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Le Monde Illustré  No 93. 22 Janvier 1859 [p. 58]

MÉMOIRES D’UN MUSICIEN 1.

(Suite.)
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XXI

Fatalité. — Je deviens critique.

    Je dois maintenant signaler la circonstance qui me fit mettre la main à la roue d’engrenage de la critique. Humbert Ferrand, MM. Cazalès et de Carné, dont les noms sont assez connus dans notre monde politique, venaient de fonder, à l’appui de leurs opinions religieuses et monarchiques, un recueil littéraire intitulé Revue européenne. Afin d’en compléter la rédaction, ils voulurent s’adjoindre quelques artistes pour collaborateurs. Humbert Ferrand proposa de me charger de la critique musicale. « Mais je ne suis pas un écrivain, lui dis-je quand il m’en parla, ma prose sera détestable, et je n’ose vraiment... — Vous vous trompez, répondit Ferrand, j’ai vu de vos lettres, vous acquerrez bientôt l’habitude qui vous manque ; d’ailleurs, nous reverrons vos articles avant de les imprimer, et nous vous indiquerons les corrections qui pourront y être nécessaires. Venez avec moi chez de Carné, vous y connaîtrez les conditions auxquelles cette collaboration vous est offerte. »

    L’idée d’une arme pareille mise entre mes mains pour défendre le beau et pour attaquer ce que je trouvais le contraire du beau, commença aussitôt à me sourire, et la considération d’un léger accroissement de mes ressources pécuniaires, toujours si bornées, acheva de me décider. Je suivis Ferrand chez M. de Carné, et tout fut conclu.

    Je n’ai jamais eu beaucoup de confiance en moi avant d’avoir éprouvé mes forces ; mais cette disposition naturelle se trouvait augmentée ici par une excursion malheureuse que j’avais déjà faite dans le champ de la polémique musicale. Voici à quelle occasion. Les blasphèmes des journaux rossinistes de cette époque contre Gluck, Spontini, et toute l’école de l’expression et du bon sens, leurs extravagances pour soutenir et prôner Rossini et son système, l’incroyable absurdité de leurs raisonnements pour démontrer que la musique, dramatique ou non, n’a point d’autre but que de charmer l’oreille et ne peut prétendre à exprimer des sentiments et des passions, tout cet amas de stupidités arrogantes émises par des gens qui ne connaissaient pas les notes de la gamme, me donnaient des crispations de fureur. En lisant les divagations d’un de ces fous, je fus pris un jour de la tentation d’y répondre. Il me fallait une tribune décente ; j’écrivis à M. Michaud, rédacteur en chef et propriétaire de la Quotidienne, journal assez en vogue alors. Je lui exposai mon désir, mon but, mes opinions, en lui promettant de frapper dans ce combat aussi juste que fort. Ma lettre, à la fois plaisante et sérieuse, lui plut. Il me fit sur-le-champ une réponse favorable. Ma proposition était acceptée et mon premier article attendu avec impatience. « Ah ! misérables ! criai-je en bondissant de joie, je vous tiens ! » Je me trompais, je ne tenais rien, ni personne. Mon inexpérience dans l’art d’écrire était trop grande, mon ignorance du monde et des convenances de la presse trop complète, et mes passions musicales avaient trop de violence pour que je ne fisse pas au début un véritable pas de clerc. L’article que je portai à M. Michaud, article en soi très-désordonné et fort mal conçu, passait en outre toutes les bornes de la polémique, si ardente qu’on la suppose. M. Michaud en écouta la lecture et, effrayé de mon audace, me dit : « Tout cela est vrai, mais vous cassez les vitres ; il m’est absolument impossible d’admettre dans la Quotidienne un article pareil. » Je me retirai en promettant de le refaire. La paresse et le dégoût que m’inspiraient tant de ménagements à garder survinrent bientôt, et je ne m’en occupai plus.

    Si je parle de ma paresse, c’est qu’elle a toujours été grande pour écrire de la prose. J’ai passé bien des nuits à composer mes partitions ; le travail même assez fatigant de l’instrumentation me tient quelquefois huit heures consécutives immobile à ma table sans que l’envie me prenne seulement de changer de posture ; et ce n’est pas sans effort que je me décide à commencer une page de prose, et dès la dixième ligne (à de très-rares exceptions près) je me lève, je marche dans ma chambre, je regarde dans la rue, j’ouvre le premier livre qui me tombe sous la main, je cherche enfin tous les moyens de combattre l’ennui et la fatigue qui me gagnent rapidement. Il faut que je me reprenne à huit ou dix fois pour mener à fin un feuilleton du Journal des Débats. Je mets ordinairement deux jours à l’écrire, lors même que le sujet à traiter me plaît, me divertit ou m’exalte vivement. Et que de ratures ! quel barbouillage ! il faut voir ma première copie... La composition musicale est pour moi une fonction naturelle, un bonheur ; écrire de la prose est un travail.

    Excité et pressé par H. Ferrand, je fis néanmoins, pour la Revue européenne quelques articles de critique admirative sur Gluck, Spontini et Beethoven ; je les retouchai d’après les observations de M. de Carné ; ils furent imprimés, accueillis avec indulgence, et je commençai ainsi à connaître les difficultés de cette tâche dangereuse qui a pris avec le temps une importance si grande et si déplorable dans ma vie. On verra comment il m’est devenu impossible de m’y soustraire et les influences diverses qu’elle a exercées sur ma carrière d’artiste en France et ailleurs.

XXII

Le concours de composition musicale. — J’obtiens le second prix

    Ainsi tourmenté par une maladie morale, dont la révélation des œuvres de Beethoven, loin de me guérir, semblait augmenter la douloureuse intensité ; à peine occupé de rares et informes travaux de littérature musicale ; toujours rêvant, silencieux jusqu’au mutisme, sauvage, négligé dans mon extérieur, insupportable à mes amis autant qu’à moi-même, j’atteignis le mois de juin de l’année 1828, époque à laquelle je me présentai pour la troisième fois au concours de l’Institut. J’y fus encore admis et j’obtins le second prix.

     XXIII

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XXIV

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1 La traduction et la reproduction sont interdites.

HECTOR BERLIOZ.          

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