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Hector Berlioz: Feuilletons

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FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

DU 19 DÉCEMBRE 1856 [p. 1].

THÉATRE DE L’OPÉRA.

    Les débuts de Mme Borghi-Mamo dans le rôle de Léonor de la Favorite attirent la foule à l’Opéra. L’intérêt qu’excite toujours cette œuvre poétique et touchante se joint d’ailleurs au plaisir qu’on éprouve à l’entendre chanter par Roger et par la virtuose italienne. Roger s’y montre noble, ému et émouvant ; il chante avec une sensibilité profonde les morceaux tendres et met la plus rare énergie dans les scènes de passion. Mme Borghi-Mamo reste cantatrice avant tout ; personne, à mon sens, n’a encore exécuté comme elle l’andante : « O mon Fernand ! » Mais son triomphe est au quatrième acte, où son air duo : « Va dans une autre patrie » excite chaque soir les applaudissemens de la salle entière. Elle a des notes d’une pureté exquise, dont le timbre a un tel charme, que leur émission seule suffit à ravir les auditeurs, peu blasés en général sur une semblable qualité.

    Mme Borghi-Mamo, bien que ménageant avec art ses moyens, donne pourtant, quand il le faut, tout ce qu’elle a de voix et ne lésine pas avec le public. Bien différente en cela de certains chanteurs qui comptent d’avance le nombre des beaux sons qu’ils dépenseront dans une soirée, et mettraient volontiers leur voix à la Caisse d’épargne. Son succès est des plus brillans.

THÉATRE DE L’OPÉRA-COMIQUE.

Première représentation de Maître Pathelin, opéra-comique en un acte, arrangé d’après l’ancienne comédie, par MM. de Leuven et F. Langlé, musique de M. Bazin.

    On a beaucoup ri, on a beaucoup applaudi ; on a rappelé tous les acteurs, qui ont eu la bonté de revenir ; la musique a paru gaie, facile, bien faite ; le débutant Berthelier a beuglé (c’est un éloge) son rôle de berger avec un naturel des plus bouffons ; Couderc a fait les plus charmantes folies. Voilà donc un succès, un succès réel que nous avons à constater. Tout le monde est sorti content ; non pas content de sortir, entendons-nous, mais content de la pièce, content du succès qu’elle venait d’obtenir, content enfin d’être content.

    Il n’y a que certaines gens à l’esprit morose, mal fait, chagrin, qui, contens aussi, comme tout le monde, s’en sont allés mécontens d’être contens. Ces gens-là ne veulent pas qu’on les amuse ; non qu’ils aiment à s’ennuyer, mais parce que rien ne leur plaît tant que de dire : « C’est assommant, cela manque de gaîté, c’est à porter le diable en terre ; j’aimerais mieux voir jouer une tragédie de Voltaire ! » et autres phrases consacrées. Or, quand la gaîté d’une pièce est de notoriété publique, les blasés, ne pouvant pas placer leur petit mot, en veulent à l’auteur seulement pour cela, et vont partout le dénigrant. C’est niais, disent-ils alors, c’est un opéra de carnaval ; c’eût été bon pour le théâtre de la Foire, au temps où il y avait un théâtre de la Foire ; cela fait rire les garçons épiciers, les nourrices, les bonnes d’enfans et les enfans… etc., etc.

    Eh bien ! oui, c’est un opéra de carnaval ! Est-t-il défendu de s’amuser d’une façon carnavalesque uniquement parce que le carnaval n’est pas encore commencé ? Et croyez-vous que si les garçons épiciers, les nourrices, les bonnes d’enfans et les enfans sont ravis, rient de tout leur cœur, ils soient les seuls à prendre du plaisir ? Vous êtes en ce cas dans une étrange erreur. D’abord le nombre des enfans et des nourrices est énorme ! Lequel d’entre nous d’ailleurs n’est pas tant soit peu épicier ? Et vous-même, bien que vous n’ayez pas encore vendu savon, fromage ni denrées coloniales, n’avez-vous pas dans l’âme un fonds d’épicerie d’une certaine valeur ? Et serait-il absolument impossible de démontrer que vous n’êtes, à tout prendre, que de véritables maîtres épiciers, des patrons qui ont manque leur vocation ? Quand vous grimpez l’échelle de vos ridicules théories sur l’esthétique, sur les arts plastiques, et que de là vous pérorez dans un jargon comique sur des questions que vous ne comprenez point, mais qui pour vous sont des questions de boutique, qu’êtes-vous sinon des maîtres épiciers ? Quand vous vous avisez de……. Mais je suis bon de m’amuser à démontrer leur épicerie à ces gens-là. J’ai beaucoup mieux à faire ; j’ai, par exemple, à ne pas raconter la pièce de Maître Pathelin, tirée, tout le monde le sait, de la vieille farce de l’Avocat Pathelin, que tout le monde connaît. Pourtant, s’il faut absolument analyser ce poëme pour l’instruction spéciale des enfans, des nourrices, des bonnes et des garçons épiciers qui, n’allant guère au Théâtre-Français, n’ont jamais vu l’Avocat Pathelin, j’emploierai le merveilleux procédé dont un homme d’esprit se servit un jour devant moi pour analyser l’Hamlet de Shakespeare : « Hamlet ! s’écria-t-il en riant ; ah ! oui, je connais ça. C’est une pièce anglaise où il y a un rat qu’on tue derrière une tapisserie. C’est bête comme une oie. »

    Je pourrais donc dire aussi : « Maître Pathelin ?… il faut voir cela : c’est une pièee française où il y a un tas de moutons et un berger qui, à tout ce qu’on lui demande, répond : Bêêê ! bêêê ! » C’est très… amusant.

    La musique de M. Bazin a été fort goûtée, excepté des professeurs d’esthétique. Elle est ce qu’elle doit être, ni plus ni moins. Elle a les allures moutonnières qu’exigeait impérieusement le sujet ; l’intention dramatique en est toujours bonne, cela se bêle aisément, et l’orchestre n’a pas la moindre prétention bombastique. L’ouverture n’est qu’un pot-pourri formé des divers morceaux de l’opéra mais ce pot-pourri est agréable et exempt, même dans la coda, de ce tohu-bohu fracassant que l’on prend si souvent à Paris pour de l’énergie et pour une richesse d’instrumentation. Les morceaux qu’on a le plus goûtés dans l’ouvrage de M. Bazin sont le premier trio, chanté par Mmes Decroix, Revilly et Couderc ; les couplets dansés par Couderc (bissés) ; le duo « Quel air de probité ! » ; l’air fort comique d’Agnelet : « Quel triste sort ! » (bissé), et le trio : « Je suis avocat. »

    Les rôles de femmes, peu en relief dans cet opéra, sont bien rendus par Mlle Revilly et Mme Decroix. Prilleux et Lemaire donnent une physionomie très bouffonne à ceux du marchand de drap et du juge ; quant à Couderc (l’avocat Pathelin) et à Berthelier (Agnelet), le débutant, ils ont obtenu, je le répète, un succès de fou-rire qui eût désarmé les maîtres épiciers, professeurs d’esthétique, si faire s’était pu.

THÉATRE DES FOLIES-NOUVELLES.

    On s’imagine généralement que ces théâtres récemment éclos, et où l’on a pris la bouffonnerie au sérieux, sont des lieux malsains, mal meublés, mal éclairés, mal habités et par suite mal famés, et l’on a raison en général de le croire. Il en est de toutes sortes pourtant. Les uns sont en effet mal hantés, mais d’autres ne sont pas hantés du tout. Celui-ci est mal famé, cet autre est affamé. Celui-là enfin, et c’est du théâtre des Folies-Nouvelles que je parle, est un petit réduit coquet, propre, charmant, illuminé à giorno, et toujours peuplé d’un public élégant et de mœurs douces. L’usage s’y est établi (c’est sans doute à cet usage qu’on doit la douceur de mœurs de ses habitués) de consommer dans les entr’actes force bâtons de sucre d’orge. Dès que la toile est baissée, les lionceaux du parterre se lèvent, font un signe amical aux gazelles de la galerie, et s’enfoncent dans la bouche de longs objets de diverses couleurs qu’ils sucent et resucent avec un sérieux des plus remarquables. Quand je dis que ces objets sucrés sont de diverses couleurs, je me trompe ; il y a une couleur adoptée pour chaque entr’acte et qui ne change qu’à l’acte suivant. Après l’exposition, on suce en jaune ; au moment où l’action se noue, le rose est sur toutes les lèvres ; et quand l’action s’est dénouée, c’est le vert qui triomphe, et toute la salle suce en vert. Ce spectacle est fort étrange et il faut du temps pour s’y accoutumer. Pourquoi ce doux usage existe aux Folies-Nouvelles, comment il s’y est établi, ce qui l’y maintient…. — question triple à laquelle les vrais savans sont réduits à répondre ce qu’ils répondent à tant de questions simples :

On n’a jamais pu le savoir.

Et voyez comme on est ignorant à Paris des choses même les plus essentielles : je ne savais pas, il y a quinze jours, où est situé le théâtre des Folies-Nouvelles, et ce n’est qu’à force de dire, tout le long du boulevard, aux personnes dont la physionomie me faisait espérer de leur part quelque bienveillance : « Monsieur, oserais-je vous prier de vouloir bien prendre la peine de m’indiquer le théâtre des Folies-Nouvelles ? », que j’y suis enfin parvenu. Et ce théâtre, charmant, je dois le redire, fait de la musique. Il possède un joli petit orchestre bien dirigé par un habile virtuose, M. Bernardin, et plusieurs chanteurs qui ne sont point maladroits. J’allais ce soir-là, sur la foi d’un de mes confrères, assister à une tentative de musique sérieuse dans l’opéra nouveau intitulé le Calfat. De la musique sérieuse aux Folies-Nouvelles ! me disais-je tout le long du boulevard, c’est un peu bien étrange !…. Après tout, c’est sans doute un moyen de justifier le titre du joli petit théâtre. Nous verrons bien. Nous avons vu, et nos terreurs se sont vites dissipées, MM. les directeurs des Folies sont gens de trop d’esprit et de bon sens pour tomber dans une erreur si grave et si préjudiciable à leurs intérêts. Hâtons-nous de dire qu’ils n’y ont jamais songé. Où diable mon confrère avait-il la tête quand il m’a parlé sérieusement de la musique sérieuse du Calfat ! Mais si l’auteur se fût avisé d’une aussi sotte incartade, tous les bâtons de sucre d’orge jaunes, roses et verts eussent disparu pour faire place à d’ignobles bâtons noirs de jus de réglisse, les lionceaux du parterre eussent rugi de fureur et les gazelles du balcon se fussent voilé la face.

    Ah ! de la musique sérieuse ! sans y être forcé ! c’eût été une bonne folie ! Ces mots : musique sérieuse, ou musique sévère (ce qui est absolument la même chose), me donnent froid dans le dos. C’est qu’ils me rappellent des épreuves si dures, si cruelles, si sévères, que j’ai été contraint de subir dans mes voyages !… La dernière seulement n’a pas eu pour moi de suites fâcheuses ; elle a très bien fini, parce qu’elle n’a pas commencé. C’était dans une grande ville du Nord, dont les habitans ont une passion pour l’ennui, qui va jusqu’à la frénésie. Il y a là une salle immense où le public se rue, s’entasse, s’écrase, sans être payé, en payant même toutes les fois qu’il est certain d’y être sévèrement traité. On a oublié d’inscrire sur le mur de ce temple la fameuse devise qui brille en lettres d’or dans la salle de concerts d’une autre grande ville du Nord :

Res severa est verum gaudium,

qu’un mauvais plaisant a traduite par :

L’ennui est le vrai plaisir.

    Or donc je crus de mon devoir d’aller un jour entendre une des choses les plus sévères et les plus célèbres du répertoire musical de cette grande ville (qui a un répertoire à elle). Toutes les places étant prises, je me mis en quête d’un de ces marchands qui vendent à un prix exorbitant des billets aux abords de la salle ; j’étais en négociations avec ce négociant, quand un des artistes de l’orchestre qui allait exécuter rem severam, m’apercevant : « Que faites-vous donc là, me dit-il ? — Je marchande un billet, n’ayant jamais entendu le chef-d’œuvre annoncé pour aujourd’hui. — Et quelle nécessité y a-t-il pour vous de l’entendre ? — Il y en a plus d’une : les convenances… le désir d’expérimenter… — Eh, quoi ! ne vous ai-je pas vu il y a quinze jours dans notre salle assister, du commencement à la fin, à l’exécution de notre jeune chef-d’œuvre ? — Oui ; eh bien ? — Eh bien, vous pouvez, par comparaison, apprécier le chef-d’œuvre ancien que nous allons chanter. C’est absolument la même chose ; seulement le chef-d’œuvre ancien est une fois plus long que le moderne et sept fois plus ennuyeux. — Sept fois ? — Au moins. — Cela me suffit. » Et je remis ma bourse dans ma poche et m’éloignai fort édifié.

    Voilà pourquoi les sévérités de l’art musical m’inspirent par occasion une crainte si vive. Mais ma terreur était panique cette fois, très panique ; et rien que la lettre de mon confrère ne devait la justifier. Le Calfat est un petit opéra tout à fait bon enfant, qui chante de bonnes grandes valses, bien joviales, de bons petits airs bien dégourdis, éveillés, égrillards, et pour rien au monde l’auteur de cette aimable partition, M. Cahen, n’eût voulu se montrer sévère à l’égard des honnêtes gens venus pour l’applaudir. Aussi quel succès ! comme on a accueilli son ouvrage ! qui du reste est bien exécuté, beaucoup mieux qu’on ne pourrait le croire ! Au dénoûment, les lionceaux et les gazelles laissaient voir un véritable enthousiasme, et les petits bâtons verts s’agitaient dans toutes les bouches comme des pistons de locomotive.

L’Art de chanter, par M. Henri Panofka.

    Le but que s’est proposé l’auteur de cette méthode est de former non seulement la voix, mais l’oreille, et de développer l’intelligence musicale des élèves chanteurs. Il ne suit pas, il s’en faut, les erremens de la routine. On voit dès le début, par exemple, qu’au lieu de la mise de voix, cette étude fatigante et presque impossible pour un commençant, adoptée par la plupart des maîtres, M. Panofka propose comme premier exercice la simple émission du son qu’il ne fait durer que le temps d’une noire dans le mouvement moderato. Il est clair qu’avant d’apprendre à filer et à nuancer un son il faut savoir l’émettre. Il ne se contente pas, comme beaucoup d’autres professeurs, de recommander quelques exercices par demi-tons, il insiste sur une étude constante de tous les exercices par degrés chromatiques. Il place l’étude des intervalles difficiles à la fin de la méthode, au lieu d’en faire la seconde leçon. A moins qu’il ne s’agisse d’une voix parfaitement posée, d’une oreille formée et d’une intonation des plus justes, cet exercice est plutôt nuisible qu’avantageux.

    Dans son quatrième chapitre il expose des moyens et des règles infaillibles pour reconnaître le véritable caractère d’une voix. Avis à MM. les professeurs qui prennent des contralti pour des soprani, et des barytons pour des ténors. Les conseils qu’il donne pour unir le registre de poitrine à celui de tête sont entièrement neufs. Cette union, sans laquelle tout chanteur restera imparfait, M. Panofka l’opère dès le commencement au moyen de l’exercice des trois notes, et non pas quand il n’est plus temps, par des exercices sur des notes isolées.

    Tout ce qu’il dit des timbres, de la beauté du son, de l’oreille, de l’hygiène du chanteur, des voix capricieuses et défectueuses, de l’accompagnement des exercices, est d’une vérité incontestable. Nous citerons le commencement du chapitre IX : Des dispositions nécessaires pour devenir un bon chanteur : « Depuis quelques années, dit l’auteur, le nombre des théâtres lyriques s’est accru, et, par suite, le besoin de chanteurs s’est fait sentir davantage. En outre, les artistes sont alléchés par des appointemens considérables et ne se hâtent que trop de se lancer, après un travail insuffisant, dans une carrière qui leur offre de telles séductions. De là la difficulté pour les professeurs d’obtenir le temps strictement nécessaire à l’instruction d’un élève. On dit à celui-ci le grand mot : « Vous avez un million dans votre gosier ; criez à tue-tête ; agitez vos bras, jetez la tête à droite et à gauche ; soyez échevelé, extravagant ; visez à l’effet, et vous séduirez la foule. » — « Gardez-vous, dit encore l’auteur, d’imiter un artiste, quelque illustre qu’il soit ; soyez vous-même avant tout, et croyez que votre originalité particulière, si petite qu’elle puisse être, sera toujours préférable à une imitation. »

    L’Art de chanter se termine par quarante-huit vocalises qui, comme le dit très justement le rapport de la section de musique de l’Institut sur cet ouvrage, « sont écrites avec beaucoup de soin, de goût et d’élégance. »

    L’Art de chanter a non seulement reçu l’approbation du Conservatoire de Paris et de l’Institut, mais il a été adopté par les succursales de Toulouse et de Marseille. L’étranger s’est également associé à ces suffrages ; le Conservatoire de Bruxelles l’a approuvé de la manière la plus complète, et celui de Liége l’a adopté pour les classes de chant.

CONCERTS.

Publications nouvelles. Mme Stolz à La Haye.

    Oui, concerts ! il y a déjà des concerts. Il y a d’abord ceux de la Société des Jeunes Artistes, dirigée par M. Pasdeloup. La première séance de cette adolescente Société a présenté beaucoup d’intérêt. On y a entendu les principaux morceaux d’une œuvre de Mozart à peine connue de nom du public parisien, le Sérail. Ces fragmens ont fait sensation. L’exécution confiée à Mlle L’Héritier, dont les débuts très heureux viennent d’avoir lieu à l’Opéra-Comique, à Mlle Dupuy, à Battaille et à Jourdan, ne pouvait être qu’excellente. Il faut louer l’orchestre pour la précision avec laquelle il a rendu la symphonie en la majeur de Mendelssohn. La troisième symphonie concertante pour deux violons, de M. Alard, qui figurait aussi dans ce riche programme, est une œuvre remarquable comme composition, où l’on admire en outre l’ingénieuse manière de l’auteur à mettre en relief les ressources variées de l’instrument sur lequel il excelle. Ses deux élèves, MM. Withe et Lancien, l’ont jouée avec une verve bien réglée, digne des chaleureux applaudissemens qu’ils ont obtenus.

    La matinée musicale donnée par M. Théodore Schlœsser avait attiré un public élégant, mais composé presque exclusivement de dames, dans la salle Bonne-Nouvelle. Tous les morceaux entendus dans cette séance sont de M. Schlœsser. On a applaudi tout d’abord un trio très bien fait, pour piano, violon et basse, dont l’auteur a exécuté avec talent la partie de piano. Ce trio renferme d’excellentes choses : l’andante surtout est charmant. L’élégie pour piano et violoncelle, purement et poétiquement chantée par le jeune Douai, qui vient de remporter le premier prix de violoncelle au concours du Conservatoire, a fait plus de plaisir encore.

    Jourdan, dont la voix et l’obligeance sont infatigables, a ravi l’auditoire dans deux gracieux morceaux : une barcarolle et une légende avec accompagnement de piano. Dans la première de ces deux petites compositions, Jourdan, contre son habitude, a fait usage d’un son de la voix de tête qui lui a parfaitement réussi. Le timbre du fausset de Jourdan est d’une grande fraîcheur et très sympathique ; il nous semble qu’il pourrait l’employer sans crainte plus souvent.

    Je dois citer parmi les pièces les mieux accueillies du programme une scène du Freyschütz transcrite pour orgue-Alexandre, piano et violon, et exécutée par MM. Herman, l’élégant violoniste, Jules Cohen et Schlœsser. L’orgue-Alexandre fait merveille entre les deux autres instrumens, auxquels il sert en quelque sorte de lien harmonique. L’association de ces trois timbres est des plus heureuses, et les thèmes de Weber étant d’ailleurs habilement traités, le morceau a fait grand plaisir. Voilà à peu près, ce me semble, à quoi se sont réduites les opérations du monde musical parisien ce mois-ci. Ajoutez seulement que M. Lacombe vient de publier six chœurs pour voix d’homme, sans accompagnement, d’un style vigoureux et très noble, qui seraient bientôt populaires si nous avions en France des sociétés chorales aussi bien disciplinées que celles que l’on compte par centaines en Allemagne ; et que M. Rosenhain a livré à l’impression un savant et beau trio pour piano, violon et violoncelle, dédié au célèbre violoncelliste russe M. le comte Mathieu Wielhorski, en ce moment à Paris, amateur dont le rare talent empêche bien des artistes de dormir.

    Je n’ai qu’une nouvelle étrangère à citer, encore n’est-elle déjà plus nouvelle. Tout le monde sait en effet à cette heure que Mme Stolz vient d’obtenir de véritables triomphes à La Haye, où elle a joué ses rôles de la Reine de Chypre et de la Favorite, au milieu des applaudissemens, et sous une pluie de fleurs ; fleurs et applaudissemens prodigués même, dit-on, par des mains royales. Jamais, disent les journaux hollandais, la grande artiste n’eut plus de verve, plus de puissance d’entraînement et d’émotion, jamais sa voix ne fut plus belle.

    Sivori, après de brillans concerts donnés par lui à Gênes et à Nice, vient d’arriver à Paris, où il compte passer l’hiver et faire entendre plusieurs importantes compositions nouvelles.

H. BERLIOZ.

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; page Hector Berlioz: Feuilletons créée le 1er mars 2009; cette page ajoutée le 1er mars 2010.

© Michel Austin et Monir Tayeb. Tous droits de reproduction réservés.

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