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Hector Berlioz: Feuilletons

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FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

DU 8 MARS 1862 [p. 1-2].

THÉATRE DE L’OPÉRA.

Première représentation de la Reine de Saba, opéra en quatre actes, de MM. Jules Barbier et Carré, musique de M. Gounod.

    Cet opéra est tiré en grande partie, dit-on, d’une légende arabe recueillie et publiée par Gérard de Nerval. Salomon (ou Soliman) fait construire son temple. Un artiste habile (Adoniram), que lui a envoyé le roi de Tyr, en dirige les travaux, et commande en maître à une armée d’ouvriers. Trois d’entre eux seulement l’ont pris en haine et conspirent contre lui. Ils viennent le trouver et lui demandent d’un ton assez peu respectueux une augmentation de salaire et la connaissance du mot de passe qui donne aux ouvriers le titre de maître. Adoniram refuse, et les trois drôles se retirent en murmurant. La reine de Saba, la belle Balkis, est venue faire une visite au roi d’Israël. Elle veut voir le grand artiste dont elle a tant entendu parler, et Soliman envoie chercher Adoniram pour le lui présenter. Mais celui-ci, une sorte de Cellini bourru, refuse de se rendre à l’ordre du roi. Il ne peut en ce moment quitter ses fourneaux, une fonte importante va avoir lieu, et le bronze n’est pas soumis, dit-il, à la puissance du roi. La flamme n’attend pas.

Faut-il donc qu’il me traîne
A sa suite… et loin de la cour ?
Ne puis-je à mes travaux consacrer un seul jour ?
Vous vous apaiserez, maître, en voyant la reine,

lui dit Benoni, un joli petit élève qu’il a, comme Benvenuto avait son Ascanio.

    Adoniram cède enfin et se rend au temple, où le roi et la reine l’attendent.

    Pompeuse cérémonie sous le péristyle du temple. Soliman réclame de la reine l’anneau qu’elle lui a promis s’il parvenait à expliquer les énigmes qu’elle lui avait proposées. Soliman a tout expliqué et dit à la reine :

Vous ne douterez plus de ce renom de sage.

    Il veut dire qu’elle ne doutera plus de ses droits à ce renom de sage qu’on lui a donné. Le don de cet anneau est une sorte de promesse de mariage.

    Mais voici venir Adoniram. La reine, en le voyant, se sent prise au cœur d’un amour indomptable. Elle adresse à l’artiste les éloges les plus flatteurs en regrettant de ne pouvoir le louer devant ses nombreux ouvriers.

SOLIMAN.

Et comment rassembler, répandus dans la plaine,
Les flots de cette mer humaine ?
Il y faudrait le bras de la Divinité.

    N’est-ce que cela ? réplique Adoniram. Il gravit les degrés du temple, se tourne vers la foule et de la main droite trace dans l’air le T symbolique. Un grand mouvement se fait dans la multitude. Les ouvriers arrivent, défilent devant le roi et la reine, bannières déployées. Balkis détache de son cou un magnifique collier de perles où s’attache un soleil en pierreries, et le passe au cou d’Adoniram incliné devant elle. Une immense acclamation se fait entendre :

Hosannah ! Hosannah !

    Le deuxième acte s’ouvre au lavoir de Siloé. De jeunes Sabéennes, suivantes de la reine Balkis, viennent chanter et danser avec de jeunes Juives.

    Leurs danses sont interrompues par l’arrivée de la reine, qui les congédie en ces mots :

Mes filles, allez, je vous prie,
Continuer vos jeux sous cet ombrage épais ;
Sur ces rives, devant cette plaine fleurie,
La reine veut se reposer en paix.

    Balkis est triste, désolée. La nuit dernière un malheur affreux a frappé le bien-aimé Adoniram. Une trahison, qu’on n’explique pas, a fait manquer l’opération de la fonte, sur laquelle reposaient toutes les espérances de l’artiste. La reine ne sait ce qu’Adoniram est devenu ; de quoi n’aura-t-il pas été capable dans son désespoir ?

De quelle ardente flamme
Brillaient les yeux de ce fier étranger !
Son orgueil, son courage en face du danger
Ont su toucher mon âme.
Pour être reine, hélas ! on n’en est pas moins femme !

Mais le voilà ! L’ardente flamme de ses yeux est éteinte. Balkis veut ranimer son courage. Vains efforts. Il pousse même le découragement jusqu’à l’oubli de toutes les convenances. Le collier de perles que la reine lui donna, il ne se juge plus digne de le porter, il l’arrache de son cou et le jette brutalement à terre. Il parle même fort irrévérentieusemeut de Soliman, qu’il appelle un fils de berger, et qui n’est point la cause pourtant de la déconvenue d’Adoniram. Mais celui-ci dissimule mal la jalousie qu’il éprouve. Il sait que la reine a promis d’épouser Soliman. Balkis n’a pas plutôt deviné le sentiment secret d’Adoniram, que sa passion pour lui se dévoile. Elle n’aime pas Soliman, elle ne l’épousera jamais ; elle adore l’artiste, elle le lui dit, et se jette aussitôt dans ses bras. Benoni, le gentil Ascanio, vient interrompre l’étreinte amoureuse, mais pour apporter une bonne nouvelle. Les Djins, ces esprits de l’Orient, ont travaillé toute la nuit pour réparer le désastre dont leur protégé Adoniram était la victime.

Les lions, les taureaux, sous la vasque entraînés,
Surgissent avee l’aube à nos yeux étonnés.

    O bonheur ! Hosanna ! Balkis ramassant le collier qu’a jeté Adoniram :

Ce collier, maintenant, le refuserez-vous ?

ADONIRAM.

Ah ! je veux de vos mains le reprendre à genoux.

BALKIS.

A Balkis cependant vous vous ferez connaître.
Est-il vrai que les Djins vous protègent ?

ADONIRAM.

Peut-être.

BALKIS.

Parlez ! achevez cet aveu.

ADONIRAM.

Voici l’escarboucle sacrée,
Symbolique et vénérée,
Léguée au dernier fils des premiers nés de Dieu,
Par les esprits maîtres du feu.
Oui, je suis votre égal, Balkis, et votre frère ;
Vous êtes de mon sang par Nemrod le chasseur.

Morceau d’ensemble.

O Tubal Kaïn, mon père,
Protège-nous des humains ! etc.

    Au troisième acte, Soliman s’indigne des retards apportés sans cesse par Balkis à leur union ; la cérémonie de leur mariage vient une fois encore d’être préparée, et la fiancée n’est pas venue.

    On annonce au roi l’arrivée de trois hommes aux figures sombres, qui ont, disent-ils, une trahison à révéler à Soliman. Ce sont les trois ouvriers qu’Adoniram a si sévèrement éconduits au premier acte, et qui n’ont fait depuis lors que chercher le moyen de se venger de lui. Ils l’ont épié, ils l’ont vu entrer un soir dans la tente de la reine de Saba, d’où il n’est ressorti qu’au matin. Soliman refuse de les croire, mais ils affirment le fait avec serment. Justement, pour accroître la fureur du roi, on entend une immense acclamation : c’est le peuple qui applaudit Adoniram et le porte en triomphe. Soliman n’a garde pourtant de montrer son dépit ; il exprime même le regret de n’avoir pas un royaume à donner à l’homme de génie qui vient de créer tant de merveilles. Adoniram ne veut rien que son congé ; il veut partir de Jérusalem, d’où il n’emportera, dit-il, que son manteau. Le roi s’obstine, et, prenant sa propre couronne, il veut la placer sur la tête d’Adoniram qui repousse le bras de Soliman. Alors le roi veut embrasser l’artiste :

Je veux au moins, en ce jour solennel,
Payer mon serviteur d’un baiser fraternel.

    Mais Adoniram ne veut ni argent, ni honneurs, ni couronne, ni baiser. Le roi n’y tient plus à ce dernier refus, et menace le dédaigneux artiste, qui ne fait que rire de sa fureur.

A cent mille ouvriers, dont la voix le proclame,
Adoniram dicte sa loi.

    Alors Soliman se résigne et abandonne Adoniram à la justice éternelle. Voici venir la reine. Elle est d’accord avec l’artiste pour fuir avec lui cette nuit même. Elle veut seulement, avant son départ, reprendre à Soliman l’anneau qu’elle lui a donné. Pour y parvenir, elle propose à Soliman une partie de plaisir, un rendez-vous, pour boire une coupe avec lui.

Permettez que Balkis un moment se repose,
Qu’à mes pieds enchaîné Soliman rêve encor,
Et des vins dont l’ardeur chasse l’ennui morose
Je veux remplir sa coupe d’or.

Soliman, sans se demander ce qui peut inspirer à la reine ce subit amour pour la boisson, accorde le rendez-vous. L’amphore et la coupe sont là. Ils sont seuls, ils boivent. Soliman veut prendre avec la reine des privautés. Elle résiste ; pourtant elle va succomber, quand le roi se sent frappé de vertige et tombe sur un siége en murmurant des paroles de menace, car il devine tout. Il n’est pas moins terrassé par un invincible sommeil, pendant lequel Balkis lui reprend son fameux anneau et disparaît.

    Au quatrième acte, dans un site sauvage, sur le bord du Cédron, Adoniram attend la reine. Mais ce sont les trois méchans ouvriers que nous voyons accourir. Ils ont deviné le projet de fuite de leur maître, et viennent faire auprès de lui une dernière tentative pour obtenir le mot de passe qu’Adoniram refuse avec obstination. Instances, menaces, rien ne peut le fléchir. Meurs donc ! crient ces misérables. Et Adoniram tombe percé de trois coups de poignard. La reine paraît et trouve son amant étendu sur un rocher. Désespoir.

    Il se ranime un instant. La reine veut qu’Adoniram soit son époux en ce suprême instant, et passe au doigt du moribond l’anneau qu’elle avait d’abord donné à Soliman, et qu’elle vient de lui reprendre. Une dernière étreinte, un dernier cri, Adoniram n’est plus. Accourent les Sabéennes de la suite de Balkis avec des flambeaux, et la reine, après avoir maudit Soliman, qu’elle accuse de la mort d’Adoniram, ordonne que le corps de son amant soit conduit avec pompe dans son royaume,

Et que son nom divin soit redit d’âge en âge
Jusques au dernier jour des siècles révolus.

    Ce livret me semble difficile à mettre en musique et doit avoir rendu la tâche du compositeur très ardue. M. Gounod est un si habile musicien qu’il a su rendre avec bonheur néanmoins les principales situations du drame. Ce n’est pas sa faute s’il n’a pu toujours éviter l’écueil de la monotonie. L’introduction instrumentale qui précède le lever de la toile débute par une belle phrase dite par les instrumens de cuivre et d’un caractère grandiose en parfaite harmonie avec le sujet. Les développemens auxquels elle donne lieu conservent ce même aspect de grandeur antique qui forme son mérite principal. Adoniram, seul dans son atelier, chante un récitatif mesuré dont l’accent est fier et sombre et qui amène un bel air :

Inspirez-moi, race divine,

dont l’orchestre, d’une richesse peut-être excessive, couvre trop la partie de chant en quelques endroits.

    Ce luxe instrumental n’existe pas dans l’accompagnement des couplets du jeune Benoni :

Comme la naissante aurore,
Pâle encore,

dont l’heureuse mélodie se déploie sans obstacles. Le trio des ouvriers révoltés ne se dessine pas dans mon souvenir très nettement ; j’ai besoin de le réentendre. La marche qui lui succède est très énergique et bien rhythmée. Il faut signaler encore dans cet acte ce beau passage du rôle de Balkis :

Je crois que cet anneau m’engage à mon époux,
Et ne veux pas que rien porte ombrage à sa gloire,

que Mme Gueymard a dit avec beaucoup de noblesse.

    L’acte suivant s’ouvre par un chœur dialogué de femmes juives et sabéennes. Rien de plus ingénieux et de plus charmant que ce duo pour vingt premiers et vingt seconds soprani ; le tissu mélodique en est gracieux, et les développemens, ménagés avec un art exquis, aboutissent à une courte phrase finale qui a fait éclater les applaudissemens de toute la salle. Inutile d’ajouter que le morceau a été redemandé à grands cris.

    Le ballet offre plusieurs airs de danse pleins de vivacité et de grâce, mais il est trop long pour un divertissement d’opéra. C’est tout au plus si dans les ballets proprement dits on en voit d’une dimension pareille. Aussi cet acte a-t-il duré une heure et dix minutes.

    Il y a une grande et belle progression harmonique dans la scène où Balkis décrit la catastrophe de la fonte :

Hélas ! funeste nuit !
Gloire d’Adoniram en un moment flétrie !

C’est dramatique, émouvant, et les effets de musique imitative sont là on ne peut mieux motivés. Le cri ironique d’Adoniram répondant à la reine qui lui demande qui il est :

Un obscur ouvrier, indigne de salaire
Et qui mérite la colère
De ce fils de berger qu’a choisi votre cœur,

est d’une superbe insolence. Pourquoi entend-on des sons perçans de petite flûte dans le moment où Adoniram, éperdu de joie, dit à la reine :

Oh ! ne parlez pas ! laissez-moi le doute.

Ces notes aiguës et déchirantes ne m’ont paru motivées par rien en cet endroit. On ne peut les attribuer qu’à une distraction du compositeur. Le quatuor

O Tubal Kaïn, mon père,

est écrit dans le vrai style d’une invocation religieuse ; son rhythme, en conséquence, a une certaine lenteur qu’on lui reproche, parce qu’il termine l’acte. Faut-il donc absolument que tout final, quelles qu’en soient les paroles, ait une allure vive, et ne peut-on, sans se compromettre, terminer un acte autrement que par la stretta consacrée ? M. Meyerbeer a pourtant, et avec quel bonheur ! terminé son opéra du Pardon de Ploërmel par une sorte de cantique d’un mouvement lent.

    L’air de Soliman au troisième acte :

Sous les pieds d’une femme,

n’a pas beaucoup d’originalité. D’ailleurs une voix de basse chantant l’amour a peu de chances d’attendrir.

    Il faut louer la couleur générale et le mouvement de la scène cinquième, où les trois ouvriers viennent apprendre au roi les entrevues nocturnes de Balkis et d’Adoniram. L’ensemble en est sombre, fiévreux ; il devait être tel. Je ne sais si, en raison de la grande quantité de morceaux lents que contient sa partition, M. Gounod a bien fait d’écrire encore en style d’hymne le chœur :

Honneur à toi que la gloire environne !

    L’expression n’eût rien eu à souffrir, ce me semble, d’un peu plus de mouvement et d’un peu moins de solennité.

    Le grand duo de l’enivrement entre Balkis et Soliman est au contraire d’une allure passionnée essentiellement dramatique.

    Le quatrième acte est fort court ; le musicien a su pourtant y placer un grand nombre de beaux accens. Exemple les derniers vers du monologue d’Adoniram :

Et mon âme oubliera ses angoisses d’un jour
Dans une éternité de bonheur et d’amour !

    Et ceux de la reine :

O dieux ! c’est mon amour qui te livre au trépas !
Non, tu ne peux mourir ! non, tu ne mourras pas !

    En somme, cette nouvelle partition est l’œuvre d’un musicien consciencieux et savant qui possède toutes les ressources de son art, le sentiment juste des convenances dramatiques, l’instinct de l’expression, et la jeunesse, ce défaut charmant dont on se corrige si vite. C’est pourquoi il nous semble qu’il aurait tort d’écrire vite ; rien ne le presse, et les œuvres lentement élaborées ne doivent pas lui faire peur. C’est un terrible travail qu’une partition de grand opéra, surtout si l’on veut être prêt à répondre à toutes les exigences qu’on doit trop souvent aujourd’hui subir aux répétitions générales. Ici l’on demande une coupure, là une addition ; il n’y a pas assez d’airs de danse, le metteur en scène veut une ritournelle pour avoir le temps de faire entrer ses groupes, une autre pour les faire sortir, etc., etc. Le malheureux compositeur, qui voit alors sa partition ravagée comme une moisson où un troupeau de buffles aurait fait invasion, perd la tête, s’il n’est pas préparé à cette bataille, coupe, allonge, improvise tout ce qu’on lui demande avec une anxiété fiévreuse, et Dieu sait les résultats désastreux que ces tiraillemens et ces improvisations amènent ordinairement.

    L’exécution de la Reine de Saha est remarquable. Mme Gueymard (Balkis), Gueymard (Adoniram) ont joué leur rôle avec un zèle et une chaleur dignes des plus grands éloges ; Belval est un superbe Salomon, et sa belle voix de basse convient on ne peut mieux au caractère des morceaux que l’auteur lui a donné à chanter ; Mlle Hamackers est charmante sous le costume du jeune élève d’Adoniram. Les chœurs n’ont rien laissé à désirer ; le morceau dialogué des femmes au second acte est une véritable merveille d’exécution. On y reconnaît l’influence de la direction imprimée aux études des masses vocales par un véritable artiste, qui joint le goût au savoir et à une volonté ferme, tel que M. Massé.

    Pour l’orchestre, composé presque en entier de virtuoses, il est conduit par un chef habile, M. Dietsch, dont l’autorité grandit chaque jour ; il ne peut donc être qu’excellent toutes les fois qu’il le veut, et il est rare qu’il ne le veuille pas. On éprouve un vif plaisir à l’entendre aux premières représentations, aux représentations parées. Alors chacun redouble de soins et d’attention ; on est mieux d’accord que de coutume ; les instrumens de cuivre brillent d’un plus vif éclat, on dirait qu’ils sont fourbis à neuf ; les violons ont plus de son, on les prendrait tous pour des stradivarius; les attaques sont plus fermes, plus incisives, l’ensemble est plus compact, les nuances sont plus fines, les accompagnemens plus discrets. C’est ainsi que l’orchestre de l’Opéra s’est montré dans son ensemble à la première représentation de la Reine de Saba. On a en outre remarqué le solo de violon joué par M. Leudet et plusieurs phrases chantées d’une belle manière par tous les violoncelles unis, et le solo des instrumens de cuivre dans l’introduction.

    Je n’ai rien dit encore des danses si bien dessinées par M. Petipa, ni de la mise en scène si ingénieuse, que je suppose réglée, comme à l’ordinaire, par M. Cormon, bien que le livret ne le dise pas, ni des décors dont le second surtout est magnifique. Des deux sylphides qui étincellent dans le divertissement, que vous dirai-je ?

    Mlle Zina Richard a une vigueur exceptionnelle qui n’exclut pas la grâce. Quant à Mlle Livry, son vol tient à la fois du vol capricieux de l’hirondelle et de celui de la flèche qui fend l’air en ligne droite, puis c’est une feuille de rose qui se laisse mollement emporter par le vent. Si j’osais employer le style arabe, je dirais qu’elle est à la fois le charme et le rafraîchissement des yeux.

    Il est convenu qu’on ne doit jamais louer les danseurs hommes ; pourtant, puisque les danseurs sont nécessaires, ne fût-ce que pour aider aux élévations des danseuses, pourquoi, quand ils ont d’ailleurs un talent réel, comme Chapuis, ne pas signaler ce talent ?

    Quelques jours avant l’apparition de la Reine de Saba, dans une soirée de musique instrumentale, j’ai entendu, à côté d’un admirable quatuor de Beethoven, un trio pour piano, violon et violoncelle, récemment composé par M. Reber. C’est une œuvre excellente de tout point, d’un style gracieux, fin, distingué, et pleine de véritables inventions musicales. Le premier morceau, l’andante et le final sont des choses ravissantes dans des genres différens. Le style de M. Reber est caractérisé surtout par une science profonde cachée sous la naïveté, et par une tendance à la reproduction des formes anciennes qui donne à presque toutes ses œuvres un aspect spécial dont les archéologues ne sont pas seuls charmés. Ce beau trio, vivement applaudi par un auditoire de connaisseurs difficiles, a été supérieurement exécuté par MM. Saint-Saëns, Dien et Alexandre Batta. A propos de virtuoses héroïques, je dois annoncer l’arrivée à Paris d’un autre Alexandre, Alexandre Billet, qui vient de faire une brillante tournée en Suisse, et qui se propose de donner à Paris plusieurs séances de musique classique. Alexandre Billet, dont la réputation est grande, surtout à Londres, est le pianiste particulier, le pianiste de la cour de Mozart, dont il exécute les chefs-d’œuvre avec un sentiment, un goût, je dirai même avec une réserve intelligente, trop rares.

    Mme Charton-Demeur, après son éclatant succès obtenu dernièrement à Bordeaux, vient d’être engagée au Théâtre-Italien, où elle débutera avec Tamberlick dans Otello.

    Il faut féliciter M. Calzado d’avoir fait ce coup d’Etat. Il vient aussi d’engager Mlle Falconi, qui débutera dans Ernani.

HECTOR BERLIOZ.

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; page Hector Berlioz: Feuilletons créée le 1er mars 2009; cette page ajoutée le 10 juin 2009.

© Michel Austin et Monir Tayeb. Tous droits de reproduction réservés.

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