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Le Monde Illustré  No 99. 5 Mars 1859 [p. 151]

MÉMOIRES D’UN MUSICIEN 1.

(Suite.)
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XXX

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XXXI

Je donne mon second concert. — La Symphonie fantastique. — Liszt vient me voir. 
    — Commencement de notre liaison. — Les critiques parisiens. — Je pars pour l’Italie.

    Malgré les pressantes sollicitations que j’adressai au ministre de l’intérieur pour qu’il me dispensât du voyage d’Italie auquel ma qualité de lauréat de l’Institut m’obligeait, je dus me préparer à partir pour Rome.2

     Je ne voulus pourtant pas quitter Paris sans reproduire en public ma cantate de Sardanapale, dont le final avait été abîmé à la distribution des prix de l’Institut. J’organisai en conséquence un concert au Conservatoire, où cette œuvre académique figura à côté de la Symphonie fantastique qu’on n’avait pas encore entendue.

    Habeneck se chargea de diriger ce concert, dont tous les exécutants, avec une bonne grâce dont je ne saurais trop les remercier, me prêtèrent une troisième fois leur concours gratuitement.

    Ce fut la veille de ce jour que Liszt vint me voir. Nous ne nous connaissions pas encore. Je lui parlai du Faust de Goëthe, qu’il m’avoua n’avoir pas lu, et pour lequel il se passionna autant que moi bientôt après. Nous éprouvions une vive sympathie l’un pour l’autre, et depuis lors notre liaison n’a fait que se resserrer et se consolider.

     Il assista à ce concert, où il se fit remarquer de tout l’auditoire par ses applaudissements et ses enthousiastes démonstrations.

     L’exécution ne fut pas irréprochable sans doute ; ce n’était pas avec deux répétitions seulement qu’on pouvait en obtenir une parfaite pour des œuvres si compliquées. L’ensemble, toutefois, fut suffisant pour en laisser apercevoir les traits principaux. Trois morceaux de la symphonie : le Bal, la Marche au supplice et le Sabbat, firent une grande sensation. La Marche au supplice surtout bouleversa la salle. La Scène aux champs ne produisit aucun effet. Elle ressemblait peu, il est vrai, à ce qu’elle est aujourd’hui.

    Je pris aussitôt la résolution de la récrire, et Hiller me donna à cet égard d’excellents conseils dont j’ai tâché de profiter.

     La cantate fut bien rendue ; l’incendie s’alluma, l’écroulement eut lieu, le succès fut très-grand. Quelques jours après, les Aristarques de la presse se prononcèrent les uns pour, les autres contre moi avec passion. Mais les reproches que me faisait la critique hostile, au lieu de porter sur les défauts évidents des deux ouvrages entendus dans ce concert, défauts très-graves que j’ai corrigés dans la symphonie avec tout le soin dont je suis capable en retravaillant ma partition pendant plusieurs années, ces reproches, dis-je, tombaient presque tous à faux. Ils s’adressaient tantôt à des idées absurdes qu’on me supposait et que je n’eus jamais, tantôt à la rudesse de certaines modulations qui n’existaient pas, à l’inobservance systématique de certaines règles fondamentales de l’art que j’avais religieusement observées, et à l’absence de certaines formes musicales qui étaient seules employées dans les passages où on en niait la présence.

    Au reste, je dois l’avouer, mes partisans m’ont aussi bien souvent attribué des intentions que je n’ai jamais eues et parfaitement ridicules. Deux ou trois hommes seulement ont tout d’abord parlé de moi avec une sage et intelligente réserve. Mais les critiques clairvoyants, doués de savoir, de sensibilité, d’imagination et d’impartialité, capables de me juger sainement, de bien apprécier la portée de mes tentatives et la direction réelle de mes idées, ne sont pas aujourd’hui même faciles à trouver. En tout cas, ils n’existaient pas dans les premières années de ma carrière ; les exécutions rares et fort imparfaites de mes essais leur eussent d’ailleurs laissé beaucoup à deviner.

     Tout ce qu’il y avait alors à Paris de jeunes gens pourvus d’un peu de culture musicale et de ce sixième sens qu’on nomme le sens artiste, musiciens ou non, me comprenait mieux et plus vite que ces froids prosateurs, pleins de vanité et d’une ignorance prétentieuse. Les professeurs de musique, dont les œuvres-bornes étaient rudement heurtées et écornées par quelques unes des formes de mon style, commencèrent à me prendre en horreur. Mon impiété à l’égard de certaines croyances scolastiques surtout les exaspérait. Et Dieu sait s’il y a quelque chose de plus violent et de plus acharné qu’un pareil fanatisme ! On juge de la colère que devaient causer à Cherubini ces questions hétérodoxes soulevées à mon sujet et tout ce bruit dont j’étais la cause.    .    .    .    .   .

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    Au bout de quelques jours, il me fit appeler : « Vous allez partir, me dit-il. — Oui, monsieur. — On va vous effacer des registres du Conservatoire, vos études sont terminées. Mais il me semble que vous deviez venir me faire une visite. On ne sort pas d’ici comme d’une écurie ! » — Je fus sur le point de répondre : « Pourquoi non ? puisqu’on nous y traite comme des chevaux ! » Mais j’eus le bon sens de me contenir et d’assurer même à notre illustre directeur que je n’avais point eu la pensée de quitter Paris sans venir prendre congé de lui et le remercier de ses bontés. Il fallut donc, bon gré mal gré, préparer mon départ pour Rome, où je devais avoir le loisir d’oublier les gracieusetés du Cherubini, les coups de lance à fer émoulu du chevalier français Boïeldieu, les grotesques dissertations des feuilletonistes, les chaleureuses démonstrations de mes amis, les invectives de mes ennemis, et le monde musical et même la musique.    .    .    .    .   .

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    Diverses circonstances me retinrent, néanmoins, à Paris, après la cérémonie auguste de mon couronnement, jusqu’au milieu de janvier. Enfin, après être allé passer quelques semaines à la Côte-Saint-André, où mes parents, tout fiers de la palme académique que je venais d’obtenir, me firent le meilleur accueil, je m’acheminai vers l’Italie, seul et assez triste.

XXXII, XXXIII, XXXIV, XXXV, XXXVI, XXXVII, XXXVIII, XXXIX, XL, XLI, XLII, XLIII 

Voyage en Italie.3

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    Mais je ne rêve plus que Paris. J’ai fini mon monodrame et retouché ma symphonie fantastique ; il faut les faire exécuter. J’obtiens du directeur de l’Académie (M. Vernet) la permission de quitter l’Italie avant l’expiration de mon temps d’exil. Je pose pour mon portrait qui, selon l’usage, est fait par le plus ancien de nos peintres et prend place dans la galerie du réfectoire ; je fais une dernière tournée de quelques jours à Tivoli, à Albano, à Palestrina ; je vends mon fusil ; je brise ma guitare ; j’écris sur quelques albums ; je donne un grand punch aux camarades ; je caresse longtemps les deux chiens de M. Vernet, compagnons ordinaires de mes chasses ; j’ai un instant de profonde tristesse en songeant que je quitte cette poétique contrée, peut-être pour ne plus la revoir ; les amis m’accompagnent jusqu’à Ponte-Molle ; je monte dans une affreuse carriole ; me voilà parti.

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    Et ce fut le 12 mai 1832, qu’en descendant le Mont Cenis, je revis, parée de ses plus beaux atours de printemps, cette délicieuse vallée de Grésivaudan où serpente l’Isère, où j’ai passé les plus belles heures de mon enfance, où les premiers rêves passionnés sont venus m’agiter. Voilà le vieux rocher de Saint-Eynard... Là bas, dans cette vapeur bleue, me sourit la maison de mon grand-père. Toutes ces villas, cette riche verdure, c’est ravissant, c’est beau, il n’y a rien de pareil en Italie !... Mais mon élan de joie naïve fut brisé soudain par une douleur aiguë que je ressentis au cœur... Il m’avait semblé entendre gronder Paris dans le lointain.

1 La traduction et la reproduction sont réservées.
2 Le motif de ce désir de rester à Paris est donné dans l’un des chapitre supprimés. 
3 Cette partie des Mémoires d’un musicien, ayant été déjà publiée, ne peut être reproduite par le Monde illustré. 

HECTOR BERLIOZ.          

 

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Page Hector Berlioz: Mémoires d’un musicienLe Monde Illustré 1858-1859 créée le 15 janvier 2010; cette page ajoutée le 5 septembre 2011.

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