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Julien Tiersot: Berlioziana

17. CHŒUR DES MAGES, ŒUVRES DE CONCOURS 

    Cette page présente les six articles publiés par Julien Tiersot dans la série Berlioziana avec le sous-titre “Chœur des Mages ”et “Œuvres de concours: Fugues, la Mort d’Orphée, Herminie, Cléopâtre, Sardanapale ”. Voir la page principale Julien Tiersot: Berlioziana.

    Note: pour les lettres de Berlioz citées par Tiersot on a ajouté entre crochets des renvois au numérotage de la Correspondance Générale, par exemple [CG no. 234].

Le Ménestrel, 26 Août 1906 

Le Ménestrel, 2 Septembre 1906 

Le Ménestrel, 9 Septembre 1906 

Le Ménestrel, 16 Septembre 1906 

Le Ménestrel, 23 Septembre 1906 

Le Ménestrel, 30 Septembre 1906 

Le Ménestrel, 26 Août 1906, p. 263-264

CHŒUR DES MAGES

    Ceci est un tout petit morceau : soixante-quatorze mesures, rien de plus. C’est un chœur en mouvement modéré de marche : au début, un thème qui a un aspect presque classique et fait songer à je ne sais quelle page de Mendelssohn, avec moins de pureté pourtant dans la forme et un développement moins soutenu ; puis un épisode où les voix se répondent en entrant par imitations ; enfin une conclusion harmonieuse qui à son tour suggère à la pensée des dernières mesures du chœur dans le Convoi funèbre de Juliette : « Suivez jusqu’au tombeau notre sœur adorée ». Un petit orchestre accompagne agréablement cette composition d’un élève bien intentionné, pas encore très fort. La partie de premier soprano est écrite beaucoup trop haut pour la voix.

    Cette partition est comprise dans un volume relié d’envois de Rome. Son titre est :

QUARTETTO E CORO
DEI MAGGI
da
H. BERLIOZ
            Roma, 1832.

    Si nous avions cru devoir nous en tenir à cette indication, nous aurions renvoyé l’examen du morceau à la suite de quelques autres œuvres antérieures au prix de Rome de Berlioz. Mais nous savons aussi que le concert de 1828 avait sur son programme une Marche des Mages ; nous ne pensons donc pas être téméraire en énonçant l’hypothèse que cette Marche et le Quartetto e coro dei Maggi de 1832 ne sont qu’un seul et même morceau, composé dès 1828, peut-être auparavant, et récopié avec soin quatre ans plus tard, pour être, avec quelques autres pages du même temps, offert à l’Académie en témoignage du labeur et des progrès de Berlioz.

ŒUVRES DE CONCOURS 
FUGUES — LA MORT D’ORPHÉE — HERMINlE 
CLÉOPATRE — SARDANAPALE

    Ce n’est qu’après avoir passé en revue d’importants ouvrages que nous arrivons à ces productions d’un genre spécial qui, chez tant d’autres, auraient marqué un point de départ : les œuvres d’école. La chronologie nous impose cet ordre, Berlioz n’eut le prix de Rome qu’en 1830, et les œuvres qui ont fait l’objet de nos dernières observations furent toutes antérieures, parfois de beaucoup, à cette consécration de l’artiste par le succès officiel.

    Berlioz s’est présenté cinq fois au concours de Rome. La première fois, probablement en 1826 (toute trace de cette première tentative a disparu), il échoua au concours préparatoire. Admis en 1827, il dut s’y reprendre à quatre fois avant d’obtenir la récompense suprême.

    Avant d’entrer dans l’examen des partitions qu’il écrivit dans ces circonstances, rappelons en quelques mots ce qu’est le travail imposé aux concurrents, et en quoi les épreuves d’aujourd’hui diffèrent de celles qu’eurent à subir Berlioz et ses contemporains.

    De nos jours, et depuis un grand nombre d’années, le « chef-d’œuvre » proposé pour le concours définitif est une scène lyrique à trois personnages, — véritable acte d’opéra, moins les chœurs. A l’origine du concours, et jusque vers 1840, c’était simplement une « cantate », dans le véritable sens du mot, de forme analogue à celle des cantates italiennes ou françaises du XVIIIe siècle, c’est-à-dire une composition pour une voix seule, avec orchestre, divisée en épisodes de caractères et de mouvements divers.

    Quant au concours d’essai, il comprend aujourd’hui la composition d’un chœur avec orchestre, sur des paroles imposées, et une fugue à quatre parties sur un sujet donné. La fugue était seule demandée aux environs de 1830.

    Il a été conservé à la Bibliothèque du Conservatoire trois fugues présentées par Berlioz à ces diverses épreuves. Deux sont inscrites au catalogue comme reliées dans le même volume que Cléopâtre, cantate de 1829 ; une troisième se trouve dans un recueil factice de Fugues de concours, inscrit sous le no 15.845, Ce dernier contient notamment quatre fugues sur le même sujet portant les noms des concurrents suivants : H. Berlioz, Bienaimé, Guiraud, Paris ; aucune ne porte de date, mais le troisième des auteurs cités (le père d’Ernest Guiraud) ayant eu le prix en 1827, il en résulte que les quatre fugues furent écrites pour le concours de cette année, le premier auquel ait été admis Berlioz. Une autre fugue du même recueil, signée « Prevost, élève de M. Lesueur », porte cette indication : « Reçu à 4 heures, 1er juillet 1829. » Le sujet est celui d’une des deux autres fugues de Berlioz. Voici donc, pour deux de ces morceaux, les dates fixées : 1827 et 1829. Quant à la troisième fugue, nous ne savons pas si elle appartient à 1828 ou à 1830.

    Il serait peu intéressant d’analyser ces pages d’école. Bornons-nous à dire qu’elles sont faibles. Un candidat qui les présenterait aujourd’hui ne serait certainement pas reçu. C’est le progrès… On a cité ce dialogue entre Cherubini et Berlioz. « Je n’aime pas la fugue », disait celui-ci. « Et la fugue ne vous aime pas », répliquait l’autre. Cherubini avait raison. Mais il faut le reconnaître : Berlioz ne mérite pas un reproche individuel ; les fugues de tous ses camarades sont aussi mauvaises. C’est donc à l’enseignement qu’on donnait alors en France qu’il faut attribuer cette infériorité. Comment les élèves auraient-ils pu apprendre ce que les maîtres ne savaient pas ? Car Cherubini, le seul dont l’enseignement aurait pu être profitable à cet égard, n’était pas professeur. Quant à Berlioz, malgré son peu d’aptitude à se plier à des formes qu’il croyait conventionnelles et arbitraires, il a réalisé par la suite des progrès notables, quand, sorti de l’école, il n’eut plus qu’à écouter sa nature. Tout en déversant continuellement la raillerie sur la fugue, il avait si bien le sentiment instinctif de sa haute musicalité qu’il en a mis partout, et que plusieurs de celles qu’il a écrites sont de premier ordre : telles sont les fugues instrumentales de l’Offertoire de son Requiem, du Cortège funèbre de Juliette, même la fugue aux prétentions satiriques de la Damnation de Faust. Personne ne sera jamais tenté d’accorder les mêmes éloges à ses fugues de concours.

    Arrivons aux cantates.

    La première qu’il composa fut la Mort d’Orphée. La musique en fut déclarée inexécutable, et il fut pour ce fait exclu du concours.

    Qu’est devenue la partition de cette cantate ? Elle a disparu des rayons de la Bibliothèque du Conservatoire. Berlioz avait voulu la faire exécuter à son premier concert, un an environ après son échec ; mais l’indisposition d’un interprète ne le permit pas. Le manuscrit était donc destiné à reprendre sa place dans la poussière à laquelle il semblait à jamais condamné.

    Mais Berlioz ne se résigna pas encore à l’y laisser. Ayant plus tard, en Italie, entrepris la composition du mélologue Le Retour à la vie, il eut l’idée d’y intercaler une phrase de la Mort d’Orphée : un hymne a l’amour, que disait d’abord le chanteur, et que, par une idée de vrai poète, il faisait, après la catastrophe, reprendre à la fin par l’orchestre seul, comme un souvenir lointain et mystérieux : les instruments à vent redisaient le chant, que le reste de l’orchestre accompagnait d’un bruissement vague, « comme celui des eaux de l’Hèbre roulant la tête pâle du poète, pendant qu’une mourante voix élevait, à longs intervalles, ce cri douloureux répété par les rives du fleuve : Eurydice ! Eurydice ! O malheureuse Eurydice ! ! … » (1).

    Ce chant et l’épisode orchestral sont devenus le Chant de bonheur et les Derniers soupirs de la harpe (ou la Harpe éolienne) dans le mélologue.

    De Rome, où il travaillait à cette œuvre, il correspondit avec deux de ses amis pour avoir une copie des fragments de la cantate qu’il voulait utiliser : à Humbert Ferrand d’abord, à qui, le 3 juillet 1831, il écrivit :

J’ai employé pour le Chant de bonheur une phrase de la Mort d’Orphée, que vous avez chez vous, et, pour les Derniers soupirs de la harpe, le petit morceau d’orchestre qui termine cette scène immédiatement après la Bacchanale. En conséquence, je vous prie de m’envoyer cette page, seulement l’adagio qui succède à la Bacchanale, au moment où les violons prennent des sourdines et font des tremolandi accompagnant un chant de clarinette lointain et quelques fragments d’accords de harpe ; je ne me le rappelle pas assez pour l’écrire de tête, et je ne veux rien y changer. Comme vous voyez, la Mort d’Orphée est sacrifiée ; j’en ai tiré ce qui me plaisait, et je ne pourrais jamais faire exécuter la Bacchanale ; ainsi, à mon retour à Paris, j’en hrûlerai la partition, et celle que vous avez sera l’unique et dernière, si toutefois vous la conservez. Il vaudrait bien mieux la détruire… Ainsi, c’est convenu, vous allez me copier très fin ce petit morceau, et je l’attends dans les montagnes de Subiaco. [CG no. 234]

    Humbert Ferrand n’ayant pas répondu, ce qui était assez bien dans ses habitudes, Berlioz se tourna vers un autre ami, Ferdinand Hiller, alors à Paris, et lui écrivit le 8 décembre :

Veuillez aller trouver M. Réty au Conservatoire, et lui demander de prendre dans ma musique la cantate de la Mort d’Orphée… Vous me ferez copier sur papier à lettre la dernière page de la partition, l’adagio con tremulandi qui succède à la Bacchanale ; puis vous le mettrez sous enveloppe à la poste. J’en ai besoin absolument. [CG no. 250; cette lettre date du 3 décembre, voir CG, I. page 503]

    Cette communication dut être funeste à la partition originale : sortie du Conservatoire, elle n’y rentra pas. Berlioz donna suite à son projet de la faire disparaître ; plus tard, il en fut fâché. « J’ai regret maintenant d’avoir détruit la partition de cette cantate, a-t-il dit dans ses Mémoires ; les dernières pages auraient dû m’engager à la conserver. »

    Mais l’autre exemplaire, la copie qu’Humbert Ferrand avait reçue de son ami, qu’est-il devenu ? Aurait-il disparu à son tour ?

    L’aventure est singulière. Après la mort de Ferrand, les héritiers cherchèrent à se défaire des souvenirs de Berlioz trouvés chez lui. Les lettres furent acquises par l’éditeur Calmann-Lévy, qui en forma le volume entier des Lettres intimes ; en outre, deux partitions d’œuvres inédites passèrent entre les mains de M. Martin, ancien directeur du Conservatoire de musique de Marseille, et, après la mort de ce dernier, furent mises en vente publique à Paris, le 25 novembre 1885. Ces partitions étaient : la Scène héroïque (la Révolution grecque) qui, acquise par la Bibliothèque du Conservatoire, à fait l’objet d’un des précédents paragraphes [Berlioziana, 19 août 1906] ; l’autre était annoncée sur le catalogue (Porquet, 1885) exactement dans les termes suivants :

BERLIOZ (HECTOR). La Mort d’Orphée, cantate à grand orchestre, in-fol., cart. copie manuscrite de cet important ouvrage resté inédit. 

On lit sur le titre les lignes suivantes écrites de la main de H. Berlioz : Ouvrage déclaré inexécutable par la section de musique de l’Institut et exécuté à l’École royale de musique le 22 juillet 1828. L’auteur à son ami Ferrand.

    Cet ouvrage fut adjugé à un inconnu au prix de 160 francs (la Scène héroïque n’avait atteint que 72 francs).

    Or, malgré toutes les recherches faites en ces dernières années, par plusieurs personnes autorisées, dans le but de retrouver l’acquéreur, ou tout au moins le livre, toute trace a été perdue de l’un comme de l’autre.

    Cela, certes, est fort surprenant : l’on ne peut comprendre dans quel but aurait été acquis à grands frais, puis retiré de la circulation, ou du moins laissé dans un oubli ténébreux, un ouvrage rare dont la possession ne pourrait que faire honneur à un collectionneur. On a dit qu’il a passé en Amérique. Quoi qu’il en soit, si ces lignes tombaient sous les yeux, soit de l’heureux mais jaloux propriétaire, soit de quelque autre personne ayant des lumières particulières sur ce sujet, je n’ai pas besoin de dire avec quelle reconnaissance je recevrais toute communication qu’on voudrait bien me faire, et qui permettrait de combler cette lacune dans la production de Berlioz.

    En attendant ce jour, peut-être lointain, il faut nous résigner à ne connaître de la Mort d’Orphée, premier ouvrage présenté par Berlioz au concours de Rome, que les deux fragments, si profondément poétiques, qui ont pris leur place définitive dans le Retour à la vie, ainsi que les détails donnés dans ses Mémoires et dans ses lettres, que nous nous sommes fait, tout à l’heure, une obligation bien naturelle de reproduire.

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(1) Mémoires, chap. XIX.

Le Ménestrel, 2 Septembre 1906, p. 270-271

(Suite)

    En 1828, Berlioz obtint le 2e grand prix avec la cantate d’Herminie. La partition, cette fois, nous est restée. En voici le titre complet. On lit d’abord en haut de la page, d’une main étrangère :

No 4
                                reçu le 28 juillet 1828.

    Puis, au milieu du feuillet, ces mots autographes :

HERMINIE
Scène lyrique à Grand Orchestre
Par
HECTOR BERLIOZ
élève de M. Lesueur.
Concours de 1828. Paris, ce 22 Juillet

    Nous tournons la feuille et découvrons la page suivante, et, sur-le-champ, nous éprouvons une surprise ; nous avons devant les yeux le thème principal de la Symphonie fantastique ! Oui, l’Idée fixe, parfaitement formée, s’arrêtant d’abord après la huitième mesure (nous la retrouverons par la suite dans toute son étendue), mais se prêtant déjà à un travail de développement qui fait pressentir la grande œuvre future. Particularité piquante : ce thème, d’un si pur lyrisme, se trouve parfois, dans cette introduction instrumentale, mêlé à de joyeux dessins d’opéra-comique comme il y en a dans les parties similaires de la Dame Blanche ou de la Muette de Portici, — car le candidat avait cru nécessaire de faire appel à ces artifices pour bien disposer ses juges ! Ils font là singulière figure.

    Nous passons sur le premier air, appartenant au genre que nous pourrions appeler « de fabrication », honnête d’ailleurs, et qui aurait dû plaire à l’aréopage pour lequel il fut… fabriqué ; puis nous arrivons sur-le-champ à l’air agité dans lequel Herminie évoque avec effroi la pensée de Tancrède blessé. Au milieu de cet air était placé le cantabile suivant, où la voix répondait d’abord aux flûtes :

score1

    On le voit, le thème est ici entier, presque jusqu’aux dernières mesures. Dans cet air, dont le mouvement est très animé, il est noté à deux temps (C barré), en noires, blanches et rondes ; il était, dans l’introduction instrumentale, écrit à quatre temps, en croches, noires et blanches, comme dans la symphonie ; il en est de même dans le récitatif qui suit l’air, où il reparaît pour la dernière fois.

    Je crois entendre déjà les critiques que va soulever cette constatation. Eh quoi ! Berlioz qui disait nous avoir fait, dans sa Symphonie fantastique, confidence de ses sentiments les plus intimes, nous a déçus au point de prendre pour point de départ musical le thème d’une vulgaire cantate pour concours de Rome ! — Mais non : l’objection ne porte pas. La mélodie d’amour peut avoir paru pour la première fois dans cette cantate : elle n’en reste pas moins le chant qui exprime l’âme même de Berlioz. Elle dit la peine de l’amant qu’un obstacle sépare de l’objet aimé, qui pense à lui, qui aspire à le rejoindre : « J’exhale en vain ma plainte fugitive !… Je l’implore, il ne m’entend pas ! » Est-ce nécessairement Herminie qui chante ainsi, songeant à Tancrède ? N’est-ce pas plutôt Hector Berlioz épanchant son désespoir à la pensée de cette Ophélie dont tout l’éloigne ? N’est-ce pas vers elle que vole son rêve, sur l’aile du thème conducteur ? Oui certes : la mélodie, l’Idée fixe, prend ici, dès sa première apparition, sa signification complète. Et cette observation rend définitivement oiseuse la question, qui a tant occupé les biographes de Berlioz, de savoir en l’honneur de quelle femme fut composée la Symphonie fantastique. Outre que la date de la cantate, de plusieurs mois postérieure à la révélation de Shakespeare et de son interprète, suffit à nous assurer qu’il ne pensait alors qu’à Henriette Smithson, on peut dire qu’en réalité cette mélodie n’a rien d’objectif, qu’elle ne caractérise aucune femme : elle représente l’état d’âme de Berlioz amoureux.

    Si en outre nous voulions étendre la portée de ces observations au delà d’une situation psychologique déterminée, nous serions amenés à constater ici la présence d’une mélodie très nettement représentative d’une idée. C’est le principe même du leit-motif wagnérien. Nous n’en connaissons guère antérieurement d’exemple aussi fortement affirmé. Celui-ci est contenu dans une cantate de concours de Rome qui a obtenu le second prix en 1828.

    La cantate s’achève par un troisième air, de caractère chevaleresque, qui correspond à l’épisode d’Herminie revêtant l’armure de Clorinde pour courir sur le champ de bataille. Le thème vocal et le rythme de l’orchestre sont d’un sentiment et d’une forme excellents, et parfaitement adéquats à la situation. Au milieu s’intercale une large et noble prière, d’un mouvement très soutenu. Le thème en a encore été repris pour une œuvre postérieure, qui n’est pas, à la vérité, des plus célèbres : mis en chœur à six parties, avec accompagnement de piano, il est devenu le Chant sacré qui forme le no 6 des Mélodies irlandaises, op. 2 ; Berlioz l’orchestra plus tard, et nous avons précédemment émis l’hypothèse qu’il fut transcrit pour former un Hymne pour six instruments à vent (Sax). Revenons à la cantate. Cet épisode terminé, le fougueux allegro est repris et brillamment conduit à sa conclusion. Mais tout n’est pas fini. Berlioz, pensant avant tout au drame, n’a pas voulu laisser partir sur une banale cadence finale sa romanesque héroïne : il faut qu’il l’accompagne dans sa course ; il nous trace le tableau de sa marche au combat : l’orchestre nous la rend sensible, reprenant le rythme guerrier, qui va se perdant au loin : puis des flûtes viennent poser par-dessus le chant de la prière, tandis que le rythme de marche se poursuit, enfin s’efface peu à peu. L’idée est d’un poète, et la réalisation musicale, de forme d’ailleurs simple, est bien exécutée.

    Pour quelle raison cette cantate ne valut-elle pas le premier prix à Berlioz, c’est ce que nous ne pouvons comprendre. Elle est bien écrite, et atteste des qualités de métier que de notables compositeurs du même temps ne possédèrent jamais. Pour de l’imagination, il y en a plus en ses cent pages d’orchestre que dans toutes les cantates qui furent présentées au concours dix ans en deçà et autant au delà ! Elle est en outre sage, claire et bien ordonnée, et par là Berlioz a témoigné qu’il fit un sérieux effort, et qu’en écrivant il songea souvent aux juges dont il fallait conquérir le suffrage. Il n’y songea pas encore assez : ce fut sa perte ! Il a dit, et tout concorde à nous faire penser que c’est la vérité, quel fut le principal reproche qu’on lui adressa : il aurait dû terminer sa cantate tout d’un trait, par un air de bravoure, une brillante cabalette, que n’eussent point déparée, sans doute, quelques roulades à la mode rossinienne : au lieu de cela, ne le voyait-on pas interrompre son développement au beau milieu, pour faire chanter une prière qu’on ne lui demandait pas ! Il est vrai que, parmi les vers qu’il avait à mettre en musique, étaient ceux-ci :

Dieu des chrétiens, toi que j’ignore, 
Toi que j’outrageais autrefois,
Aujourd’hui mon respect t’implore, 
Daigne écouter ma faible voix.

    Mais il ne s’agissait pas des paroles : on avait demandé un air agité, il fallait un air agité ! Et l’indignation de l’aréopage dut grandir à la fin, alors qu’on pensait que tout était fini, quand il entendit cette marche d’orchestre se prolongeant et se perdant dans l’éloignement, alors que l’usage commandait au concurrent de terminer l’air par une belle formule de cadence, répétée deux fois de suite, avec un point d’orgue sur une note aiguë pour finir, et huit mesures de ritournelle pendant lesquelles les bravos devaient partir tout seuls ! En vérité ce jeune homme était trop indiscipliné, et de tels écarts d’imagination ne se pouvaient souffrir ! On le lui fit bien voir en lui refusant le prix, à la majorité de deux voix, disent les Mémoires. — S’il eût eu pour lui cette majorité, et qu’il eût ainsi conquis le prix de Rome deux ans avant 1830, sa carrière eût été complètement modifiée, et nous connaîtrions un tout autre Berlioz.

Le Ménestrel, 9 Septembre 1906, p. 278-279

(Suite)

    Berlioz se présenta de nouveau au concours de Rome en 1829. Il a dit dans ses Mémoires dans quelles dispositions il entra en loge : « J’avais bon espoir d’en finir cette fois ; de tous côtés m’arrivaient les prédictions les plus favorables. Les membres de la section de musique laissaient eux-mêmes entendre que j’obtiendrais à coup sûr le premier prix. D’ailleurs je concourais, moi, lauréat du second prix, avec des élèves qui n’avaient encore obtenu aucune distinction, et ma qualité de tête couronnée me donnait sur eux un grand avantage. A force de m’entendre dire que j’étais sûr de mon fait, je fis ce raisonnement malencontreux dont l’expérience ne tarda pas à me prouver la fausseté : « Puisque ces messieurs sont décidés d’avance à me donner le premier prix, je ne vois pas pourquoi je m’astreindrais, comme l’année dernière, à écrire dans leur style et dans leur sens, au lieu de me laisser aller à mon sentiment propre et au style qui m’est naturel. Soyons sérieusement artiste et faisons une cantate distinguée. »

    Il n’y eut pas de prix : la présence de Berlioz fut cause que la récompense ne fut pas décernée cette année-là. On trouve dans deux lettres qu’il écrivit au lendemain de cet échec [CG no. 132 à son père; CG no. 133 à sa sœur Nanci], ainsi que dans ses Mémoires, le récit d’une conversation qu’il eut le soir même avec Boieldieu, lequel déclara n’avoir rien compris à sa musique et joignit à cet aveu quelques commentaires naïfs. Le fond identique des trois récits, racontés, les deux premiers sous l’impression immédiate, le troisième vingt ans après l’événement, est la preuve de la sincérité du narrateur et de la fidélité de sa mémoire, n’en déplaise à ceux qui ont prétendu révoquer en doute les dires de Berlioz parce qu’il ne leur agrée pas que Boieldieu lui ait tenu ces discours. Ils ne sont pourtant que trop vraisemblables, et je suis d’autant plus disposé à accueillir comme parfaitement authentique ce témoignage trois fois affirmé que j’ai, pour ma part, fréquemment entendu des propos analogues… C’est d’ailleurs en toute vérité que Berlioz a fait suivre un de ses trois récits de cette réflexion : « Boieldieu ne fit que résumer ainsi les idées françaises de cette époque sur l’art musical. » Il précise en outre, dans la première de ses lettres (à son père, du 2 août 1829 [CG no. 132], lendemain du concours) les dispositions dans lesquelles il trouva ses juges, en disant que Catel et Boieldieu lui furent défavorables pour les raisons de tendance développées dans la conversation de ce dernier, tandis qu’Auber et Cherubini étaient pour lui « par des considérations personnelles, mais en éprouvant la même influence de l’ouvrage, Cherubini toutefois beaucoup moins que les autres ». Je pense que ces considérations personnelles étaient la grande raison académique : que c’était son tour. Lesueur, malade, n’avait pu assister à la séance où l’on délibérait sur le sort de son élève. Pour comble de malechance, il devait avoir pour interprète Mme Dabadie ; mais la répétition générale de Guillaume Tell, qui eut lieu le jour même du jugement de l’Académie toutes sections réunies, empêcha cette artiste, interprète du rôle de Jemmy, de prêter à Berlioz le concours promis : elle envoya, pour la remplacer, sa sœur, élève du Conservatoire, jeune fille « d’une inexpérience totale et qui n’avait eu que quelques heures pour se préparer ». Pradier et Ingres, « grands admirateurs de l’école allemande », protestèrent en fin de séance sur les conditions dans lesquelles l’œuvre de Berlioz avait été présentée « devant une telle assemblée ».

    Voyons donc ce qu’était cette terrible cantate, qui fit scandale à l’Académie.

    Elle a pour titre Cléopâtre, et pour sujet la mort de la reine d’Egypte.

    Au seul aspect de l’écriture, on se rend compte que Berlioz était en effet dans d’autres dispositions que lorsqu’il composa Herminie. Non que sa partition soit notée négligemment : l’exécution témoigne au contraire de pareils soins matériels ; mais on y trouve un certain air d’assurance, caractérisé, par exemple, par les barres de mesures tracées à la main, non à la règle, — détails menus, mais caractéristiques, donnant au manuscrit original une physionomie nouvelle, et indiquant que la déférence de l’année précédente a un peu diminué, que la nature hautaine de l’auteur a repris ses droits. L’orchestre est plus chargé de parties et de notes. Sur l’ensemble règne un certain air d’autorité. Relevons un détail ; on a inscrit en haut du titre cette mention : Reçu le 23 juillet 1829. L’année précédente, on avait marqué à la même place : Le 28 juillet. Le candidat était donc resté en loge cinq jours de moins, voulant peut-être témoigner ainsi qu’une telle besogne n’était plus pour lui qu’un jeu et l’objet d’un dédain plus ou moins dissimulé.

    Voici le titre autographe, tel qu’on le lit sur le premier feuillet de la partition conservée à la Bibliothèque du Conservatoire :

CLÉOPÂTRE
Scène ————— Lyrique
par
HECTOR BERLIOZ
élève de Mr Lesueur
——
Juillet 1829.

    L’analyse ne saurait nous retenir longtemps. Le premier air, d’un beau style néo-classique, évoque par avance l’idée de l’inspiration imposante et généreuse des chants de Cassandre dans les Troyens. On trouve dans les cinq mesures 6 à 10 la ligne mélodique, déjà toute formée, de la partie similaire du chant de Benvenuto Cellini : « O Teresa, vous que j’aime plus que ma vie », devenu en dernier lieu le solo de cor anglais du Carnaval romain (mesures 9 à 13 de ce chant).

    Le deuxième air porte le titre avec l’épigraphe que voici : « MÉDITATION. — What if when I am laid into the tomb… (Shakesp.) ». De l’anglais maintenant ! Il voulait donc n’être compris de personne !… La musique de ce morceau nous est bien connue : c’est, chantée par une voix seule au lieu d’un chœur en octaves, celle dont Berlioz a fait le chœur d’ombres du Retour à la vie. Nous ne pouvons qu’exprimer ici notre étonnement de ce que les pauvres vers qu’on lui avait donnés à mettre en musique lui aient inspiré des accents si mystérieux et si troublants, et qu’au lieu d’une invocation poncive aux ancêtres d’une reine de cantate : « Grands Pharaons, nobles Lagides, etc. », il ait su écrire une page qui est du Shakespeare musical : certes, il fallait pour cela une imagination portant fort au delà des limites qui lui avaient été assignées !

    Le troisième air renferme encore un thème remis dans un ouvrage postérieur, la fantaisie de la Tempête.

    La fin est d’une véritable beauté tragique ; la déclamation est expressive et superbe, et l’orchestre a de magnifiques éclats. Quand la reine vient d’être piquée par le serpent et que le poison circule dans ses veines, les violoncelles et les violons font entendre un trémolo subtil, qui ne peut manquer d’évoquer la pensée du philtre de Tristan et Isolde, tant le procédé est semblable. A la fin, elle prononce d’une voix entrecoupée ces vers qui terminent la cantate :

Cléopâtre… en… quittant… la vie
Re… devient digne… de… César.

    Sans doute les membres de l’Académie auraient préféré entendre ici quelque chant large et soutenu, auquel ils auraient même permis un certain accent de tristesse. Mais Berlioz s’embarrassait bien de faire chanter Cléopâtre ! Il pensait à l’agonie de la femme, et non pas à de la musique !

    Il échoua donc, cette fois encore, pour avoir voulu trop bien faire, — pour avoir trop bien fait. C’est un accident qui se produit quelque fois dans les concours, où la première condition de réussite est de consentir à passer sous la toise.

    Nous avons observé que cette dernière cantate contenait deux thèmes et un morceau tout entier que Berlioz utilisa dans des ouvrages postérieurs. Déjà la cantate précédente, Herminie, nous avait révélé le premier jet d’une des mélodies les plus caractéristiques de toute son œuvre et fait connaître encore un autre thème, tandis que la seule idée que nous puissions nous faire de la musique de la Mort d’Orphée, est celle que nous donnent les morceaux reproduits cinq ans plus tard dans le Retour à la vie. Le travail des concours ne glaçait donc pas l’imagination du jeune compositeur ; ses cantates furent comme une mine de laquelle il tira des matériaux pendant plusieurs années. Souvent il les façonna à nouveau ; mais ce n’en est pas moins dans ces œuvres d’école qu’il trouva la matière première de quelques-unes de ses plus définitives compositions.

Le Ménestrel, 16 Septembre 1906, p. 287

(Suite)

    Berlioz se présenta pour la cinquième et dernière fois au concours de Rome en 1830. Il eut cette fois à mettre en musique la cantate de Sardanapale, dont il écrivit les dernières pages au bruit de la fusillade des journées de juillet. Il obtint le prix, ayant eu le soin de « faire à point nommé ce qu’il fallait pour l’Institut ». (Lettre du 4 août, à sa sœur Nanci. [CG no. 171]) Quand cette récompense eut été décernée, « sûr alors de ne pouvoir plus la perdre » (Mémoires), il voulut faire œuvre d’art et ajouta à la cantate une conclusion orchestrale, tableau symphonique ayant pour programme l’incendie du palais de Sardanapale. Les Mémoires ont fait un récit bien connu des circonstances dans lesquelles eut lieu, à la distribution des prix de l’Institut, l’exécution de la dernière page ; une lettre écrite au lendemain de l’événement (31 octobre, à son père [CG no. 188]) nous a en outre apporté l’impression toute chaude du désespoir, un peu comique par moments, que lui causa l’accident survenu dans l’interprétation. Ne voulant pas rester sous le coup de cet échec, il fit exécuter la cantate au concert qu’il donna avant de partir pour l’Italie — le même où l’on entendit la première audition de la Symphonie fantastique ; il l’inscrivit encore sur d’autres programmes après son retour ; puis il la laissa de côté.

    Il est résulté de ces aventures la même conséquence que pour la Mort d’Orphée : sortie de la Bibliothèque, qui en aurait dû garder le dépôt, la partition de la cantate qui valut à Berlioz le prix de Rome n’y est jamais rentrée, et a disparu.

    Est-il impossible de nous faire une idée de l’œuvre ? Essayons-le.

    Nous avons d’abord pour cela les indications que l’auteur a données, et ses jugements qui, portant sur la partie académique de la composition, sont sévères. Répondant à Adolphe Adam qui lui avait demandé un billet d’entrée pour la séance de l’Institut, il disait : « Je ne puis m’empêcher de vous prévenir, monsieur, que ma scène est un ouvrage fort médiocre, qui ne représente pas du tout ma pensée musicale intime ; il y a fort peu de choses que j’aime ; cette partition n’est pas au niveau de l’état actuel de la musique, elle est pleine de lieux communs, d’instrumentations triviales, que j’ai été forcé d’écrire pour avoir le prix. » Quelques mois après, il recommence à traiter son œuvre sur le même ton désinvolte, parlant, cette fois, à un musicien d’un génie différent, Félix Mendelssohn : « A notre première entrevue (à Rome), raconte-t-il, il me parla de ma cantate de Sardanapale dont mon co-lauréat Montfort lui avait fait entendre quelques parties. Lui ayant manifesté moi-même une véritable aversion pour le premier allegro de cette cantate : « A la bonne heure, s’écria-t-il plein de joie, je vous fais mon compliment… sur votre goût ! J’avais peur que vous ne fussiez content de cet allegro; franchement il est bien misérable ! » (Mémoires). Ce fut ainsi que Mendelssohn et Berlioz devinrent amis, s’étant trouvés pour la première fois (la seule) d’accord sur la qualité de la musique de ce dernier.

    Donnons un coup d’œil sur le poème. Il est composé, suivant la forme consacrée, de trois airs précédés chacun de récitatifs. Le premier air est un chant d’amour que Sardanapale, entouré de ses femmes, adresse à la favorite :

Etoile du matin, Néhala, prends ta lyre.

    Il lui ordonne de chanter, et aux Bayadères de danser. Dans la pâle partition du second prix (un nommé Millault) à laquelle nous sommes forcé d’avoir recours pour connaître ce poème (elle n’a pas disparu, elle ; on la conserve précieusement !), les Bayadères ne chantent ni ne dansent ; on n’entend même pas le son de leur lyre : cela n’était pas prescrit par le programme imposé. Gageons qu’au risque de sortir encore du cadre Berlioz n’aura pas craint d’introduire ici un épisode orchestral par lequel, à défaut de chant, il nous aura montré de quelle manière les Bayadères répondaient à l’ordre de leur roi. Nous le verrons bien tout à l’heure.

    Ce premier épisode achevé, Sardanapale, ayant lu une lettre (évidemment écrite en caractères cunéiformes) qui lui annonce l’approche de l’ennemi, chante le second air, dans lequel il tente d’expliquer qu’il est un guerrier rempli de vaillance. On y entend, dans le récitatif, ces vers :

Ainsi que du plaisir il me faut de la gloire,
                Et l’enivrante volupté
A pu dans un moment me ravir la victoire,
                Mais non pas ma fierté.

    L’air proprement dit commence ainsi :

Le roi des rois impose l’esclavage ;
Son front brillant ne l’acceptera pas.

    Le troisième récitatif dit que tout est désespéré, qu’il n’y a plus qu’à mourir, et le troisième air se chante sur ces paroles :

Viens : que ta flamme dévorante,
Mithra, me sauve pour toujours ;
Avec le bonheur qui m’enchante,
Prends le dernier de mes beaux jours.
Jadis la gloire et les plaisirs
Firent la douceur de ma vie ;
Un sort cruel me l’a ravie ;
Abandonnons ces souvenirs.

    C’est sur cette strophe, d’un lyrisme douteux, voire d’un effet médiocre, que Sardanapale devait exhaler sa vie. Et c’est à cette terminaison, plutôt plate, que l’indiscipliné lauréat avait voulu ajouter une conclusion symphonique que tout, dans ses descriptions, nous fait deviner resplendissante.

    Berlioz, en effet, a parlé plusieurs fois dans ses écrits de l’incendie de Sardanapale, et toujours avec cette belle ardeur dont il ne savait pas se défendre lorsqu’il s’agissait des œuvres de sa prédilection, les siennes ou celles des autres. Dans la lettre à son père déjà signalée, il s’exprime ainsi : « J’ai fait revenir au milieu du tumulte de cet incendie tous les motifs de la scène amoncelés les uns sur les autres : d’un côté le chant des Bayadères changé en cris d’effroi féminins (1) ; de l’autre le morceau de fierté dans lequel Sardanapale refuse d’abdiquer la couronne ; puis tout cet effroyable amalgame d’accents de douleur, de cris de désespoir, ce langage orgueilleux dont la mort même ne peut effrayer l’audace, ce bruissement des flammes, aboutissant à un écroulement du palais qui fait taire toutes les plaintes et éteint les flammes. »

    Est-ce bien là un morceau de concours de Rome ? A lire cette vibrante description, nous songions à toute autre chose. Changeons les noms : au lieu de Sardanapale, écrivons Siegfried ; substituons les filles du Rhin aux Bayadères : imaginons que le palais qui brûle et s’effondre est le Walhalla ; songeons surtout aux thèmes superposés, à la représentation des flammes, qui montent, grandissent et s’étendent, puis s’éteignent au milieu des plaintes et des cris d’épouvante, et nous avons, quarante ans à l’avance, le programme parfaitement formé de la symphonie finale du Crépuscule des dieux !

    Quel dommage que nous ne puissions rien connaître de cette musique ! De combien de malédictions ne devons-nous pas accabler le bibiothécaire imprévoyant qui a laissé sortir la partition de Berlioz sans s’assurer de sa rentrée ! Ah ! ce ne sont pas les bibliothécaires que le Conservatoire a le rare bonheur de posséder aujourd’hui qui commettraient une pareille imprudence : j’en appelle à tous les prix de Rome qui ont demandé la communication de leurs cantates depuis trente-cinq ans et plus !…

    Pourtant n’accablons pas à l’excès un malheureux prédécesseur, qui n’est coupable que d’un demi-mal. En effet, s’il avait retenu jalousement la cantate remise au concours par Berlioz, nous n’en aurions encore que la partie en quelque sorte officielle : la symphonie finale, ajoutée après coup, aurait manqué. D’aucune manière la Bibliothèque du Conservatoire n’avait mission d’en assurer la conservation. 

    Il faut donc nous résigner…

    Le faut-il vraiment ?

___________________________________

(1) Nous avions bien dit que les Bayadères ne manqueraient pas de manifester leur existence par le moyen de l’orchestre.

Le Ménestrel, 23 Septembre 1906, p. 294-295

(Suite)

    L’Évangile a dit : « Cherchez et vous trouverez. » Et voici bien la preuve que parole d’Évangile n’est pas toujours, quoiqu’on die, parole de vérité.

    En effet, il arrive quelquefois que l’on trouve des choses que l’on ne cherche pas.

    J’en vais donner un exemple.

    Donc, ayant cherché en vain au Conservatoire la partition de Sardanapale, j’allai à la Bibliothèque Nationale, où je ne la cherchai point, mais où j’étudiai les manuscrits de Berlioz reliés en deux volumes, sous ces titres : d’une part, les Francs-Juges ; d’autre part, la Nonne sanglante. Les Francs-Juges ont été l’objet d’une des précédentes subdivisions de ce travail ; la Nonne sanglante fera celui d’une autre, très prochaine.

    Quand j’eus parcouru la plus grande partie de ce dernier volume, je me trouvai, à la fin, en présence d’un cahier de musique, écrit de la main de Berlioz, comme le reste, mais qui visiblement ne se rattachait en rien aux pages précédentes. On y voyait d’abord plus de soixante mesures d’un air pour ténor, avec un orchestre très chargé, puis un épisode symphonique pour lequel étaient utilisées toutes les ressources de l’instrumentation la plus riche. Mes yeux se fixèrent d’abord sur la partie des cors, où je vis un accord de quinte nue fortement attaqué, accentué par un strident coup de cymbales et le roulement de deux timbales à la fois : à la mesure suivante, tout l’orchestre des cuivres et autres instruments à vent éclatait en une dissonance formidable : au-dessous, à la partie de chant, il y avait, sur une note aiguë, ce nom : « Néhala ! » Je revins quelques pages en arrière, et, dans l’air dont le manuscrit donnait la dernière partie, je lus ces vers :

        … l’enivrante volupté 
A pu dans le sommeil me ravir la victoire
            Mais non pas ma fierté.

.    .    .    .    .    .    .    .    .   .    .    .    .    .    .    .    .    .   .    .    .    .    .    .    .    .    .

Jadis la gloire et les plaisirs
Faisaient la douceur de ma vie :
Un sort cruel me l’a ravie ;
Abandonnons ces souvenirs.

.    .    .    .    .    .    .    .    .   .    .    .    .    .    .    .    .    .   .    .    .    .    .    .    .    .    .

    Mais nous connaissons ces paroles : ce sont les vers que l’Académie avait proposés à ses concurrents de 1830, et que nous avions pu retrouver dans la cantate du second prix ! C’est Sardanapale !

    Voilà les bons moments — trop rares — de la vie du chercheur : ceux où, quand il s’y attend le moins, il se trouve tout à coup en présence du document passionnément et vainement cherché par ailleurs ! La découverte fut pour moi une surprise d’autant plus vive que rien ne permettait de l’attendre à cette place. Le cahier y est comme perdu, relégué à la suite des fragments d’une œuvre toute différente par le genre et par l’époque : ni titre, ni nom, ni date, ni quelque particularité extérieure que ce soit, rien ne venait donner au lecteur la moindre indication, — et j’en sais plus d’un qui ont passé devant sans s’en douter. Il n’y avait en effet que la connaissance la plus intime de l’œuvre et de la vie de Berlioz qui pût permettre d’identifier avec certitude cet important fragment d’un ouvrage inconnu.

    Cette certitude est aujourd’hui acquise : la Bibliothèque Nationale possède, à la fin de la partition de la Nonne sanglante, le manuscrit autographe de la dernière partie de l’air final et de toute la symphonie « l’Incendie » de Sardanapale, œuvre du Berlioz de 1830, écrite en pleine effervescence de passion, et de génie, au lendemain de la Symphonie fantastique, produite publiquement dans les circonstances historiques les plus curieuses, et dont Théophile Gautier a consacré le souvenir par ces mots et ce rapprochement : « Son romantisme n’empêchait pas Berlioz de mériter le prix de composition et d’obtenir le grand prix de Rome pour sa cantate de Sardanapale, un magnifique sujet traité en tragédie par lord Byron et en tableau par Eugène Delacroix » (1).

    Je pense que la trouvaille est d’assez grand prix pour que l’on me permette d’insister sur l’analyse de cette œuvre un peu plus longuement que je n’ai fait pour les précédentes cantates de Berlioz.

    Le fragment conservé du dernier air de Sardanapale commence en pleine modulation : le ton du morceau est mi bémol majeur, et, dès les premières mesures, nous nous trouvons en sol bémol. Ce n’est d’ailleurs que l’affaire d’un instant, car la phrase expressive que la voix expose dans ce ton est répétée immédiatement une tierce plus bas, c’est-à-dire dans le ton principal ; nous ressaisissons donc bien vite le fil de la tonalité. Cette phrase, dans son exposition définitive, s’achève par ce vers :

score2

    Cette inflexion musicale ne nous est pas inconnue : c’est (réserve faite pour les détails rythmiques de la déclamation) la même que nous retrouvons aux vers 2, 4 et 6 de l’air de Didon, dans les Troyens : « Adieu, fière cité » : on la reconnaîtra sur les mots : « Si promptement éleva florissante… Ma tendre sœur qui me suivis errante… Toi qui jadis m’accueillis suppliante. »

    Continuons les citations musicales. Dans une brève incursion en ut mineur, un nouveau dessin est exposé, puis, par un procédé analogue à celui de la précédente période, répété dans le ton principal où il se développe. Le voici sous cette dernière forme :

score3

    Revenons de nouveau à la partition des Troyens : c’est sa première partie maintenant, la Prise de Troie, qui va nous offrir un rapprochement. Nous retrouvons dans l’air de Cassandre précédant immédiatement la Marche troyenne le chant que voici :

 score4

    Cette fois encore, c’est, aux détails de notation rythmique près, la même phrase musicale que dans Sardanapale.

    L’air de la cantate, établi définitivement dans le ton principal, s’achève par une période vocale d’un caractère noble, dont la dernière syllabe accentuée, sur une voyelle sonore, monte, fièrement en une progression bien ménagée au si bémol aigu, puis redescend à la tonique :

score5

    Et cela même évoque encore en nous un souvenir des Troyens : l’analogie est plus lointaine, il est vrai, et porte plutôt sur le mouvement général que sur la ligne mélodique ; mais ce chant de Sardanapale, devenu héros au moment de la mort, rappelle impérieusement, à ce point de vue, les adieux d’Enée partant pour le combat et proposant à son jeune fils

Et d’Enée et d’Hector les exemples de gloire.

    N’est-il pas infiniment curieux de relever dans la cantate de 1830 la présence d’inflexions musicales qui, près de trente ans plus tard, reviendront à l’esprit de Berlioz, composant, dans un retour de classicisme, l’œuvre grande et sereine par laquelle il finit sa carrière ? Il n’est pas moins intéressant de découvrir les motifs qui l’ont fait revenir ainsi aux impressions de sa jeunesse : l’analogie des situations traitées en révèle tout le secret. Didon s’apprête à marcher au bûcher où se consommera le sacrifice : Sardanapale aussi va mourir sur le bûcher ; il est naturel qu’ils retrouvent les mêmes accents. Cassandre, la voyante, évoque les souvenirs de la vie passée en prédisant l’incendie de Troie ; et c’est aussi ses souvenirs de voluptés et de gloire que chante le roi de Ninive, à l’heure où son palais va s’écrouler dans les flammes. Même il ne me semble pas douteux que, dès 1830, Berlioz, imprégné dès l’enfance de souvenirs virgiliens, ait, par une de ces transpositions dont son imagination était coutumière, eu en vue la représentation du sujet qu’il ne devait aborder de front que si longtemps après, et qu’il ait décrit par la pensée la ruine de Troie en un moment où il n’était question pour lui que de l’incendie du palais de Sardanapale.

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(1) Il ne me déplait point de reproduire en ce moment ce mot bienveillant qu’écrivait naguère, ici même, notre confrère Ch. Malherbe : « M. Julien Tiersot… découvre des vérités que chacun connaît… »

Le Ménestrel, 30 Septembre 1906, p. 302-303

(Suite)

    Mais voici que le tableau musical de cet incendié va commencer. La cadence vocale de l’air, notée en dernier lieu, est suivie de quelques mesures d’orchestre allant à un accord final de tonique : on voit encore sur le manuscrit la double barre marquant la conclusion de la cantate primitive. Cette barre a été effacée, et l’accord de mi bémol remplacé par l’accord éloigné de si majeur, avec lequel le nouvel épisode commence. Ce sont d’abord de sourds murmures du quatuor s’étalant pour figurer le mouvement onduleux de la flamme qui s’élève. Puis ainsi que Berlioz nous l’a annoncé, les principaux thèmes de la cantate vont reparaître. En voici un d’abord qui, après une série de modulations chromatiques, est posé, en ut majeur, par les flûtes, hautbois et bassons :

score6

    Mais, cela encore, nous le connaissons : c’est le chant d’amour de Roméo ! Ce thème aujourd’hui célèbre fut donc conçu comme chant d’amour de Sardanapale ! La symphonie de l’incendie ne nous en fait connaître que les quelques notes ci-dessus ; mais il est évident que, dans la partie chantée de la cantate, il se déroulait de façon toute semblable à celle de la Fête chez Capulet ; on peut s’en assurer en appliquant au solo de hautbois de la symphonie les paroles du premier air de Sardanapale : jusqu’au milieu du quatrième vers, c’est-à-dire à l’endroit où l’instrument monte à des hauteurs inaccessibles à la voix, texte et musique s’accordent d’une manière parfaite :

Etoile du matin, Néhala, prends ta lyre ;
Mêle à ses doux accents les accents de ta voix.
Tes chants, fille du ciel, excitent mon délire :
Seule tu sais charmer tous mes sens à la fois.

    Sur la trame descriptive qui continue à se dérouler au quatuor, cet autre motif intervient à son tour, joué à l’aigu par les flûtes (petite et grande), hautbois et clarinettes :

score7

    C’est évidemment le « chant des Bayadères changé en cris d’effroi féminins » très explicitement annoncé par Berlioz ; mais en même temps c’est une autre de nos anciennes connaissances : le thème final de cette même Fête chez Capulet. Si, en raison de la mesure différente, on refusait de le reconnaître, je renverrais au chœur en mouvement ternaire des jeunes Capulets « chantant des réminiscences de la musique du bal » : « Ah ! quelle nuit, quel festin. » Ici l’hésitation n’est plus permise.

    Ainsi, tout à l’heure c’étaient les Troyens ; et voici que maintenant il semble que nous allons retrouver tous les thèmes de la symphonie Roméo et Juliette !

    Berlioz nous avait annoncé enfin « le morceau de fierté dans lequel Sardanapale refuse d’abdiquer la couronne ». Voici, sans aucun doute, ce thème. On remarquera qu’il se chante parfaitement sur le vers correspondant de la cantate :

Le roi des rois impose l’esclavage.

    Ce sont les trombones, les trompettes et les cors qui le lancent ici, pendant que les bois poursuivent le développement de leur thème de danse, et le quatuor ses dessins et trémolos descriptifs :

score8

    Ce thème est le seul que nous ne connaissions pas dans le répertoire de Berlioz qui nous est familier. C’est, on s’en souvient, celui qu’il reniait, à la grande joie et approbation de Mendelssohn : n’était-il donc pas naturel qu’il l’eût condamné définitivement ?… Eh bien ! non, même celui-là, il ne l’a pas complètement sacrifié : il l’a repris pour en faire le thème principal de sa cantate l’Impériale. Le dessin instrumental ci-dessus noté reste identique (dans un autre ton) pour former la première exposition, ou, pour mieux dire, la ritournelle initiale de la composition de 1855 ; puis la voix de basse entonne un chant complet, lequel, à la péroraison, est repris par toutes les voix à l’unisson, soutenu par un puissant orchestre dont les tambours scandent le rythme avec majesté ; et ce chant va si parfaitement sur les paroles de la cantate que nous ne pouvons pas douter que nous en ayons trouvé la forme originale dans toute son étendue. On en pourra juger par la citation que voici, dans laquelle nous avons, sous les notes, superposé les deux textes : 

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    Nous n’insisterons pas plus qu’il ne convient sur cette particularité que Berlioz, ayant jugé ce thème de cantate banal et poncif, l’a adopté pour servir à la composition d’une œuvre écrite à la gloire du souverain de son choix, ce qui porte un jour imprévu sur la qualité de son admiration. Nous remarquerons seulement que ce Sardanapale, dont la forme première n’était probablement pas d’un art très affiné, n’en contenait pas moins une richesse d’éléments mélodiques qui à fait de cette œuvre d’école une mine de laquelle Berlioz a tiré des matériaux pendant toute sa vie.

    Au point de la symphonie où nous sommes parvenus, la catastrophe est imminente. Parmi des accords dissonants des cordes, la petite flûte et les autres instruments d’harmonie glapissent une dernière fois, sur un ton suraigu, le thème des Bayadères, où passe maintenant un frisson d’épouvante ; le roi, dans les bras de la femme aimée, pousse un cri d’angoisse ; et, la-dessus, tout s’écroule : les timbales grondent, les cymbales font vibrer un trémolo continu, les cors, pavillons en l’air, lancent leur accord rauque ; et voilà qu’à la mesure suivante tout le reste de l’orchestre éclate, superposant à la quinte nue la mi la stridente neuvième si bémol (1). Deux harmonicas piquent par endroits leurs notes argentines, — tel le Glockenspiel du feu de la Valkyrie (il est impossible de n’en pas faire le rapprochement) ; la harpe exécute une glissade descendante embrassant un large intervalle : tous effets bien connus aujourd’hui, mais dont il est intéressant de constater, pour la première fois, l’emploi dans une cantate du concours de Rome de 1830. Les arpèges descendants et les gammes ascendantes s’entrecroisent aux violons ; un gémissement chromatique de l’harmonie s’y mêle, s’infléchissant peu à peu. Puis l’incandescente symphonie s’éteint ; les violons et les basses restent seuls, continuant leur murmure ; et bientôt des voix plus pures s’élèvent, comme un chant d’amour planant sur les ruines fumantes : c’est d’abord une flûte et un hautbois unis, puis une clarinette seule qui, pendant quarante mesures encore, développe le dernier chant de Sardanapale, devenu plus tard celui de Cassandre : « Et voir s’évanouir du bonheur le plus pur la séduisante image !… » C’est sur cette mélancolique impression que s’achève la fulgurante symphonie.

    Après avoir étudié ce tableau musical avec le soin que nous venons d’y mettre, il nous semble que le rapprochement qui nous avait été inspiré par la première lecture du programme s’impose plus impérieux encore. Nous ne songeons certes pas à mettre en parallèle, en tant qu’œuvre achevée, l’incendie de Sardanapale avec la dernière scène du Crépuscule des dieux : pour qualifier celle-ci, l’épithète de « sublime », dont il faut se garder d’abuser, est celle qui convient réellement, et l’essai juvénile de Berlioz n’a pas atteint à de pareilles hauteurs. Mais elle en est l’idée première, l’ébauche, une ébauche déjà très poussée : on retrouve dans la symphonie descriptive de Berlioz tous les éléments constitutifs de celle de Wagner, jusqu’à cette belle conception qui fait succéder au tumulte de la catastrophe la douceur d’un chant d’apaisement et d’amour. Que Wagner ait ignoré l’exemple proposé par Berlioz et que par conséquent il n’ait pas eu besoin de s’en inspirer, cela est hors de doute ; mais l’honneur de l’antériorité, il faut le proclamer, n’en revient pas moins au maître français à peine sorti de l’école, et la réalisation première, dans laquelle nous avons retrouvé les éléments les plus précieux de sa production postérieure, est, par elle-même, digne de toute notre admiration.

    Un mot encore avant d’en finir avec ces œuvres pour lesquelles Berlioz a voulu garder le secret de l’inédit.

    En marge de la première page de ce fragment de Sardanapale, on lit ces mots de sa main : « Fragments à brûler. » Nous en trouverons d’analogues sur son manuscrit de la Nonne sanglante, auquel nous allons arriver : « A consulter. A brûler après ma mort. » Voilà des ordres bien imprudemment donnés, s’ils sont sincères ! L’auteur qui tiendrait beaucoup à ce qu’ils fussent exécutés fidèlement serait sage en faisant sa besogne lui-même ; car quel autre aurait le courage de consommer le sacrifice ? De fait, Berlioz a réellement détruit bien des parties de son œuvre qu’il jugeait véritablement indignes de son génie : pour celles-ci, il en confiait le dépôt à une admiratrice, Mlle Fanny Pelletan, dont il connaissait le culte pour les grands souvenirs d’art ; n’aurait-il donc pas eu comme une arrière-pensée d’en sauver les épaves ? A la fin des Francs-Juges, nous avons vu qu’il a déchiré les feuillets de tout un morceau, mais il en a laissé des lambeaux qui permettent, à défaut d’une reconstitution complète, d’en retrouver les thèmes et d’en entrevoir le développement. Qui sait si, en agissant ainsi, il ne s’est pas dit qu’il viendrait peut-être un jour quelque travailleur qui, dans un sentiment de respect et d’admiration indispensable à l’exécution d’une pareille entreprise, chercherait à surprendre le secret de sa création, de sa pensée intime, et en révélerait le noble et génial effort ? S’il en était ainsi, je me réjouirais grandement d’avoir été l’homme espéré par Berlioz, et je m’estimerais heureux si j’avais pu réaliser, comme il l’a souhaité, son vœu posthume.

___________________________________

(1) C’est ici le passage où, à la distribution des prix de l’Institut, les musiciens manquèrent leur entrée, déterminant le gâchis dont Berlioz s’est si vivement plaint : les Mémoires en donnent une description très fidèle.

 

 

Site Hector Berlioz créé par Monir Tayeb et Michel Austin le 18 juillet 1997; page Julien Tiersot: Berlioziana créée le 1er mai 2012; cette page créée le 15 avril 2013.

© Monir Tayeb et Michel Austin. Tous droits de reproduction réservés.

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