Breitkopf

Site Hector Berlioz

Berlioz: Pionniers et Partisans

Chefs d’orchestre: Felix Weingartner

Extraits du Ménestrel, 1891-1940

Page d’accueil     Recherche

Weingartner

Présentation / Introduction

    Cette page reproduit un choix d’entrées extraites de l’hebdomadaire Le Ménestrel, qui parut à Paris de 1833 à 1940 avec deux interruptions, de décembre 1870 à novembre 1871 du fait de la guerre franco-prusse, et de septembre 1914 à septembre 1919 du fait de la première guerre mondiale. Sur l’histoire de ce journal on renverra le lecteur à la présentation de la page Felix Mottl: textes et documents. Ce choix couvre les années 1891 à 1940, soit une grande partie de la carrière de Felix Weingartner (1863-1942). Il comprend une grande proportion des entrées qui traitent de Weingartner nommément ou concernent sa carrière en général. L’accent est mis en premier lieu sur toutes les entrées qui illustrent ses rapports avec la musique de Berlioz, mais on a cherché aussi à les placer dans un cadre plus large.

    On trouvera aussi sur une page séparée une traduction en français de plusieurs articles de Weingartner sur Berlioz, et aussi sur la page principale consacrée à Weingartner plusieurs extraits de ses écrits, également en traduction française. Toutes traductions sont © Michel Austin.

Introduction

    This page reproduces a selection of entries from the weekly paper Le Ménestrel, which was published in Paris from 1833 to 1940 with two interruptions, from December 1870 to November 1871 because of the Franco-Prussian war, and from September 1914 to September 1919 because of the First World War. On the history of the paper see the introduction (in English) to the page Felix Mottl: textes et documents. The selections, in French, cover the years 1891 to 1940, which represent a large part of the career of Felix Weingartner (1863-1942). They include a large proportion of the entries which mention Weingartner specifically or deal with events of relevance to his career. They concern in the first instance entries that are relevant to Weingartner’s relations with Berlioz and his music, but also include entries of more general interest for his career as a whole.

    Articles by Weingartner on Berlioz are available in English translation on a separate page, and excerpts from Weingartner’s autobiographical writings are available, also in English translation, on the main page devoted to Weingartner. All translations are © Michel Austin.

1891 1897 1903 1909 1924 1930 1936
1892 1898 1904 1910 1919 1925 1931 1937
1893 1899 1905 1911 1920 1926 1932 1938
1894 1900 1906 1912 1921 1927 1933 1939
1895 1901 1907 1913 1922 1928 1934 1940
1896 1902 1908 1914 1923 1929 1935

1891

Le Ménestrel 10/5/1891, p. 150: M. Félix Weingartner vient d’être nommé chef d’orchestre à l’Opéra-Royal de Berlin. Il occupait les mêmes fonctions au théâtre de la Cour de Mannheim, où son départ cause d’unanimes regrets. M. Weingartner était lié au théâtre de la Cour jusqu’en 1892, mais sur la demande du comte de Hochberg, intendant de l’Opéra de Berlin, la résiliation de son engagement a été accordée.

1892

Le Ménestrel 10/7/1892, p. 221: L’intendance de l’Opéra royal de Berlin a décidé de monter au cours de la saison prochaine les Troyens de Berlioz dont M. Weingartner dirigera l’exécution.

Le Ménestrel 17/7/1892, p. 230: — Les concerts de la chapelle royale de Berlin auront lieu dorénavant sous la direction unique de M. Weingartner. Pour la seconde séance de la saison prochaine, on annonce l’exécution de Roméo et Juliette de Berlioz.

1893

Le Ménestrel 2/4/1893, p. 109: — On nous signale le succès colossal remporté par la première audition à Berlin du Roméo et Juliette de Berlioz. Cette audition a eu lieu à l’Opéra, par les soins de la chapelle royale et sous la direction de M. Weingaertner.

Le Ménestrel 18/6/1893, p. 198: — Par suite du départ de M. Weingartner, appelé à la tête de l’orchestre du théâtre royal de Munich, le poste de chef d’orchestre se trouvait vacant à l’Opéra de Berlin. On annonce que l’intendance de ce théâtre vient, pour remplacer M. Weingartner, d’engager M. Grossmann, qui remplissait les mêmes fonctions au théâtre de Cologne. Ce jeune artiste, dont on fait un grand éloge, n’est, paraît-il, âgé que de vingt-trois ans.

Le Ménestrel 27/8/1893, p. 278: — A l’exemple de Bayreuth, toute l’Allemagne est aux cycles wagnériens. Celui de Munich qui vient de commencer avec le Tannhäuser, a donné lieu à un incident qui a pris les proportions d’une affaire d’État. Au dernier moment, le comte de Hochberg, surintendant des théâtres de Berlin, a fait défense à son chef d’orchestre, M. Weingartner, de paraître dans ces représentations, pour lesquelles il avait été engagé, sans doute sans l’assentiment de son chef direct. Rien n’a pu faire revenir ce dernier sur sa décision, de sorte qu’il a fallu, sur l’heure, faire une levée de Kapellmeisters familiarisés avec l’œuvre de Wagner. On les a trouvés en MM. Fischer, Levi et Mottl.

Le Ménestrel 24/9/1893, p. 310-11: — Les rapports sont tendus entre l’intendant Hochberg et le chef d’orchestre Weingartner, de l’Opéra de Berlin. Ce dernier, comme on sait, s’est vu refuser l’autorisation de diriger les représentations wagnériennes à Munich. A la suite d’une protestation de M. Weingartner, l’intendant de l’Opéra royal de Berlin a adressé à l’intendance du Théâtre de la Cour, de Munich, un long exposé des motifs qui ont déterminé son refus. M. Weingartner avait obtenu un congé en se faisant délivrer un certificat médical constatant qu’il était atteint d’une maladie nerveuse qui l’obligeait à un repos absolu. Deux jours après l’obtention de son congé, M. Weingartner demandait l’autorisation de diriger à Munich, autorisation qui lui fut naturellement refusée, M. de Hochberg estimant qu’il serait contraire aux intérêts de l’Opéra de Berlin d’exposer son chef d’orchestre à des fatigues défendues par la Faculté. On s’attend, dit-on, à d’autres révélations qui feront prendre, à la brouille survenue entre l’intendant et le kapellmeister, un caractère très aigu.

Le Ménestrel 15/10/1893, p. 338: — Nous avions raison de supposer que le différend entre l’intendant Hochbèrg et le kapellmeister Weingartner prendrait bientôt un caractère aigu. M. Weingartner vient d’être frappé d’une amende disciplinaire de trois cents marks pour avoir protesté par la voie des journaux contre les allégations de son chef hiérarchique. Le règlement qui permet à l’intendant de l’Opéra royal de Berlin d’accuser publiquement son subordonné, refuse à ce dernier le droit de se défendre. Comme le soldat de Scribe, un bon chef d’orchestre prussien doit savoir obéir et se taire... sans murmurer. Ce pauvre M. Weingartner est devenu le souffre-douleur de l’administration. Dernièrement, il dirigeait pour la première fois une représentation de Cavalleria rusticana, en remplacement de son collègue Muck, subitement empêché. Quelques légères défaillances s’étant produites dans l’exécution par suite de mouvements pris un peu plus vite que son prédécesseur, M. Weingartner s’est vu infliger une nouvelle amende de cent vingt marks pour « direction insuffisante témoignant d’antipathie contre M. Mascagni » !

1894

1895

Le Ménestrel 7/4/1895, p. 110: — Le chef d’orchestre M. Weingartner, de l’Opéra royal de Berlin, a donné sa démission pour se consacrer exclusivement à la direction des concerts classiques. Le surintendant général est entré en négociations avec M. Nikisch, directeur de l’Opéra royal à Budapest, et espère pouvoir l’attirer à Berlin.

Le Ménestrel 21/4/1895, p. 126: — Les chefs d’orchestre font prime en Allemagne. Il paraît qu’on s’arrache littéralement celui de l’Opéra royal de Berlin, M. Weingaertner. Tandis que ce théâtre s’obstine à ne pas lui rendre sa liberté, qu’il a aliénée jusqu’en 1896, et que l’Opéra de Munich, vis-à-vis duquel il s’est engagé à partir de cette époque, prétend ne pas le lâcher, des entrepreneurs de concerts veulent se l’attacher à tout prix. Il recevrait, outre de très gros appointements fixes, un tantième élevé sur les recettes avec minimum garanti; les concerts se donneraient sous sa direction exclusive et porteraient son nom; enfin, c’est lui qui engagerait les solistes. Mais Berlin le tient et Munich le revendique; il ne pourra pas accepter ces brillantes propositions.

Le Ménestrel 16/6/1895, p. 191:  — Le célèbre chef d’orchestre de l’Opéra de Berlin, M. Weingartner, a été engagé pour l’Opéra de Munich ; mais, sur sa demande, le prince-régent de Bavière a annulé le contrat sans paiement de dédit. On ne sait pas encore si M. Weingartner restera à Berlin, ou s’il ira exploiter son grand talent en Angleterre et en Amérique, comme Richter, Dvorak, Mottl, Siegfried Wagner et plusieurs autres chefs d’orchestre allemands qui voyagent avec leur bâton.

Le Ménestrel 20/10/1895, p. 334: — Depuis que l’Amérique s’arrache les chefs d’orchestre allemands de renom, il devient difficile de les garder dans leur patrie, car les Américains ne regardent pas à quelques mille dollars en plus pour posséder un artiste. C’est pour ce motif que l’Opéra impérial de Berlin vient de passer avec son deuxième chef d’orchestre, M. Muck, un traité qui le retient à ce théâtre jusqu’en 1907. Le premier chef d’orchestre, M. Weingartner, a été engagé jusqu’en 1905.

1896

Le Ménestrel 19/1/1896, p. 22: — Un fait sans précédent est arrivé à la chapelle royale de Berlin: son dernier concert a dû être dirigé par le premier violon, M. Halir, le chef d’orchestre Weingartner, s’étant blessé à la main, son collègue M. Sucher étant la victime de l’influenza, et le troisième chef d’orchestre, M. Muck, ayant obtenu un congé pour donner un concert à Budapest. Les deux chefs d’orchestre pour les petits opéras et le ballet ne voulaient pas risquer l’entreprise, et le premier violon s’est bravement offert. Tout a marché, du reste, à souhait, mais l’affaire a fait beaucoup de bruit parmi les abonnés et les autres amateurs de Berlin.

Le Ménestrel 10/5/1896, p. 150: — On nous écrit de Berlin que les exploits de M. Weingartner, directeur des concerts de la chapelle royale, ne sont pas du goût de tout le monde. D’aucuns trouvent que les exercices exagérés de la baguette de ce chef d’orchestre, qui veut tout exprimer à l’aide de son bâton, sont vraiment excessifs, et qu’il ferait bien de refréner un peu les efforts d’une mimique par trop accentuée. D’autres voudraient lui voir modérer aussi ses prétentions comme compositeur et comme arrangeur. Il n’est guère de programme où il ne veuille faire figurer son nom sous ce rapport, ce qui n’est pas toujours à la satisfaction du public. C’est ainsi qu’il a fait entendre, au milieu d’un silence glacial, une ballade pour chant et orchestre intitulée un Pèlerinage à Kevelaar et des intermèdes symphoniques de son opéra Malawika. Il a eu aussi la singulière idée d’entrer en concurrence avec Berlioz et d’orchestrer à sa manière — une fâcheuse manière! — l’Invitation à la valse de Weber, dans laquelle il a fait preuve d’un goût détestable. Voici maintenant que marchant sur les traces de Wagner, M. Weingartner émet la prétention d’écrire à son tour une tétralogie dont l’exécution exigera quatre soirées et, qui plus est, de se faire construire un théâtre exprès, tout comme à Bayreuth! Un journal de Vienne publie à ce sujet un article amusant, dans lequel l’écrivain raille avec esprit la manie de certains compositeurs actuels qui, n’étant point capables de soutenir l’attention du public même pendant une soirée, prétendent l’intéresser durant quatre soirées consécutives et veulent singer le grand réformateur de Bayreuth, non seulement en écrivant des œuvres de dimensions colossales, mais en voulant faire construire des édifices pour y produire ces œuvres. Ils n’ont pas l’air de se douter que lorsque Wagner conçut l’audacieux projet du théâtre de Bayreuth, il avait donné le Vaisseau Fantôme, Tannhäuser, Lohengrin, Tristan et Yseult et les Maîtres Chanteurs, qui avaient été le signal d’une révolution dans l’art musical. A coté de ceux-là, on peut considérer comme atteint d’humilité M. Manier, le chef d’orchestre de Hambourg, qui, pour exécuter ses symphonies, se contente d’un orchestre de cent exécutants, de plusieurs paires de timbales, d’une rangée de cloches, de soli, de chœurs et de plusieurs fanfares invisibles placées dans diverses parties de la salle pour produire des effets de lointain mystérieux. C’est dans ces conditions qu’il a donné dans la salle de la Philharmonique, deux concerts exclusivement consacrés à l’exécution de ses œuvres personnelles, dont la valeur, pour réelle qu’elle soit à de certains égards, est loin d’être en rapport avec un si grand déploiement de forces et un appareil si imposant. Quand donc nos musiciens auront-ils une ambition moins encombrante?...

1897

Le Ménestrel 22/8/1897, p. 270: — La chapelle royale de Berlin, sous la direction de M. Félix Weingartner, fera entendre pendant la saison prochaine toutes les symphonies de Beethoven dans leur ordre chronologique.

Le Ménestrel 24/10/1897, p. 343: — A l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la naissance du célèbre peintre suisse Arnold Boecklin, que les artistes allemands célèbrent actuellement avec enthousiasme, le compositeur Félix Weingartner, chef d’orchestre de l’Opéra de Berlin, a fait jouer une composition inédite intitulée Aux Champs-Elysées, allusion à un tableau célèbre de Boecklin. Le compositeur Richard Strauss, chef d’orchestre de l’Opéra de Munich, et Max Schillings, ont exécuté cette composition dans un arrangement à quatre mains à Munich, pendant une soirée donnée par les peintres de cette cité artistique et ont obtenu un très grand succès.

Le Ménestrel 31/10/1897, p. 350: La direction des concerts Kaim à Munich, concerts qui auront lieu dans la nouvelle et magnifique salle construite spécialement pour eux, vient de publier son programme pour la saison prochaine et annonce plusieurs œuvres symphoniques qui n’ont pas encore été exécutées en Allemagne. Citons les Éolides de César Franck, la sixième symphonie de Bruckner, Karaminskaïa de Glinka, Visehrad de Smetana et Lear de Weingartner. Berlioz, qu’on favorise toujours dans les programmes des concerts allemands, est représenté par la Symphonie fantastique et par l’ouverture du Corsaire.

Le Ménestrel 26/12/1897, p. 413: — On annonce de Berlin que M. Weingartner, premier chef d’orchestre de l’Opéra royal, qui se trouve en Italie par suite du mauvais état de sa santé, ne retournera plus à Berlin et sera remplacé par M. Muck, actuellement deuxième chef d’orchestre.

1898

Le Ménestrel 23/1/1898, p. 30: M. Félix Weingartner, un chef d’orchestre qui a déjà fait parler de lui, vient de publier à Berlin sous ce simple titre : Bayreuth, 1876-1896, une brochure qui fait en Allemagne un certain potin. On assure là-bas que c’est le dépit de n’avoir pas été choisi pour diriger les fameuses représentations de Bayreuth qui lui a inspiré ce factum. Il est certain que les trois célèbres chefs d’orchestres à qui est échu cet honneur, MM. Hans Richter, Félix Mottl et Hermann Lévi, ont chacun leur paquet dans ce petit pamphlet. Mais c’est Mme Cosima Wagner qui y est surtout prise à partie, « cette dame non allemande, qui ne sait point conserver les traditions sacrées du maître et qui abâtardit l’idée, en faisant de Bayreuth une simple spéculation et en faisant appel, pour attirer les étrangers, à des chanteurs étrangers. » Bien d’autres critiques, qui ne semblent pas absolument injustes, sont formulées par l’auteur relativement aux représentations qui illustrent le temple wagnérien. Il ne nous appartient pas de nous faire juges de cette polémique. Nous nous bornons seulement à constater que les Allemands eux-mêmes ne sont plus d’accord sur les résultats artistiques de l’entreprise de Bayreuth.

Le Ménestrel 20/2/1898, p. 62: — On nous écrit de Berlin que M. Weingartner maintient sa démission comme chef d’orchestre de l’Opéra royal, mais qu’il acceptera probablement la direction des concerts symphoniques de l’Opéra. M. Félix Mottl, directeur général de la musique à Carlsruhe, vient d’accepter la place laissée vacante de Weingartner

Le Ménestrel 6/3/1898, p. 77: On avait perdu l’habitude, presque l’espérance d’entendre souvent, au Cirque d’été, les œuvres de musiciens français, et voici qu’une exécution de la Symphonie fantastique, superbe, inoubliable, a placé dans le plus frappant relief la pensée de Berlioz, double au point de vue de sa réalisation artistique, puisque nous avons ici deux séries de morceaux bien différents, les uns exprimant des impressions puisées dans la réalité humaine, les autres destinés à décrire des hallucinations d’âme, tous, du reste, éminemment évocateurs d’images. L’introduction, le bal, la scène aux champs offrent à l’imagination des rêves de poésie délicieux. Mais voici la Marche au supplice ; les timbales sonnent leur glas, toute l’attention se concentre. Si le chef d’orchestre a su comprendre le sentiment de l’œuvre, les violoncelles jetteront avec une sonorité stridente et sèche leur narquoise lamentation, le basson accentuera l’horreur de son grêle contrepoint, les trompettes salueront d’éclats mâles et funèbres celui qui va mourir puis, toutes les voix se confondront dans une immense clameur d’épouvante, submergeant toute plainte individuelle. Et lorsque, les esprits étant préparés de la sorte, la mélodie évocatrice du souvenir sera dite avec une tendresse pénétrante, lorsque le roulement fatal des tambours, dominé par ces accords qui ressemblent à des cris sauvages, viendra clore cette page d’une atrocité consciente et satisfaite d’elle-même, alors la salle entière acclamera debout le brillant interprète, reconnaissante de l’impression reçue et propagée. C’est ce qui a eu lieu dimanche dernier. La marche, redemandée de toutes parts, a dû être reprise, et l’effet en a été de même. M. Weingartner, qui dirigeait le concert, a obtenu là un succès énorme comme on en compte peu dans une carrière ; il n’oubliera pas qu’il le doit à un maître et à un public français. Sous sa direction, l’ouverture de Léonore a été belle et impressionnante, la Mort d’Yseult précédée du prélude, frémissante au suprême degré, les ouvertures du Vaisseau fantôme et des Maîtres-Chanteurs d’une exécution moins caractéristique. M. Weingartner conduit avec de continuels mouvements ondulatoires du poignet. Son corps demeure très raide, seuls ses bras et sa tête s’agitent. Il a parfois des immobilités suggestives. Ses crispations de mains levées vers le ciel aux moments pathétiques sont d’un croyant qui adjure son dieu de combattre avec lui. Le dieu de la musique écoute volontiers ce commandeur de l’orchestre, parce qu’il a la flamme intérieure, la conviction ardente, la ferveur, la foi. A. BOUTAREL.

Le Ménestrel 13/3/1898, p. 85: C’est encore M. Félix Weingartner qui a conduit le dernier concert. Le jeune chef d’orchestre est doué d’un réel mérite : il sait à fond ses partitions ; il a une grande sûreté de mouvement ; il a autorité sur les musiciens qu’il conduit. Sa mimique toute particulière peut prêter à de spirituelles réflexions. Mais, somme toute, il se fait comprendre, et le résultat est excellent ; c’est là l’essentiel. Mendelssohn tenait la tête du programme avec la poétique ouverture de la Grotte de Fingal et le délicieux scherzo du Songe d’une nuit d’été. Il me semble que nos chefs d’orchestre ne devraient pas tant redouter de nous donner les œuvres des grands maîtres, tant démodés ou rococo qu’ils soient. Je n’en veux pour preuve que les applaudissements réitérés provoqués par ces œuvres charmantes. Il est vrai qu’un chef d’orchestre non français conduisait ! — Merveilleuse exécution aussi de la symphonie en la de Beethoven. Il est convenu que Beethoven n’est pas encore démodé. Cela viendra. Mais je doute que des œuvres telles que le Roi Lear (poème symphonique de M. F. Weingartner) soient de nature à le faire oublier complètement. C’était sans doute un grand soulagement pour nous que d’assister à un concert où Wagner n’apparaissait pas. Mais je ne sais pas trop si je ne préférerais pas le maître de Bayreuth à ses disciples. Les leit-motive de Wagner font, après tout, certaine figure, et Wagner a, par momant, de superbes envolées. On peut détester son système et reconnaître ses grands côtés. Mais les leit-motive de M. Weingartner expliqués dans la notice thématique ! Je vous défie d’en trouver un qui ait une signification quelconque et puisse s’imposer à l’oreille de l’auditeur le plus exercé. Ce poème musical est long, diffus, obscur et désagréable. Que M. Weingartner se contente d’être le très remarquable chef d’orchestre que nous avons applaudi, ou qu’il nous donne des œuvres plus claires, plus personnelles et d’un meilleur style, fût-il classique. H. BARBEDETTE.

Le Ménestrel 3/4/1898, p. 109: M. Félix Weingartner, le chef d’orchestre qui vient de quitter Berlin, a accepté un engagement comme chef d’orchestre des concerts Kaim, à Munich. M. Weingartner a signé pour dix ans.

Le Ménestrel 22/5/1898, p. 164: L’exécution du dernier Concert-Wagner, de Queen’s-Hall laissait passablement à désirer : les instruments n’étaient pas toujours d’accord, il y a eu de fréquents accrocs et des erreurs dans l’adoption des mouvements. Mais qu’importe ! il s’agissait surtout de présenter au public de Londres le fameux kapellmeister Félix Weingartner, de faire admirer sa prodigieuse mémoire (il dirige tout par cœur), sa jolie tournure et l’élasticité de son avant-bras. L’ouverture du Carnaval romain, de Berlioz, a été rendue avec beaucoup de verve et d’esprit là où il en fallait, mais dans la phrase lente en la b [?] le sentiment était absent.

Le Ménestrel 6/11/1898, p. 359: M. Félix Weingartner a inauguré, avec le plus vif succès, ses concerts symphoniques à la Société Kaim de Munich. Il a élu domicile dans la capitale bavaroise, mais la quitte souvent pour conduire les concerts de la chapelle royale de Berlin, dont il a pris également la direction. Voilà le « virtuose de la baguette » moderne qui est constamment en voyage, comme ses congénères du chant ou de l’instrument.

1899

Le Ménestrel 12/2/1899, p. 53: M. Weingartner dirigeait l’orchestre. Très sensitif, d’une nature pour ainsi dire électrique, il a su communiquer l’impulsion à ses musiciens avec une absolue instantanéité. L’ouverture d’Alceste, vieillie de forme, a conservé son caractère pathétique. La symphonie en mi bémol de Mozart exigeait un autre style : d’abord une rigidité de mesure sans laquelle ce genre vif et gracieux, svelte même, s’empâte et devient languissant, puis une exécution colorée et changeante, on oserait dire : étincelante de joie. Le fragment de Roméo et Juliette : Tristesse de Roméo, Fête chez Capulet, a été réglé avec un tact sûr et une rare intelligence. Ici, l’idée musicale est combattue par le programme littéraire qui, l’empêchant de prendre un essor complet, dérobe à l’oreille la satisfaction qu’elle attend. M. Weingartner a su se rendre maître de cette difficulté presque invincible avec un art admirable. Jusqu’au bout il a tenu l’auditoire captivé, haletant. Les ovations ne finissaient plus. Mais pourquoi n’avoir pas conservé au début de la Scène d’amour son caractère de Rêverie nocturne. Que l’on étudie les indications de Berlioz et ses métronomisations, il sera facile de comprendre que la musique doit exprimer d’abord le calme et la sérénité d’une belle nuit et qu’elle revient sur cette impression en répétant la même mélodie, même après la première étreinte des amants, parce que leur amour est d’abord pur et contemplatif et ne se passionne qu’ensuite. D’ailleurs l’interprétation a été superbe à partir de cet endroit, et la perfeclion ne s’est pas démentie jusqu’à la fin. Dans le prélude de Parsifal, à l’entrée du motif de la foi, M. Weingartner a eu de beaux mouvements de main gauche pour indiquer les dégradations de sonorité des cuivres. Plus tard, quand le même thème apparaît transformé exprimant un sentiment de ferveur intense, alors le chef d’orchestre a pris des attitudes de pontife qui bénit. Ces moyens, discrètement employés, peuvent ajouter quelque chose à l’impression d’ensemble. L’ouverture de Tannhäuser, très habilement graduée, a sonné triomphalement le départ. Ne serait-il pas temps de la remplacer par une autre ? A. BOUTAREL.

Le Ménestrel 19/2/1899, p. 60: L’orchestre était dirigé par M. Félix Weingartner que le public parisien avait déjà pu apprécier l’année dernière. C’est un nerveux, un agité : il a des mérites incontestables, mais sa manière de conduire fait un contraste absolu avec la manière de M. Lamoureux, si sobre de gestes et néanmoins chef d’orchestre impeccable. L’ouverture d’Euryanthe, de Weber, est un de ces chefs-d’œuvre sur lesquels il n’y a plus à revenir : elle a été remarquablement exécutée. Les « Poèmes symphoniques » de Liszt sont parmi ses plus belles inspirations. On les joue rarement dans nos grands concerts, et l’on a tort. J’aime médiocrement sa musique de piano, qui est pure virtuosité ; mais dans sa musique d’orchestre il y a beaucoup à admirer, notamment le Tasse (Lamentations et Triomphe), bien écrit et d’un effet considérable. Qui ne connaît l’Invitation à la Valse de Weber, cette inspiration charmante, faite de grâce légère, de simplicité, de clarté et de tendresse ? Qui se douterait que, de cette œuvre aérienne, on put faire un morceau à grand orchestre avec points d’orgue, contre-sujets, auxquels Weber n’avait jamais songé, finale à la Wagner ? Cette transcription a été pour moi un sujet de stupéfaction ! Notre grand Rerlioz en avait fait une; mais combien discrète, respectueuse des intentions du maître, conforme à sa pensée ! Celle-là était un vrai chef-d’œuvre. Après nous avoir montré Weber accommodé à sa façon, M. Weingartner s’est montré lui-même dans un poème symphonique qu’il intitule le Séjour des bienheureux. On entend de drôle de musique au paradis, et malgré la petite notice explicative de l’auteur, je persiste à craindre qu’en voulant donner un avant-goût de la musique paradisiaque, il ne nous ait donné, par erreur, celle du Purgatoire. Le concert se terminait par une remarquable interprétation de la syrnphonie en ut mineur de Beethoven. Le succès de M. Weingartner a été très grand, et le public lui a fait une réelle ovation. H. BARBEDETTE.

1900

Le Ménestrel 21/1/1900, p. 22: — M. Weingartner, le célèbre chef d’orchestre, qui fait une tournée artistique avec l’orchestre Kaim, de Munich, s’est affaissé, à Mayence, pendant qu’il dirigeait un concert et a dû être porté hors de la salle; on a rendu l’argent au public consterné. M. Weingartner, qui faisait jouer son orchestre tous les soirs dans une ville différente, s’était surmené par ce travail et par les fatigues d’un voyage incessant en plein hiver. Il aura besoin de quelque temps de repos.

Le Ménestrel 8/4/1900, p. 109:  M. Félix Weingartner est surtout remarquable, comme chef d’orchestre, par la rapidité de transmission de la pensée. Chez lui, l’âme et le geste ne font qu’un. Une pareille instantanéité se fait sentir immédiatement sur l’esprit du spectateur, qui s’étonne de trouver les phrases musicales plus parlantes, les notes plus palpitantes, l’ensemble organique plus vivant. On comprend que l’artiste doué d’un sens musical aussi prompt à s’émouvoir, ne laissera jamais ses bras s’étendre à droite et à gauche comme les ailes d’un moulin à vent, ce qui leur donnerait l’air de recevoir l’impulsion du dehors pour la communiquer au cerveau, alors que c’est le contraire qui doit justement se produire. Non, ses mouvements, toujours sobres, ne semblent jamais s’écarter de ce que nous pouvons appeler la sphère d’attraction de l’âme ; ils sont nets, précis, ondoyants, ne se multiplient pas au delà du nécessaire, ainsi qu’on a pu le remarquer dans l’ouverture d’Obéron, qui a été bissée et recommencée immédiatement. Et, dans les passages d’élégance et de charme, ces mouvements se font onctueux et délicats, arrondissent leurs contours. Alors, il semble que la sonorité elle-même change et se transforme, tant l’art de l’orchestre a de nuances fugitives pour exprimer toutes choses et donner l’illusion d’une variété de moyens dont il est loin de disposer. Les ouvertures d’Iphigénie en Aulide, de la Flûte enchantée et les deux fragments de Wagner : Prélude et Mort d’Isolde, nous ont suggéré ces réflexions. Quant à la Symphonie héroïque de Beethoven, elle a passé comme un rêve de grandeur, imposant et splendide. Le sublime ne se raisonne pas toujours facilement. Nous pouvons remarquer toutefois que bien des variations, à peine saisissables dans la vitesse ou dans la lenteur, ajoutent à l’ensemble une vitalité vraiment extraordinaire. On doit constater que Beethoven, lorsque nulle trahison, nulle maladresse n’altèrent ses œuvres, projette une ombre immense sur tout ce qui l’environne, et cette ombre ne s’efface pas, plutôt paraît s’étendre après chaque audition vraiment digne de son génie. A. BOUTAREL.

Le Ménestrel 22/4/1900, p. 125-6: La Société Richard Wagner, de Berlin, vient de donner son dernier concert de la saison sous la direction de M. Richard Strauss et a exécuté l’ouverture de Rob Roy, de Berlioz, écrite en 1832 et qui n’avait jamais été jouée en Allemagne. C’est l’édition monumentale des œuvres de Berlioz, que MM. Charles Malherbe et Félix Weingartner publient actuellement, qui a rendu possible l’exécution dont nous parlons et qui a vivement intéressé le public berlinois.

1901

Le Ménestrel 24/2/1901, p. 61: — M. Félix Weingartner pousse aussi loin qu’on peut l’imaginer la virtuosité orchestrale ; sous le rapport de la technique, il est parmi les trois ou quatre artistes de l’Allemagne tout à fait incomparables dans la branche de l’art qu’ils ont adoptée, branche très différente de celle où ont excellé, où excellent encore les chefs formés à l’école des Richter et des Hermann Levi, ces admirables initiateurs wagnériens moins jaloux des succès personnels qu’on ne l’est généralement aujourd’hui. Ses interprétations le dépeignent entièrement ; c’est un sensitif de la musique. Toutes ses impressions d’âme lui viennent par son entremise, et si parfois il se laisse bercer par elle dans une mimique dont le caractère peut-être excentrique, dans tous les cas exceptionnel, n’exclut ni la grâce ni l’élégance, plus souvent il lui commande en maître, lui impose violemment sa loi et la tient sous sa domination passionnée et frémissante. Là est le côté sublime et génial d’une exécution musicale ainsi présentée ; là aussi en est le danger, si le sceptre tombe en des mains inhabiles. Ce n’a pas été le cas pour M. Weingartner. Bien qu’il ait atteint, dans l’ouverture de Léonore, la limite extrême de ce qu’on pouvait oser comme véhémence, comme vélocité et comme puissance d’entraînement, aucune confusion n’a troublé dans son orageuse harmonie l’orchestre déchaîné. Il a montré que son audacieux chef n’avait pas eu tort de compter sur sa solidité, sur son ardeur et sur son aplomb rythmique. La salle était électrisée ; elle a rappelé à deux reprises le jeune directeur, qui associait à son succès son admirable phalange instrumentale. Il fallait applaudir à outrance parce que c’était plein d’élan, et que l’élan et la foi, l’enthousiasme, sont ici-bas parmi les choses les plus rares et les plus précieuses ; venant après ces ovations triomphantes, dont Beethoven a eu sa part, la plus large au fond, la symphonie en ut majeur de Schubert n’a pu maintenir l’assistance au même diapason. L’œuvre est pourtant d’une exubérance inouïe ; le maître a jeté là ses richesses avec une prodigalité merveilleuse, mais les thèmes principaux du premier morceau et de l’andante sont ou de peu de valeur, ou d’un goût vieilli. Le scherzo, par contre, est ravissant ; c’est la poésie champêtre dans sa simplicité, une églogue. On est délicieusement impressionné par le trio en la majeur, chef-d’œuvre en seize mesures, dont Louis Ehlert a pu dire : « C’est si ensoleillé, si chaud et d’une sève si plantureuse que l’on croit respirer, vers l’heure de midi, le parfum des jeunes sapins élevant leurs jeunes pousses au milieu de la forêt. » Le finale a beaucoup d’allure, de force et de brio ; M. Weingartner l’a mis en relief avec une conviction ardente et chaleureuse, mais on aurait voulu de lui un ouvrage d’un autre caractère, par exemple une vaste composition de Berlioz, de Raff ou de Liszt, afin que sa fantaisie pût se donner carrière dans une forme d’art plus originale que celle de la symphonie de Schubert. Le programme comprenait encore l’ouverture de la Flûte enchantée et le concerto en mineur de Haendel, pour deux violons, violoncelle et instruments à cordes. A. BOUTAREL.

Le Ménestrel 3/3/1901, p. 68: Tandis que M. Chevillard, à la tête de l’orchestre Kaim récoltait des lauriers à Munich, le chef ordinaire de cet orchestre, M. Félix Weingartner, a dirigé avec un vif succès deux concerts à la salle de la rue Blanche. Le programme du dernier de ces concerts était particulièrement intéressant. Berlioz marchait à la tête, Wagner le clôturait, et entre ces deux prophètes d’un art nouveau M. Weingartner avait placé une symphonie inédite de sa façon. Nous devons à cet artiste, qui rédige avec notre collaborateur et ami Charles Malherbe 1’« édition monumentale » des œuvres de Berlioz, le plaisir d’avoir entendu cette ouverture de Rob Roy, qui n’a été exécutée à Paris qu’une seule fois, en 1833, comme « envoi de Rome ». L’ouverture avait déplu au public du Conservatoire de cette époque, ce qui ne nous surprend guère, et Berlioz en avait détruit le matériel d’orchestre confié à Habeneck. Heureusement, la partition autographe en fut conservée, et M. Malherbe l’a tirée de la Bibliothèque du Conservatoire pour la publier. Si l’ouverture de Rob-Roy ne porte pas encore la griffe du lion, on peut y découvrir tout de même une patte de lionceau. Presque tous les effets d’orchestre qui distinguent les partitions postérieures du maître s’y trouvent en germe, quoique souvent étouffés sous des formules vieillies ; une mélodie d’un romantisme délicieux, exposée par le cor anglais et accompagnée par les harpes, nous sourit au passage, car elle nous est devenue familière par Harold en Italie, où elle était destinée à l’alto enchanteur de Paganini. L’ouverture n’a eu d’ailleurs qu’un « succès d’estime » ; à l’heure qu’il est elle arrive trop tard, comme elle arrivait trop tôt en 1833. Mais Berlioz a eu sa revanche dans ce concert même avec l’ouverture de Benvunuto Cellini, que M. Weingartner a ciselée d’une manière prodigieuse et qui a été couverte d’applaudissements interminables. […] Avec une coquetterie bien pardonnable chez un virtuose de la baguette, M. Weingartner a fait jouer trois œuvres de Richard Wagner absolument disparates. […] M. Weingartner a rendu pleinement justice à ces trois morceaux ; l’ampleur, la souplesse et la verve de sa direction furent vraiment étonnantes. — La deuxième symphonie, en mi bémol majeur, que M. Weingartner a fait entendre pour la première fois, nous paraît supérieure à la première qu’il a fait exécuter autrefois. […] Comme compositeur, M. Weingartner a triomphé presque autant que comme chef d’orchestre; c’est tout dire. O. BERGGRUEN.

Le Ménestrel 24/11/1901, p. 374: La génération présente a-t-elle oublié l’Invitation à la valse au point de ne plus savoir que ce gracieux rondo se termine par le retour du mouvement lent qui lui sert d’introduction ? On aurait pu le croire dimanche dernier, en voyant une partie de l’assistance gagner bruyamment les couloirs tandis qu’il restait encore deux bonnes minutes de musique à entendre. M. Weingartner a voulu rajeunir par une orchestration nouvelle ce petit ouvrage de Weber. Il était dans son droit. Malheureusement, il a cru devoir, sous prétexte d’exposer les vrais principes d’une adaptation orchestrale, entreprendre un plaidoyer pro domuncula, et, en quarante lignes écrites d’une plume légère que n’ont dirigée ni un tact exquis, ni une modestie ingénue, essayer de démolir à son profit la maison du voisin. En pensant à l’orchestration de Berlioz, si respectueuse et si discrète, on se rappelle involontairement le mot de Schumann : « Peut-être le génie est-il seul à comprendre entièrement le génie. » M.Weingartner a travesti le gentil chef-d’œuvre et en a fait un papillotage de sons et de traits où il n’y a plus ni âme, ni sincérité. Quand l’auteur dirige lui-même, cela éblouit au premier abord, mais on en revient très vite. La juxtaposition des deux thèmes est du plus triste effet. Le programme nous dit que cette fantaisie baroque, sorte d’anachronisme musical, se justifie par « l’élargissement occasionnel de la réunion de thèmes entiers qui se produit à la fin ». Comprenne qui pourra ce pathos. M. Chevillard n’a pas eu la main assez délicate pour sauver cette étrange version de Weber […] A. BOUTAREL.

Le Ménestrel 1/12/1901, p. 381: […] Le concert a clôturé par la transcription de l’Invitation à la Valse de Weber, que M. Weingartner a tenté d’orchestrer après Berlioz et qu il a accompagnée d’un véritable plaidoyer qui ne nous a pas convaincu : nous ne voyons pas l’utilité de cette « transposition d’art », comme disait Théophile Gauthier. Le pastel délicat de Weber ne gagne vraiment pas à être dénaturé par la pléthore de couleurs orchestrales dont on a gonflé ses contours ; quelques petits changements au dessin original paraissent également fort sujets à caution. Le romantisme délicieux de l’auteur du Freischütz est remplacé là par une maestria regrettable de virtuose ; c’est le plus clair résultat de cette transposition. L’honnête et puérile impartialité nous oblige cependant à constater que le tripatouillage de M. Weingartner a beaucoup plu à la grande majorité du public. O. BERGGRUEN.

1902

Le Ménestrel 9/3/1902, p. 77: — Concerts Lamoureux. — Festival Berlioz, dirigé par M. Félix Weingartner. — Deux symphonies : Harold en Italie et la Symphonie fantastique, voilà tout le programme ; il a été hautement intéressant. Berlioz aimait à rapprocher ainsi ses deux grands ouvrages purement symphoniques. En effet, ils se complètent l’un l’autre, et présentent pour ainsi dire l’autobiographie musicale et psychologique du plus poète et du plus littéraire des compositeurs. A propos de Berlioz, des lieux communs se répètent, inspirés par une vieille antienne de Scudo : « Berlioz ne sait pas la musique; son écriture est incohérente, jamais ses basses ne sont exactement celles qu’il faudrait, ses harmonies sont incohérentes... » Et pourquoi donc alors, toutes les fois que les œuvres de Berlioz sont exécutées avec l’équilibre sonore, le sentiment et le coloris qu’elles comportent, l’effet en est-il irrésistible ? Voyez la Marche au supplice bissée dimanche dernier, la Marche des pèlerins redemandée avec insistance et non recommencée. On répond que Berlioz était un génie et que les défauts de son écriture disparaissent devant la puissance du rendu. D’accord, mais alors à quoi bon tant parler des défauts ? il suffit de dire à l’élève de ne pas les imiter. Ne vaut-il pas mieux s’en tenir à l’opinion de Schumann, qui disait, à propos de la transition violente du ton de bémol à celui de sol et de beaucoup d’autres passages : « Essayez seulement de corriger cela, vous verrez qu’il y faut renoncer ; cela ne peut pas être autrement. » Et le même Schumann, avec l’intuition du génie, disait, en analysant un passage de la Scène aux champs, « Beethoven n’aurait pas mieux fait ». On peut caractériser ainsi les deux symphonies de Berlioz : Harold, c’est Berlioz exprimant par des effusions musicales ses impressions d’Italie; la Fantastique, c’est Berlioz introduisant dans une sorte d’hallucination musicale superbe les rêves, les visions, les cauchemars de son imagination troublée par l’amour. M. Weingartner est le plus électrique de tous les chefs d’orchestre; il a su donner une vie intense aux deux ouvrages. Il sait par cœur l’un et l’autre, mais il ne se passe de partition que pour la Fantastique. Il a rendu avec des colorations exquises la Marche des pèlerins et a su donner une cohésion magnifique à l’Orgie de brigands, morceau particulièrement difficile. Le solo d’alto a été rendu avec un véritable sentiment poétique et un son ample et pénétrant par M. Hermann Ritter. L’altiste et le chef d’orchestre ont été acclamés. A. BOUTAREL.

Le Ménestrel 31/8/1902, p. 278: — M. Félix Weingartner va provoquer une tempête formidable dans le clan de Bayreuth. Il vient de publier un article dans lequel il se prononce contre toute loi d’exception en faveur de Parsifal et déclare que cette œuvre ne doit pas être plus protégée que toute autre œuvre artistique. Finalement il cite le fameux mot de Goethe au sujet de Faust: « Mon œuvre appartient au monde; qu’il en fasse ce qu’il voudra ». Il est d’ailleurs peu probable que la législation allemande revienne sur sa récente loi réglant les droits d’auteur.

1903

    Voir Un document autographe de Felix Weingartner, avec citations du Ménestrel du 23/8/1903 (p. 272) et du 4/10/1903 (p. 316-17).

Le Ménestrel 15/2/1903, p. 54: — Concerts Lamoureux. — M. Félix Weingartner, un des plus célèbres virtuoses de la baguette d’outre-Rhin, a dirigé en représentation le dernier concert. Les amateurs parisiens, même ceux de la génération grisonnante, doivent à cette visite la connaissance du Mazeppa de Liszt, une des œuvres les plus significatives de la musique dite à programme. Ici, c’est tout simplement le fameux poème pour lequel l’auteur des Orientales s’est servi d’une vieille légende des Petits-Russiens, connue déjà bien avant les exploits de l’école romantique. Ce sujet avait hanté Liszt dès son enfance. Dès 1826, le jeune virtuose avait publié à Marseille un morceau intitulé Mazeppa parmi ses douze Études pour piano, op. 1. Le même morceau, singulièrement agrandi et agrémenté de difficultés presque inouïes pour l’époque, figure sous le même titre, parmi les douze Études d’exécution transcendante publiées par Liszt en 1837. En 1850 enfin l’artiste a repris cette légende pour son poème symphonique. Le musicien s’est tenu assez fidèlement aux indications du poème de Victor Hugo, à partir de la strophe commençant par les mots : « Un cri part... » que la partition traduit par un coup de cymbale. Nous suivons ensuite Mazeppa, représenté par un thème vigoureux, dans sa terrible chevauchée à travers les steppes désolées de l’Ukraine. Au cours de cette longue route, les spécimens de musique descriptive deviennent nombreux et quelquefois très caractéristiques, notamment sur les paroles :

Hélas! voici déjà qu’aux cavales ardentes
Qui le suivaient, dressant leurs crinières pendantes,
Succèdent les corbeaux...

Un dessin en triolets pour les seconds violons et les altos avec l’indication col legno a ici suffi au musicien pour imiter si bien le battement d’ailes des grands oiseaux qu’à la première exécution de Mazeppa à Weimar, en 1854, le public regardait involontairement en l’air, croyant que quelques hiboux s’étaient égarés dans la salle. Le musicien ne quitte le poète qu’aux ultimes paroles :

Un jour, des vieux hetmans il ceindra la pelisse
Et quand il passera, ces peuples de tente
Prosternés, enverront la fanfare éclatante
Bondir autour de lui !...

Le musicien y a trouvé un prétexte excellent pour illustrer, par une superbe marche de couronnement, l’apothéose de son héros sauvé par les Cosaques ; rien ne manque à la fête, surtout les rythmes, l’harmonie et les couleurs d’orchestre empreintes d’un caractère slave non méconnaissable. Liszt se rendit tellement compte de l’effet produit par cette marche qu’il a, dans une note de la partition, fait remarquer qu’on pouvait l’exécuter seule, sans s’occuper du reste de la partition. Nous sommes aujourd’hui blasés sur les effets hardis et ingénieux qu’on peut tirer de l’orchestre, mais en 1850 personne, en dehors de Berlioz, n’avait encore risqué une orchestration aussi touffue et aussi criarde, et on comprend facilement la stupéfaction qu’elle produisit, en 1856, dans le Leipzig de Mendelssolm. Mazeppa reste néanmoins une œuvre vivante, et intéressante, même en dehors de son importance historique, et le succès de cette nouveauté mi-séculaire a été considérable. L’exécution étincelaute y a naturellement contribué pour une large part. — Moins heureux a été le sort d’une autre œuvre orchestrale, également inconnue de la grande majorité de l’auditoire : la Fantaisie symphonique de M. Chevillard. Peu d’idées, peu de cohésion et beaucoup de facture ; un échantillon supérieur de ce que les Allemands nomment non sans ironie une « musique de chef d’orchestre ». Grâce à la baguette magique de M. Weingartner, cette faible composition a porté beau et a obtenu un accueil assez favorable, souligné d’une démonstration du public contre quelques sifflets odieux partis d’un coin de la galerie. — Constatons encore le triomphe mérité que la Symphonie pastorale et l’ouverture des Maîtres Chanteurs ont valu à M. Weingartner. C’était plus qu’une reproduction idéale ; on y avait comme la sensation d’un esprit créateur soufflant à travers les feuilles figées des partitions. Dans le chef-d’œuvre de Wagner nous avons surtout admiré la puissance avec laquelle M. Weingartner obtient un rendement merveilleux des masses orchestrales : chaque musicien donne le maximum d’effort dont il est capable et l’orchestre arrive ainsi à un fortissimo vraiment phénoménal. M. Weingartner a été acclamé et l’orchestre a dû se lever tout entier. — Ce triomphe fut en quelque sorte une compensation au succès modeste réservé au compositeur qu’est aussi M. Weingartner. Il nous a fait entendre trois mélodies sur des paroles de deux poètes autrichiens, ses compatriotes. Deux de ces lieder, intitulés Sous la neige et l’Ange et l’Enfant, ne sont qu’une déclamation assez monotone, empreinte de cette mélancolie incolore qui tombe sur les paroles comme une froide pluie d’automne ; une petite explosion de sentiment vers la fin du premier lied n’atteint pas à l’effet cherché. Le second lied a cependant un peu plus de relief et semble même un moment se rapprocher du genre de la cantate, mais c’est pour retomber bientôt dans la note grise initiale et finir dans l’indifférence du public. La dernière mélodie, le Dieu des rêves, est plus vivante : on y trouve quelques jolies tentatives de dessins mélodiques, et vers la fin arrive même un élan dramatique. Grâce à l’excellente interprétation de Mme Jeanne Raunay, ces lieder ont obtenu un petit succès d’estime, tandis que l’interprète intelligente et dévouée a été personnellement et justement fêtée par l’assistance. O BERGGRUEN.

Le Ménestrel 13/9/1903, p. 294: — On annonce qu’une fête musicale qui durera quatre jours sera donnée à Mayence, au printemps de 1904, par le Kaim-Orchester de Munich, qui aura dix ans d’existence le 14 octobre prochain. Ce serait M. Félix Weingartner qui dirigerait l’orchestre. La première soirée serait consacrée à Berlioz, la seconde à Schumann, Mendelssohn et Brahms, la troisième à. Schubert et Weber, la quatrième à Beethoven.

Le Ménestrel 1/11/1903, p. 351: — On prépare aussi à Munich l’exécution de deux ouvrages de Berlioz. La Grande messe des Morts sera donnée dans la salle de l’Odéon ; les quatre orchestres supplémentaires d’instruments à vent seront disposés selon les indications de la partition ; il y aura un chœur immense et aucun instrument ne sera supprimé. D’autre part, Benvenuto Cellini, qui n’a pas été joué à Munich depuis 1889, va être remis en scène, et l’on assure que rien ne sera négligé pour faire ressortir le coloris si éclatant de l’œuvre.

Le Ménestrel 8/11/1903, p. 359: — Le 12 novembre, en l’honneur du centenaire de Berlioz, on donnera à Londres la première audition de Cléopâtre, scène dramatique pour soprano et orchestre. Cette œuvre, composée en 1829, inédite et ignorée jusqu’à ce jour, fut une des cantates écrites par le maître, lorsqu’il concourut pour le prix de Rome. — Mlle Palasara a été engagée pour faire cette création. L’orchestre, de cent musiciens, sera dirigé par Félix Weingartner.

Le Ménestrel 15/11/1903, p. 367: — Un lecteur du Ménestrel nous écrit pour nous demander comment M. Weingartner a pu se procurer la partition de la cantate de Berlioz, Cléopâtre, pour soprano et orchestre, qu’il a dû faire exécuter à Londres, comme nous l’avons annoncé, le 12 novembre, dans un concert donné à la mémoire du maître. Le fait demande peut-être quelques explications. Berlioz avait concouru à l’Institut en 1828 et avait obtenu le premier second grand prix de Rome avec une cantate de Vieillard intitulée Herminie. L’année suivante, 1829, il « rata » son premier prix avec une cantate du même poète, Cléopâtre, bien que ce premier prix ne fût pas décerné cette année, deux seconds seulement ayant été attribués, l’un à Eugène Prévost, le frère de l’aimable cantatrice de ce nom, l’autre à Montfort. Ce n’est qu’en 1830, on le sait, que Berlioz enleva son prix avec Sardanapale, cantate de Gail. Or, la partition de Cléopâtre, comme toutes celles des concours de Rome, se trouve à la bibliothèque du Conservatoire, et M. Weingartner la connaît bien, ainsi que notre excellent ami Charles Malherbe, puisque tous deux ont eu à s’en occuper pour la superbe édition des œuvres complètes de Berlioz qu’ils dirigent de concert et dont la maison Breitkopf et Härtel, de Leipzig, termine en ce moment la publication par son dernier volume. Voici comment M. Weingartner a pu la faire exécuter jeudi dernier à Londres. A propos de cette édition des œuvres de Berlioz, faisons remarquer que si elle peut se faire en ce moment à Leipzig quand il n’en saurait être de même en France, c’est que la propriété artistique s’éteint en Allemagne trente ans seulement après la mort de l’auteur, tandis qu’en France les œuvres ne tombent dans le domaine public qu’après cinquante ans révolus. Voilà comment l’Allemagne peut rendre aujourd’hui à Berlioz un hommage qui lui est encore interdit dans sa patrie.

Le Ménestrel 22/11/1903, p. 374: — Le journal de Londres the Times, rendant compte du concert en l’honneur de Berlioz, dirigé le 12 novembre à Queen’s Hall par M. Weingartner, apprécie ainsi la Mort de Cléopâtre dont le Ménestrel a parlé dimanche dernier : « La chose la plus intéressante au point de vue historique a été la scène la Mort de Cléopàtre, écrite en 1829, et qui ne fut jamais exécutée en public avant hier soir. Ce morceau avait été un essai ambitieux pour gagner le prix de Rome, et, eu égard au caractère extraordinairement moderne des progressions qui s’y rencontrent, à la nouveauté des idées, au caractère dramatique spontané de la conception où rien de conventionnel n’est admis, on n’est pas étonné que les juges du concours aient rejeté l’ouvrage et on doit leur pardonner d’avoir méconnu le génie de Berlioz, alors que Beethoven était mort depuis deux ans seulement. Ce qui est spécialement nouveau, c’est le passage dans lequel est représenté le mouvement de l’aspic qui rampe et se glisse, puis les dernières paroles entrecoupées de la reine qui sont notées avec un réalisme curieux et avec la plus belle expression musicale. »

Le Ménestrel 27/12/1903, p. 413: Il semble que tous les théâtres musicaux, toutes les sociétés chorales, tous les orchestres symphoniques, aient voulu se distinguer en Allemagne par la célébration de quelque fête en l’honneur de Berlioz. A Leipzig, on a donné la Prise de Troie. Nous renonçons à citer le nom de toutes les villes qui ont repris Benvenuto Cellini ; dans le nombre il y a Dresde, Munich, Metz. Brunswick, Fribourg-en-Brisgau, Strasbourg... La Damnation de Faust a été mise en scène notamment à Cologne et à Mayence. Quant aux exécutions de ce dernier ouvrage et de Roméo et Juliette en entier ou par fragments, elles ont été, sont encore innombrables à l’heure qu’il est. On ne peut songer a énumérer les auditions d’œuvres symphoniques. Il faut cependant faire exception pour les interprétations en différentes villes, et particulièrement à Munich, d’Harold en Italie et de la Symphonie fantastique dans un même concert, sous la direction de M. Félix Weingartner. Le célèbre chef d’orchestre avait eu un grand succès à Paris en produisant ces ouvrages dans les mêmes conditions aux concerts Lamoureux, le 2 mars 1902. Il faut citer encore l’interprétation de l’Enfance du Christ à Ratisbonne. Nous ne parlons pas du Requiem ; depuis plusieurs mois, il parait avoir été la composition favorite des grandes sociétés chorales, et les auditions toutes récentes de Munich et de Francfort ne sont qu’une sorte d’écho des précédentes. Les mélodies du maître n’ont pas été oubliées : plusieurs artistes les ont chantées, tantôt seules, tantôt en les associant à celles de Liszt et de Wagner dans une même soirée. Mme Johanna Dietz, par exemple, a fait entendre à Munich le cycle des Nuits d’été. Enfin il n’y a plus aucune trace de cette hostilité presque haineuse qui survivait en Allemagne, il y a une dizaine d’années, et que l’on appelait là-bas avec ironie : l’Anti-Berlioz-Tic.

1904

Le Ménestrel 17/7/1904, p. 229: — Les journaux de Berlin nous apprennent que M. Félix Weingartner s’est engagé à faire, l’hiver prochain, une tournée de concerts en Amérique. Il dirigera en février l’orchestre de la Société philharmonique de New-York et se rendra ensuite à Philadelphie, à Chicago et à Boston. La durée de l’engagement est de six semaines.

Le Ménestrel 20/11/1904, p. 374: — Voici la série intéressante des douze programmes que M. Weingartner compte exécuter, cet hiver, aux concerts Kaim, de Munich: [...] 7. CONCERT SHAKESPEARE: Hamlet (Liszt); Le Roi Lear (Weingartner); Macbeth (Richard Strauss); trois fragments de Roméo et Juliette (H. Berlioz). —

Le Ménestrel 27/11/1904, p. 382: — Lundi dernier [19 novembre 1904], dans la salle Kaim, à Munich, M. Félix Weingartner a dirigé un concert dont le programme ne comprenait que des œuvres françaises. On a entendu la symphonie en si bémol de M. Vincent d’Indy, le concerto pour violon de M. Jacques Dalcroze, exécuté par M. Henri Marteau, la première suite sur l’Arlésienne de Bizet, enfin la Marche troyenne, extraite de la Prise de Troie de Berlioz.

1905

Le Ménestrel 23/4/1905, p. 135: — M. Weingartner, le fameux chef d’orchestre, qui partageait avec M. Roab la direction des concerts de l’orchestre Kaim, à Munich, vient de résigner ces fonctions. M. Weingartner, obligé, par un traité antérieur, de conserver pendant quelques années la direction des concerts de l’Opéra de Berlin, abandonne sa tâche à Munich pour se livrer sans réserve à la composition. C’est une perte sensible pour la métropole musicale de l’Allemagne du Sud, où la vie artistique est si active et si intense. On espère pourtant que l’éminent chef d’orchestre, qui ne cessera pas d’habiter Munich, consentira, au moins accidentellement, à reparaître parfois à la tête de la belle phalange sonore qu’il a si souvent conduite à la victoire.

Le Ménestrel 7/5/1905, p. 149: Festival Beethoven en quatre concerts. Salle du Nouveau-Théâtre. — Le premier concert a eu lieu vendredi dernier. M. Félix Weingartner a dirigé les trois premières symphonies de Beethoven exécutées par l’orchestre Colonne. « Trois symphonies en une seule séance, disait-il pendant une répétition, cela équivaut, pour beaucoup de personnes, à trois heures de musique ». L’interprétation des trois symphonies a duré deux heures quatre minutes exactement et n’a lassé l’attention de personne. M. Weingartner ne fait pas de Beethoven un « classique » froid et sans vibration. Il laisse se dégager de ses œuvres avec plénitude le flux étincelant de vie intense et chaleureuse, de passions et de rêves qui constitue sa personnalité tout humaine, telle du moins qu’elle peut nous apparaître et se révéler à nous par ses ouvrages. Beethoven a senti, aimé, souffert comme les meilleurs d’entre nous. Il nous attire et nous retient avec une puissance souveraine, précisément parce qu’il a exprimé en son langage les sentiments qui sont en nous. « Je suis d’une nature électrique, a-t-il dit, voilà pourquoi ma musique est belle. » La sensibilité, le charme, la délicatesse, la grâce, la grandeur, la force, la volubilité entraînante, le coloris homogène et harmonieux, toute l’électricité de la vie en un mot, c’est là ce que M. Weingartner a mis en relief dans les symphonies qu’il vient de faire interpréter. La première s’est épanouie au milieu d’imprévus délicieux. L’exécution de la seconde a été remarquable par le bel équilibre de ses sonorités, par l’expression pure de ses phrases si chantantes. L’Héroïque a produit la plus saisissante impression. Avec elle, nous entrons dans le domaine où Beethoven a été entièrement lui-même. L’assistance a prodigué ses acclamations à M. Weingartner et à l’orchestre Colonne, qui a joué ces œuvres avec une beauté de son, une intensité d’expression, une précision et un sens poétique vraiment supérieurs. AMÉDÉE BOUTAREL.

Le Ménestrel 14/5/1905, p. 157: — Festival Beethoven en quatre concerts, sous la direction de M. Félix Weingartner. — Les trois derniers concerts ont eu lieu au Nouveau-Théâtre, dimanche 7 mai, et mercredi et vendredi de la semaine dernière. L’Orchestre Colonne a pu accomplir la tâche ardue de transformer, en dix jours à peine, sa manière habituelle, excellente d’ailleurs, d’interpréter les neuf symphonies, et il est arrivé à une finesse d’exécution vraiment admirable et à une puissance d’entraînement extraordinaire. Ce n’était pas chose facile, car M. Weingartner ne reconnaît pas l’autorité des traditions quand il interprète Beethoven; il assure avec la plus étonnante habileté technique et avec une célérité prestigieuse ce qui constitue la base du travail pour les artistes ; et, si vous lui demandez quels seront ses mouvements, il vous répondra qu’il n’en sait rien lui-même, que peut-être il en donnera demain d’autres que ceux qu’il a marqués aujourd’hui, que cela dépendra de l’impression du moment. Tout est spontanéité, ardeur intérieure, rythmique fulgurante chez M. Weingartner. Dans la Pastorale, il évite tout ce qui pourrait altérer le caractère d’absolue simplicité qu’il veut conserver à cette œuvre unique en son genre. L’entrée du final a été délicieuse. Le mouvement un peu alangui et la suave sonorité ont produit la plus douce impression de calme, après le foudroyant orage. L’allegretto dé la symphonie en la et le scherzando de celle en fa ont fait sensation : l’orchestre s’y est montré d’une exquise délicatesse. Il a rendu avec perfection, dans des mouvements excessivement rapides, les deux scherzi de la septième et de la neuvième symphonie, dont l’adagio a été chanté comme un poème surhumain, et suivi du finale, sans aucune interruption. Les premiers morceaux de la cinquième (ut mineur) et de la neuvième sont parmi les œuvres dont l’interprétation de M. Weingartner est particulièrement émotionnante dans deux genres distincts. Mais une chose curieuse et très significative pour qui veut se rendre compte du développement du génie de Beethoven, c’est le crescendo formé par les derniers mouvements des symphonies en ut mineur, en la et de la Neuvième, avec chœurs. On dirait que de la lave en fusion coule dans ces morceaux. Le final de la septième n’est plus une « apothéose de la danse » c’est une véritable fête dionysiaque, c’est la « folie de vivre » dans sa plus frénétique expansion. Il a fallu le final de la neuvième pour dépasser en puissance un pareil effet. Les chœurs ont chanté avec une verve, un entrain bien rares : ils méritent de grands éloges. Les solistes, Mme de Noce, Mme Tilly Koenen, M. Lafïitte et M. Jean Sol ont soutenu avec distinction la tâche difficile qui leur incombait. Mme Tilly Koenen a fort bien chanté l’air Ah! Perfido. M. Lucien Capet a interprété le concerto pour violon et M. Edouard Risler le quatrième, pour piano. M. Weingartner a été rappelé cinq et six fois par un public plein d’enthousiasme, après chacun des trois derniers concerts. AMÉDÉE BOUTAREL.

Le Ménestrel 23/7/1905, p. 239: — Voici le programme du festival de Sheffield qui doit avoir lieu du 4 au 6 octobre prochain : le Messie (Haendel); Fly, Envious Time, chœur (Nicholas Gatty); le Paradis et la Péri (Schumann); Symphonie en mi bémol (Félix Weingartner). Ces œuvres seront exécutées le premier jour. On donnera le lendemain Messe en si mineur (Bach); Nénie, cantate (Brahms); Fritjof, légende Scandinave. (Max Bruch); Ode au vent du Nord-Est, première audition (Frédéric Oliffe). Le troisième jour, on entendra: Requiem (Mozart); deux œuvres nouvelles pour chœur à huit voix et orchestre (Félix Weingartner); Symphonie héroïque (Beethoven); la Damnation de Faust (Berlioz). C’est M. Félix Weingartner qui dirigera l’orchestre et M. Henry Coward qui fera répéter les chœurs, au nombre de trois cents voix.

1906

Le Ménestrel 18/3/1906, p. 85: — De son côté, M. Félix Weingartner annonce qu’il abandonnera définitivement à la fin de la saison présente la direction des concerts symphoniques de la chapelle royale de Berlin. Il désire prendre quelque repos et se consacrer à peu près exclusivement à des travaux de composition. Comme successeurs possibles de M. Weingartner, on a cité déjà MM. Muck et R. Strauss.

Le Ménestrel 8/4/1906, p. 108: — Indiquons les grandes lignes du beau programme organisé par M. Gabriel Astruc pour le Festival Beethoven-Berlioz, sous le patronage de la Société des Grandes auditions musicales de France. Le Festival sera divisé en six journées, ainsi réparties:
1re JOURNÉE. — Châtelet, 20 avril (3 heures). — Beethoven: Symphonies Pastorale et Héroïque, ouverture de Coriolan.
2e JOURNÉE. — Châtelet, 23 avril (3 heures). — Berlioz: Ouvertures du Carnaval Romain et de Benvenuto Cellini, air de Cassandre (Mlle Bréval), Symphonie fantastique.
3e JOURNÉE. — Châtelet, 25 avril (3 heures). — Beethoven: Symphonies en la et en ut mineur, Concerto de piano en sol (M. Auguste Pierrel).
4e JOURNÉE. — Châtelet, 27 avril (3 heures). — Beethoven: Ouvertures de Léonore I, II et III, 8e Symphonie, Concerto de violon (M. Georges Enesco).
5e JOURNÉE. — Opéra, 29 avril (3 heures). — Berlioz: La Damnation de Faust (Mlle Lucienne Bréval, MM. Van Dyck, Delmas et Nivette).
6e JOURNÉE. — Opéra, ler mai (9 heures du soir). — Beethoven: Ouverture d’Egmont, Fantaisie Chorale, 9e Symphonie (Mlle Alice Verlet, MM. Affre et Gresse).
Orchestre des Concerts-Lamoureux, et pour les deux concerts de l’Opéra, chœurs de l’Oratoriuin Vereeniging d’Amsterdam. Au total: 550 exécutants, sous la direction de M. Félix Weingartner.

Le Ménestrel 29/4/1906. p. 129-30: FESTIVAL BEETHOVEN-BERLIOZ. — Au sortir du deuxième concert, exclusivement consacré à Berlioz, une dame distinguée, intelligente et artiste par l’orientation de sa vie, la seule peut-être de qui je n’aurais jamais attendu pareille observation, me disait, à propos des sons de cloche du sabbat de la Fantastique : « N’est-ce-pas que ce serait mieux de remplacer les cloches par un piano ? » J’ai ajourné la réponse ; la voici telle que je l’avais sur les lèvres : « Certainement les deux sons de cloche, do, sol, produiraient un effet plus musical si on les obtenait en frappant les touches d’un piano, mais il ne s’agit pas ici de musique pure ; Berlioz décrit un affreux cauchemar, il prend à tâche de nous entraîner dans son infernal tourbillon ; le suivons-nous, ne le suivons-nous pas ? tout est là. A-t-il tort d’ailleurs, a-t-il raison dans son esthétique musicale ou extra-musicale ; c’est un point que je n’examine pas en ce moment ; je constate seulement que l’auditrice, qui éprouve un regret, n’a pas été saisie par l’idée de Berlioz, dans cette circonstance n’a pas compris le sens de l’œuvre ». Un Hongrois disait à Berlioz après une audition de la marche hongroise : « Vous, Français révolutionnaire ! Français savoir faire la musique des-révolutions ! ». Berlioz ne se souciait pas de politique ; il se borna toujours à donner le branle aux révolutions musicales. M. Félix Weingartner est un des rares chefs d’orchestre qui savent entrer dans les intentions de Berlioz ; on a bissé au conoert de lundi dernier la Marche au Supplice qu’il avait dirigée d’une façon impressionnante, pathétique... Nul ne sait cependant quelle sensation produirait ce morceau, si l’on osait y mettre un peu moins de « tenue » et si ‘l’on employait le nombre de trompettes indiqué dans la partition, même un peu plus, car Berlioz composa sa Symphonie Fantastique en vue de la petite salle du Conservatoire. La scène aux champs, pittoresque et passionnée tour à tour, ne pouvait être mieux ressortie dans son coloris transparent et son admirable équilibre de sonorités. C’est le sentiment de la nature associé à celui des souffrances humaines, beau comme un fragment de Guillaume Tell, comme un paysage des Alpes. Il est inutile de parler de l’exécution des deux ouvertures de Benvenuto Cellini et du Carnaval romain ; on peut dire en empruntant à Berlioz une épithète imagée, qu’elles ont été jouées d’une façon « foudroyante » ; le tonnerre des applaudissements ne finissait pas. M. Weingartner, qui a pris l’initiative, avec notre confrère M. Charles Malherbe, de publier en Allemagne l’édition complète des œuvres de Berlioz a voulu faire entendre à Paris une composition restée jusqu’ici entièrement inconnue en France, Cléopâtre. C’est la cantate que Berlioz écrivit en 1829, lorsqu’il se présenta pour la quatrième fois au concours de l’Institut (prix de Rome). Elle n’obtint pas l’assentiment du jury qui, cette année-là, n’envoya aucun artiste musicien à la Villa Médicis ; mais Berlioz la jugeait plus favorablement, car il en a détaché un morceau, Chœur d’ombres, qu’il a introduit dans son monodrame Lélio, et de plus, on reconnaît facilement une phrase de Cléopâtre dans le duo de Benvenuto Cellini ; elle est chantée sur les paroles : Il faut m’oublier, m’oublier pour la vie. Cette phrase se retrouve encore dans l’andante de l’ouverture du Carnaval romain. Il est inexact que Cléopâtre n’ait pas été exécutée depuis 1829, ainsi qu’on l’a dit. L’ouvrage a été chanté à Londres, au Queen’s Hall, le 12 novembre 1903, avec Mlle Palasara dans le personnage de Cléopâtre, avec un orchestre de cent musiciens. M. Félix Weintgartner, qui dirigeait cet orchestre, a donné aussi Cléopâtre à l’un de ses concerts de l’Opéra de Berlin, le 8 mars 1904, dans une séance consacrée entièrement au maître français, en commémoration du jour anniversaire de sa mort. Naturellement Cléopâtre est une curiosité bien plutôt qu’un chef-d’œuvre ; mais la musique du Chœur d’ombres reste encore aujourd’hui très saisissante, et le grand air mesuré, qu’a chanté Mlle Lucienne Bréval, ne manque certainement ni d’expression, ni même parfois de charme mélodique, de noblesse et d’invention. — […] A. BOUTAREL.

Le Ménestrel 6/5/1906, p. 13: — Les deux dernières séances ont eu lieu à l’Opéra. Dans la Damnation de Faust, M. Plamondon, remplaçant M. Van Dyck, a chanté le rôle de ténor, y compris l’ut dièze du duo, avec beaucoup de style, de sensibilité, d’expression. Sa voix ravissante a fait merveille dans les passages de charme et de délicatesse. Mlle Bréval, MM. Delmas et Nivette, ont brillamment tenu les autres rôles. Les chœurs de l’Oratorium Vereeniging d’Amsterdam (400 choristes), ne trouvent à s’employer d’une façon réellement utile que pour le Chant de pâques et surtout pour l’Apothéose finale (1). La Damnation de Faust, « Légende dramatique », aurait été sans doute un opéra si Berlioz avait pu obtenir un théâtre pour la jouer. Elle a été un peu refroidie dans son essor mouvementé, dans ses tableaux d’action et dans son exubérance de vie, par un ensemble choral dont la majestueuse ampleur s’opposait à ce qu’il pût donner l’impression de vivacité chatoyante, de mobilité prestigieuse, de véhémence, d’imprévu, d’entrain, d’affolement même que Berlioz, interprète de Goethe, a su produire en cent endroits de sa partition. M. Weingartner, comprenant bien la difficulté, n’a pas hésité à modifier l’allure de l’œuvre selon les conditions d’exécution qu’il ne pouvait changer. De là, cette tendance à magnifier le caractère et le style de l’ouvrage et à faire de la Légende dramatique une sorte d’oratorio. Avec le chœur d’Amsterdam, l’Apothéose, préparée par la voix touchante de la jeune fille qui a chanté le nom « Margarita », ne pouvait manquer de faire sensation. Les voix, d’une extrême justesse et d’une suave sonorité, ont rendu cette page d’un calme céleste et d’un sentiment ému, d’une manière aussi parfaite que vraiment pénétrante. — A. BOUTAREL.

(1) La disposition de cette masse d’exécutants sur la scène de l’Opéra n’était pas excellente. De grandes déperditions de sonorité se produisaient dans les frises et dans les coulisses, surtout par-dessus deux praticables établis pour la Damnation. En outre, l’orchestre était placé trop haut, et un rideau artificiel, portant un cordon d’éclairage qui jetait sa lumière sur les choristes des bancs élevés, tombait trop bas et arrêtait le son.

Le Ménestrel 16/9/1906, p. 290: — Les Concerts symphoniques de la chapelle royale de Berlin auront lieu dans la salle de l’Opéra sous la direction de M. Félix Weingartner dont la démission n’a pas été acceptée. Il y aura dix séances, à partir du 18 octobre prochain jusqu’au 30 mars 1907.

1907

Le Ménestrel 24/8/1907, p. 270: On vient d’annoncer officiellement à Vienne la nomination de M. Félix Weingartner en remplacement de M. Gustave Mahler à la direction de l’Opéra. A la fin de juin dernier, lorsque les négociations avec M. Félix Mottl prirent fin, on chercha un artiste ayant toute liberté d’action et l’on crut 1’avoir trouvé en M. Weingartner, puisqu’il ne demandait qu’à quitter son poste de directeur des concerts symphoniques de Berlin, le seul qu’il eût conservé. Mais M. Weingartner était libre à la fois et ne l’était pas. En abandonnant sa position de directeur de l’Opéra-Royal de Berlin, il n’y a pas encore bien longtemps, il s’était engagé à n’accepter de fonctions analogues dans aucune ville européenne. Une entente entre les deux cours de Vienne et de Berlin a supprimé cet obstacle et l’on dit maintenant que depuis deux mois l’intendance de Vienne et M. Weingartner sont d’accord. C’est en janvier 1908 que le nouveau directeur entrera en fonctions. On peut remarquer que le 1er novembre prochain, c’est du moins ce que dit un journal allemand, M. Mahler d’après le décompte de ses années de service, aura droit à une pension de seize mille couronnes. Quant au successeur de M. Weingartner à la tête des concerts symphoniques de Berlin, on pense que ce sera M. Léo Blech qui est déjà l’un des chefs d’orchestre de l’Opéra-Royal.

Le Ménestrel 23/11/1907, p. 374: — M. Félix Weingartner, le nouveau directeur de l’Opéra de la Cour à Vienne, est arrivé depuis trois jours et assiste à toutes les représentations de l’Opéra, afin de faire plus ample connaissance avec le personnel artistique qu’il va avoir à diriger. « Je suis obligé, a-t-il déclaré à un interviewer, de ne parler qu’avec prudence de mes projets, ne sachant pas encore si je pourrai les mener à bonne fin et ne voulant pas qu’on dise plus tard que je n’ai pas tenu ce que j’avais promis. Le premier opéra que je dirigerai sera Fidelio. J’éprouve comme un besoin artistique de débuter devant les Viennois avec cet opéra qui est né à Vienne. Dans le courant de cette saison je monterai certainement encore Tiefland, le nouvel opéra de M. Eugène d’Albert, et, si le temps ne me fait pas défaut, une œuvre de Berlioz : Benvenuto Cellini ou les Troyens. Mon activité de kapellmeister sera reléguée au second plan, car je me considère avant tout comme directeur de l’Opéra de la Cour ».

1908

Le Ménestrel 27/6/1908, p. 205:  On savait déjà que M. Weingartner avait résolu de pratiquer certaines coupures dans la partition très touffue de la Walkyrie, et il en avait donné publiquement les raisons. Mais il paraît que les wagnériens de Vienne sont irréductibles dans leur admiration pour le maître, et qu’ils considèrent toute atteinte à son œuvre comme une monstrueuse profanation. Or, l’autre soir, on donnait la Walkyrie à l’Opéra de Vienne ; les fanatiques s’étaient donné rendez-vous, et à peine M. Weingartner fit-il son apparition qu’il fut accueilli par une bordée dé sifflets accompagnés de huées formidables. Mais d’autres spectateurs, qui ne partageaient pas sans doute cette intransigeance, s’élevèrent contre les siffleurs, et il en résulta un effroyable tapage, auquel M. Weingartner coupa court en donnant à l’orchestre le signal de l’attaque, la puissance bien connue de celui-ci étouffant par elle-mème tout autre bruit. Le premier acte, où précisément des coupures avaient été opérées, put donc se poursuivre jusqu’à la fin sans encombre. Mais au second, le tapage et les violences recommencèrent, et de telle sorte qu’enfin la police dut intervenir, pour permettre aux spectateurs paisibles d’entendre tranquillement l’œuvre pour laquelle ils avaient payé leur place. Il fallut, manu militari, expulser de la salle les amateurs du Wagner intégral, parmi lesquels se trouvaient un chef de musique, un professeur de philosophie et trois étudiants en philosophie, qui semblaient en manquer un peu trop dans la circonstance. On assure pourtant que les émeutiers ne désarmèrent pas complètement, et qu’à la fin du spectacle et hors du théâtre ils firent entendre des cris et des sifflets. — La musique de Wagner adoucit les mœurs !

Le Ménestrel 11/7/1908, p. 222: — De Vienne : La Société wagnérienne de Gratz ayant publiquement critiqué M. Félix von Weingartner, à propos des coupures qu’il a pratiquées dans la Valkyrie, le directeur de l’Opéra de la Cour vient de répondre par une lettre ouverte, dont voici les passages essentiels :
Il eût peut-être été indiqué, avant de prendre la parole publiquement et d’une façon un peu hâtive, de se mettre eu rapport avec moi, à qui les plus acharnés adversaires n’ont jamais reproché jusqu’à présent de la légèreté en matière d’art. Je vous aurais, dans le cas, volontiers exposé ce qui m’a incité à faire des coupures. Je vous aurais appris, entre autres, que jamais l’idée ne me viendrait de faire des coupures dans les très longs Maîtres Chanteurs et dans le tout aussi long Tristan, sans y être forcé par des circonstances extérieures, comme l’indisposition d’un chanteur, par exemple. Peut-être vous aurais-je convaincu ainsi que je ne mesure pas la valeur de Wagner avec une montre.
Je vous aurais dit aussi que trente années de théâtre et de pratique ont établi entre les œuvres de Wagner et moi une intimité que même les Sociétés wagnériennes ne me contesteront pas et qui a fait naître en moi la conviction que maintes parties des Nibelungen, du Tannhäuser et même du « court » Vaisseau Fantôme, sont trop longues, non pas en ce qui concerne la durée de l’exécution, mais au point de vue organique, de la nécessité dramatique et de l’unité de style.
Je considère que pratiquer des coupures bien comprises en de pareils endroits est un devoir artistique qui ne peut être qu’éminemment profitable à la jouissance esthétique, à la compréhension et à l’assimilation.
Habitué, depuis longtemps, à poursuivre, autant que la possibilité m’en est donnée, la réalisation de toute chose dont je puis assumer la responsabilité vis-à-vis de moi-même, pas plus atteint d’ivresse autoritaire que de suffisance béate qui se croit, Dieu sait, quelle importance, je vous déclare que je pratiquerai les coupures qui me paraîtront nécessaires dans plusieurs œuvres de Wagner, sans me laisser le moins du monde troubler par les protestations, quelles qu’elles soient.
Permettez-moi d’ajouter à cette déclaration que je considère les termes « Wagner » et « wagnérien » comme deux conceptions diamétralement opposées. Je vénère Wagner à tel point que je dois avoir l’honneur de me dire un anti-wagnérien littéralement enthousiaste.
Agréez, etc.

Félix Weingartner.
Bad-Kreuth, 28 juin 1908.

1909

Le Ménestrel 22/5/1909, p. 165: […] M. von Weingartner, directeur de l’Opéra de la Cour de Vienne, par exemple, est d’avis que Bayreuth est le seul cadre qui convienne à la dernière œuvre de Wagner. « En assistant, a-t-il déclaré, à une représentation de Parsifal au Metropolitan-Opera de New-York, j’ai eu la sensation d’assister à une grand’messe qu’on dirait dans un salon au lieu de la dire à l’église. » Au surplus, M. von Weingartner est d’avis qu’on devrait prendre exemple sur la France et proroger de trente à cinquante ans la protection des droits des auteurs et compositeurs.

Le Ménestrel 19/6/1909, p. 198: — La Société philharmonique de Vienne vient d’élire le chef d’orchestre qui dirigera ses concerts pendant la saison prochaine. Le choix s’est porté sur M. Félix Weingartner à la presque unanimité des membres du comité: 98 voix sur 104 votants.

Le Ménestrel 30/10/1909, p. 349: Un accident à l’Opéra de Vienne. Le 23 octobre dernier, pendant une répétition en costumes des Maîtres Chanteurs, une colonne qui soutenait tout un ensemble de décors, tomba et ensevelit sous une quantité de matériaux, le directeur, M. Félix Weingartner, et le chanteur, M. Erich Schmedes. Ce dernier en a été quitte pour la peur, mais M. Weingartner souffrira plus longtemps de l’accident; il a une double fracture du tibia.

Le Ménestrel 4/12/1909, p. 389: On annonce que M. Félix Weingartner est heureusement remis de l’accident dont il avait été victime à l’Opéra de Vienne, et qui l’avait obligé à un repos absolu durant quelques semaines. Il a dirigé le second concert de la Société philharmonique.

1910

Le Ménestrel 30/7/1910. p. 245: — La crise de l’Opéra de Vienne. Sur le rapport du prince Montenuovo, l’empereur François-Joseph vient d’accepter la démission de M. Félix Weingartner comme directeur de l’Opéra de Vienne. Malgré tous les démentis, M. Félix Mottl est toujours le candidat désigné pour le poste devenu vacant. On parle même d’une combinaison provisoire d’après laquelle la marche courante des services de l’Opéra de Vienne serait assurée par le secrétaire du théâtre, M. de Wymetal, chargé de la partie artistique (mise en scène, décors, etc.), et par M. B. Walter, Kapellmeister chargé de la partie musicale. Cela permettrait de constituer un intérim et d’attendre ainsi que M. Félix Mottl ait pu se libérer honorablement des engagements qu’il a contractés avec l’Intendance des théâtres royaux de Munich. On avait parlé aussi d’une gérance organisée avec la participation prépondérante de M. Wilhelm Bopp, directeur de l’Académie de musique de Vienne, mais M. Bopp a déclaré qu’il n’entrerait pas dans une combinaison de ce genre, ne voulant pas échanger sa situation actuelle contre une direction d’opéra inconsistante et sans durée. Les choses en sont là; mais, parmi les candidats désignés dès la première heure, il est à remarquer qu’il y eut M. Joseph Sucher, le mari de la célèbre cantatrice Rosa Sucher. Or, ce M. Joseph Sucher est mort en avril 1908.

Le Ménestrel 22/10/1910, p. 341: — D’après des renseignements venus de Vienne, l’administration supérieure des théâtres de la Cour serait désireuse d’en finir avec la situation tendue que l’on continue d’appeler depuis plusieurs mois la crise de l’Opéra. Un nouveau traité a été communiqué à M. Félix Weingartner, dans lequel est rayée la clause qui permettait à l’Intendance de dénoncer chaque année le contrat. On pense que M. Weingartner renoncera de son côté à la faculté qu’il avait eue jusqu’ici de signifier son intention de se retirer à la fin de chaque saison théâtrale. Ainsi l’état actuel des choses, que beaucoup de personnes voulaient considérer comme précaire, deviendrait définitif pour longtemps.

Le Ménestrel 29/10/1910, p. 349-50:
— A l’Opéra de Vienne la crise se rouvre sans bruit et paraît toucher à sa fin. Nous lisons dans les Dernières nouvelles de Munich les lignes suivantes, envoyées par un correspondant de Vienne : « Comme je viens de l’apprendre d’une source absolument sûre, la crise de l’Opéra de la Cour a trouvé sa solution dans le plus grand secret. M. Weingartner s’en va, et l’on n’attend même pas pour dénouer la situation le 31 décembre, époque où il pouvait demander son congé. L’intendance lui a donné connaissance qu’elle a en vue un changement de direction qui interviendrait au cours de la saison commencée. Là-dessus, M. Weingartner a demandé que son successeur fut nommé le plus promptement possible, et l’on pense que le changement effectif se ferait au plus tard à la fin de mars. M. Weingartner a été surpris par la détermination de l’autorité supérieure tout autant que ses amis de Vienne l’ont été d’en apprendre la nouvelle. » Le correspondant viennois s’étend longuement ensuite sur les conditions dans lesquelles serait nommé le nouveau directeur de l’Opéra, et dit que, le prince de Montenuovo étant absent en ce moment, le nom de la personnalité choisie sera connu peut-être dès son retour, c’est-à-dire au commencement de novembre. Le changement de direction impliquerait aussi une modification complète dans le système employé jusqu’ici. Le directeur nouveau cesserait d’être le premier kapellmeister du théâtre et n’aurait plus que des fonctions extra-musicales. Il s’occuperait de la mise en scène au point de vue artistique, du choix des spectacles et de la haute direction de l’ensemble. Quant à M. Weingartner, il donnerait suite aux intentions qu’il a depuis longtemps manifestées de continuer exclusivement sa double carrière de chef d’orchestre et de compositeur. Il écrirait principalement des lieder nouveaux et les ferait chanter dans les concerts symphoniques qu’il a l’intention de donner en Europe et en Amérique. Ce sont là les dernières informations; rien ne les faisait prévoir. Quoi qu’il en soit, peut-être ne faudrait-il pas s’étonner outre mesure si une nouvelle volte-face venait à se produire.
DERNIÈRE HEURE. — C’est chose faite. M. Félix Weingartner abandonnera la direction de l’Opéra de Vienne à la fin de mars 1911. Son successeur, nommé pour dix ans d’après les conventions ratifiées télégraphiquement, est M. Hans Gregor, le directeur de l’Opéra-Comique de Berlin. Bien des fois nous avons eu à parler de M. Hans Gregor et des qualités qu’il montre depuis plusieurs années déjà dans la direction de son théâtre, où la sûreté de son goût, son activité, sa clairvoyance et sa belle initiative ont été reconnus et appréciés du public. On peut compter qu’à Vienne M. Hans Gregor restera, comme à Berlin, toujours à la hauteur de la situation exceptionnelle qui lui a été offerte.

1911

Le Ménestrel 4/3/1911, p. 69:
— Samedi dernier [25 février], M. Félix Weingartner a pris congé du public viennois en dirigeant à l’Opéra une représentation de Benvenuto Cellini, de Berlioz. Il était question depuis quelques jours d’une nouvelle situation offerte à l’éminent chef d’orchestre par M. Hans Löwenfeld, le nouveau directeur du Théâtre-Municipal de Hambourg. Après des pourparlers très rapidement menés, les difficultés provenant du contrat de trois années entre la Philharmonie de Vienne et M. Weingartner ayant été aplanies, celui-ci vient d’accepter à des conditions très avantageuses le titre de premier directeur musical et conseiller artistique à l’Opéra de Hambourg. Des congés suffisants seront accordés à M. Weingartner pour qu’il puisse remplir ses obligations vis-à-vis de la Philharmonie de Vienne.
— Le procès Hülsen-Weingartner, dont les causes premières remontent à quelques années déjà, vient de finir par une transaction devant le tribunal de Berlin. M. Hülsen avait dit que M. Weingartner n’avait pas rempli tous ses engagements relatifs à la direction des concerts de la chapelle royale, au moment où il avait quitté Berlin. M. Weingartner répondit que ses honoraires n’avaient pas été payés à l’échéance. L’affaire s’était envenimée pendant le séjour de M. Weingartner à Vienne, et après plusieurs délais est venue devant la justice seulement la semaine dernière. On comprend que les adversaires avaient fini par se comprendre et qu’il ne s’agissait que d’en finir, en ménageant l’amour-propre de chacune des parties. Des explications conciliantes ont été échangées et M. Weingartner a payé les frais de l’instance.

Le Ménestrel 8/4/1911, p. 109: — M. Félix Weingartner a été reçu en audience par l’empereur d’Autriche pour prendre congé. François-Joseph a dit à l’artiste qu’il n’avait pu, à son grand regret, le voir au pupitre de chef d’orchestre qu’une seule fois, le jour du jubilé de la Philharmonie, mais que cette séance était restée inoubliable en sa mémoire. L’empereur a manifesté sa grande satisfaction que M. Weingartner ait pu rester directeur de la Philharmonie. D’après les Dernières nouvelles de Munich, M. Weingartner a quitté Vienne et va s’installer à Barcelone, en Espagne, où il restera jusqu’au moment où son engagement au Stadttheater de Hambourg lui fera une obligation de résider dans cette ville. Il travaille à la composition de son opéra légendaire, Un Royaume, sur des paroles de M. Charles Schönherr, poète de tendances avancées dont les drames le Solstice d’été et Foi et Patrie ont été joués avec succès au Burgtheater de Vienne.

Le Ménestrel 6/5/1911, p. 141: Festival Beethoven. — Le premier des quatre concerts consacrés à Beethoven que dirige au Châtelet M. Félix Weingarlner a eu lieu mardi. Le programme comprenait les trois premières symphonies. D’un geste sobre et d’une netteté remarquable, non dénué de froideur, mais d’une harmonieuse ligne donnant tout à la fois une impression de fermeté et de puissance contenues, le célèbre chef d’orchestre allemand sut donner un relief saisissant et parfois inattendu aux géniales productions de son aîné. M. Weingarther nous apporte-t-il la vraie tradition beethovénienne? Il serait imprudent de l’affirmer, et lui-même ne l’oserait pas, lorsqu’on songe aux variations que subit une œuvre musicale dans un quart de siècle seulement. Là, comme partout, le temps a fait son œuvre. D’ailleurs, nos orchestres modernes, renforcés de plus du double du côté des cordes, alors que les bois sont restés les mêmes, suffiraient à rompre l’équilibre sonore cherché par l’auteur. Sans qu’il y ait en ceci la moindre critique, constatons que M. Weingartner comprend Beethoven d’une manière qui lui est propre, qui correspond à sa nature, ce en quoi il a parfaitement raison, et qu’il traduit sa conception personnelle avec une remarquable maîtrise. Si les premiers mouvements, les scherzi et les finales des symphonies sont sensiblement analogues comme interprétation générale à ceux que nous avons coutume d’entendre chez nous, les andantes sont plus rapides, plus variés, la pensée s’humanise, devient plus ardente, mais plane moins haut et perd en noblesse ce qu’elle gagne en passion. La 2e idée, en ut majeur, de la marche funèbre dans la Symphonie Héroïque m’a surpris par son mouvement rapide. C’est bien toujours une admirable prière, mais qui se fait pressante, et n’est plus l’acte de foi, d’espérance inébranlable que Beethoven met en antagonisme avec le morne désespoir du thème initial. On a fêté comme il convenait le brillant kapellmeister et l’orchestre Colonne qui, en dépit de quelques flottements dans l’Héroïque, se montra digne du chef éminent qui le dirigeait. J. JEMAIN.

Le Ménestrel 13/5/1911, p. 148: Aux 2e et 3e soirées du festival Beethoven-Weingartner, l’exécution des symphonies 4, 5, 6 et 7 ne nous a rien révélé de particulièrement neuf: les mouvements et l’expression générale sont bien ceux que nous sommes accoutumés d’observer chez nous. Toutefois, pour la symphonie en ut mineur (n° 5), j’ai noté pour le premier « temps » un mouvement calme, presque lent, qui ne laisse pas que d’étonner tout d’abord. Mais on s’y fait vite, et l’on s’aperçoit bientôt que le rythme ainsi alourdi acquiert une surprenante vigueur et évoque avec une singulière précision « l’implacable destin qui frappe à la porte ». On sait les controverses qu’a provoquées ce dessin rythmique du début de la 5e symphonie, sol, sol, sol, mi. Les uns le veulent ralenti, le mouvement vrai ne s’établissant qu’après le second point d’orgue; d’autres le prennent en élargissant les trois notes répétées, ce qui est manifestement un contre-sens; d’autres enfin « vont en mesure », mais une allure rapide rend ces « coups avertisseurs » trop précipités, et ils perdent alors toute signification. La solution suggérée par M. Weingartner à ce difficile problème est ingénieuse: c’est tout le morceau qu’il prend et maintient inflexiblement à une allure élargie et lourde. L’effet est saisissant. — Au 2e programme figurait M. Emil Sauer, qui a interprété avec une puissance sonore rare, une technique impeccable, un style sobre et pur, le concerto en mi bémol pour piano. Son succès a été triomphal. — A la 3e soirée, ce fut le tour de M. Enesco qui, dans le concerto pour violon qu’il traduisit avec une émotion fervente, se vit longuement acclamé. J. JEMAIN.

Le Ménestrel 20/5/1911, p. 156: La quatrième soirée du Festival Beethoven-Weingartner comprenait les huitième et neuvième symphonies. La maîtrise de l’éminent chef d’orchestre s’est affirmée superbement dans la symphouie avec chœurs, dont le scherzo fut étincelant de verve et d’esprit; le premier mouvement, dans son inflexibilité rythmique, est aussi apparu empreint d’un caractère fatidique impressionnant. L’orchestre s’y montra d’une exactitude et d’une homogénéité parfaites. Les parties chorales furent satisfaisantes, autant que le permet leur écriture tendue et malaisée. Il convient de signaler l’ensemble des chœurs, composés des phalanges habituelles des Concerts-Colonne auxquelles s’adjoignaient l’Ecole de Chant choral de M. d’Estournelles de Constant, dont l’appoint est particulièrement précieux par la qualité des voix et la discipline parfaite qui les régit. Les solistes, Mmes Alice Verlet, Croiza, MM. Plamondon et Martini ont eu leur légitime part de succès. Un concert supplémentaire a été donné deux jours plus tard; les cinquième et neuvième symphonies en formaient le programme. J. JEMAIN.

1912

Le Ménestrel 27/4/1912, p. 136: — Les Festivals Weingartner sont commencés au Trocadéro. Hier vendredi, c’était le Requiem de Berlioz. Demain dimanche ce sera le Messie de Haendel et mardi la Messe solennelle de Beethoven. Rappelons que l’orchestre est celui des Concerts-Colonne et que les choristes sont ceux si réputés de Leeds.
[Note: pas de compte-rendu de ces concerts dans le Ménestrel]

1913

Le Ménestrel 15/3/1913, p. 87: 
— Au théâtre des Champs-Elysées. M. Gabriel Astruc retient les dates suivantes pour les galas d’inauguration du théâtre des Champs-Elysées :
Lundi soir, 31 mars : Répétition générale de Benvenuto Cellini, d’Hector Berlioz.
Mardi soir, 1er avril : répétition générale du Freischütz, de Weber (traduction G. Servières).
Mercredi soir, 2 avril : concert inaugural consacré à la musique française, avec le concours de MM. G. Saint-Saëns, Gabriel Fauré, Vincent d’Indy, Claude Debussy, Paul Dukas qui conduiront leurs œuvres et de M. D.-E. Inghelbrecht.
Jeudi 3, première représentation de Benvenuto Cellini, pour l’ouverture du grand abonnement, et débuts d’Anna Pavlova dans le Cygne de Saint-Saëns.
Vendredi 4, première du Freischütz.
Dimanche 6 avril, première soirée du Festival Beethoven.
Les 31 mars, 1er, 3, 4 et 6 avril, M. Félix Weingartner dirigera l’orchestre.

Le Ménestrel 12/4/1913, p. 117: — Théâtre des Champs-Elysées. — Festival Beethoven (1er concert). — Point n’est besoin d’entrer dans de nombreux détails à propos de ce festival, et l’on ne saurait rien ajouter à l’ampleur d’une publicité qui se prodigue depuis de longues semaines. Il suffit, pour être édifié à cet égard, d’ouvrir la brochure de plus de cinquante pages qui s’intitule modestement programme. Ni le texte, ni les illustrations n’y font défaut. M. Gabriel Astruc et quantité d’autres grands hommes y figurent en effigies accompagnées de commentaires dont la modestie ne constitue peut-être pas la plus évidente qualité. Personne ne manque à cette galerie de portraits désormais historiques, et même on y voit celui de Beethoven ! Rendons-lui cette justice qu’il est d’un format inférieur à celui de la plupart des autres. Il y a là sans doute une intention symbolique ! — M. Félix Weingartner est trop connu du public parisien pour qu’il soit utile d’insister sur ses rares qualités. Dès l’instant que, pour diriger, en une nouvelle salle française, des œuvres de Berlioz, de Weber et de Beethoven, il fallait inéluctablement la baguette d’un chef d’orchestre allemand, « comme si nous n’en avions pas en France », ainsi que le disait si justement M. Arthur Pougin, dans son compte rendu de Benvenuto Cellini, nul choix ne pouvait être meilleur que celui de M. Weingartner. La désignation de l’ouverture pour la « Consécration de la maison » était dictée, je pense, par des raisons de circonstance. Ne nous y arrêtons donc point. La Symphonie héroïque mit en évidence les caractères principaux de l’art de M. Weingartner : précision, intelligence, impeccabilité. Néanmoins je ne puis m’empêcher de songer à la tragique émotion, à la chaleur profonde que communique à son orchestre M. Camille Chevillard lorsqu’il préside à l’exécution de cette symphonie. Ah ! si seulement M. Chevillard était allemand ! Mais quoi, la perfection n’est pas de ce monde ! Il va de soi que la vaillante cantatrice qu’est Mme Lili Lehmann fut, elle aussi, l’objet d’un enthousiaste accueil. Elle connut l’ivresse du bis, cette marque infaillible d’une bouillante admiration. Cette admiration put d’ailleurs s’abreuver aux sources jaillissant du fameux programme : celui-ci nous apprend en effet que « ce qui explique et justifie la renommée de M. Weingartner, c’est son esprit philosophique disposant des connaissances les plus variées, son érudition intelligente sans cesse éprise d’analogie (?), et ne se laissant jamais distraire dans l’interprétation des maîtres, de cette idée d’ensemble et d’harmonie, qu’un goût fin, délicat, nourri d’études et d’expérience, imprime aux natures élevées ». — M. Weingartner, si pénétré des idées de clarté et de mesure, a dû bien souffrir en lisant ce galimatias ! René BRANCOUR.

Le Ménestrel 26/4/1913, p. 133: — Il y aura, le 1er [2 juin] juin prochain, cinquante ans que M. Félix Weingartner est né à Zara, en Dalmatie. A cette occasion, une plaque commëmorative sera placée dans cette ville en l’honneur du célèbre chef d’orchestre.

Le Ménestrel 17/5/1913, p. 158: — Voici le programme des concerts organisés à Berlin pour célébrer le cinquantième anniversaire de la naissance de M. Félix Weingartner à Zara, en Dalmatie [2 juin 1863]. Première soirée: le Séjour des Bienheureux, poème symphonique d’après le tableau de Boecklin, concerto pour violon, mélodies avec orchestre, et Ouverture joyeuse, par M. Félix Weingartner. Deuxième soirée: ouverture de Benvenuto Cellini, de Berlioz, Siegfried-Idyll, de Wagner, et Symphonie avec chœurs, de Beethoven. La seconde séance sera suivie d’un banquet. Ces concerts, qui conservent un caractère privé pour les motifs que nous avons fait connaître, auront lieu au commencement de juin dans la grande salle du jardin zoologique de Berlin.

Le Ménestrel 24/5/1913. p. 165: — M. Félix Weingartner a fait connaître par lettre au comte Hülsen-Haseler qu’il a l’intention de donner l’année prochaine des concerts à Berlin et qu’il prévient dès à présent l’Intendance générale des théâtres royaux afin qu’elle puisse, si elle le juge à propos, prendre des mesures pour s’opposer à ces concerts sans attendre la dernière heure. Il fait valoir que le paragraphe 226 du « Berliner Gesetz Buch » dispose que personne n’est fondé à entraver quelqu’un dans l’exercice de ses droits, s’il n’a d’autre but en agissant ainsi que de causer un dommage. Il ajoute qu’en effet, les concerts qu’il veut donner à Berlin ne peuvent en aucune façon contrarier les prérogatives de l’Intendance qui, par suite, ne saurait les interdire sans contrevenir aux dispositions du paragraphe 226. M. Weingartner rappelle aussi que l’Intendance a reconnu qu’il avait agi de bonne foi et sans intention de rompre le contrat bilatéral conclu autrefois. Il en tire cette conséquence, qu’elle n’a plus aucun motif pour exercer des rigueurs contre lui et pour l’empêcher de poursuivre à Berlin sa carrière artistique de chef d’orchestre.

Le Ménestrel 20/12/1913, p. 406: — Le procès intenté par M. Weingartner contre le comte Hülsen-Haseler, intendant des théâtres royaux de Berlin, qui, depuis plusieurs années, a passé par les phases les plus variées, vient de prendre fin. M. Félix Weingartner a retiré sa plainte.

1914

Le Ménestrel 5/9/1914, p. 273: Comme nous l’avions promis à nos abonnés et à nos lecteurs, nous avons tout fait pour paraître le plus longtemps possible. Mais aujourd’hui que, par suite de départs, nos rangs s’éclaircissent de plus en plus, que les nouvelles artistiques deviennent de plus en plus rares et que leur intérêt, devant le drame qui se développe si tragiquement en Europe, est vraiment médiocre, nous nous voyons, à notre grand regret, contraints de suspendre la publication du Ménestrel. Nous nous en excusons, ayant le ferme espoir de la reprendre très bientôt.
LA DIRECTION

[Le Ménestrel ne recommença à paraître que le 17 octobre 1919]

[1915-1918]

1919

Le Ménestrel 5/12/1919, p. 73: La crise des transports, qui sévit en Allemagne autant, sinon plus, qu’en France, affecte la vie musicale de ce pays, moins centralisé que le nôtre. Successivement, MM. Félix Weingartner et Arthur Nikisch se sont vus empêchés, à plusieurs reprises, de remplir les engagements qui les appelaient à Berlin, où ils ont dû être remplacés, le premier par MM. Schillings, Pfitzner et Muck, le second par M. Richard Strauss.

1920

Le Ménestrel 23/1/1920, p. 37: Le célèbre chef d’orchestre Félix Weingartner, qui avait naguère signé le manifeste des quatre-vingt-treize, a récemment exprimé des opinions politiques si défavorables à l’Allemagne, que l’orchestre de l’Opéra de Berlin, dont il dirigeait les concerts depuis de longues années, vient de rompre avec lui.

Le Ménestrel 9/4/1920, p. 156:  SARREBRÜCK. — La Société « Harmonie » a donné, le 26 mars, à son quatrième concert, la Symphonie fantastique de Berlioz. L’exécution n’en fut point parfaite. Il eût fallu, — que M. Bornschein veuille m’excuser, — posséder tout l’acquis d’un Félix Weingartner ou du regretté Edouard Colonne, les deux chefs d’orchestre qui ont le mieux compris et fait aimer le grand musicien français. La jeunesse du chef d’orchestre Sarrebrückois lui est une excuse trop naturelle, et on ne peut que le féliciter d’avoir inscrit cette œuvre, malgré tout rayonnante, à ses programmes.

Le Ménestrel 16/4/1920, p. 167: [Roumanie] — Félix Weingartner, le grand kapellmeister, actuellement directeur de l’Opéra populaire de Vienne, est venu diriger quelques concerts symphoniques. Le grand musicien est le premier messager venu d’un pays germanique, qui, par l’autorité de son art incomparable, ait réussi à atténuer dans notre mémoire le souvenir de la tragédie dont nos cœurs meurtris avaient saigné pendant ces trois années de guerre.
Il dirigea entre autres œuvres la Fantastique de Berlioz, le Prélude à l’Après-Midi d’un Faune de Debussy et la Première Rapsodie roumaine de G. Enesco. L’accueil que M. Weingartner trouva chez nous fut des plus chaleureux et enthousiastes.

Le Ménestrel 20/7/1920, p. 302: […] C’est que, il faut le remarquer, on était alors sous le coup de l’émotion et de l’indignation causées par le fameux et immonde manifeste des quatre-vingt-treize « intellectuels » allemands, au bas duquel se trouvait la signature de trois musiciens, les nommés Engelbert Humperdinck, Félix Weingartner et Siegfried Wagner, qui auraient pu, le second surtout, qui avait toujours trouvé ici un accueil particulièrement flatteur et courtois, se dispenser d’injurier et d’insulter la France.

Le Ménestrel 8/10/1920, p. 307:  [Argentine] — Au « Coliseo » la Compagnie-Lyrique-Walter-Mocchi a débuté avec Parsifal; l’orchestre était dirigé par Félix Weingartner qui dirigera, également à Buenos-Ayres, cinq concerts symphoniques.

Le Ménestrel 5/11/1920, p. 428: — M. Félix Weingartner a déclaré à un journaliste américain qu’il ne reparaîtrait plus en Allemagne, comme chef d’orchestre, avant d’avoir « reçu satisfaction » pour les mauvais procédés dont il y aurait été victime.

1921

Le Ménestrel 29/7/1921, p. 310: — Mme Lucille-Marcelle Weingartner, cantatrice, femme du célèbre chef d’orchestre Félix von Weingartner, vient de mourir à Vienne.

Le Ménestrel 16/12/1921, p. 504: Le célèbre chef d’orchestre Félix Weingartner va commencer, au printemps prochain, la publication de ses Mémoires.

1922

Le Ménestrel 17/3/1922 p. 126: — Le célèbre chef d’orchestre Félix Weingartner, très attaqué depuis quelque temps en Allemagne pour certains jugements qu’il avait exprimés sur la guerre, a pu, de nouveau, paraître à Berlin où il a été acclamé. On pense qu’il sera le successeur d’Arthur Nikisch à la Philharmonie.

1923

Le Ménestrel 16/2/1923, p. 84:
— On raconte cette anecdote amusante:
Weingartner dirigeait dernièrement à Berlin la répétition d’un nouvel opéra de lui. A un moment donné il arrête l’orchestre et dit à la première clarinette:
— Mon ami, vous jouez cette phrase trop lentement.
— Mais, Monsieur le Directeur, répond tranquillement la clarinette, quand nous jouons cette phrase dans Tristan et Yseult, nous la prenons toujours dans ce mouvement.
Weintgartner ne fut pas très content, paraît-il.

Le Ménestrel 6/4/1923, p. 166:
Bucarest. — Les Concerts Georgesco ayant pris fin, la direction de la « Filarmonica » a invité trois chefs d’orchestre étrangers à conduire ses concerts: Félix Weingartner, Henri Morin et Richard Strauss. Ce fut la grande saison musicale de Bucarest.
Weingartner reste assurément un des plus illustres interprètes des œuvres classiques. En dehors d’un festival Beethoven, le grand kapellmeister consacra un de ses programmes à Berlioz, dont il conduisit avec sa maîtrise coutumière Harold en Italie, Roméo et Juliette et le Carnaval romain.
Bien que la flamme et l’enthousiasme communicatif fassent souvent défaut à Weingartner, ses interprétations gardent toujours un style d’une rare pureté, une grande noblesse d’allures et attestent un travail cérébral d’une logique et d’une pénétration remarquables.
— Le concert de chant donné par Mme Roxo-Betty Weingartner, avec l’accompagnement au piano de son célèbre mari, fut plutôt une déception.

Le Ménestrel 27/7/1923, p. 330: — A Londres, Weingartner a dirigé plusieurs concerts. Les programmes comprenaient, avec des symphonies de Beethoven, deux de ses œuvres personnelles, une Sonate pour violon et piano et la musique de scène qu’il a composée pour la Tempête, et, d’autre part, des œuvres de J. Holbrooke. C’est dans les symphonies de Beethoven que son talent de chef d’orchestre fut de préférence applaudi.

Le Ménestrel 14/12/1923, p. 532: Le programme de Weingartner, à l’Albert Hall, était en majeure partie composé d’œuvres classiques ou classées (entre autres la Damnation de Faust de Berlioz). Il comprenait, de Weingartner lui-même, un poème symphonique, le Roi Lear.

1924

Le Ménestrel 11/4/1924, p. 170:
— A Londres. — Deux exécutions de la Neuvième Symphonie dans le courant de la même semaine:
L’une, sous la direction de Koussewitzky, par le London Symphony Orchestra;
L’autre, sous la direction de Weingartner, par la Royal Philharmonic Society, pour laquelle Beethoven, comme on sait, écrivit cet ouvrage.
L’Ouverture de Benvenuto Cellini était au programme de ce dernier concert.

Le Ménestrel 23/5/1924, p. 238: (Budapest) — L’orchestre de la Société Philharmonique de Vienne qui donne depuis des années un ou deux concerts par saison à Budapest, interpréta en deux auditions consécutives des œuvres de Mozart, Beethoven, Wagner et Berlioz dont chacune est une pièce de parade de cet orchestre, sous la direction de son célèbre chef, M. Weingartner. La réputation dont jouit cet incomparable corps musical, consacrée par les connaisseurs des plus importants centres des deux hémisphères devant lesquels il s’est produit, vient d’être confirmée par ces deux auditions. Ce qui captive le plus de la Philharmonique de Vienne, c’est sa sonorité soigneusement égalisée dans toutes les nuances dynamiques. Je suis un partisan convaincu des représentations d’orchestres de l’étranger, parce qu’elles encouragent l’émulation chez les nôtres, ensuite parce que leurs productions prêtent à des comparaisons qui ne sont pas, somme toute, défavorables à notre Société Philharmonique. Notre orchestre verra prochainement à sa tête quelques célèbres chefs, dont M. Weingartner; dans le passé, il fut souvent dirigé par Colonne, Lamoureux et Pierné; à défaut de concerts d’un des grands orchestres de Paris, l’apparition d’un de leurs chefs serait accueillie avec beaucoup d’intérêt et de compréhension par le public de Budapest.

Le Ménestrel 24/10/1924, p. 440: Parmi les guest conductors du Scottish Orchestra d’Edimbourg nous relevons, pour la saison prochaine, le nom de Weingartner.

Le Ménestrel 28/11/1924, p. 502: — Weingartner a dirigé le second concert de la Philharmonie Society, à Liverpool. Il en dirigera prochainement un autre.

1925

Le Ménestrel 2/1/1925, p. 10:Guest conductor du Scottish Orchestra d’Edimbourg, Félix Weingartner a dirigé l’exécution par cet orchestre de sa Cinquième Symphonie.

Le Ménestrel 9/1/1925, p. 21: — C’est à Glasgow que Weingartner, guest conductor, a dirigé le Scottish Orchestra pour la dernière fois de la saison. Ovation enthousiaste. Adieux du chef: il est venu remercier l’orchestre et le public, lequel, pour fêter le maître, a chanté en chœur, accompagné par les instrumentistes, ces deux chansons amicales et connues: He’s a jolly good fellow, et Will you no’ come back again?

Le Ménestrel 21/8/1925, p. 359: — Le bruit avait couru que M. F. Weingarlner dédierait sa prochaine symphonie « au peuple anglais ». Il n’en est rien: l’œuvre est dédiée à Mme Weingartner.

1926

Le Ménestrel 9/4/1926, p. 171: — A Londres. — Au Concert du London Symphony Orchestra, première exécution (en Angleterre) de la Cinquième Symphonie de Weingartner, dirigée par l’auteur. Le Sunday Times la trouve d’une facture surannée.

Le Ménestrel 24/12/1926, p. 554-5: (Espagne) La Revista Musical Catalana a reçu de Félix Weingartner un exemplaire de la communication adressée par lui à la Société des Nations sur les relations internationales au point de vue musical. Des idées d’un ordre à la fois élevé et pratique sont exposées dans ce beau rapport dont la propagation intense serait vivement à souhaiter. Je dis « beau » parce que ses vues se tiennent au-dessus de toutes considérations nationales ou de cliques; elles visent uniquement à prendre l’Homme par la main et, dans une marche fraternelle, à le conduire vers l’Idéal.
Weingartner préconise la publication d’une Revue Internationale de Musique, traduite au moins dans quatre langues: française, anglaise, italienne et allemande. Ici, je lui reproche de ne pas ajouter l’espagnole. C’est un oubli que l’on commet trop souvent, celui d’omettre qu’elle est celle de l’un des peuples les plus musiciens (sûrement le plus rythmique) de la terre et qu’en outre son idiome couvre encore un empire où le soleil ne se couche pas. Espagne, derrière ta grille des Pyrénées, tu te fais oublier parfois, ma belle... Mais tes amants t’y savent; et cela suffit, ô grande mystérieuse!
De la revue en question, indépendante d’écoles et de partis et dont la composition dépendrait d’un comité international, devrait être élagué, écrit Weingartner « la critique ordinaire, qui juge trop souvent les productions en quelques mots rapides et d’après une seule audition ». Un des plus nobles efforts de l’entreprise serait de remettre l’art à la portée du « bon public », en un mot « de tous ceux qui, par leur profession et leur culture, sentent la nécessité des idéals exprimés et constituent l’élite de la foule ». Ah! Weingartner, pourquoi le peuple entier ne serait-il pas le bon public, un jour? Cette soif de l’idéal exprimé, elle est à mon avis, brute dans la brute. Le brigand d’Anatolie a quelquefois d’admirables chansons par où ce qui reste beau en lui s’échappe vers le ciel. N’est-ce pas, Djémal Réchid? Même notre apache, entre deux cuvées d’alcool, cherche sa « route » dans les accents frelatés d’une complainte à deux sous. Tout aspire irrésistiblement au beau, et souvent d’une façon obscure, sans s’en douter. Pour le donner à tous, il faudra, comme le veut Weingartner, que l’art ne soit plus un objet de luxe, mais un jeu sublime à la portée des masses. Mais il faudra aussi que des artistes viennent, produisant en fresques, en vastes traits résumés pour ces masses. Alors, elles viendront tout doucement à l’élever au subtil même, par la grandeur. Du reste, la grandeur, la simplicité, c’est ce qu’appelle l’Homme, parce qu’elles veulent la lumière et que, dans le soleil, il y a tout. Raoul LAPARRA.

1927

Le Ménestrel 28/1/1927, p. 43: — On annonce que M. Félix Weingartner prendrait à Bâle la direction de l’Orchestre symphonique et du Conservatoire.

Le Ménestrel 6/5/1927, p. 206: [Sarre] — Les 4 et 5 avril, neuvième concert de la Société Théâtrale et Musicale d’Intérêt Commun dirigé par M. Félix Lederer: Septième Symphonie de Beethoven, Concerto de Dvorak, pour violoncelle et orchestre joué par M. le Professeur Foldesy de Budapest et l’Ouverture de Benvenuto Cellini de Berlioz. L’exécution de l’Ouverture fut excellente, plus fouillée et moins orageuse que celles dont nous croyions, il y a des années, que M. Félix Weingartner avait fixé le type ne varietur.

Le Ménestrel 10/6/1927, p. 282: — M. Wilhelm Furtwangler aurait accepté la succession de M. Félix Weingartner comme chef de l’orchestre philharmonique de Vienne.

Le Ménestrel 5/8/1927, p. 342: — La Philharmonie de Vienne donna comme depuis une vingtaine d’années deux concerts d’orchestre à Budapest. Tout avait été déjà dit sur cette incomparable corporation orchestrale et sur son chef, M. Weingartner, qui a présenté à cette occasion son orchestration de la grande Sonate en si bémol de Beethoven pour le clavier à marteaux, Hammerklaviersonate. Cette transcription, élaborée en respectant rigoureusement le style de Beethoven, à l’époque de la composition de la sonate, épuisant toutes les ressources de l’orchestre d’alors, est une entreprise que peu d’artistes auraient pu réaliser avec le même goût, tact et don d’assimilation que M. Weingartner. La grande fugue finale et l’admirable adagio y ont assurément gagné. Du reste Wagner, Liszt, Nietzsche ont admis la thèse que la partition originale pour piano de cette sonate pourrait très bien être l’ébauche d’une œuvre symphonique pour orchestre envisagée comme telle par son compositeur même.

1928

Le Ménestrel 24/2/1928, p. 90: Enfin, Genève reçoit fréquemment la visite d’artistes étrangers, au premier rang desquels il faut citer Weingartner, qui, à Bâle, est en train d’accomplir une besogne des plus intéressantes.

Le Ménestrel 30/3/1928, p. 150: 
[Monte Carlo] — Grand concert sous la direction de Félix Weingartner.
Au programme : les Préludes, de Liszt; fragments du Martyre de Saint Sébastien, de Debussy; Vltava, poème symphonique de Smetana; Lustige Ouverture, de Weingartner; Symphonie en ut mineur de Beethoven.
L’éminent chef d’orchestre a remporté un très beau succès.

1929

Le Ménestrel 15/2/1929, p. 77: — M. Félix Weingartner vient de terminer une Symphonie tragique — la sixième qu’il ait écrite — dont le second morceau est composé d’après les esquisses laissées par Schubert pour le troisième morceau de la Symphonie inachevée.

Le Ménestrel 15/3/1929, p. 128: [Espagne] — Oscar Fried a dirigé l’Orchestre Philharmonique de Madrid. Interviewé par le critique de l’Imparcial, il a déclaré que « Weingartner ne comptait plus », que les pays les plus musiciens étaient la Russie et l’Autriche, qu’il admirait Stravinsky, Falla, Ravel, Roussel et Ibert.

1930

Le Ménestrel 17/1/1930, p. 30: A Genève, le remarquable chef qu’est FélixWeingartner a dirigé le dernier concert d’abonnement au programme duquel était notamment la Septième Symphonie de Beethoven. M. Weingartner s’identifie avec un tel naturel et une telle absence de recherches avec la pensée de Beethoven que les interprétations des ouvrages de ce dernier sont réalisées sans apparence d’efforts. La Septième Symphonie est apparue ainsi dans toute sa magnificence. Sous la même baguette, l’Orchestre de la Suisse romande a joué aussi la belle Symphonie n° 2 en ré majeur de Haydn et des fragments symphoniques de Roméo et Juliette de Berlioz. Le bal chez Capulet et le merveilleux scherzo de la reine Mab, pages incomparables, furent présentés par M. Weingartner presque à la perfection.

Le Ménestrel 9/5/1930, p. 219: — Toujours à Lausanne, Félix Weingartner a mis en relief les beautés de la Symphonie de Haydn, et de Roméo et Juliette de Berlioz.

Le Ménestrel 1/8/1930, p. 341: [Londres] — Les revues mensuelles, après la presse hebdomadaire et quotidienne, publient d’unanimes éloges sur le New York Symphony Orchestra et sur Toscanini. Dans The Chesterian, notre éminent confrère, L. Dunton Green, écrit: « Ce n’est pas une exagération de dire que Londres n’a jamais entendu quoi que ce soit qui approche cette perfection ». A l’exception de Félix Weingartner, nul chef d’orchestre ne saurait être comparé à Toscanini.

Le Ménestrel 12/9/1930, p. 391: — On annonce que M. Félix Weingartner, qui n’a plus reparu à Paris depuis la guerre, y dirigerait, au cours de la saison prochaine, deux concerts de l’orchestre Pasdeloup.

1931

Le Ménestrel 16/1/1931, p. 26-7: [Strasbourg] Pour le quatrième concert M. Bastide avait cédé la baguette à M. Félix Weingartner. En acceptant de venir en France, l’éminent chef d’orchestre allemand a remporté une victoire... sur lui-même. Avec quatre-vingt-douze autres intellectuels germains il avait, en 1914, prêté serment de ne plus fouler le sol de cette France, coupable de s’être laissée déclarer la guerre par l’Allemagne... Onze années se sont passées depuis l’armistice. Les frontières se sont ouvertes; la France, magnanime, accueille et fête des musiciens allemands tels que Richard Strauss, Hermann Scherchen, Franz von Hoeslin, Franz Schalk, sans se soucier même si la pareille était rendue à Paul Paray, à Albert Wolff, à Paul Bastide ou à Gabriel Pierné.
Par le détour de Bâle, où il est le directeur de la musique, un appel a été lancé à M. Félix Weingartner, qui, refoulant son ancienne rancune, accepte de rentrer en France en fixant Strasbourg comme première étape. Le public strasbourgeois a reçu M. Weingartner avec tout le respect qu’on doit à une personnalité éminente et n’a pas ménagé ses applaudissements à l’artiste de grand talent.
Programme « conservateur » que celui de M. Weingartner: Symphonie militaire de Haydn, Symphonie en sol mineur de Mozart et Symphonie héroïque de Beethoven, œuvres familières à notre orchestre qui s’adapte facilement à la baguette du chef allemand, un peu trop rigide à notre gré dans Haydn et Mozart. L’exécution de l’Héroïque fut superbe. L’émotion produite. par la Marche funèbre fut intense et unanime; chacun songeait aux funérailles récentes d’un grand Français; n’ajoutons aucun commentaire!

Le Ménestrel 13/3/1931, p. 118:
Concerts-Pasdeloup. Samedi 7 et Dimanche 8 mars. — Les deux concerts devaient être dirigés par M. Félix Weingartner. La menace de violentes manifestations empêcha qu’il en fût ainsi. Divers articles, en plusieurs journaux, avaient en effet rappelé que M. Weingartner fut, au début de la guerre, l’un des 93 « intellectuels » qui signèrent le trop célèbre « manifeste ». Parfois même ces articles ajoutaient qu’il avait été « l’instigateur » de ce manifeste, — ce que chacun ignorait jusqu’ici, et ce qui dès lors n’eût dû être affirmé qu’avec l’aide de quelque preuve. Une autre affirmation ne semble pas moins erronée: M. Weingartner, prétendait-on, aurait jadis renvoyé au Gouvernement français sa décoration de la Légion d’honneur. Or, dans une lettre adressée à M. Pierre Laval, il vient de démentir formellement ce fait, en indiquant, d’autre part, que dès le printemps de 1917, ses jugements sur les événements s’étant modifiés, il avait publiquement désavoué ses conclusions primitives et déclaré se séparer des autres signataires du manifeste. Tristes polémiques, qu’une clarté plus grande eût empêchées.
M. Maurice Bigot, en la séance du samedi, et M. Ruhlmann, en la séance du dimanche, surmontèrent, grâce à leur talent, la plus difficile tâche, en assurant à l’improviste l’impeccable exécution du programme: la Symphonie en ut mineur et l’Héroïque, la Symphonie en sol de Haydn, la Symphonie en sol mineur de Mozart et la Symphonie inachevée de Schubert. Joseph BARUZI.

Le Ménestrel 27/3/1931, p. 148: — La polémique soulevée à l’occasion de la venue éventuelle en France de M. Félix Weingartner s’étant terminée d’une façon satisfaisante et conforme au bon sens on annonce que le grand chef d’orchestre dirigera deux concerts, à Paris, au début du mois de mai.

Le Ménestrel 24/4/1931, p. 186:
Concerts-Pasdeloup. Jeudi 16 et samedi 18 avril. — Pour décrire avec exactitude ce que furent ces deux concerts, il faudrait atteindre l’un de ces modes d’équivalence que l’on pourrait appeler de second degré, parce que dans l’ordre verbal ils seraient par rapport aux exécutions entendues ce que dans l’ordre auditif et dans la brièveté d’une durée sans retour ces exécutions elles-mêmes ont su être par rapport aux œuvres créées et à leur présence intemporelle.
A propos de Félix Weingartner adaptant à l’immense étendue de la Salle Pleyel les rêveuses attentes puis l’adjuration torrentueuse de l’Ouverture d’Obéron, — l’élargissement matinal des êtres dans la campagne réaperçue, leur complicité avec toutes les formes et toutes les heures, tous les périls et toutes les délivrances, au cours d’une journée où les chants d’oiseau sont eux-mêmes un rayonnement de soleil et un murmure de ruisseau (et eux-mêmes un trait de danse et un hymne), tout cela tel que Beethoven l’a englobé dans la Pastorale, — enfin les rythmes visionnaires, la lucidité hallucinée, le plein air ou le confiné, les tournoiements ou les lignes brisées et zigzagantes, les contrastes géants et ensorcelés de la Fantastique, — il faudrait donc trouver un langage ductile, avec des mots qui soient soudain d’aveuglantes lumières, ou subitement des chutes d’ombre. Un langage sobre sans sécheresse (contenu, par sentiment de la surabondance même de la fougue), comme ces gestes de Weingartner, dont aucun n’est sans efficace: aucun sans retentissement ni magnétisme et, dirait-on, aucun sans regard.
Et il le faudrait plus encore peut-être à propos de Félix Weingartner, le surlendemain, dans ce théâtre des Champs-Elysées, où des dimensions plus humaines permettent à chacun de se mêler plus intimement à la musique perçue au lieu de la surprendre comme un monde enchanté, dont quelque chose nous sépare. Ce jour-là, ce qui était traduit, c’était tout d’abord, magnifiquement, la Symphonie en sol majeur de Haydn. « Militaire », l’appelle-t-on parfois, et d’autres fois « turque » ; et ce n’est point qu’elle soit guerrière ou nostalgique; mais envahie tout d’un coup de cortèges à fanfares et à uniformes de parade, luisants ou poussiéreux; çà et là aussi, enturbannée et Orient de féerie. C’était ensuite l’Inachevée de Schubert; et jamais je n’en entendis interprétation plus totale et souveraine: avec ces divers plans étagés et contradictoires, qui se substituent brusquement l’un à l’autre comme si de grandioses murailles par instants surgissaient de terre tandis que se continue à leur ombre la vie la plus blottie, familière et implorante. Une jeunesse paradoxale en toute cette œuvre, car à mémoire de millénaires: intuitivement chargée de tout ce qu’elle n’a point vécu et dont le fardeau en même temps lui est d’une légèreté divine. Enfin l’Héroïque. Et par Weingartner elle était soustraite à toute tension et à toute emphase, — à toute histoire individuelle, quelle qu’elle fût, — à tout théâtre, fût-il sublime. Dénudée, au contraire, lors du premier mouvement, et comme prismatique. Rayonnement sans images, et tournoiement sans vertige. Même, bientôt, en face de la mort. Et après la vision de la mort, ce qui se déployait, c’était comme un retour vers les images primitivement niées, une transfiguration de toutes aventures, toutes multitudes et tous destins, et, dans un paysage de cimes, une vie planante, sans pesanteur, et çà et là pourtant reconnue toute proche. Etrangement, cependant, séparée de nous par quelque abîme. Transmuée elle aussi, soudain, de chants d’oiseaux et de battements d’ailes. Joseph BARUZI.

Le Ménestrel 29/5/1931, p. 238:
Concerts-Pasdeloup. Mercredi 20 mai. — Le plus grand vice des lieux communs, ce n’est pas de trop insister sur des vérités devenues banales; c’est bien plutôt d’être le plus souvent dénués de substance et de maintenir artificiellement de fastidieuses erreurs. « Le public français est rebelle à Brahms » ; cette affirmation maintes fois entendue, acceptée sans débat, a multiplié les conclusions faciles, soit contre le public français, soit contre Brahms lui-même. Or l’antagonisme ainsi proclamé était-il réel? Ou ne traduisait-il uniquement (au sens le plus littéral) un malentendu, résultant de la faiblesse d’exécutions trop hâtivement préparées, ou trop pesantes? Vienne une interprétation souveraine, comme celle de Félix Weingartner, ce jour-là, pour la Première Symphonie; et rien ne subsistera de la remarque tant de fois répétée. Ceux qui auront vu et entendu le grand chef d’orchestre élucidant l’œuvre, tour à tour familière et grandiose, — populaire et pathétique —, traversée de souffles et de nuées, puis, de contraste en contraste, se parachevant en apothéose, auront assisté ensuite à l’un des plus spontanés et plus justifiés enthousiasmes dont ils aient jamais été témoins en l’une de nos salles de concerts... Peut-être, il est vrai, un autre jour, avec cette puissance d’oubli qui est en tant d’hommes, suffira-t-il que devant eux une autre symphonie de Brahms (ou la même) soit de nouveau déformée par une traduction médiocre, et parmi ceux qui étaient là plusieurs recommenceront de dire, avec assurance, que Brahms et public français sont incompatibles.
L’Ouverture de Prométhée de Beethoven et la Symphonie en mi bémol de Mozart avaient précédé, en la première partie de cette séance, donnée au profit de la Caisse des Retraites de l’Association des Concerts-Pasdeloup, le Concerto en la mineur de Schumann. M. Yves Nat avait retrouvé par cette œuvre son succès accoutumé. Joseph BARUZI.

Le Ménestrel 13/11/1931, p. 477-8:
Concerts-Pasdeloup. Samedi 7 et dimanche 8 novembre. — Les deux concerts étaient dirigés par Félix Weingartner.
Chez aucun autre grand chef d’orchestre d’aujourd’hui il n’y a, me semble-t-il, aussi subtile alliance de puissance irradiante et de netteté constructive. Aucun des gestes n’est arbitraire ni inutile. Aucun même n’est dicté par ce qui n’est dans l’émotion qu’un élément subjectif. Sculpturale méfiance, dirait-on, et apollinienne, à l’égard de tout ce qui pourrait n’être que lyrisme suspect et indiscrète immixtion. Il faudra que l’œuvre seule soit là. Mais projetée en un éblouissement solaire. Livrée à un espace emblématique dont les passagères dimensions ne sont que par elle et pour elle, et où l’exécution lui conférera, en une trop fugitive durée, une sorte de liberté féerique.
Le rôle de chaque mouvement de la baguette et des bras, — de chaque inclinaison ou redressement de la tête — et de chaque inflexion du corps, — sera dès lors de faire émerger les unités ou multiplicités rythmiques qui sont au plus profond de l’œuvre. De préciser aussi, en quelque sorte, l’altitude de chaque moment de cette œuvre dans l’espace paradoxal que chaque musique dominatrice semble créer, et où seront possibles parfois les plus vertigineux passages: des plus altiers sommets aux abîmes les plus accablés, et de ces abîmes à d’autres cimes; avec, parfois aussi, une sorte de suspens, — une continuité fragile et planante, où il semblera que l’équilibre n’est prolongé que par un prodige. Je songe, à ce propos, à tels fragments de la Symphonie Jupiter de Mozart, ou de la Deuxième Symphonie de Beethoven, ou de la Quatrième Symphonie de Brahms, lorsque Weingartner ne désignait plus la nuance que par un léger mouvement de la main gauche, presque battement d’ailes; et tout l’élément aérien des œuvres devenait éperdûment distinct. Par contre, de quelle nerveuse manière, ailleurs, et comme irréfutable, était souligné, dans la même Symphonie de Brahms, l’instant où violons et violoncelles ont comme rejeté l’archet et, de toutes leurs cordes que saisissent et lâchent les doigts, lancent un violent refus à quelque destin par qui l’être serait amoindri! Que ne puis-je, faute de place, parler de chacune des œuvres? Montrer de quelles perspectives soudaines se renouvelaient, par l’interprétation de Weingartner, les plus célèbres d’entre elles? Que ce fussent les trois Ouvertures: celles de la Flûte enchantée, d’Egmont et d’Euryanthe; ou les trois Symphonies: celles de Mozart, de Beethoven et de Brahms. Que, du moins, soient isolés tels instants culminants: ceux, par exemple, qui donnèrent un si extraordinaire relief aux deux derniers mouvements de la Symphonie en ré majeur de Beethoven, et aux deux dernières parties de la Symphonie en ré [mi!] mineur de Brahms! Et puis, que ne soit pas oubliée une sorte de secrète et persistante présence sous-jacente de cette Flûte enchantée qui par une évocation du génie de Mozart avait été mise en exergue des deux séances! Était-ce le si vivace souvenir que chacun de nous gardait de la magique traduction qui en avait été donnée? Je ne sais; mais dans les autres œuvres, divers passages où les sonorités de la flûte se détachaient du reste de l’orchestre prenaient subitement, eux aussi, une sorte de clarté magique: notamment au milieu de la Symphonie de Beethoven, ou lors de ce Scherzo qui sur la Symphonie de Brahms jetait brusquement une si émouvante teinte élégiaque. Joseph BARUZI.

1932

Le Ménestrel 8/1/1932, p. 20-1:
Concerts-Pasdeloup. Samedi 2 et dimanche 3 janvier. — A propos de ces deux concerts, dirigés par Félix Weingartner, il faudrait ressaisir au fond de soi-même, à la lueur de souvenirs sans déclin, chacune des œuvres qui se succédèrent. Les plus souvent entendues auparavant, et à la cime desquelles tout d’un coup des significations nouvelles surgissaient, — à l’appel d’un de ces gestes à la fois fulgurants et plastiques, qui en un même moment déploient et circonscriveni, précisent et exaltent. Puis, au contraire, les pages jusque-là ignorées parmi nous, ou à peine connues. Faute de place, quelques notations sont seules possibles, isolant tels et tels instants parmi beaucoup d’autres.
Ceux, tout d’abord, qui s’imposent à la mémoire par une souveraineté sans conteste. Le début et la fin de la seconde séance, par exemple: toute l’Ouverture de la Fiancée vendue et les deux dernières parties de la Symphonie fantastique. « Début » et « fin » ; les deux mots prenaient leur sens total, indépendant de la circonstance et de l’heure. Par Smetana retentissait un féerique poudroiement d’aurore. Aurore de joie éparse, et aurore d’âmes et de foules; de foules aux rudes et vives couleurs; avec une inquiétude qui perce çà et là, et une ironie et une ruse. Par Berlioz, inversement, un déchirement de cataclysme. Le rêveur ravagé et halluciné, dont le cauchemar rebondit; mais aussi, par delà, les forces grandioses ou sournoises, — parfois les mêmes, — jamais plus constructives et créatrices que lorsqu’elles renversent et nient. Démiurgiques de même qu’infernales. Et, impérieusement symbolisée par cette manière de diriger l’œuvre, une présence agglomérante, grandissant au centre d’un chaos. Jette-t-elle contre une muraille ou, apocalyptique, de vertige d’astre en ébauche d’astre?
Puis, comme au rayonnement médian de ce même concert, en une clarté presque delphique, et atteint en la plus pure continuité de ses lignes, le Prélude à l’Après-Midi d’un Faune....
La veille, il y avait eu la Deuxième Symphonie de Beethoven. Mais, à propos d’un concert antérieur, j’ai dit déjà de quelle manière Weingartner la comprend et, dans le Scherzo et l’Allegro final, en dégage l’élément prométhéen....
La Cinquième Symphonie de Bruckner n’avait jamais été jouée en France. Et non plus aucune des huit autres, sauf, je crois, jadis, à Notre-Dame, un fragment de la Neuvième, elle-même inachevée. Les longs applaudissements qui finalement l’ont accueillie allaient moins vers elle, me semble-t-il, que vers l’interprétation. Autour de moi, en effet, parmi ceux qui admiraient le plus l’exécution, j’entendais sur Bruckner des jugements passionnément sévères, et souvent hâtivement dédaigneux ou irrités. Cela, parfois, chez tels ou tels, dont me surprenait, au milieu de l’autorité que leur donnait leur science ou l’habituelle sûreté de leur goût, un trop exclusif attachement à certaines techniques qui ne sont que d’une seule tradition, et qu’un Bruckner abandonne sans hostilité préméditante: uniquement parce qu’il est tout entier à la spontanéité et à la ferveur des impressions, au milieu d’une nature qu’il imagine elle-même riche de spontanéités inépuisables et d’intime ferveur. Sans doute, il ne développe ni n’élabore. N’a-t-il peur, dirait-on, de ne pas laisser intacts les thèmes qui sont nés en lui, là où il vécut toujours: près de ses orgues de la cathédrale et de son cloître de Saint-Florian? Et jamais, en effet, il ne les violente. A leur gré ils s’imposent à lui, s’écartent de lui, cèdent la place à d’autres et reviennent. D’eux seuls, et de leur vie intérieure, non de lui et de ses décrets arbitraires, la composition viendra. Jusqu’à telle magnifique apogée, comme l’éclatante conclusion de cette Cinquième Symphonie, — rayonnement des cuivres, digne de Berlioz. Je revois la descente du Danube, de Linz à Vienne, les îles sableuses et les eaux dispersées, comme celles de Loire, « qui nous égarent en s’égarant » ; puis soudain tout se resserre: une vallée alpestre jusque-là descend; voici les cloches d’un monastère et toute la parenté d’un lointain Escorial; c’est un jour de grande fête religieuse; et où commence et où finit la religion de cette foule en fête? Et de même l’adoration de cet homme simple — Anton Bruckner complexe par simplicité même? Fidèle du plus déterminé des cultes, mais qui sans cela, comme d’autres, en d’autres vallées et un autre âge, aurait rêvé, chanté l’Evangile éternel.
Mlle Magda Tagliafero collabora à ces deux séances. Elle retrouva, avec le Concerto du Couronnement de Mozart, la Ballade de Fauré et la Fantaisie hongroise de Liszt, l’accueil chaleureux qui ne lui fait jamais défaut. Joseph BARUZI.

Le Ménestrel 11/3/1932, p. 117:
Deux Festivals Beethoven, dirigés par F. Weingartner. (29 février, 2 mars). — Faut-il parler de Félix Weingartner? Il n’y eut jamais d’interprétation plus fidèle ni plus probe de la pensée de Beethoven que celle qu’en donnèrent sous sa direction les Concerts-Lamoureux. Et, à la fin de ces deux concerts, c’est à Beethoven qu’allèrent les acclamations délirantes. Un homme de la valeur et de la conscience de Weingartner ne peut rien demander de plus, il a atteint son but, et le voilà heureux. Schumann ou Debussy, on les interprète; Beethoven est trop grand, en matière musicale, pour laisser place à l’inspiration de chacun. Et le vrai droit au triomphe de Weingartner, c’est étant imprégné jusqu’au cœur de l’âme du maître de Bonn d’avoir été pleinement, glorieusement et humblement, beethovénien. D’avoir fait comprendre, de son pupitre, que la musique de Beethoven demeure une source éternelle d’émotions comme de leçons musicales, et surtout de haute pensée, d’héroïsme et de grandeur; qu’elle ne veut pas être l’expression des rêveries magnifiques d’un poète hautain, mais qu’elle déborde de charité et de fraternité, qu’elle est par là anti-aristocratique et d’un héros de l’humanité.
Weingartner ne pouvait trouver musiciens plus dociles et plus accomplis, pour le seconder, que ceux de l’Orchestre Lamoureux, ni, pour jouer le Concerto en ut mineur, d’interprète plus frémissante ni aux doigts plus magiques que Mme Marguerite Long. Michel-Léon HIPSCH.

Le Ménestrel 27/5/1932, p. 235: — M. Félix Weingartner fera personnellement au Conservatoire de Bâle, ainsi que nos lecteurs pourront s’en rendre compte par l’annonce ci-après, un cours pour chefs d’orchestre, à partir du 1er octobre 1932. En juin 1933 aura lieu un cours supérieur, s’adressant à des élèves ayant déjà une certaine expérience comme chefs d’orchestre, lesquels auront à leur disposition l’orchestre complet de la ville de Bâle et pourront se présenter au public dans des concerts.

Le Ménestrel 24/6/1932, p. 267: M. Félix Weingartner avait tenu, dans une pensée touchante, à s’associer à l’hommage rendu à Debussy. Mais comme il se trouvait retenu en Suisse, on intercala dans la séance du théâtre des Champs-Elysées une transmission radio-diffusée du Prélude à l’Après-midi d’un Faune, que dirigeait M. Weingartner au cours du concert donné à Bâle par l’Allgemeine Musikgesellschaft. Cette initiative, fort louable du point de vue sentimental, le fut beaucoup moins du point de vue artistique. Cette radio-diffusion, écoutée entre les deux magnifiques exécutions dirigées par MM. Pierné et Toscanini, eut surtout pour résultat de faire prononcer par l’unanimité des spectateurs la condamnation de la T.S.F. Le grossissement du haut-parleur retira à l’exquis prélude tout son caractère immatériel et n’en donna qu’une caricature grimaçante, décalée, contrastant péniblement avec les exécutions directes qui lui servaient de cadre. Combien on regretta que les circonstances n’aient pas permis à M. Weingartner de venir en personne diriger l’excellent orchestre groupé à Paris, comme l’avait fait son illustre confrère italien!

Le Ménestrel 2/12/1932, pp. 488, 489, 491:
[Concert Colonne du 27 novembre] […] Grand succès aussi pour M. Paul Paray qui dirigea magistralement, en outre, Beethoven, Debussy et Weber; celui-ci retouché, orné et poétisé (?) par M. Félix Weingartner, dans son Invitation à la danse et non à la valse, laquelle se fût modestement contentée de la brillante orchestration dont la revêtit Berlioz.
[Concert Pasdeloup du 26 novembre] — Quoi qu’il en soit,, il s’agit d’un Concerto pour violons et hautbois, primitivement « donné au soupe du Roy, le 16 janvier 1707 » (donc vingt années après la mort de Lulli père?). — C’est un assemblage de pièces diverses réunies pour la circonstance. Découvert à la Bibliothèque nationale par le professeur Ernest Mohr, il fut révisé par M. Félix Weingartner qui en supprima la partie de hautbois, mais en revanche y ajouta une partie de clavecin. Cette manière désinvolte d’accommoder les restes me rend quelque peu rêveur...
Reconnaissons, cependant, que l’ensemble est fort agréable et que Mme de Sévigné ainsi que Mme La Fayette en eussent goûté les charmes variés, allant de la gaîté rustique à la grandeur quasi racinienne. Exécution parfaite, dont les fines nuances furent un délice pour nos oreilles. […]
[…] Sans vouloir écraser notre jeune chef [Tomasi] sous la comparaison d’un nom illustre, nous voudrions dire que par son horreur de l’emphase, que par son goût de l’équilibre et du beau timbre qui rejettent les exécutions dites « inspirées » et qui nous semblent « congestionnées », que par son abnégation devant l’œuvre, surtout, par cette sorte d’objectivité qui est une forme du respect et de la ferveur, Tomasi nous fait penser à Weingartner. Même simplicité exempte de cabotinage, même sérénité devant l’orchestre qu’il ne faut point transformer en champ de bataille.
Puisse cette comparaison, lourde à soutenir et sans doute prématurée, se justifier un jour! A. H.

1933

Le Ménestrel 13/1/1933, p. 12-13:
Concerts-Pasdeloup. Samedi 7 et dimanche 8 janvier — C’est par Félix Weingartner que les deux concerts étaient dirigés. Avec cette grandeur de style, où tant de pureté et tant d’ampleur se rejoignent. Concentration frémissante; et les œuvres saisies avec une sorte de netteté aphoristique (ou insinuante, caressante parfois). Simultanément en leur dynamisme et en leur plastique stabilité. Et soudainement une vie culminante, déployée et irradiée.
L’un et l’autre jours, Harold en Italie de Berlioz. Si délaissé parmi nous; et mieux vaut certes un complet silence que les déformantes et traîtresses interprétations, telles que celles qui, il y a quelques années, ne nous donna de ces pages qu’une image languissante et mesquine. Nous les retrouvions enfin, dans cette salle des Champs-Elysées, en toute leur spontanéité orageuse ou ingénue (géniale ingénuité; et les deux mots ont même racine). Si insoucieuses de toutes les ruses, mais avec tant d’émouvantes trouvailles, et tant de rapports avec la terre, les décors et les cortèges, les êtres réels ou improbables. Un seul musicien, depuis Berlioz, me sembla avoir eu au même degré, quoique de toute autre manière, quelque chose de tout cela: c’est Bruckner; et la comparaison, approfondie, conduirait à de précieuses remarques.
Je note d’autre part que, dans cette « Symphonie en quatre parties avec alto principal », Berlioz, comme dans Roméo et Juliette, a transposé en vision instrumentale une vision humaine; et les rêveries, les aventures de Childe Harold soit figurées par l’alto féerique. L’alto, — et, légendaire dès avant la mort, la silhouette, elle aussi byronienne, de Paganini. M. Maurice Vieux, le 7 et le 8 janvier, ne fut pas inégal à un si prodigieux héritage; et sous son archet le « pèlerin » de Byron et de Berlioz apparut en sa dualité, ornementale et psychologique. Autour de lui, orchestral, magnifiquement, le « pèlerinage » même.
Aux deux séances, également, furent jouées, en « première » et « deuxième » auditions, les Variations symphoniques de Bizet, telles que les a orchestrées, il y a un an, lumineusement, Félix Weingartner. Sa brillante instrumentation avive et souligne les chaudes couleurs et les multiples contrastes de ces pages. Plusieurs d’entre nous, écoutant l’œuvre ainsi transcrite, imaginaient pour elle un prolongement scénique. Ballet ou mimodrame, qu’un peintre et un poète parachèveraient.
Deux Symphonies, la Huitième de Beethoven, le samedi, et la Première de Schumann, le dimanche, furent traduites en tout leur éclat comme en tous leurs replis. De même l’Ouverture de Léonore n° 3 et, plus encore peut-être, celle du Freyschiitz. Joseph BARUZI.

Le Ménestrel 26/5/1933, p. 217: [Budapest] — Sous les auspices des Nouveaux Concerts, M. F. Weingarlner a dirigé, dans la salle de la Réformation, l’Ouverture de Prométhée et la Première symphonie de Schubert.
Dans la deuxième partie du concert, l’orchestre était sous la baguette de Mme Carmen Studer, qui prouva qu’elle s’était excellemment adapté les conseils donnés par son époux, M. Weingartner. Elle conduisit avec autorité des œuvres de Mozart, Schubert et Strauss. Cependant, elle n’observa pas complètement les indications de M. Weingartner, car elle dirigea de mémoire.

Le Ménestrel 21/7/1933, p. 302: Bâle. — Les manifestations musicales beethoveniennes de Bâle se sont terminées par un concert symphonique de la Société générale de musique, sous la direction de M. Félix Weingartner. A l’occasion du 70e anniversaire de la naissance de ce dernier, une petite cérémonie s’est déroulée dans la salle de musique. Au nom du Conservatoire de musique et des autorités de Bâle, M. P. Speiser a remis à M. Félix Weingartner une brochure éditée en son honneur et son buste. Des œuvres de M. Félix Weingartner furent ensuite interprétées avec succès, entre autres Terra, composition symbolique, et une suite de quinze Lieder. Pendant le festival Beethoven, qui dura une semaine, chaque soir de nombreux Bâlois vinrent entendre les magnifiques créations du grand compositeur. Les trois grands ensembles bâlois, l’Orchestre symphonique, la Gesangverein et la troupe d’Opéra, le quatuor Wendling et le quatuor Lener firent entendre Fidelio et le cycle des neuf Symphonies.

Le Ménestrel 11/8/1933, p. 328: [Brésil, Rio de Janeiro] M. Félix Weingartner et sa femme doivent incessament venir donner quelques concerts.

Le Ménestrel 20/9/1933, p. 382: — Le Dr Félix Weingartner viendra cet hiver en Amérique. L’éminent chef d’orchestre n’y était pas retourné depuis la guerre. Il y dirigera plusieurs concerts à la tête du Chicago Symphony Orchestra. Des négociations sont en cours pour mainte autre ville, dont New-York.

Le Ménestrel 10/11/1933, p. 438:
Concerts-Pasdeloup. Festival Beethoven, sous la direction de M. Félix Weingartner (dimanche 5 novembre).
M. Weingartner monte au pupitre. C’est un vieillard raide et sec, au visage impassible, aux gestes avares. Il se tient le buste en avant, sans regard, sans expression. La main droite marque le temps, et, suivant la hauteur où elle maintient la baguette, souligne les nuances. La main gauche, généralement immobile, ne s’anime que pour accentuer un contre-temps ou pour faire jaillir de l’orchestre un accent ou un dessin particulièrement expressif.
Rien d’extérieur, rien d’inutile, et rien de séduisant non plus aux yeux d’un public accoutumé à prendre le chef pour le premier soliste de son orchestre. Ici, fini de rire. Le public est admis à entendre, non pas à voir. Ce qu’est M. Weingartner, son art, sa science, son autorité, c’est du travail de répétitions. A l’heure du concert, c’est Beethoven qu’il nous montre.
Non pas un Beethoven dramatique, littéraire, aux folles progressions, aux rinforzendos en tonnerre, pas plus un Beethoven par trop délicatement fouillé dans son détail comme s’il s’agissait avant tout d’en faire valoir la couleur orchestrale; mais une direction large, calme, pleine d’ampleur et de noblesse, et telle enfin qu’elle arrache l’Héroïque et la Cinquième Symphonie à nos habitudes et les rend au sentiment à la fois hautain et généreux qui dut les inspirer.
Et le public acclame M. Weingartner qui, encore une fois, a su le surprendre avec ce qu’il connaissait.

Le Ménestrel 15/12/1933, p. 489:
Concerts-Pasdeloup. Samedi 9 décembre. — Louons sans réserves l’incontestable valeur de Mm« Carmen Studer-Weingartner, parfaite directrice, animatrice — j’irai jusqu’à dire: inspiratrice de l’orchestre. Par la simplicité de son attitude, la souplesse et la sobriété de son geste et la précise autorité qui s’unit chez elle à une mémoire infaillible, elle réalise un idéal dont pourraient prendre modèle maints de ses confrères du sexe opposé, trop souvent portés à des gambades et clowneries d’une esthétique si douteuse. Le succès de Mme Studer-Weingartner fut donc complètement mérité.
Le programme comportait, en premier lieu, le noble poème inspiré à Liszt par les admirables Préludes de Lamartine:

Musique intérieure, ineffable harmonie...

Puis, du même maître, le Concerto en la, — duquel chaque audition augmente ma prédilection pour son frère en mi bémol. M. Emile Baume les joua très honorablement et dut revenir au piano pour en extraire une amusante mais longuette Boîte à musique, qui dut se trouver quelque peu dépaysée entre Liszt et M. Paul Dukas, dont l’Apprenti sorcier reçut une exécution tout à fait magique. Mais voyez quelles sympathiques dualités internationales: Goethe et M. Dukas, après Lamartine et Liszt... Quel heureux apport à la S. D. N. !
Et la fête s’acheva sur la Symphonie en ré mineur de Schumann. Décidément, le nom de Weingartner est doublement cher à la musique! René BRANCOUR.
Dimanche 10 décembre. — Mme Studer-Weingartner conduisait aujourd’hui encore l’orchestre des Concerts-Pasdeloup. Simplement, modestement, sans mimique inutile, mais avec le geste sobre et précis, elle a dirigé, par cœur, l’Ouverture d’Euryanthe de Weber, la Symphonie en mi bémol de Mozart, et l’ouverture de Léonore no. 3, de Beethoven. De ces trois œuvres, celle qui, à notre avis, semble convenir le mieux au tempérament d’artiste de Mme Studer-Weingartner est, peut-être, l’exquise Symphonie de Mozart, qui a été détaillée avec toute la délicatesse et le charme désirables.
Une autre œuvre, particulièrement importante, celle-là dirigée sur la partition, a permis à Mme Studer-Weingartner de montrer à quel point est étendue sa musicalité. Quant à M. Roland Charmy, sa technique des doigts et de l’archet est absolument complète: c’est un grand violoniste, cela nous le savions; mais pour se hausser, comme M. Charmy l’a fait, au niveau d’une composition de l’ampleur et de la magnificence du Concerto de Brahms, il faut être un interprète parvenu à un haut état de maturité, et ayant, en outre, une entière maîtrise de soi. Ce bel artiste a remporté un gros succès: rien n’était plus légitime. Charles BOUVET.

1934

Le Ménestrel 23/3/1934, p. 117: Concerts-Pasdeloup […] Dimanche 18 mars. — Dirigé lui aussi par M, Félix Weingartner, ce Concert, Festival Berlioz, fut l’un des plus décisifs hommages qui aient jamais été rendus à l’auteur de la Symphonie Fantastique. Pour ne lui pas être infidèle, c’est une ample étude qu’il faudrait, et qui ardente et exhaustive, vers l’essence du génie de Berlioz, prolongerait, aux lueurs du souvenir, les indications culminantes par lesquelles, aux suprêmes instants, autour de la baguette ou du geste orchestral, on eût dit qu’affluait, se condensait soudainement l’espace. Tantôt fulgurantes; — elliptiques traits de feu, — suscitant ou brisant l’éclat des cuivres ou les matités de la batterie; — tantôt, au contraire, estompées, planantes, presque dématérialisées, rappelant l’apparentement d’un thème à quelque ensemble de formes aériennes. Cela à travers la Symphonie, où l’hallucination, sans se dissoudre, devenait une création d’autres clartés (fût-ce de visions d’apocalypses); comme à travers la diaprure de l’Ouverture de Benvenuto Cellini ou le tourbillon héroïque de la Marche Hongroise de la Damnation de Faust. Enfin, de façon plus nostalgique, — un appel à l’œuvre totale, — à travers les deux fragments de Roméo et Juliette: Scène d’Amour et Fête chez Capulet. Sous un ciel shakespearien, magie d’autre Tristan. Joseph BARUZI.

Le Ménestrel 31/8/1934, p. 305: [Vichy] Puis ce fut un festival entièrement consacré à Beethoven et qui offrit un intérêt spécial en raison de la présence au pupitre de Mme Carmen Studer-Weingartner, qui dirigea 1’Ouverture n° 3 de Léonore et la Cinquième Symphonie en ut mineur, et du maître Weingartner pour diriger l’Ouverture de Prométhée et la Symphonie Héroïque. […]

Le Ménestrel 26/10/1934, p. 360: — Le 15 novembre, au Trocadéro, M. Félix Weingartner dirigera une audition de La Damnation de Faust, à l’exécution de laquelle participeront l’orchestre des Concerts Pasdeloup et les Chanteurs de Saint-Gervais.

Le Ménestrel 16/11/1934, p. 383: [Prague] — Félix Weingartner a dirigé un concert de gala dont il avait ainsi composé le programme: l’Invitation à la Valse de Weber, le Rouet de Dvorak, la Symphonie fantastique de Berlioz. La critique admire la verdeur de son interprétation, mais fait bien des réserves sur son talent d’orchestrateur et de compositeur quant à sa « révision » de l’œuvre de Weber.

Le Ménestrel 7/12/1934, p. 413: Concerts-Pasdeloup. Samedi Ier décembre. — M. Albert Wolfï avait cédé le pupitre à Mme Carmen Studer-Weingartner. C’est avec une ardente conviction qu’elle a dirigé la musique — primeur pour le public parisien, — que M. Félix Weingartner a écrite pour la Tempête. Il s’agit de deux morceaux, Ouverture et Scherzetto, où sont poétiquement évoqués les éléments essentiels du drame féerique de Shakespeare: la fureur des vagues marines, la grâce d’Ariel, les incongruités de Caliban, la maîtrise de Prospéro, l’amour vainqueur de Ferdinand et de Miranda. Ne parlons qu’avec respect de cette symphonie aux intentions généreuses émanée d’une plume formée à la fréquentation assidue des maîtres, en tête desquels s’inscrivent Berlioz et Wagner.
Parlons par contre avec une franchise entièrement dépouillée du détestable accompagnement (détestable quant aux rythmes et aux volumes sonores) qui est échu à M. Lazare-Lévy pour jouer le Concerto de Schumann. J’ignore si le principal intéressé en aura été satisfait et si les congratulations échangées après le point final ont été ou non de pure courtoisie. Je suis certain en tous cas que ceux qui attendaient de l’œuvre, trempée d’une mystérieuse douleur et parfumée d’un merveilleux amour, le haut bonheur qu’elle recèle, ont été largement déçus malgré tout le talent sagace et vibrant du soliste.
Les flots de la Moldau obéissant à la baguette redevenue soudain assurée de Mme Studer-Weingartner sont venus nous apporter un dédommagement agreste et émouvant. Certes les eaux du fleuve nourricier de la patrie tchèque sont restées plus neuves et pures que le poème symphonique de Smetana; mais comme on pardonne à l’œuvre humaine l’âge qui l’a marquée, en faveur du pieux patriotisme historique qui l’anime, en faveur aussi du pressentiment des futures résurrections dont elle est pénétrée! La naissance de la Moldau, dans la forêt de Bohême, est d’une modestie orgueilleuse et pudique; son passage par Prague, où elle se teint des fastes glorieux de la patrie, est d’une superbe élévation, et c’est d’un cœur étreint qu’on suit du regard le fleuve continuer son chemin sempiternel et se perdre vers l’horizon. Roger VINTEUIL.

Le Ménestrel 21/12/1934, p. 434: M. Félix von Weingartner, actuellement directeur du Conservatoire de Bâle, redevient directeur général de la musique à Vienne, en remplacement de M. Clemens Krauss.

1935

Le Ménestrel 15/3/1935, p. 92: Concerts-Pasdeloup.
Samedi 9 mars. — M. Weingartner dirigeait la Symphonie en mi bémol de Mozart et celle de Schumann en ut, avec une baguette fine, nerveuse, et la sobriété de gestes qui caractérise ce que son art a de précis, d’intelligent et aussi d’un peu sec. Mais ses exécutions sont minutieuses et la sûreté de ses pianissimi me semble inimitable. Le grand intérêt de ce concert résidait en la première audition de la Symphonie en mi majeur de Schubert, entièrement reconstituée par M. Weingartner. Il l’a fait avec respect, en témoignant d’une habileté de parfait musicien. Sa tâche n’était pas aisée, car l’auteur n’avait laissé qu’un schéma assez mince. Il fallait donc connaître, aimer Schubert, s’adapter à sa personnalité et montrer en même temps un goût personnel infaillible. La réussite de M. Weingartner est complète. Cette Symphonie est d’une toute autre inspiration que l’Inachevée. C’est du Schubert moins souriant. A un premier mouvement large, succèdent un andante tendre et chantant, un scherzo d’une grande originalité et dont l’orchestration souple, ardente, n’eût sans doute pas été désavouée par l’auteur. Le final m’a semblé d’un moins pur style schubertien. Mais toute cette œuvre est empreinte du charme délicat et racé et de la fine émotion que dégage toujours la musique de Schubert.
Remercions M. Weingartner de nous l’avoir fait connaître et de l’avoir conduite avec une communicative conviction. Denyse BERTRAND.
Dimanche 10 mars. — Parmi les chefs d’orchestre du plus haut rang, ce qui m’apparaît de plus en plus comme le trait essentiel de M. Félix Weingartner, c’est le souci — et plus vraisemblablement encore l’instinct — de l’objectivité absolue, le don de se soumettre impérieusement au caractère le plus intime et au rythme le plus secret de chaque œuvre. C’est aussi, à travers les détails scrupuleusement observés, creusés et traduits, un sens, jamais altéré, de la grandeur. Une telle participation intense n’entraîne en rien, d’ailleurs, une atténuation du style personnel; elle accuse, au contraire, presque sculpturalement, ce style, ainsi que l’indiquent ces gestes tour à tour minutieux et amples, parfois élagués, concentrés, réduits jusqu’à l’extrême tension et jusqu’à l’ellipse, ou même jusqu’au simple trait du regard, parfois au contraire déployés et souverains, sortes de paraphes sur l’immense.
Art orchestral qui assura en ce concert, outre une seconde audition de cette Symphonie en mi majeur de Schubert qui avait été entendue une première fois la veille et dont il a été parlé plus haut, une magnifique exécution de l’allègre et puissante, tantôt intime, tantôt populaire, Deuxième Symphonie de Brahms, si proche tour à tour du lyrisme replié et du tourbillonnement dionysiaque. Quant au Concerto en sol de Beethoven, M. Robert Casadesus en donna une interprétation pathétique et rayonnante, d’une noblesse sans défaillances; et sa conception de l’œuvre, — du sublime Andante notamment, — était en perpétuel accord, poussé jusqu’aux racines, avec celle qui par l’orchestre s’affirmait. Joseph BARUZI.

Le Ménestrel 25/4/1935, p. 148:
— Dans son numéro du 4 août 1933, le Ménestrel révélait l’existence d’une Symphonie inédite et inconnue de Bizet, œuvre de jeunesse composée en 1855 par le futur auteur de Carmen, alors élève du Conservatoire.
Cette Symphonie vient d’être exécutée pour la première fois, non pas en France, mais à Bâle, sous la direction de M. Félix von Weingartner.
Peut-être sera-t-il permis de regretter courtoisement l’unanimité qui s’est faite parmi les chefs d’orchestre français pour laisser à un orchestre et à un public étrangers la primeur d’une œuvre française signée d’un tel nom.

Le Ménestrel 17/5/1935, p. 168: Orchestre Philharmonique de Vienne (8 mai). — Lorsqu’on entend un orchestre étranger, et surtout quand le programme comporte des morceaux ayant contribué à former notre sensibilité musicale, nous avons à nous défendre d’un certain sentiment de dépaysement qui risque d’influer sur notre jugement. Timbres, mouvements et valeurs sonores nous surprennent; la technique même des instruments va à l’encontre de nos habitudes. L’orchestre viennois nous fait éprouver tout cela: l’attaque et le phrasé des violons sont délicats, légers, mais plus mous; les bois sont moins mordants, les cors plus étouffés et moins chantants, les cuivres plus forts mais d’un éclat moins pur. Tout est divers, jusqu’à la position même des mains des contrebassistes. Ceux-ci, en France, ne sont-ils pas instruits à tenir l’archet à l’inverse de leurs confrères autrichiens qui, d’ailleurs, tirent meilleur parti de leur instrument.
Je suppose que c’est à ce sentiment de dépaysement qu’il faut attribuer la sorte de déception qui, en dépit de l’enthousiasme bruyant d’un public plus élégant qu’objectif, s’est fait jour à l’audition de mercredi dernier. Peut-être aussi à l’insuffisance de certains pupitres, notamment des premiers violons, notoirement trop peu nombreux.
Il est d’évidence que nous sommes accoutumés à vouloir pour l’Ouverture d’Euryanthe un pathétique moins languissant et moins rêveur, un trait plus incisif et plus vif des violons, un mouvement plus rapide de l’ensemble. Il semble aussi que l’Héroïque se soit fixée chez nous sous une forme plus emportée et plus tumultueuse, qui en allège les redites, plus particulièrement pour ce qui concerne le premier mouvement: Allegro con brio. Par contre, la Marcia Funèbre revêt volontiers dans nos concerts un accent plus recueilli et plus douloureux et, dans sa partie centrale, des sonorités plus solennelles et plus éclatantes. Quant au Scherzo et à l’Allegro molto terminal, l’interprétation qu’en a donnée M. Weingartner nous a paru franchement supérieure à celle des deux premières parties de l’illustre Symphonie.
La Symphonie en ut majeur, septième mais dernière en date, de Schubert, offre à l’Orchestre Philharmonique le climat le plus propre à épanouir ses qualités originales. C’est ici que, pour notre part, nous préférons les musiciens de Vienne, dans cette longue effusion romantique insoucieuse de ses hésitations et de ses méandres, qui nous transporte à travers la forêt germanique peuplée de génies, et nous dit un conte fantastique où s’épanche la tendresse, où veillent la douleur et l’attente.
Le succès de M. Félix Weingartner et de ses musiciens a été si vif qu’ils ont dû consentir un bis: le Prélude de Lohengrin. Il en eût fallu d’autres si le grand chef d’orchestre n’avait pas péremptoirement levé la séance. Roger VINTEUIL.

1936

Le Ménestrel 22/5/1936, p. 170:
Un conflit s’est élevé entre l’Orchestre Philharmonique et M. Félix Weingartner, qui refuse provisoirement d’en diriger les concerts.
On attend un arbitrage gouvernemental.

Le Ménestrel 4/9/1936, p. 262: On annonce que M. F. Weingartner abandonne définitivement ses fonctions à la tête de l’Opéra de Vienne, où il ne dirigera plus que quelques représentations isolées, en gardant le titre de « Directeur général de la Musique ».

1937

Le Ménestrel 19/3/1937, p. 101: Concerts-Pasdeloup. Samedi 13 mars. — Festival Brahms; et, pour le diriger, M. Félix Weingartner revenait parmi nous. Avec la même ampleur de style, toujours, le même sens de la grandeur et de la forme, le même souci de luminosité et de synthèse. La Deuxième Symphonie le montra souverainement, aux moments culminants de la séance; mais déjà, dès le début, cette Ouverture Académique que Brahms échafauda, en puissants contrepoints de sérieux et d’inoui sur des chansons d’étudiants; et n’était-ce, à quelque degré, en apercevant à l’horizon, non comme modèle, mais comme élément de fantastique rivalité, l’Ouverture des Maîtres Chanteurs? La vigoureuse technique de M. Henri Merckel triompha des multiples difficultés instrumentales, assemblées dans le Concerto pour violon.
Dimanche 14 mars. — Devant une salle tout entière remplie, M. Weingartner, par un Festival Beethoven, couronne son festival de la veille. Et c’est d’abord par une magnifique exécution de l’Ouverture de Léonore. Ensuite par le Concerto en ut mineur pour piano et orchestre, où le jeu de Mme Marguerite Long témoigna de toutes ses ressources et de toute sa sensibilité. Enfin, par la Symphonie Héroïque, qui réapparaissait comme en son essence. En l’intégralité de sa puissance apollinienne. Claude ALTOMONT.

Le Ménestrel 17/9/1937, p. 253: — M. Félix Weingartner, dont les démêlés avec l’Opéra de Vienne ont fait naguère quelque bruit, y dirigera, au cours de la saison prochaine, vingt représentations, dont une reprise de Guillaume Tell.

1938

Le Ménestrel 11/2/1938, p. 40: — M. F. Weingartner « arrange » Guillaume Tell, que l’Opéra de Vienne jouera sous cette nouvelle forme.

Le Ménestrel 25/2/1938, p. 55-56: Concerts-Pasdeloup. Samedi 19 février. — Il n’y avait vraisemblablement nulle intention préméditée, et c’était simple merveille du hasard; mais, précédant les événements politiques et survivant à leur passage, ne semblait-il que, par un concert tel que celui-là et à travers les trois Symphonies inscrites au programme, la Jupiter de Mozart, l’Inachevée de Schubert et la Pastorale de Beethoven, devenait sensible la réalité culturelle et suprahistorique, — à la fois temporelle et extra-temporelle, — de l’Autriche? C’était M. Félix Weingartner qui dirigeait l’orchestre et lui assurait une fois de plus, magnifiquement, une complexe unité et une luminosité souveraine. Son art est, certes, l’un de ceux qui sont le plus détachés des apparitions contingentes; mais avec d’autant plus de certitude s’imposait à nous cette image d’une terre sereine et menacée, qui aura trouvé en de successives expressions géniales un « visage d’éternité ». L’Ut majeur de Mozart, c’étaient les horizons de Salzbourg dont va bientôt se détacher une vie désormais errante; et dans les pages de Schubert, ce que mit en relief M. Weingartner, ce fut comme une rencontre du « familier » et du « grandiose » devenant pareils à deux éléments. Quant à la Sixième de Beethoven, aperçûmes-nous jamais mieux comment elle se peut rattacher à un paysage tel que celui du vallon d’Heiligenstadt; — mais pour promptement s’en détacher, et le transposer en des « formes » qui ne dépendront plus des « partialités » de la durée et de l’étendue.
Dimanche 20 février. — Festival Beethoven, que dirige avec la même autorité que la veille M. Weingartner. Comment il comprend et traduit la Première Symphonie et la Symphonie Héroïque, nous l’avons dit déjà, admirativement, ici même. Ajoutons que le Triple Concerto, pour piano, violon et violoncelle, tel que l’interprétèrent, avec M. Weingartner et l’orchestre, MM. Julien Chardon, Marcel Darrieux et Gaston Marchesini, sembla lumineusement situé en l’un des « moments » décisifs de la pensée beethovenienne; comme une sorte de « repos » et d’accompagnement de liberté et de joie, tandis que s’ébauchent et s’accomplissent les rythmes et les thèmes de l’Héroïque. Claude ALTOMONT.

Le Ménestrel 4/3/1938, p. 63-64: Concerts-Pasdeloup. Samedi 26 février. — Comme les deux de la semaine précédente, ce concert était dirigé par M. Félix Weingartner. Festival Berlioz; et jamais en avions-nous entendu qui situât de façon plus souveraine en la « région des égaux » tels fragments de Roméo et Juliette et de la Damnation de Faust, ou l’Ouverture du Carnaval romain et la Symphonie fantastique? En les faisant apparaître, en effet, non seulement parmi les plus authentiques œuvres musicales, mais encore parmi les plus grandes créations poétiques, celles qui, après avoir d’abord rayonné par les magnificences verbales, les divinations psychologiques et les péripéties transmuées en légendes, seront venues se parachever en lignes mélodiques et en rythmes. C’était tout l’esprit shakespearien qui revivait en la « tristesse » et en la « solitude » de Roméo, avec, toute proche, l’attirance ou la menace de mort peut-être, du Bal chez Capulet. Tout le sentiment goethéen, ensuite; consciemment, à travers le Faust, mais indirectement, plus tard, à travers la Fantastique, où semblaient passer, en même temps, telles statures byroniennes ou tels personnages balzaciens. Claude ALTOMONT.
Dimanche 27 février. — Un Festival Beethoven venait clore la série des quatre concerts dirigés par M. Félix Weingartner. Magnifiquement, grâce à la Huitième et surtout à la Cinquième Symphonie. Il faudrait une longue analyse pour expliquer ce que fut cette interprétation. Puisque la brièveté de l’espace ne la permet, exprimons, du moins, le plus admiratif hommage, en ajoutant que le Concerto en mi bémol valut à Mme Marguerite Long de nombreux applaudissements. Claude ALTOMONT.

Le Ménestrel 23/12/1938, p. 299: [Marseille] A quelques jours d’intervalle, de belles manifestations ont amené à notre Opéra la foule des mélomanes et, sans tomber dans l’exagération que l’on a attribué volontiers aux Marseillais, nous pouvons dire que notre ville prend actuellement la deuxième place — celle qu’elle aurait dû toujours conserver — dans le mouvement artistique en France.
Avec une grande sobriété de gestes et une froide précision, l’illustre doktor Félix Weingartner a dirigé, devant une salle comble (on refusa du monde), un Festival Beethoven-Wagner. Chez M. Weingartner, la main gauche marque les nuances avec une émotion peu apparente, mais réelle pour l’auditeur qui observe attentivement la dextre. La main droite est autoritaire, dictatoriale allions-nous écrire. Dans la Symphonie Héroïque de Beethoven, Prélude et Enchantement du Vendredi Saint et l’Ouverture des Maîtres Chanteurs de Wagner, M. Weingartner obtient tous ses effets sans grandiloquence. Et de ces pièces qui n’ont, certes, plus aucun secret pour lui depuis longtemps, il a fait donner par l’orchestre — qu’il faut féliciter pour l’avoir suivi avec autant d’intelligence — une exécution de grande classe.
Reflétant sensiblement les exigences professorales de son maître et époux, Mme Studer-Weingartner — dont la présence au pupitre constituait à elle seule un attrait — a déployé une virilité de moyens peu ordinaire dans l’Ouverture de Tannhäuser.
M. Weingartner a dirigé ensuite la reprise de la Damnation de Faust, qui a été suivie d’une représentation de Jean Kiepura avec la Vie de Bohême, où le célèbre ténor, devant une salle encore pleine à craquer, a déployé les magnifiques qualités vocales et scéniques qui nous avaient été révélées par le cinéma.

1939

Le Ménestrel 10/2/1939, p. 37: Concerts-Pasdeloup. Samedi 4 février. — M. Félix Weingartner revenait parmi nous, après un intervalle de plus d’une année; et c’était pour interpréter une fois de plus, avec une luminosité souveraine, trois des œuvres dont le plus pleinement il sait atteindre et transcrire le sens: Symphonie Inachevée de Schubert, Symphonie en ut mineur de Beethoven, Symphonie Fantastique de Berlioz. Il faudrait de longs commentaires. Que soit seulement redite une admiration plus que jamais confirmée.
Dimanche 5 février. — C’est de nouveau M. Félix Weingartner qui dirige l’orchestre; et cet orchestre, avec une ferveur visible, se montre scrupuleusement fidèle à ses indications les plus subtiles comme à ses intentions les plus puissantes. Cela en deux Symphonies de Beethoven, la Première et la Septième, mais jamais de plus décisive manière peut-être que lors du Finale de celle-ci. Etait-ce l’« apothéose de la Danse », dont à ce propos Wagner parla? Peut-être; mais bien autre chose encore, par delà. Une musique qui, de toute part, en effet surgit; de toutes les zones possibles, dirait-on, de la lumière et de l’ombre; et pour la suprême expression de la sérénité comme de la joie, et du repos comme du mouvement. Avec quelle intensité les gestes et les appels, les liens tracés et les ruptures marquées nous aidaient à surprendre de telles complexités, — naissances et fulgurations — de rythmes, et leur irréductibilité à tout concept, si ample qu’il fût! Admirables instants, et que précédèrent et complétèrent, avec le Concerto en ut mineur, le jeu aux vastes nuances et la profonde maîtrise de Mme Marguerite Long. Pour elle aussi le succès fut très grand. Joseph BARUZI.

Le Ménestrel 28/4/1939, p. 117: [Londres] — Félix Weingartner dirigera la première soirée de Covent Garden, qui aura lieu le Ier mai, avec Parsifal. (Il est un des rares musiciens d’aujourd’hui qui furent présents à la création de l’œuvre à Bayreuth en 1882). Il dirigera également Tannhäuser. Interprètes: Ludwig Hofmann, Torsten Ralf, Herbert Janssen, Germaine Lubin.

Le Ménestrel 19/5/1939, p. 143: [Suisse] — Sous les auspices des Études de Lettres, le chef d’orchestre Félix Weingartner, toujours très alerte malgré ses 76 ans, a lu et commenté d’importants fragments de la seconde partie du Faust de Goethe. Sa jeune femme, Mme Carmen Studer-Weingartner, interpréta divers morceaux. (Le maître Weingartner est maintenant de nationalité suisse.)

1940

Le Ménestrel 5/1/1940, p. 6: [Belgique] […] Le précédent concert [de la Société Philharmonique] avait eu pour chef M. Ansermet. Celui du mois de janvier aura M. Dobrowen. Aucun chef ni aucun virtuose allemand, cela va sans dire. Seule, une petite Société, les Nouveaux Concerts, installés dans une salle de faubourg, annonce une « Semaine Beethoven » conduite par M. Weingartner. On a trop oublié, surtout à Paris, l’an dernier, où on lui a fait grand accueil, que ce kapellmeister d’indiscutable talent était un des signataires du fameux manifeste des « 93 intellectuels » qui, en 1914, déclarèrent au monde que les Allemands étaient d’innocents agneaux et les Belges d’infâmes assassins, auteurs des massacres de Louvain, Namur, Tamine et autres lieux. S’est-il jamais amendé? Je ne le pense pas [affirmation contestable: voir Ménestrel 13/3/1931] Avant la précédente guerre, la Monnaie s’était proposé de monter un drame lyrique de sa composition; la guerre terminée, il se présenta hardiment chez le directeur du théâtre, Guillaume Guidé, pour lui rappeler sa promesse; Guidé le mit à la porte. Maintenant, le voilà revenu...

Le Ménestrel 9/2/1940, p. 31: [Lisbonne] — Grand succès au Politeama pour les débuts au Portugal de M. F. Weingartner, avec l’orchestre de l’Emissora. Le programme comportait des œuvres de Weber (Obéron), Beethoven (Cinquième Symphonie), Mozart (une Symphonie), Wagner (Siegfried-Idyll, Ouvertures de Tannhäuser et des Maîtres Chanteurs).
— Le second concert du maestro Weingartner, donné à la Sociedade dos Concertos avec l’orchestre de la Emissora, fut aussi remarquable que le premier (Huitième Symphonie de Beethoven, Benvenuto Cellini de Berlioz, Deuxième Symphonie de Brahms, les Préludes de Liszt et Invitation à la Valse de Weber-Weingartner).

Le Ménestrel 8/3/1940, p. 46: [Angleterre]
Du 25 février au 3 mars, le Bournemouth Festival a donné les six concerts inscrits à son programme et que dirigèrent Basil Cameron, Malcolm Sargent, Sir Henry Wood, Sir Hamilton Harty, Weingartner et Richard Austin. En raison des circonstances, le Municipal Orchestra avait été réduit de 60 à 35 musiciens. « Economie de guerre » disent les journaux.
— Weingartner dirige le dernier concert de la saison du Royal Philharmonie Orchestra. Au programme du chef viennois: Mozart, Brahms, Beethoven. Des ombres qui, sans doute, se sentent aujourd’hui des « apatrides ».

Le Ménestrel 10/5/1940, p. 73:
Vendredi 10, 17 et 24 Mai 1940
La série des agressions allemandes, qui avait déjà supprimé en fait tout mouvement artistique en Pologne, puis dans les Pays Scandinaves, a amené l’arrêt total de toute activité théâtrale et musicale en Hollande, en Belgique, puis en France, où les théâtres et concerts ont écourté leur saison. Le Conservatoire supprime en outre ses séances d’élèves et fera vraisemblablement de même pour ses concours annuels.
Le
Ménestrel est donc amené à suspendre sa publication un mois plus tôt que de coutume, en donnant, dans le présent numéro qui sera le dernier de la saison, une sorte de panorama de l’essor artistique qui illustrait le mois de mai et que les événements sont venus brusquement interrompre.
Nous souhaitons pouvoir reprendre, à l’automne, l’effort que nous nous sommes imposé pendant la première phase de la guerre, conscients d’avoir ainsi servi modestement, mais de notre mieux, la cause impérissable de la pensée et de l’art français.

[Le numéro du Ménestrel du 10 mai 1940 fut le tout dernier de son histoire; la maison d’édition Heugel continua cependant à exister après la guerre]

Site Hector Berlioz crée par Monir Tayeb et Michel Austin le 18 juillet 1997;
Page Berlioz: Pionniers et Partisans créée le 15 mars 2012; cette page créée le 1er avril 2019.

© Michel Austin et Monir Tayeb. Tous droits de reproduction réservés.

Retour à la page principale Felix Weingartner
Retour à Berlioz: Pionniers et Partisans
Retour à la Page d’accueil