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La ville natale de Berlioz – La Côte Saint-André

Le Chuzeau

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Établie à La Côte depuis bien des générations avant la naissance du compositeur, la famille Berlioz y possédait un nombre de terres et de fermes. Le Livre de raison tenu par le Dr Berlioz, père du compositeur, entre 1815 et 1838 contient quantité d’informations sur ces domaines familiaux dont le Dr Berlioz surveillait la gestion avec un soin minutieux (voyez David Cairns, Hector Berlioz tome I [Paris, 2002], p. 23-5). La carrière musicale d’Hector à Paris et à travers Europe l’éloigna inévitablement de ses lieux d’origine et des domaines familiaux, qu’il n’évoque que rarement et en passant dans ses écrits et sa correspondance.

    L’une de ces propriétés, la ferme dite Le Chuzeau juste en dehors de La Côte, fut cependant liée à un épisode dramatique dans la vie du compositeur, épisode qu’il raconte dans ses Mémoires (chapitre 10, ci-dessous).

    Situé juste en dehors de La Côte Saint-André, la ferme du Chuzeau était un lieu de plaisance privilégié de la famille Berlioz, et faisait partie d’un vaste domaine agricole acquis par le grand-père du compositeur à la fin du XVIIIe siècle. Le tout formait un ensemble imposant de bâtiments autour d’une longue cour intérieure. La ferme demeure telle que l’a connue la famille Berlioz et de nos jours encore les propriétaires de la ferme sont les propres descendants des fermiers des Berlioz (voyez Antoine Troncy, ‘Le Chuzeau’, dans Hector Berlioz. Episodes de la vie d’un artiste, Musée Hector-Berlioz, sous la direction de Chantal Spillemaecker, Grenoble, 2003, p. 26). En 1865 la famille Berlioz vendit les bâtiments de la ferme, y compris le pavillon.

    Le pavillon, baptisé par la tradition populaire pavillon "de la malédiction" en souvenir de la scène célèbre racontée par Berlioz, est en fait postérieur à l’évènement, puisqu’il date de 1827. Qui plus est, Berlioz ne mentionne pas ce pavillon dans son récit mais seulement la ferme dans son ensemble, and selon lui l’altercation principale avec sa mère aurait eu lieu au domicile familial en non au Chuzeau.

    La date exacte de l’épisode raconté dans les Mémoires n’est pas établie – il s’agit de la période de tiraillements entre Berlioz et sa famille après son arrivée à Paris fin 1821 et sa décision d’abandonner la médecine pour devenir compositeur. L’épisode eut lieu lors d’une des visites qu’il fit à La Côte entre 1823 et 1825 pour plaider sa cause contre l’opposition de sa famille. Selon David Cairns (Hector Berlioz, tome I, p. 148-51, 212-13) il devrait se placer en 1823 – dans ses Mémoires Berlioz aurait fondu plusieurs visites à La Côte en un seul épisode. Mais laissons la parole à Berlioz:

Pour comprendre ce qui va suivre, il faut savoir que ma mère, dont les opinions religieuses étaient fort exaltées, y joignait celles dont beaucoup de gens ont encore de nos jours le malheur d’être imbus, en France, sur les arts qui, de près ou de loin, se rattachent au théâtre. Pour elle, acteurs, actrices, chanteurs, musiciens, poëtes, compositeurs, étaient des créatures abominables, frappées par l’Eglise d’excommunication, et comme telles prédestinées à l’enfer. [...]

Ma mère donc, persuadée qu’en me livrant à la composition musicale (qui, d’après les idées françaises, n’existe pas hors du théâtre) je mettais le pied sur une route conduisant à la déconsidération en ce monde et à la damnation dans l’autre, n’eut pas plutôt vent de ce qui se passait, que son âme se souleva d’indignation. Son regard courroucé m’avertit qu’elle savait tout. Je crus prudent de m’esquiver et de me tenir coi jusqu’au moment du départ. Mais je m’étais à peine réfugié dans mon réduit depuis quelques minutes, qu’elle m’y suivit, l’œil étincelant, et tous ses gestes indiquant une émotion extraordinaire:

« Votre père, me dit-elle, en quittant le tutoiement habituel, a eu la faiblesse de consentir à votre retour à Paris, il favorise vos extravagants et coupables projets!... je n’aurai pas, moi, un pareil reproche à me faire, et je m’oppose formellement à ce départ!

— Ma mère!...

— Oui, je m’y oppose, et je vous conjure, Hector, de ne pas persister dans votre folie. Tenez, je me mets à vos genoux, moi, votre mère, je vous supplie humblement d’y renoncer...

— Mon Dieu, ma mère, permettez que je vous relève, je ne puis... supporter cette vue...

— Non, je reste!... » Et, après un instant de silence: « Tu me refuses, malheureux! tu as pu, sans te laisser fléchir, voir ta mère à tes pieds! Eh bien! pars! Va te traîner dans les fanges de Paris, déshonorer ton nom, nous faire mourir, ton père et moi, de honte et de chagrin! Je quitte la maison jusqu’à ce que tu en sois sorti. Tu n’es plus mon fils! je te maudis!» »

Est-il croyable que les opinions religieuses aidées de tout ce que les préjugés provinciaux ont de plus insolemment méprisant pour le culte des arts, aient pu amener entre une mère aussi tendre que l’était la mienne et un fils aussi reconnaissant et respectueux que je l’avais toujours été, une scène pareille?... Scène d’une violence exagérée, invraisemblable, horrible, que je n’oublierai jamais, et qui n’a pas peu contribué à produire la haine dont je suis plein pour ces stupides doctrines, reliques du moyen âge, et, dans la plupart des provinces de France, conservées encore aujourd’hui.

Cette rude épreuve ne finit pas là. Ma mère avait disparu; elle était allée se réfugier à une maison de campagne nommée le Chuzeau, que nous avions près de la Côte. L’heure du départ venue, mon père voulut tenter avec moi un dernier effort pour obtenir d’elle un adieu, et la révocation de ses cruelles paroles. Nous arrivâmes au Chuzeau avec mes deux sœurs. Ma mère lisait dans le verger au pied d’un arbre. En nous apercevant, elle se leva et s’enfuit. Nous attendîmes longtemps, nous la suivîmes, mon père l’appela, mes sœurs et moi nous pleurions; tout fut vain; et je dus m’éloigner sans embrasser ma mère, sans en obtenir un mot, un regard, et chargé de sa malédiction!...

(Mémoires, chapitre 10)

Sauf indication contraire, toutes les photographies reproduites sur cette page ont été prises par Michel Austin en septembre 2008; les autres images ont été reproduites d’après des cartes postales dans notre collection. © Monir Tayeb et Michel Austin. Tous droits de reproduction réservés.

La maison de campagne des Berlioz au Chuzeau au début du XXe sciècle

Chuzeau

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De nos jours la cour de la ferme, que l’on voit ici sur une vieille carte postale de notre collection, a peu changé depuis le début du 19ème siècle par rapport à ce que la famille Berlioz a connu (voyez aussi l’article d’Antoine Troncy cité ci-dessus).

La ferme est maintenant classée site patrimonial de l’Isère.

Le pavillon “de la malédiction” vers la fin du XIXe siècle

Chuzeau

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L’original de cette aquarelle par Jean Celle, qui porte la date du 20 juillet 1895, est au Musée Berlioz. Nous remercions vivement Madame Chantal Spillemaecker, Conservateur au Musée dauphinois et Conservateur du Musée Hector Berlioz de nous avoir envoyé une copie électronique de cette aquarelle.

Le pavillon “de la malédiction” vers 1959

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Le pavillon “de la malédiction” – 2008

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Le pavillon “de la malédiction” – 2008

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Le pavillon “de la malédiction” – 2008

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Pancarte officielle à l’extérieur de la ferme 
où le pavillon est situé – 2008

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La photographie ci-dessous, prise en 2003, nous a été envoyée par notre ami Pepijn van Doesburg, auquel nous exprimons notre reconnaissance.

Chuzeau

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