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2021

    Cette page présente les comptes-rendus d’exécutions et représentations qui ont eu lieu en 2021. Nous remercions très vivement les auteurs de leurs précieuses contributions.

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FESTIVAL BERLIOZ 2021 : ÉDITION FASTUEUSE  

FESTIVAL BERLIOZ 2021 : ÉDITION FASTUEUSE

Pierre-René Serna

- 22 août : après-midi : récital de piano d’Aline Piboule ; soir : les Troyens à Carthage, sous la direction de François-Xavier Roth.
- 23 août : après-midi : récital de piano d’Aline Piboule ; soir : spectacle « le Château des cœurs ».
- 24 août : après-midi : récital de piano et chant par Sandra Chamoux et Emmanuel Cury ; soir : Épisode de la vie d’un artiste, sous la direction de Jérémie Rhorer.
- 25 août : après-midi : récital de piano d’Aline Piboule ; soir : l’Enfance du Christ, sous la direction de John Nelson.
- 26 août : après-midi : récital de piano d’Aline Piboule ; soir : la Damnation de Faust, sous la direction de Valery Gergiev.
- 27 août : après-midi : récital de piano et chant par Ancuza Aprodu et Vincent Le Texier ; soir : Requiem, sous la direction de Valery Gergiev.
- 28 août : soir : concert « Nuits d’été », sous la direction de John Eliot Gardiner.

    Le Festival Berlioz à la Côte-Saint-André fait un retour éblouissant, après une année d’absence, avec des interprètes des plus prestigieux qui n’ont pas failli à leur réputation. Échos d’une riche seconde semaine.

    La situation n’était toutefois pas facile pour des artistes venus de différents pays en raison des conditions sanitaires actuelles. En particulier pour Valery Gergiev et ses forces du théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, condamnés à une forme confinement (après avoir été interdits par le préfet de la région, car le vaccin russe n’est pas reconnu en Europe, puis autorisés après intervention de la présidence de la république française !), ainsi que pour John Eliot Gardiner et ses troupes venues de Grande-Bretagne (qui ont nécessité l’affrètement d’un avion privé pour un retour précipité afin d’éviter une quarantaine !). Mais tout s’est finalement bien déroulé, grâce aux réactions opportunes et efficaces de Bruno Messina, l’entreprenant directeur du festival.

LES TROYENS À CARTHAGE
    Le clou de cette édition était à n’en pas douter les Troyens à Carthage en version de concert, ou seconde partie des Troyens (faisant suite à la première partie, la Prise de Troie, donnée en 2019 – voir sur ce site). François-Xavier Roth remporte la palme assurément et le concert se révèle magnifique dans tous ses aspects, pour l’interprétation mais aussi pour le respect scrupuleux de la partition.

    C’est ainsi qu’est livré le Prologue des Troyens à Carthage, constitué d’un Lamento orchestral et d’une Légende résumant les épisodes précédents de la Prise de Troie en quelques vers déclamés par un rapsode sur des notes de harpes, puis le chœur et l’orchestre dans une adaptation de la Marche troyenne. Prologue, qui semble n’avoir plus été donné en tant que tel (bien que le Lamento soit parfois donné sous le titre « prélude aux Troyens à Carthage ») depuis les représentations en 1863 au Théâtre-Lyrique. Une découverte ! Éric Génovèse exprime le rapsode récitant avec ce qu’il faut de projection.

    Pour la suite, ou les trois derniers actes des Troyens, a été réunie une distribution vocale des plus adaptée. Isabelle Druet campe Didon (comme elle l’avait fait précédemment pour Cassandre) avec style et expression. Une belle incarnation. Le ténor Mirko Roschkowski confirme un Énée d’envergure, comme pour sa participation à la précédente Prise de Troie, conjuguant vaillance et nuances en voix de tête comme Berlioz le souhaitait. Et de plus, pour ce chanteur allemand, avec une excellente élocution française. Les multiples rôles secondaires accomplissent parfaitement leur tâche : le Iopas élégiaque de Julien Dran, le Narbal profond de Vincent Le Texier, l’Ascagne assuré de Héloïse Mas. On pourrait seulement émettre une légère réserve pour Anna, par la voix de soprano de Delphine Haidan, qui s’associe malencontreusement avec la tessiture de soprano de Didon, en place du contralto qui conviendrait.

    L’orchestre est le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz – Isère, orchestre-académie du Festival Berlioz constitué de jeunes instrumentistes jouant sur instruments d’époque venus de toute l’Europe, accompagnés par les musiciens aguerris de l’orchestre les Siècles, qui ont travaillé longtemps en amont cette partition complexe. Et le résultat se ressent, avec des détails ciselés et puissance quand il faut. Le nombreux chœur rassemble le Chœur de l’Orchestre de Paris et le Chœur Forum national de Wroclaw, pour un ensemble mais aussi la délicatesse qui se doivent, y compris avec un parfaite prononciation française pour les choristes polonais. Tout ce succès revient sans doute aucun au travail réalisé en amont sous l’égide de François-Xavier Roth et à sa direction (à l’aide d’une petite baguette, comme à l’époque) précise autant que ferme, par lesquels il confirme sa connaissance aigüe de Berlioz. Un grand moment.

    À quand des Troyens intégralement au festival ? Cela semble prévu pour 2023, sous la direction de Gardiner.

L’ENFANCE DU CHRIST
    Autre moment fort : l’Enfance du Christ. Ce concert est aussi l’occasion de retrouver John Nelson, enfin accueilli comme il se doit au festival. Le chef d’orchestre costaricain (ayant repris la nationalité du Costa Rica, son pays de naissance, bien que de famille originaire des États-Unis), constitue ainsi le dernier arrivé (après Roth, Gardiner ou Gergiev) parmi les meilleurs intercesseurs de Berlioz au festival qui célèbre le compositeur. Il s’est déjà illustré glorieusement dans les grandes pages de Berlioz et ici demeure digne de sa magnifique réputation.

    La Trilogie sacrée de Berlioz est servie au mieux et au plus juste, et à commencer par des chanteurs solistes de choix. Magnifique prise de rôle, qui n’attendait que lui, Cyrille Dubois incarne le Récitant, avec cet art du dire et cette projection vocale ferme autant que nuancée qui lui appartiennent. Vincent Le Texier (à nouveau et remplaçant de dernière minute de Jean Teitgen, souffrant), plante un Hérode de belle prestance avec ce qu’il faut d’emportement expressif, ainsi qu’un Père de famille d’un prenant caractère émouvant. Des rôles qu’il n’avait abordés qu’une seule fois il y a fort longtemps. Le baryton Roderick Williams offre un Joseph de claire facture, alors que la mezzo Christine Rice présente une Marie de suave délicatesse, d’une excellente élocution française, l’un comme l’autre, pour ces chanteurs britanniques.

    Les chœurs, judicieusement préparés par Nicole Corti, Pascal Adoumbou et Tanguy Bouvet (Chœur Spirito et Jeune Chœur symphonique) marient pianissimo et forte de circonstances et de juste adéquation. Quant à l’orchestre, un efficace Orchestre national de Lyon, il resplendit de couleurs, dans les détails comme les mouvements d’ensemble, sous la menée intensément précise de Nelson, le tout dans un sentiment général porté de l’intérieur.

LA DAMNATION DE FAUST ET LE REQUIEM
    Succèdent la Damnation de Faust et le Requiem, par Gergiev au plus haut et ses troupes du Mariinsky, orchestre, chœur et solistes de bel envol. La Damnation fourmille de détails échafaudés comme peu, par un orchestre et un chœur galvanisés par les méticuleux petits gestes assortis d’une petite baguette (encore !) du maestro. Marguerite bien timbrée de Yulia Matochkina, Méphisto d’autorité de Ildar Abdrazakov, Faust léger en regard de Alexander Mikhailov mais bien placé : un plateau vocal quasi idéal, et qui plus est dans un excellent français pour ces Russes. Le lendemain, place au Requiem. On pourrait chipoter les effectifs limités (mais Berlioz ne disait-il pas : « les indications de nombre ne sont que relatives ») ou certains détails, mais il faut tenir compte des contraintes particulières (que nous évoquions en début d’article) et aussi du fait que les forces du Mariinsky n’étaient pas extensibles ni modifiables dans leur répartition lors de leur déplacement, et que par ailleurs les conditions d’un lieu, l’auditorium provisoire sis dans la cour du château de la Côte, ne s’apparentent pas à une église ou un théâtre fermé. Il n’en reste pas moins une transmission d’une grande fermeté, intense davantage que démonstrative, qui porte en elle l’essence de l’œuvre. Réapparition de Alexander Mikhailov, qui intervient de sa voix évanescente avec juste à-propos, et en phase avec le propos général proche de l’indicible et du caractère tellurique retransmis comme rarement du chef-d’œuvre.

AUTRES CONCERTS
    Le soir suivant, et clôture de notre séjour au festival : le concert intitulé « Nuits d’été » sous l’égide de Gardiner, associant excellemment le cycle des mélodies de Berlioz et le Songe d’une Nuit d’été de Mendelssohn, par son Orchestre révolutionnaire et romantique, son Monteverdi Choir. Les Nuits d’été s’épanchent par les voix et timbres dissociés, comme il se doit et que l’on entend peu souvent, du diaphane Cyrille Dubois (encore et toujours), d’une Lea Desandre lyrique et d’un Lionel Lhote baryton profond (une révélation dans la mélodie Sur les lagunes) au-dessus d’une petite formation orchestrale translucide. Le Songe d’une Nuit d’été suit dans un déploiement d’orchestre et l’appoint des voix féminines du chœur, de trois comédiens disant des extraits de la pièce de Shakespeare (en anglais original). Comme une suite appropriée à l’inspiration de Berlioz chez un Mendelssohn porté par les fées.

    Mentionnons aussi, quelque peu en arrière-plan : le concert Épisode de la vie d’un artiste, réunissant la Symphonie fantastique et sa suite Lélio, ou le Retour à la vie (titre d’ailleurs repris, judicieusement, pour cette édition du festival) dirigé impétueusement (un peu trop ?) par Jérémie Rhorer devant son Cercle de l’Harmonie et le Chœur Darius Milhaud d’Aix-en-Provence. On peut déplorer l’absence de réelle mise en scène ou animation pour Lélio, ainsi qu’un récitant pourvu d’un importun microphone (Éric Génovèse, pourtant sans micro, comme de juste, dans le Prologue des Troyens à Carthage). Malgré la bonne participation de Mathias Vidal, ténor de technique mixte adaptée, et de Vincent Le Texier (toujours) pour un fringant Capitaine.

    Retenons le pétulant et attachant spectacle intitulé « le Château des cœurs » d’après Flaubert, par la Compagnie Opéra.3, dans la chapelle de la Fondation des apprentis d’Auteuil (alors que les autres concerts du soir ont lieu dans l’auditorium provisoire de la cour du château). Avec de pertinents chanteurs (dans des extraits de la Damnation, de Béatrice et Bénédict et d’autres pages de Berlioz, arrangés par Félix Roth, fils de François-Xavier, pour accompagnement de flûte, violon et guitare), que l’on a plaisir à nommer tant ils chantent bien : la soprano Cécile Achille, la mezzo Julie Robard-Gendre, le ténor Sébastien Droy, le baryton Ronan Debois. En sus de bons comédiens, dans une aguichante mise en scène de Jeanne Debost.

    Ou les quatre récitals de la pianiste Aline Piboule, dans la petite église de la bourgade, panorama marathon des talents multiples et éclectiques de l’artiste, dans des pages rares de compositeurs français, mais aussi des classiques du répertoire, des incursions du côté du XXe siècle et de la musique contemporaine. Ainsi que les deux récitals, toujours d’après-midi, piano et chant par Ancuza Aprodu et Vincent Le Texier (décidément très présent) pour des mélodies orientalistes de Félicien David, Massenet, Saint-Saëns, et par Sandra Chamoux et Emmanuel Cury pour des mélodies de Duparc. Une édition du Festival Berlioz en forme de grande épopée !

    Et n’oublions pas, en marge des beaux concerts de cette édition du Festival et comme chaque année, l’exposition se tenant au Musée Hector-Berlioz. Cette fois-ci : « les Orientales de Berlioz », qui à l’aide de prêts exceptionnels présente des manuscrits d’époque associés à des peintures et sculptures historiques qui évoquent l’Orient et ses héroïnes en rapport avec une thématique qui parcourt cette édition, comme avec les Troyens à Carthage ou la Palestine et l’Égypte de l’Enfance du Christ (jusqu’au 31 décembre 2021). Une fois encore, une heureuse et imaginative initiative à mettre au compte d’Antoine Troncy, infatigable tête chercheuse et conservateur du Musée.

Pierre-René Serna

Site Hector Berlioz crée par Michel Austin et Monir Tayeb le 18 juillet 1997; page Comptes-rendus de concerts créée en 1999; complètement remaniée le 25 décembre 2008.

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