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A TRAVERS CHANTS

Par

HECTOR BERLIOZ

XIV. LES SONS HAUTS ET LES SONS BAS

LE HAUT ET LE BAS DU CLAVIER

    Je remarquais un jour dans un opéra une gamme descendante vocalisée, une roulade, sur ces mots : Je roulais dans l’abîme, dont l’intention imitative est des plus plaisantes.

    Il est clair que le musicien a pensé qu’une roulade descendante exprimait parfaitement le mouvement d’un corps roulant de haut en bas. Les notes écrites sur la portée représentent en effet à l’œil cette direction descendante ; si le système de la musique chiffrée venait à prévaloir, les signes de l’écriture musicale ne parleraient plus ainsi à l’œil. Bien plus, si, par un caprice de l’exécutant lecteur, il venait à tenir son cahier de musique à rebours, les notes représenteraient au contraire un mouvement ascendant.

    N’est-il pas pitoyable que l’on puisse citer en musique de nombreux exemples de ces enfantillages causés par une fausse interprétation des mots ?

    On dit monter, descendre, pour exprimer le mouvement des corps qui s’éloignent du centre de la terre ou qui s’en rapprochent. Je défie que l’on trouve un autre sens à ces deux verbes. Or, le son, impondérable comme l’électricité, comme la lumière, peut-il, en tant que son plus ou moins grave, se rapprocher ou s’éloigner du centre de la terre ?

    On appelle son haut ou aigu le son produit par un corps sonore, exécutant, dans un temps donné, un certain nombre de vibrations ; le son bas ou grave est celui qui résulte nombre de vibrations moins grand, et par conséquent de vibrations plus lentes exécutées dans le même espace de temps. Voilà pourquoi l’expression de son grave ou lent est plus convenable que celle de son bas, qui ne signifie rien ; de même celle de son aigu (qui perce l’oreille comme un corps aigu) est raisonnable, prise au figuré, tandis que celle de son haut est absurde. Car pourquoi le son produit par une corde exécutant trente-deux vibrations par seconde serait-il plus rapproché du centre de la terre que le son produit par une autre corde exécutant par seconde huit cents vibrations ?

    Comment le côté droit du clavier de l’orgue ou du piano est-il le haut du clavier, ainsi qu’on a l’habitude de l’appeler ? Le clavier est horizontal. Quand un violoniste, tenant son violon à la manière ordinaire, veut produire des sons aigus, sa main gauche, en se rapprochant du chevalet monte en effet ; mais un violoncelliste, dont l’instrument est placé d’une façon contraire, se voit obligé de faire descendre sa main pour produire les mêmes sons aigus, dits sons hauts si improprement.

    Il est pourtant vrai que ces abus de mots, dont le moindre examen attentif suffit à démontrer le ridicule, ont amené même de grands maîtres à écrire les plus incroyables non-sens, et par contre-coup ensuite des gens d’esprit, impatientés par de telles niaiseries, à confondre dans une réprobation commune toutes les images musicales et à ridiculiser celles mêmes que le bon sens et le goût peuvent avouer et qui parlent le plus clairement à l’imagination de l’auditeur.

    Je me souviens de la naïve sincérité avec laquelle un maître de composition faisait admirer à ses élèves l’accompagnement en gammes descendantes d’un passage d’Alceste, où le grand-prêtre, invoquant Apollon, le dieu du jour, dit :

Perce d’un rayon éclatant
Le voile affreux qui l’environne.

    « Voyez-vous, disait-il, cette gamme obstinée en triples croches descendant d’ut à ut dans les premiers violons ? C’est le rayon, le rayon éclatant, qui descend à la voix du grand prêtre. » Et ce qu’il y a de plus triste encore à avouer, c’est que Gluck évidemment a cru imiter ainsi le rayon.

 

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