme le montre l’Avis imprimé en tête des programmes de Tristan :

« L’administration de la Société des Nouveaux Concerts, très désireuse d’éviter des conflits pendant l’exécution du second acte de Tristan, prie instamment et respectueusement les auditeurs de s’abstenir de donner des marques d’approbation ou d’improbation avant la fin de l’acte. »

    La même année, dans la salle de l’Eden-Théâtre, où les concerts avaient été transférés, Lamoureux dirigea la première exécution à Paris du premier acte de la Walküre. Dans ces concerts débuta le ténor Van Dyck, qui devait être plus tard un des protagonistes de Bayreuth. En 1886-1887, Lamoureux prépara et dirigea l’unique représentation de Lohengrin, à l’Eden. On sait que les manifestations de la rue empêchèrent les représentations suivantes. Lamoureux alla se fixer ensuite dans la salle du Cirque des Champs-Élysées, où, pendant onze ans, il donna des concerts, qui prirent alors le nom de Concerts-Lamoureux. Il continua à répandre la connaissance de l’œuvre de Wagner, en s’assurant parfois des plus célèbres artistes de Bayreuth, entre autres de Mme Materna et de Lilli Lehmann. Après la saison de 1897, Lamoureux voulut dissoudre son orchestre, pour diriger des concerts à l’étranger. Mais l’orchestre résolut de continuer, sous le titre d’Association des Concerts-Lamoureux, et sous la direction du gendre de Lamoureux, M. Camille Chevillard. Lamoureux ne tarda pas d’ailleurs à reprendre la direction des concerts, qui étaient revenus au théâtre du Château-d’Eau ; et, quelques mois avant sa mort, en 1899, il dirigeait, au Nouveau-Théâtre, la première à Paris de Tristan. Ainsi, il avait le bonheur d’assister au triomphe complet de la cause pour laquelle il avait lutté, avec opiniâtreté, pendant près de vingt ans.

    Les exécutions wagnériennes de Lamoureux comptent par les plus belles qu’on ait données du maître de Bayreuth. Lamoureux avait à la fois un sens de l’unité de l’œuvre et un souci minutieux du détail que ne possédait pas, à un pareil degré, l’orchestre Colonne. En revanche, la verve exubérante avec laquelle ce dernier interprétait les compositions romantiques lui faisait défaut. Il comprenait médiocrement ces œuvres ; et bien que, plus que son rival, il fût nourri de l’art classique, il en rendait davantage la lettre que l’esprit ; il y apportait une minutie appliquée, qui enlevait son accent et sa vie à une musique telle que celle de Beethoven. Ses qualités et ses défauts le désignaient pour être un interprète excellent pour la jeune école néo-wagnérienne, dont M. Vincent d’Indy était alors le principal représentant en France, avec Emmanuel Chabrier. Lamoureux avait besoin, dans une certaine mesure, d’être dirigé lui-même, soit par la tradition vivante de Bayreuth, soit par la pensée d’auteurs vivants et présents ; et le plus grand service qu’il rendit à la musique française fut de créer, grâce à son souci extrême de la perfection matérielle, un orchestre qui fût un merveilleux instrument symphonique.

    Ce souci de la perfection a été gardé par son successeur, M. Camille Chevillard, et son orchestre s’est encore affiné. On peut dire qu’il est aujourd’hui le meilleur de Paris. M. Chevillard se sentait plus attiré que Lamoureux par la musique pure ; il trouvait avec raison que la musique dramatique tenait une trop grande place dans les concerts parisiens. Dans une lettre, publiée par le Mercure de France en janvier 1903, il reproche aux éducateurs du goût français d’avoir trop cultivé la prédilection du public pour l’opéra, et de n’avoir pas éveillé son attention sur la supériorité de la pure musique : « Quatre mesures au hasard d’un quatuor de Mozart ont, dit-il, une plus grande valeur éducative qu’une fastueuse scène d’opéra ». — Nul ne dirige mieux à Paris les œuvres classiques, surtout celles de pure beauté plastique ; même en Allemagne, il serait difficile de trouver une interprétation aussi délicate de certaines œuvres symphoniques de Mozart ou de Hændel. Son orchestre a d’ailleurs conservé la supériorité qu’il avait déjà acquise dans le répertoire wagnérien. Mais M. Chevillard lui a communiqué une chaleur et une vigueur de rythme qu’il n’avait pas avant lui. Ses interprétations beethovéniennes, encore que superficielles, sont vivantes. Comme Lamoureux, M. Chevillard a peu le sens des œuvres romantiques françaises, de Berlioz, et encore moins de Franck et de son école ; il semble n’avoir qu’un sympathie mitigée pour les courants les plus récents de la musique française. Mais il comprend bien les romantiques allemands, surtout Schumann, pour qui il a une prédilection ; il s’est efforcé, sans y très bien réussir, de faire pénétrer en France Liszt et Brahms ; il a été le premier chez nous à attirer vraiment l’attention sur la musique russe, dont il excelle à rendre le coloris brillant et fin. Et, comme M. Colonne, il a su faire appel aux grands Kapellmeister allemands : à Weingartner, à Nikisch, à Richard Strauss, qui dirigea chez lui les premières exécutions à Paris de plusieurs de ses poèmes symphoniques : Zarathustrâ, Don Quixote, Heldenleben.

    Rien n’a été plus efficace pour achever l’éducation musicale du public que ce continuel défilé dans nos concerts, depuis dix ans, des Kapellmeister et des virtuoses étrangers, et que la comparaison de leurs styles et de leurs interprétations diverses. Rien n’a plus contribué au perfectionnement des orchestres parisiens, par l’émulation que cette sorte de concours instituait entre leurs chefs et ceux des autres pays. A présent, ils peuvent rivaliser avec les meilleurs de l’Allemagne. […] Les Concerts-Lamoureux n’ont pas été aussi stables que les Concerts du Châtelet. Ils ont erré de salle en salle, à travers Paris, du Cirque d’Hiver au Cirque d’Été, et du Château-d’Eau au Nouveau-Théâtre. Il sont, pour le moment, dans la Salle Gaveau, qui est beaucoup trop petite pour eux. Malgré le développement de la musique et du goût musical, Paris n’a pas encore une salle de concerts, comme en a la plus petite capitale de province allemande ; et cette honteuse incurie, indigne de la renommée artistique de Paris, oblige les Sociétés symphoniques à recourir à des cirques, ou à des salles de théâtre, qu’il leur faut partager avec d’autres troupes, et dont l’acoustique n’est pas faite pour des concerts. […]

1910

Le Ménestrel, 2/4/1910, p. 112:

    Encore l’un des artistes les plus remarquables de ce temps qui vient de disparaître. Edouard Colonne, souffrant déjà depuis longtemps, au point qu’il avait dû abandonner à M. Pierné la direction des concerts du Châtelet, est mort lundi dernier, après une longue vie de travail et d’incessante activité laissant derrière lui une œuvre intéressante et qui ne périra pas. Issu d’une famille d’artistes, né à Bordeaux le 23 juillet 1838, il avait été envoyé fort jeune à Paris pour y terminer une éducation musicale commencée dans sa ville natale. Admis au Conservatoire, il y mena de front l’étude du violon et de l’harmonie dans les classes de Girard et d’Elwart qui lui valut toute une série de récompenses : en 1857 un second accessit de violon et un premier accessit d’harmonie, en 1858 le premier prix d’harmonie, en 1860, 1862 et 1863 un premier accessit, le second prix et le premier prix de violon. Déjà, à cette époque, il faisait partie de l’orchestre de l’Opéra et de la Société de quatuors qu’avait formée Lamoureux, son condisciple de la classe de Girard, Bordelais comme lui. C’est en 1871 que Colonne commença cette carrière brillante de chef d’orchestre qu’il devait continuer pendant près de quarante ans et qui fit sa renommée. C’est alors qu’il fonda, avec l’appui d’Hartmann et de M. Duquesnel, le Concert national, qui, après avoir donné ses séances d’abord dans la salle de l’Odéon, émigra ensuite dans celle du Châtelet pour devenir l’Association artistique. Les commencements furent difficiles, mais bientôt le succès vint, et l’on sait dans quelles proportions. Colonne, qui avait appartenu à l’orchestre des Concerts populaires Pasdeloup, y avait appris à connaître le grand répertoire symphonique, et son excellente éducation musicale le mettait à même, jointe à ses qualités naturelles, de diriger l’exécution des grandes œuvres avec autant d’assurance que de fermeté. Il ne se borna pas d’ailleurs aux classiques, et l’on sait, entre autres, ce que lui doit la mémoire de Berlioz pour la belle interprétation qu’il donna de ses œuvres. Et si celles de Wagner parurent aussi souvent sur ses programmes, cela ne l’empêchait pas de donner l’hospitalité aux compositions des jeunes musiciens français. C’est aux Concerts Colonne que furent exécutés Marie-Magdeleine et les Scènes pittoresques de M. Massenet, le concerto de violon, la Fantaisie espagnole et des fragments de Fiesque d’Edouard Lalo, les Pièces d’orchestre de M. Théodore Dubois, Rome et Naples de M. Rabuteau, Mazeppa de M. Paul Puget, et combien d’autres ! En 1891 Bertrand, alors directeur de l’Opéra, engagea Colonne comme chef d’orchestre, et c’est lui qui monta et dirigea à ce théâtre Salammbô, Samson et Dalila et la Walkyrie. Pourtant, au bout de deux années et pour des raisons personnelles il résigna ces fonctions et s’en tint à la direction de l’Association artistique, plus connue aujourd’hui sous le nom de Concerts-Colonne. Celle-ci suffisait d’ailleurs à son activité, d’autant que son grand renom de chef d’orchestre, qui s’était répandu hors de France, le faisait appeler souvent à l’étranger, soit en Russie, soit en Allemagne, soit en Amérique, où ses succès n’étaient pas moindres qu’à Paris. Il resta ainsi infatigable jusqu’à ces derniers temps, où l’âge commençant à faire sentir ses effets, il dut se condamner a un repos d’abord relatif, et bientôt absolu. Colonne disparait avant d’avoir accompli sa soixante-douzième année, en laissant dans une prospérité complète cette brillante Association artistique qui lui doit son existence, à laquelle il a attaché son nom et dont, par son talent, il a su faire un des premiers orchestres de l’Europe. A. P. [Arthur Pougin]

1911

Le Ménestrel, 1/4/1911, p. 104:

— Mardi dernier [28 mars], au cimetière du Père-Lachaise, a été inauguré le tombeau d’Edouard Colonne. C’est un simple monument en marbre rouge, composé d’une stèle au-devant de laquelle se détache, en bronze, le buste du fondateur des Concerts du Châtelet. Environ trois cents personnes, amis personnels de la famille, compositeurs, musiciens d’orchestre, assistaient à cette cérémonie tout intime. M. Malherbe, bibliothécaire de l’Opéra, et M. Pierné, chef d’orchestre de l’Association artistique, prirent successivement la parole, et devant l’assistance émue, rappelèrent le souvenir du cher disparu. Les personnes présentes défilèrent ensuite devant le monument, et saluèrent respectueusement Mme Edouard Colonne et les membres de sa famille.

Site Hector Berlioz crée par Monir Tayeb et Michel Austin le 18 juillet 1997;
Page Berlioz: Pionniers et Partisans créée le 15 mars 2012; cette page créée le 1er mars 2013, augmentée le 1er avril et le 1er mai 2013.

© Michel Austin et Monir Tayeb. Tous droits de reproduction réservés.

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