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feuilleton

FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

DU 24 SEPTEMBRE 1905

REVUE MUSICALE.

Hector Berlioz (1803-1869), par M. J.-G. Prod’homme (chez Delagrave)

    […] Un de ceux qui crient le plus fort, et peut-être a-t-il raison pour qu’on l’entende, est l’auteur d’un nouveau volume sur Berlioz qui est, ma foi, très intéressant, très bien fait, solidement appuyé sur les autres travaux, plus ou moins considérables, que l’auteur des Troyens a déjà fait éclore, mais dont il serait excessif de dire, comme il semble résulter d’une note-réclame envoyée par le libraire et rédigée je ne sais par qui, que c’est là le livre définitif sur Berlioz, à supposer qu’il y ait jamais, sur n’importe quel sujet, de livre définitif. « Ce livre de M. J.-G. Prod’homme, écrit sans esprit de parti et avec la sincérité d’un historiographe, semble être, après tant d’ouvrages qui ont paru depuis quelques années sur cette question brûlante, le livre par excellence du grand rival de Wagner. Il vient mettre un terme aux dédains des snobs, aux ingratitudes des musiciens qui se refusent à reconnaître leur dette, à tous les dénigrements de la mode dont la violence même semble témoigner de la grandeur de celui auquel ils s’adressent. Dans ces pages brûlantes de la fièvre de son génie, Berlioz revit tout entier. M. Prod’homme nous l’a montré superbe au milieu de ses luttes, grandi par ses souffrances mêmes, travaillant laborieusement à échafauder cet impérissable monument de gloire. Il faut, pour bien connaître Berlioz, avoir lu ce livre, qui nous fait remonter aux sources de son génie et nous en fait suivre le développement progressif… »

    Si je reproduis cette note, c’est que j’en étais prié et pour être agréable à l’auteur; mais il me semble bien que, même avant d’avoir lu cet ouvrage, d’autres que moi pouvaient assez bien connaître Berlioz, être au courant de ses luttes, de ses déboires, de ses triomphes imaginaires ou réels, de ses crises passionnelles, de ses désespoirs fous, de ses cruelles vengeances, de ses accès d’inspiration créatrice et des transformations qu’il fit subir à la plupart de ses œuvres comme aussi des significations variables qu’il y attachait, de tout le roman de sa vie en un mot, avec les enjolivements ou les obscurités qu’il lui a plu d’y répandre et que deux auteurs ont mis au clair en rétablissant la stricte vérité des faits, il y a déjà quelque vingt ans. Aussi le livre de M. Prod’homme n’apporte-t-il pas de lumières nouvelles sur la vie et la carrière de Berlioz, car les grandes lignes en sont définitivement fixées; l’envers même des événements est connu de nous, les raisons déterminantes de tous les actes de Berlioz dans un sens ou dans un autre nous sont familières, et de minces trouvailles de papiers encore inédits ou de lettres demeurées inconnues ne peuvent que confirmer les découvertes, inductions ou conclusions d’une enquête poussée à fond dès le premier jour par ceux qui avaient entrepris de la faire et que leur admiration pour Berlioz n’avait pas arrêtés dans leur ardente recherche de la vérité, celle-ci dut-elle, en plus d’un point, modifier les opinions reçues, celles que le maître avait répandues sur lui-même et soigneusement préparées pour l’avenir.

    Mais il y a toujours à glaner au sujet d’un tel maître, et M. Prod’homme, qui s’est déjà fait connaître par des travaux intéressants sur l’auteur de l’Enfance du Christ et de la Damnation de Faust, était trop au courant de tout ce qui s’est déjà publié sur Berlioz pour ne pas voir de quel côté devaient tendre ses investigations, et, sans vouloir diminuer son mérite, il est bien clair que, plus le temps marche, plus la tâche devient facile pour celui qui entreprend de raconter à nouveau la vie du maître et de juger une fois de plus en Berlioz l’homme et le musicien. C’est ainsi que la constitution d’un petit musée à la Côte-Saint-André, dans la maison natale de Berlioz, et la célébration de son centenaire en 1903 ont fait sortir de l’ombre divers papiers de famille ou pièces de l’état civil qui, d’ailleurs, confirment ce qu’on savait déjà, mais sont rapportés ici dans leur teneur même; c’est ainsi que les lettres de Berlioz à la princesse de Sayn-Wittgenstein et à Liszt, la correspondance de Liszt avec Wagner, ou les ouvrages allemands de Richard et Louise Pohl, l’étude de M. Ch. Maclean sur Berlioz en Angleterre, etc., apportent de nouveaux moyens de contrôle et permettent de vérifier une fois de plus, par de nouveaux textes, des faits déjà solidement établis, mais au sujet desquels il peut être instructif de grouper des renseignements un peu plus abondants que ceux qu’on avait jusqu’alors ou des appréciations plus libres, partant plus sincères. Mais, quant au fond des choses, il ne change pas et ne saurait plus changer.

    L’auteur, se réservant de revenir en détail sur chacune des créations de Berlioz, comme il l’a déjà fait pour deux d’entre elles, s’est efforcé de donner à son ouvrage général un caractère purement historique et biographique, — le critique se rattrapera plus tard, — et le fait est qu’il a réuni là quantité de menus détails, non pas seulement sur Berlioz, mais sur les diverses personnes qui se sont trouvées mêlées ou simplement juxtaposées à l’existence du maître; en sorte que ce livre est amusant à lire, au moins autant par sa partie accessoire qu’en raison du sujet principal. Je ferai toutefois, à ce propos, un léger reproche à l’auteur: celui de n’avoir pas assez fondu dans sa narration les diverses pièces ou citations sur lesquelles il s’appuie et d’avoir, par endroits, tellement multiplié les notes, des notes considérables, que le récit essentiel en est interrompu à chaque ligne et devient très difficile à suivre. Et ces notes, cependant, ont bien leur agrément, lorsque l’auteur, par exemple, emprunte au Nain Jaune quantité de traits facétieux contre les Troyens ou réédite l’article par lequel Villemessant, opérant avant son gendre Jouvin, avait « exécuté » Berlioz de la belle façon dans le Figaro, à l’occasion du Te Deum: « Ce Te Deum de Saint-Eustache devait concorder avec l’inauguration de l’Exposition universelle qui n’a pas ouvert ce jour-là. De sorte que si les exécutants de M. Berlioz étaient en retard, c’était sans doute afin d’attendre l’Exposition qui, de son côté, n’était pas en mesure. » Et là-dessus, Villemessant, très joyeux d’avoir trouvé ce pitoyable « mot de la fin », tire sa révérence à Berlioz.

    L’ouvrage de M. Prod’homme se termine par quelques pages vraiment neuves, très précises et destinées à s’améliorer encore, où l’auteur a dressé d’abord, un catalogue très détaillé des œuvres de Berlioz; puis, une liste très nourrie des écrits utiles à consulter sur le maître et qu’il n’a pas pu tous citer dans ses nombreuses notes, comme il aurait désiré le faire; ensuite, un index iconographique englobant les portraits et caricatures de Berlioz, ainsi que les gravures relatives à ses ouvrages; enfin, pour la bonne bouche, un extrait du tableau généalogique de la famille Berlioz depuis le seizième siècle, établi par un ancien magistrat de Grenoble. Le dernier qui porta ce nom fut précisément celui qui l’avait rendu célèbre, et quand Berlioz mourut, deux ans après son fils, le nom s’éteignit avec lui: il s’éteignit, mais ne disparut pas.

ADOLPHE JULLIEN.

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; cette page créée le 1er mars 2020.

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