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BERLIOZ

Le Monde Illustré, No 1408, 22 mars 1884

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    Cette page donne le texte d’un article, publié le 22 mars 1884 dans Le Monde Illustré (page 182), sur la souscription ouverte dans le but d’ériger un monument à Berlioz, et les propositions d’Édouard Alexandre, ami du compositeur, de l’honorer par la création d’un prix musical Hector Berlioz. Le texte original et l’image qui l’accompagne sont reproduits ci-dessous d’après notre propre exemplaire du Monde Illustré.

 

Le Monde Illustré

 

BERLIOZ

n sait qu’une souscription a été ouverte dans le but d’ériger un monument à Hector Berlioz et qu’une commission, composée de l’élite des maîtres français et d’amis de l’illustre compositeur, s’est chargée de recueillir les dons des souscripteurs.

Agissant, à notre avis, avec un tact extrême, cette commission a décidé qu’elle ne se prononcerait, quant à la nature du monument et au lieu sur lequel il doit être élevé, que lorsque la souscription serait close ou sur le point de l’être.

    Or, on peut dès aujourd’hui constater la réussite de l’appel adressé aux admirateurs de Berlioz  : une somme importante a été réunie, et il est probable que les commissaires seront prochainement appelés à prendre une détermination au sujet de l’exécution du monument.

    Mais, conjointement au précieux résultat qu’obtenait la commission du monument, une idée élevée et féconde surgissait dans la pensée d’un des membres de cette commission, M. Édouard Alexandre, exécuteur testamentaire de Berlioz.

    M. Édouard Alexandre trouve excellent qu’un monument durable rappelle à la foule le nom de Berlioz, mais il voudrait aussi que le souvenir de l’auteur des Troyens et de la Damnation de Faust fût perpétué par quelque fondation artistique et utile ; il a songé à créer un prix musical qui serait décerné périodiquement par l’Académie des beaux-arts, dans des conditions édictées par elle, et qui porterait le nom de Prix Hector Berlioz.

    M. Édouard Alexandre a eu non seulement l’initiative de ce projet, mais il a combiné tout un plan qui doit le mettre à même de réaliser facilement le capital nécessaire à la creation du prix Berlioz.

    Il s’est assuré le concours, non seulement des membres illustres du comité actuel, mais encore des éditeurs des plus importantes compositions de Berlioz : Brandus, déjà membre du comité ; Durand-Schœnewerk ; Choudens ; le chef de l’importante maison Richaud, qui a accepté les fonctions de trésorier de l’œuvre.

    Il prépare l’organisation de plusieurs grands concerts.

    En outre, il a eu l’idée d’une tombola dont le succès est légitimé d’avance par le caractère artistique des lots qu’elle mettra le public à même de gagner, et sur laquelle voici quelques détails :

    M. Édouard Alexandre a obtenu de l’éminent peintre Yvon la composition d’une toile dont le sujet reproduit une scène célèbre de la vie de Berlioz, celle dans laquelle Paganini joua un si magnifique rôle et que Berlioz raconte dans ses Mémoires avec tant d’émotion. On était à la fin de 1838 ; Berlioz, malade, épuisé, sans ressources, donnait le 16 décembre, dans la salle du Conservatoire, un concert dans lequel il faisait entendre la Symphonie fantastique et celle d’Harold. Paganini, qui était dans la salle, entendait cette dernière symponie pour la première fois.

    Ici nous laissons la parole à Berlioz :

    « Le concert venait de finir ; j’étais exténué, couvert de sueur et tout tremblant, quand à la porte de l’orchestre, Paganini, suivi de son fils Achille, s’approcha de moi en gesticulant vivement. Par suite de la maladie de larynx dont il est mort, il avait déjà entièrement perdu la voix, et son fils seul, lorsqu’il ne se trouvait pas dans un endroit partaitement silencieux, pouvait entendre ou plutôt deviner ses paroles. Il fit un signe à l’enfant qui, montant sur une chaise, approcha son oreille de la bouche de son père et l’écouta attentivement. Puis, Achille redescendit et, se retournant vers moi : « — Mon père, dit-il, m’ordonne de vous assurer, monsieur, que de sa vie il n’a éprouvé dans un concert une impression pareille ; que votre musique l’a bouleversé et que, s’il ne se retenait pas, il se mettrait à vos genoux pour vous remercier. »

    « A ces mots étranges, je fis un geste d’incrédulité et de confusion ; mais Paganini, me saisissant le bras, et râlant avec son reste de voix, dit : « — Oui ! Oui !,  » m’entraîna sur le théâtre, où se trouvaient encore beaucoup de musiciens, se mit à genoux et me baisa la main. Besoin n’est pas, je pense, de dire de quel étourdissement je fus pris ; je cite le fait, voilà tout. »

    C’est le lendemain de ce jour que Berlioz, au lit, malade, reçut la visite du jeune Achille Paganini, qui lui remit la lettre suivante de la part de son père, et sortit brusquement :

    « Mon cher ami, Beethoven mort, il n’y avait que Berlioz qui pût le faire revivre ; et moi qui ai goûté vos divines compositions, dignes d’un génie tel que vous, je crois de mon devoir de vous prier de vouloir bien accepter, comme un hommage de ma part, 20,000 francs qui vous seront remis sur la présentation de l’inclus. Croyez-moi toujours votre affectionné.

« NICOLO PAGANINI.  »

    C’est la scène du Conservatoire que M. Yvon transporte sur la toile avec tout son art. Nous publions aujourd’hui une reproduction de l’esquisse, en attendant que l’original soit terminé.

    Nous pouvons annoncer, dès maintenant, que, grâce au désintéressement et à la libéralité de M. Pierre Petit, les lots de tombola se composeront non seulement du tableau du grand maître, mais encore de cent photographies avant la lettre, sur papier de Chine, du tableau de M. Yvon, exécutées par l’habile photographe ; de deux cents photogravures, en grande marge, du même tableau ; d’exemplaires, en nombre indéterminé, de cette gravure, d’une valeur de cinq francs, et dont un sera remis toute personne qui assistera à l’un des concerts organisés au profit de l’œuvre du Prix Berlioz.

    M. Pierre Petit versera en outre, dans la caisse de cette œuvre, le montant du bénéfice réalisé par la vente des reproductions du tableau, pendant la durée d’une année. Enfin, quatre lots magnifiques seront formés de quatre linographies peintes sur toile et reproduisant le portrait de Berlioz en grandeur naturelle, tel qu’on l’admire en ce moment à l’établissement de M. Pierre Petit, avenue de l’Opéra, 33.

    Dans ces conditions, nous croyons qu’on peut prédire au concert et à la tombola un succès égal à celui qu’a rencontré la souscription ouverte par la commission du monument, et l’on peut être assuré que, dès aujourd’hui, le prix qui doit faire vivre à jamais la mémoire de Berlioz est fondé.

    M. le vicomte Delaborde, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, président du comité Berlioz, espère faire accepter, par l’Institut, les sommes qui résulteront de cette tombola pour la création de ce prix.

Paganini

LE 16 DÉCEMBRE 1838 AU CONSERVATOIRE. — Paganini aux pieds de Berlioz, après l’exécution de la « Symphonie fantastique ».
Esquisse du tableau de M. YVON. — Gravure de M. LEPÈRE, d’après la photographie de M. PIERRE PETIT. — (Voir l’article, page 182.)

Voir aussi sur ce site:

L’inauguration imminente de la statue de Berlioz au Square Vintimille (1)
L’Univers Illustré, 16 octobre 1886

L’inauguration de la statue de Berlioz au Square Vintimille (2)
L’Illustration, 23 octobre 1886

L’inauguration de la statue de Berlioz au Square Vintimille (3)
La France Illustrée, 23 octobre 1886

L’inauguration de la statue de Berlioz au Square Vintimille (4)
Le Journal Illustré, 31 octobre 1886

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