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Hector Berlioz: Feuilletons

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FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

DU 9 FÉVRIER 1842 (p. 2)

THÉATRE DE L’OPÉRA-COMIQUE.

Première représentation de le Duc d’Olonne, opéra en trois actes, de MM. Scribe et Saintine, musique de M. Auber.

    Le duc d’Olonne, espèce de don Juan, colère, emporté, brutal, même avec les femmes, abandonne un instant les plaisirs pour la politique. Dévoué aux intérêts de la cour de France, il favorise secrètement les prétentions de Philippe V au trône d’Espagne. Sa prudence n’est pas telle cependant que sa conduite n’ait éveillé les soupçons des Espagnols. Obligé de fuir, il ne voit d’autre moyen, pour sauver de la confiscation son immense fortune, que de se marier en donnant par contrat tous ses biens à sa femme, qui lui en fera parvenir les revenus. On lui parle d’une jeune fille pauvre, mais de bonne maison, dona Bianca de Velasco ; il demande sa main. Après bien des larmes et de cruels combats, Bianca, pour sauver son père de la misère, consent à épouser le duc. Or voici pourquoi ce brillant mariage cause tant de répugnance et d’effroi à la belle Espagnole.

    Un jour qu’il faisait horriblement chaud, un jeune officier français et brun (comme disent toutes les légendes impériales) s’en vint blessé, mourant de soif, demander à boire chez le père Bianca. En présentant un verre d’eau à ce charmant ennemi, la pauvre Bianca trembla tellement, qu’elle répandit une partie du liquide, et le sensible militaire fut si frappé des charmes de sa timide Hébé, qu’il oublia de boire le reste, et partit en conséquence altéré, à en devenir fou, de la fille qu’il avait vue et de l’eau qu’il n’avait pas bue. Malgré cet amour électrique, Bianca finit par entendre raison et par épouser le riche et beau duc d’Olonne. Celui-ci, qui a grande hâte de terminer l’indispensable cérémonie, et qui ne se marie que pour quitter sa femme à l’instant même, la conduit voilée à l’autel, et l’en ramène sans daigner seulement la regarder ; d’où il suit forcément, et heureusement pour l’intrigue de la pièce, que Bianca lui demeure parfaitement inconnue. Un gros imbécille d’intendant nommé Mugnès est chargé, en l’absence du duc, de veiller sur elle au milieu des dangers que l’invasion de l’armée française peut lui faire courir. Le pauvre homme, que le bruit des coups de canon fait tomber en épilepsie, ne trouve rien de mieux pour le salut de sa jeune maîtresse que de la couvrir d’un froc, et, affublé comme elle, se faisant passer l’un et l’autre pour deux moines franciscains, d’aller demander l’hospitalité dans un couvent de nonnes. Le monastère est envahi, et je laisse à penser les plaisanteries dont les Français victorieux, facétieux et très irrévérencieux, se rendent coupables à l’endroit des colombes du Seigneur trouvées avec deux moines dans le même nid.

    Pendant qu’ils rient et qu’ils boivent, un corps d’Espagnols reparaît, la fusillade recommence ; Mugnès tombe à genoux, et Bianca, qui dans le capitaine du régiment français vient de reconnaitre son officier du verre d’eau, s’évanouit on ne peut mieux. Justement, le hasard fait de ses coups ; le duc d’Olonne, qu’on croyait mort, tombe des nues dans le camp français après la canonnade. Le capitaine ennemi est précisément son ami ; ils se sont connus à la cour de France, et le chevalier de Vilhardoin (c’est le nom de l’officier français) s’empresse de donner assistance et protection au fugitif. Pendant cette reconnaissance, Bianca est toujours évanouie. Le duc d’Olonne, resté seul avec elle dans la tente du capitaine, l’aperçoit, vole à son secours, et, entr’ouvrant sur sa poitrine le froc du moinillon pour lui donner de l’air, découvre…. la vérité. Bianca revient à elle, et frémit en retrouvant le duc qu’elle connaît bien et qu’elle déteste maintenant d’autant plus qu’elle a revu Vilhardoin et que d’Olonne, sans imaginer qu’elle est sa femme, s’est mis à son tour à l’adorer électriquement. Les vicissitudes de la guerre séparent cependant encore nos deux époux. Philippe V est roi d’Espagne ; Bianca, duchesse d’Olonne, est devenue camerera mayor ; le capitaine Vilhardoin lui fait une cour assidue, et le duc est ambassadeur à Rome, où sa femme, à lui toujours inconnue, a trouvé le moyen de le faire envoyer. Or, que fait-il dans la ville éternelle ? Il sollicite du Saint-Père la rupture du mariage qu’il a si précipitamment contracté, mariage incomplet du reste et d’une validité fort contestable. Le Pape consent ; la nullité de cette bizarre union est prononcée, à la condition toutefois que la duchesse d’Olonne signera, elle aussi, la demande en séparation. Et voilà la grande difficulté ! Où la prendre, cette duchesse ? On ne sait ce qu’elle est devenue. Mugnès a disparu, le château du duc est désert, les Français ont tout pris, tout bu, fait maison nette ; il n’y a plus ni femme, ni vin, ni intendant. Sans se désespérer pour si peu, d’Olonne, armé du bref papal qui peut lui rendre la liberté, reparaît à la cour de Philippe. Sa passion pour la camerera mayor s’augmente de toutes les rigueurs dont elle l’accable. Vilhardoin pourtant n’est guère plus heureux que lui ; il a demandé sa main à Bianca et on l’a refusé. D’Olonne, exaspéré par une résistance qu’il n’avait jusqu’alors rencontré nulle part, avoue à son tour qu’il mettrait sa fortune et son titre aux pieds de la cruelle, s’il pouvait se séparer de la femme maudite qu’il épousa pour sauver ses biens. — Ce serait si aisé, dit-il, si je parvenais à la trouver et à lui faire signer cette demande en séparation. — En vérité ! s’écrie Bianca saisissant le parchemin. Eh bien ! qu’à cela ne tienne. — En un clin d’œil la demande est signée, le mariage rompu, la main de Bianca dans celle de l’heureux Vilhardoin et la consternation sur le visage du duc d’Olonne, qui reconnaît enfin celle qu’il exécrait dans celle qu’il adore, la femme dont il voulait faire sa femme, dans celle qui était sa femme, et qui n’est plus sa femme, et qui aurait si bien pu rester sa femme. Pauvre homme ! noyé dans un verre d’eau ! Voilà ce que c’est que de faire le dégoûté et de ne pas regarder les filles qu’on épouse !

    La pièce et la musique ont obtenu un égal succès ; la partition de M. Auber, brillantée de mélodies coquettes et légères, aura très probablement la vogue qui s’est attachée si long-temps à celle du Domino noir. L’ouverture, composée avec des motifs de l’opéra, assemblés et cousus, du reste, avec assez peu de solidité, contient, dans l’introduction, un dessin chantant de violons, d’un effet caressant, mystérieux et doux, autant qu’original. Le trio du premier acte, où se trouve une phrase heureusement ramenée à la fin dans les trois voix à l’octave, me semble, par la netteté de la forme et l’unité de l’intention, une des meilleures choses qu’ait produites M. Auber. C’est simple et clair, cela va droit au but, c’est en même temps mélodieux et dramatique. Le final qui succède à la scène du mariage est moins saillant. Le compositeur a voulu concentrer toutes ses forces sur le second acte, dont les situations, en outre, sont les plus musicales.

    Au lever de la toile, des nonnes chantent une hymne à sainte Madeleine pendant le combat qui se livre dans le bois voisin et dont les bruits divers se mêlent à la pieuse harmonie du chœur des saintes filles. Un contraste de cette nature a été essayé avec un grand bonheur par M. Meyerbeer dans les Huguenots, au final du cinquième acte, quand les trois chœurs des étudians catholiques, des soldats huguenots et des femmes chantant les Litanies de la Vierge, se réunissent, après avoir été entendus séparément. Ce pêle-mêle musical, parfaitement justifié par la situation où le grand maître allemand sait unir à un art admirable, à une science profonde, une prudence non moins digne d’éloges, serait mieux apprécié si l’exécution n’en était pas si chanceuse et n’exigeait un nombre de choristes supérieur encore à celui qu’on possède à l’Opéra. Dans l’œuvre nouvelle de M. Auber, l’exécution de la prière pendant la bataille n’est pas si exigeante et n’offre pas le même danger ; il n’y a pas un chœur de religieuses priant et un chœur de soldats combattant ; le contraste n’existe qu’entre les trompettes, les tambours, le bruit de la mousquetade et la voix des nonnes. Encore ces deux musiques, de caractères opposés, sont-elles entendues plutôt successivement que simultanément. Rien ne peut donc en rendre l’exécution difficile ; c’est un avantage réel que cette facilité à rendre une scène d’une apparence complexe, mais aussi l’œuvre d’art est ici bien moins curieuse et d’un prix très inférieur. C’est plutôt un effet de scène qu’une combinaison purement musicale, et l’auteur du livret peut en revendiquer l’honneur presque autant que le compositeur. L’idée de faire l’intendant Mugnès réciter sa tremblante oraison sur une seule note, ornée, au dessus, d’une mélodie instrumentale, a toutefois une valeur qui fait pencher la balance du côté du musicien.

    La chanson bachique des soldats a semblé d’une verve assez ordinaire. Le duo entre Vilhardoin et Bianca est plein d’accens passionnés ; on a vivement applaudi le solo du chevalier « ô bonheur ! » Les couplets que le duc d’Olonne fait ensuite dire de force à sa femme qu’il prend pour un jeune moine, ne manquent pas d’originalité ; la scène suivante amène un duo qui l’emporterait de beaucoup sur ce qui précède, s’il n’était presque continuellement haché par un dialogue chanté, il est vrai, mais fort peu musical ; la prière épisodique du milieu est seule bien coupée pour le chant, et ce mari, répondant ainsi-soit-il à l’oraison de sa femme qui demande à Dieu la force de rester fidèle à l’époux qu’elle a eu le malheur d’accepter est, en outre, d’un comique excellent. La phrase du chœur « O France, ô ma patrie ! » est élégante, bien sentie, et disposée pour les voix d’une façon très harmonieuse. Le parterre applaudira chaque soir ce chœur, comme on fait à l’Opéra pour le duo de la Reine de Chypre.

    Au troisième acte, j’ai conservé le souvenir d’une jolie sérénade chantée à deux fenêtres par deux chanteurs et accompagnée de deux guitares. Ce morceau et le dénouement qu’il amène ont complètement réussi. On retrouve dans cette partition le style mélodique et en général la manière d’instrumenter de M. Auber. Je dois dire pourtant que l’idée qu’il a eue de faire murmurer, mezzo forte, aux trombones et trompettes, de petits accompagnemens légers dont le rapide martellement conviendrait aux flûtes ou aux violons, n’est pas, de l’avis des musiciens, une innovation bien heureuse, ni surtout bien motivée.

    Mocker et Henri ont représenté avec intelligence les personnages du duc d’Olonne et de Mugnès ; Roger, dont la voix et le talent se développent de plus en plus, a eu des momens de sensibilité remarquables, dans son chant comme dans son action scénique. Mlle Revilly a un rôle peu important. Mme Thillon a cette fois sur la conscience quelques sons forcés douteux et un abus du port de voix qu’elle n’avait pas fait encore. Mme Thillon doit bien prendre garde aux notes traînées de bas en haut ; celles-là surtout présentent un danger extrême pour la justesse d’abord et pour le style ensuite, qu’elles rendent prétentieux et maniéré. Mme Thillon a été redemandée.

    — Les concerts gratuits, offerts par les journaux d’art et de modes à leurs abonnés, continuent et se perfectionnent. Ainsi la Sylphide, ce joli recueil si bien rédigé, prépare pour la fin du mois une soirée chantante, dansante et gastronomique. Il y aura souper après le concert et bal après le souper. On ne dit pas ce qu’il y aura après le bal ; la musique ainsi accompagnée ne peut avoir qu’un immense succès.

H. BERLIOZ.

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; page Hector Berlioz: Feuilletons créée le 1er mars 2009; cette page ajoutée le 1er août 2014.

© Michel Austin et Monir Tayeb. Tous droits de reproduction réservés.

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