Camées Artistiques

Site Hector Berlioz

JULES-ÉTIENNE PASDELOUP

par

Félix Jahyer

publié dans les

Camées Artistiques, 8 juillet 1880, p. 1-2

Jules Pasdeloup

    Cet article a été transcrit d’après les Camées Artistiques du 8 juillet 1880, dont un exemplaire est dans notre collection. Nous avons corrigé quelques erreurs typographiques évidentes mais conservé la syntaxe et l’orthographe du texte original.

    Le texte de l’article, juste dans le fond, est à utiliser avec précaution : l’auteur a tendance à embellir quelque peu son sujet. Berlioz, par exemple, n’a pas vraiment été ‘sifflé pendant dix ans à la Société des jeunes artistes’ puisque cette société n’a donné qu’une unique exécution d’une seule œuvre (l’ouverture du Carnaval romain au concert d’ouverture, le 20 février 1853). Il est d’autre part douteux que Pasdeloup ait offert à Berlioz de diriger lui-même une de ses œuvres aux Concerts populaires dans les années 1860 (l’allusion est sans doute à l’exécution du Septuor des Troyens le 7 mars 1866 sur lequel on dispose d’un récit de la plume de Berlioz ainsi que d’un compte-rendu par un témoin contemporain). On remarquera aussi que l’auteur s’abstient d’évoquer la concurrence faite à Pasdeloup par Édouard Colonne depuis 1873, qui a été une cause importante des difficultés auxquelles Pasdeloup a dû faire face dans ses dernières années.

JULES-ÉTIENNE PASDELOUP

FONDATEUR DES CONCERTS-POPULAIRES

Lettre C’est à Pasdeloup que l’Art sera redevable de la vulgarisation des œuvres symphoniques trop longtemps inconnues en France et dans le monde entier, alors qu’elles étaient le partage exclusif de l’Allemagne, où leurs auteurs, Beethoven, Mendelsohn, etc., ne les faisaient entendre qu’à un petit groupe d’initiés.

    II a fallu au fondateur des Concerts populaires en France plus que du talent, un énorme courage, pour oser risquer une tentative dont les résultats ont, depuis, dépassé toute attente. Aussi, peut-il revendiquer sans partage l’honneur d’avoir enfanté cette grande œuvre, aujourd’hui populaire.

    Dès sa plus tendre enfance, Pasdeloup a été un apôtre de la musique, et toute sa vie s’est passée à faire pénétrer dans les masses le goût des compositions que le théâtre n’était pas appelé à presenter au public.

    Né à Paris, le 15 septembre 1819, Jules-Etienne Pasdeloup était le fils de François Pasdeloup, ancien chef d’orchestre au Théâtre-Feydeau.

    Mis au Conservatoire à l’âge de dix ans, il y entra dans la classe de piano dirigée par Zimmermann, puis passa dans celle de Carafa pour la composition. En 1833, il obtenait le premier prix de piano.

    Ayant perdu son père de très bonne heure, il fut obligé de se mettre à donner des leçons et commença son professorat dès l’âge de quatorze ans. Elevé avec les fils du célèbre avocat Marie, il dut à celui-ci d’obtenir, en 1840, Ia place de régisseur du palais de Trianon. L’année suivante, nommé en la même qualité au palais de Saint-Cloud, il y resta jusqu’en 1855.

    Jusqu’alors, il n’avait produit que des morceaux de pianos et surtout des valses, des polkas, des quadrilles dont le succès, d’ailleurs très grand, lui valut une certaine popularité dans les salons ; mais ce fut dans cette seconde période de douze années qu’il se livra à de plus sérieuses compositions.

    N’ayant pu avoir une audition pour une symphonie à laquelle il avait consacré toute son intelligence et tous ses soins, il eut alors l’idée de se faire lui même chef d’orchestre, et fonda la Société des jeunes artistes, en 1851.

    Etant déjà professeur au Conservatoire, et directeur de la classe d’ensemble (chœurs et orchestre), il recruta ses exécutants en partie parmi les élèves de cet établissement, loua la salle Herz, et donna des concerts que suivirent bientôt un certain nombre d’abonnés.

    Pendant onze années consécutives, Pasdeloup abandonna les recettes de ses soirées à ses exécutants et lorsqu’il se retira, en 1862, il avait rendu à l’art un premier service qui lui coûtait près de quatre-vingt mille francs.

    C’est dans ces concerts de musique classique, les premiers que nous ayons eu en France, dans ces conditions de bon marché, que Gounod fit ses débuts comme symphoniste avec sa Symphonie en ré et sa Symphonie en mi bémol. Bizet et Saint-Saëns y présentèrent également au public leurs premiers travaux.

    Après cet essai si coûteux pour lui, Pasdeloup aurait bien pu se contenter de l’honneur d’avoir risqué cette louable tentative. Mais lui pensa tout autrement. Ne pouvant donner plus d’extension à une société qui avait rendu de grands services, il chercha les moyens d’en créer une autre sur une base plus large.

    C’est alors qu’il fonda les Concerts populaires, en 1861. II loua le Cirque d’hiver pour six représentations, disposé à risquer encore une centaine de mille francs pour poursuivre un but dont l’utilité lui paraissait indispensable.

    Après trois représentations, le nombre des abonnés était suffisant pour qu’il prît la salle à l’année.

    Je l’ai dit en commençant, les chefs-d’œuvre symphoniques des maîtres allemands n’avaient pas dépassé la frontière de leur pays. Le Conservatoire de Paris lui-même n’avait pu faire entendre, sans provoquer des murmures, d’autre œuvre de Mendelsohn que le Songe d’une nuit d’été qui, encore, est un oratorio.

    C’est justement par Mendelsohn que Pasdeloup voulut commencer son essai. Dans le premier concert, il fit exécuter la Symphonie romaine de ce maître. A la louange du public parisien, il faut dire que, dès ce soir là, l’andante de cette symphonie fut bissé et Pasdeloup ne s’étant pas rendu de suite aux vœux des auditeurs, ceux-ci exigèrent que l’andante fut repris après l’exécution du morceau.

    Beethoven, Mozart, Haydn, Mendelsohn, Weber, Schumann, Wagner, etc., firent défiler tour à tour leurs chefs-d’œuvre aux acclamations d’une foule de jour en jour plus nombreuse. Berlioz, sifflé pendant dix ans à la Société des jeunes artistes, sifflé pendant les quatre premières années des Concerts populaires, se vit bientôt apprécié comme il le méritait, et sa renommée grandit de jour en jour. A l’aurore de ses premiers succès, alors qu’il assistait dans une stalle de troisième galerie à l’audition de ses œuvres, Pasdeloup lui proposa d’en diriger lui-même l’exécution. Mais le grand artiste fondait alors en larmes et ne pouvait consentir à tenir un bâton avec lequel il sut pourtant si bien conduire de grandes masses.

    Massenet, Guiraud, Benjamin Godard, et presque tous nos jeunes maîtres symphonistes durent à Pasdeloup l’honneur d’être entendus du public parisien. L’élan donné fut tel que, non seulement en France et en Europe, mais dans le monde entier, cette belle branche de l’art ignorée de la foule est devenue populaire presque à l’égal de l’opéra.

    Quand les Prussiens mirent le siège devant Paris, en 1870, Pasdeloup ne voulut pas interrompre ses représentations. Le 24 octobre, il en rouvrit le cours par un concert au bénéfice des œuvres de bienfaisance. Puis, plus tard, versant entre les mains du ministre de la guerre le produit d’une matinée, il fit fondre, pour la defense nationale, un canon auquel il donna le nom de Beethoven. Et enfin, il laissa vingt-deux mille francs, produit de ses recettes, aux pauvres de Paris. A la fin de novembre, beaucoup de ses exécutants étant obligé de partir dans les régiments de marche, il dut suspendre ses concerts, et s’engagea d’ailleurs lui-même dans un de ces régiments.

    Avant de montrer la grandeur de l’idée que poursuit Pasdeloup depuis la reprise de ses concerts populaires, je dois dire un mot du professeur au Conservatoire et du directeur du Théâtre-Lyrique, fonctions qu’il a remplies avant la guerre dans des moments difficiles.

    J’ai dit que Pasdeloup avait dirigé les éudes du Conservatoire. Au temps où il tenait cet emploi, il était en même temps directeur de l’enseignement du chant dans les écoles communales de la ville de Paris. Au Conservatoire, le poste de directeur des études avait une importance qu’il n’a plus aujourd’hui. Au lieu de faire apprendre, au piano, des scènes ou des airs d’opéra, on représentait les partitions en entier, avec la mise en scène voulue : décors, costumes et orchestre. On montait donc ainsi des ouvrages tout comme pour le théâtre. On peut dire alors que Pasdeloup fit jouer, entre autres pièces, sur la rue Bergère : l’Armide et l’Orphée, de Gluck ; le Moïse et la Gazza ladra, de Rossini, etc. Dans Moïse, Gassier et Gailhard, dans Armide, Mme Bey-Balla, montrèrent, étant élèves, leurs grandes dispositions et leur superbe voix.

    Arrivant au Théâtre-Lyrique, lors de la retraite de M. Carvalho, en 1869 et 1870, Pasdeloup avait donc déjà fait le métier de directeur. S’il mangea, là, une soixantaine de mille francs, ce n’est donc ni son expérience, ni son habileté qu’il faut contester, mais la fatalité des choses ; et la meilleure preuve, c’est que le Théâtre-Lyrique n’a jamais pu vivre depuis. C’est à lui que l’on doit d’avoir entendu le Rienzy [sic], de Wagner ; la Bohémienne, de Balfe, et l’Iphigénie en Tauride, de Gluck, où le tenor Bosquin se montra si remarquable comme chanteur de style.

    Revenu tout entier à sa magnifique fondation, Pasdeloup a apporté, chaque année, un soin plus grand au choix des morceaux qu’il a fait exécuter.

    Pendant sa dernière saison, il a voulu tenter une épreuve nouvelle et compléter par l’audition d’œuvres lyriques l’audition d’œuvres symphoniques. Il nous a donné la Prise de Troye [sic], de Berlioz, que nous n’avions point encore entendue ; il a fait entendre le Feu, fragment d’un opéra inédit de Guiraud ; la Lyre et la Harpe, oratorio de Saint-Saëns ; Atala, poëme lyrique de Mme de Granval ; Faust, poëme en trois parties de Schumann ; Diane, poëme antique de Godard.

    A ces six œuvres lyriques il faut joindre treize œuvres symphoniques pour avoir le programme des productions exécutées pour la première fois pendant la dernière saison. Dire avec quel soin me paraît superflu. Soli, chœurs et orchestre, tout était de premier ordre.

    Et pourtant, il faut l’avouer, le succès immense au point de vue artistique n’a pas été suffisant au point de vue financier. Les matinées de comédie, et surtout d’opérettes, portent depuis deux ans un préjudice notable aux concerts populaires. C’est à l’Etat à subvenir au plus tôt aux besoins de cette belle institution qui a servi de modèle à tant d’autres en France et à l’étranger.

    Un concert populaire, tel que le comprend désormais Pasdeloup, faisant entendre l’oratorio et le drame lyrique de pair avec la symphonie, est un spectacle de première nécessité dans l’intérêt de l’art. Il ne peut qu’élever le goût des masses et perpétuer 1’idée du beau qui tend tous les jours à disparaître. Si dévoué que puisse continuer à se montrer le créateur de ces concerts, on ne peut pas exiger qu’il lutte à peu près seul pour une cause aussi utile, à laquelle sont d’ailleurs intéressés tous ceux qui souhaitent de voir l’art véritable prendre le pas sur les productions malsaines qui, depuis vingt-cinq ans, sont parties des cafés-concerts pour envahir nos salles de spectacle.

FÉLIX JAHYER.

* Félix Jahyer était alors le rédacteur en chef de ce journal.

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; cette page créée le 15 mars 2012.

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